La Commission sur l`avenir de l`agriculture et de l`agroalimentaire du

La Commission sur l'avenir de l'agriculture et de l'agroalimentaire du Québec a rendu
public son rapport le 12 février dernier. Le premier mérite que l'on doit accorder à ce
rapport est d'avoir su identifier et comprendre, avec compétence et intelligence, la
complexité des problèmes de fond qui affligent les secteurs agricole et agroalimentaire du
Québec, et par extension les territoires ruraux. Le deuxième mérite tient dans la sagesse,
l'audace et le courage de ses recommandations.
Déboulonnage de l'UPA
Les membres de la Commission ont su écouter, entendre et comprendre les constats
exposés, identifier et mesurer les causes. Les principales conclusions déboulonnent la
sacro-sainte Union des producteurs agricoles (UPA) et met en accusation plusieurs des
dispositifs qu'elle a créés, ou contribué à mettre en place au fil des ans et qui lui assurent
une forme d'hégémonie sur ce secteur économique. Une hégémonie qui s'exerce non
seulement sur la production agricole, le financement agricole et la mise en marché des
produits mais, coup de maître, sur l'aménagement du territoire par le biais de la Loi sur
la protection du territoire agricole et des activités agricoles (LPTAAA) issue de ses
représentations et dont l'application demeure toujours sous sa forte influence.
L'obligation faite à tous les producteurs agricoles d'adhérer à un syndicat unique avec la
complicité du ministère de l'Agriculture qui assujettit l'accès à ses différents programmes
d'aide et aux allègements fiscaux au membership de l'UPA, est sévèrement mise en cause
par la Commission.
Le modèle productiviste adopté par l'UPA depuis la fin des années 1950 et appuyé par les
agronomes du ministère de l'Agriculture, représente aux yeux de la Commission, une voie
sans issue qui entraîne ce secteur économique à sa perte tout en étant contre-productif
sur le plan environnemental et de la santé de la population.
En citant des extraits du mémoire de l'Union paysanne, le Rapport de la Commission fait
siennes les principales critiques énoncées à l'endroit de l'UPA: «…l'UPA a étendu son
contrôle bien au-delà d'un simple rôle de représentation syndicale. Son influence est
maintenant démesurée sur le financement de l'agriculture, sur la mise en marché, sur les
orientations municipales, sur l'aménagement du territoire et sur les instances
gouvernementales de contrôle et de supervision». Sur la question de la représentation
des agriculteurs, le rapport recommande notamment: «Que la Loi sur les producteurs
agricoles soit amendée afin de pouvoir reconnaître une ou des associations
professionnelles représentatives des producteurs agricoles.» En termes clairs: que soit
aboli le monopole syndical de l'UPA.
Le zonage agricole: ouverture
Les membres de la Commission ont perçu les liens entre l'application de la Loi sur la
protection du territoire agricole et la dynamique de développement des espaces ruraux.
Ils ont su reconnaître que si l'application rigoureuse de cette loi dans les secteurs
périurbains des aires métropolitaines était bénéfique pour la sauvegarde des meilleures
terres agricoles du Québec (plaine du Saint-Laurent de l'Outaouais jusqu'à Montmagny
environ), cette même rigueur agissait comme un obstacle majeur au besoin de
diversification de l'activité économique dans les communautés rurales désertées par
l'agriculture et au prise avec les phénomènes de déclin et de dévitalisation (une
diversification que prône la Politique nationale de la ruralité).
Rappelons qu'à la fin des années 1970, le lobby de l'UPA réclamant la protection des
terres agricoles avait trouvé un ardent défenseur de leur cause en la personne du
ministre Jean Garon. L'adoption habile de la LPTAAA en novembre 1978 allait délimiter en
quelque sorte le fief de l'UPA, un territoire deux fois grand comme la superficie totale des
fermes, où les seules activités autorisées seraient désormais l'agriculture, la forêt et… la
friche.
Un article de la Loi permet à la Commission de protection du territoire agricole de prendre
en compte l'état de l'agriculture et les conditions de développement économique et social
d'une communauté, dans les prises de décisions relatives à des demandes d'autorisation
d'usages autres qu'agricoles. Toutefois, fortement centralisée à Québec et d'abord et
avant tout dédiée à la protection de la zone agricole permanente, la LPTAAA n'a pas su
faire preuve de la souplesse que l'évolution des situations requérait depuis 1978 et des
besoins des communautés rurales en difficulté.
Lent étranglement
Enferré dans des conceptions et des institutions qui ne correspondent plus aux réalités et
aux problématiques actuelles de l'agriculture et de la ruralité, l'UPA est la cause de
l'effondrement, de l'étranglement lent de ce secteur pourtant névralgique de notre
économie. Elle fait aussi obstacle à la redynamisation des campagnes par sa résistance,
son opposition, à la définition d'amendements à la LPTAAA en vue d'un assouplissement
des contraintes à des usages autres qu'agricoles et à une procédure décisionnelle ouvrant
la porte à une certaine décentralisation sur les demandes d'autorisation d'usages non
agricoles, au profit des MRC
Au cours de mes années universitaires, le «zonage agricole» a été un de mes thèmes de
recherche et de publication. Dans un article publié dans Le Soleil du 21 septembre 1981,
j'écrivais: «La Loi 90 (protection du territoire agricole) qui confère une vocation agricole
exclusive à plus de 80% du Québec habitable, constitue une pièce législative foncière
particulièrement efficace dans la lutte à l'étalement anarchique des villes, mais apparaît
un outil fort mal adapté pour les territoires ruraux en difficulté. Zoner ces territoires où
l'agriculture a démontré au cours des 30 dernières années son incapacité à retenir les
populations du fait principalement des sérieuses contraintes à s'adapter aux exigences de
l'agriculture d'entreprise, c'est contribuer à amplifier l'exode et la pauvreté, c'est zoner la
misère. Ces communautés rurales en difficulté ont besoin d'un développement polyvalent
(agriculture, forêt, PME, développement résidentiel et touristique, etc.). Et le défi de
l'aménagement est alors d'assurer une harmonie entre ces fonction dans le respect de la
spécificité rurale.
J'arrive d'un séjour en France où j'ai participé aux Troisièmes Rencontres européennes de
Développement rural. J'y étais invité comme expert en développement rural et
gouvernance locale hors Europe, pour apporter l'éclairage canadien et québécois sur des
problématiques et politiques de développement territorial discutées en forum.
Ouverture à la cohabitation
Un des thèmes traités portait précisément sur la diversification économique en milieu
rural et plus précisément sur le rôle de plus en plus significatif de «l'économie
résidentielle». L'approche qui prévaut dans plusieurs pays européens est l'ouverture à la
cohabitation des fonctions en milieu rural et à la multifonctionnalité sur les fermes
(nouvelles formes d'agriculture, transformation, artisanat, tourisme…). Le réflexe n'est
pas d'interdire, de bannir, mais d'encadrer et de réglementer afin que la cohabitation soit
harmonieuse tout en injectant un dynamisme économique et social nécessaire. Ainsi, un
bâtiment de ferme pourra être cédé à un artisan ébéniste et transformé en atelier;
quelques unités résidentielles pourront être construites sur un espace peu propice à
l'agriculture, soumises cependant à des prescriptions urbanistiques et architecturales qui
assurent l'harmonisation au patrimoine local et au paysage. Cette ouverture à la
polyvalence tient au constat que l'activité agricole ne peut plus assurer la viabilité et la
pérennité d'un nombre croissant de communautés rurales.
C'est dans cette perspective que le Rapport affirme: «…qu'il est essentiel d'assouplir
certaines règles d'application de la LPTAAA à l'égard des activités permises dans la zone
agricole dans les communautés rurales situées en dehors des grands pôles urbains». En
conséquence, les recommandations suivantes sont formulées: (i) «Que la Commission de
protection du territoire agricole établisse une liste d'activités admissibles à certaine
conditions dans la zone verte, et qui ne nécessiteraient plus son approbation préalable».
(ii) «…que soient également autorisées dans la zone agricole permanente des activités de
production agricole et de transformation qui utilisent une faible superficie de terre, qui
requièrent des installations de petite taille, qui combinent des activités agricoles et des
activités complémentaires ou dont les promoteurs ne souhaitent pas se consacrer à plein
temps à l'agriculture.»
Le rapport Pronovost est un document exceptionnel par la justesse du diagnostic,
l'audace et le courage de ses recommandations. Un rapport qui trace la voie à une
réforme devenue inévitable et qui interpelle le gouvernement dans sa capacité de vision
et sa détermination à instaurer une manière de penser et de faire, porteuse d'un
dynamisme reconquis et actualisé.
*Spécialiste en développement local et régional
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