Chine / Nobel de la paix Chine : Après l'attribution du Nobel, des langues se délient (MFI / 14.12.10) La chaise du Prix Nobel de la paix 2010 est restée vide, le 10 décembre dernier, à Oslo. Accusé de subversion, le dissident chinois Liu Xiaobo purge une peine de onze ans de prison dans le nord de la Chine. Sa famille et ses proches ont été placés en résidence surveillée. Deux mois après l’attribution du prix Nobel, en Chine, Pékin ne décolère pas, mais la parole se libère. Le Prix Nobel a fait son retour timide dans les journaux le matin du 10 décembre, à Pékin, par le biais des propos rapportés du porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères qui, la veille, dénonçait un « Congrès Américain (…) contre le développement de la Chine ». « Les partisans du Nobel sont des clowns », le « Nobel est une farce » de l’Occident, les termes enfantins employés par les autorités chinoises visent à diminuer l’importance de ce qui joue sans parvenir à dissimuler l’affront ressenti par la décision d’Oslo. Prix Nobel à la solde des impérialistes « Ce prix a été décerné à quelqu’un qui a été condamné par la justice chinoise, explique Ding Yi Fan. C’est donc un défi lancé au gouvernement chinois. Le gouvernement a mobilisé ses forces pour montrer que cette décision était injuste. Liu Xiaobo est un prisonnier qui a voulu en rédigeant ce qu’on appelle la Charte 08 provoquer un soulèvement populaire, poursuit ce chercheur à l’Institut du développement mondial lié au puissant Conseil des Affaires d’Etat. C’est quelqu’un qui a le culte de l’Occident et qui a affirmé à la presse de Hong-Kong que la Chine ne ferait des progrès que sous la colonisation occidentale. Il jouit d’une très mauvaise image en Chine, il est considéré comme le représentant des intérêts des impérialistes ». Surveillance renforcée autour des militants Ce portrait à charge d’un dissident à la solde des intérêts occidentaux a été martelé toute la semaine dans la presse officielle. Le bureau de la sécurité publique veillant à empêcher les opposants de manifester un avis contraire. « Les deux trois jours qui précèdent ce genre d’évènement sont jugés particulièrement sensibles par les autorités, explique Renaud de Spens. Ce qui fait le plus peur au régime c’est la massification de la contestation et tout le côté symbolique dont se nourrit habituellement l’idéologie communiste : les dates et les lieux ! On ne peut pas imaginer un rassemblement place Tiananmen, ni même des petites manifestations pendant la remise du prix parce que les autorités auraient peur que cela fasse tache d’huile », affirme ce sinologue et spécialiste des médias chinois. « Cette année, c’est même plus dur qu’en 2008 », constate Shen You Lian, directeur de l’association Guizhou Ren Quan Yan Tao Hui, littéralement « la réunion des droits de l’homme ». Cette association basée dans la capitale de la province de Guizhou dans le sud du pays est signataire de la « Charte 08 », un texte signé par des milliers d’intellectuels qui a valu onze ans de prison à Liu Xiaobo. Tous ses membres ont été arrêtés ou placés en résidence surveillés depuis la semaine dernière. « Chez nous tout le monde est au courant pour le 10 décembre. Tout le monde sait que le prix Nobel a été remis cette année à Monsieur Liu Xiaobo. Alors notre association avait prévu une série de réunions. Mais nous ne pouvons pas sortir affirme Shen You Lian. Tout à l’heure, je voulais aller faire les courses, un type m’a attrapé le bras et m’a dit violement : « Où tu vas ! » Il dit qu’il est de la mafia mais je sais que c’est un policier du quartier. Et c’est comme ça depuis le 3 décembre dernier. L’année dernière, j’ai été arrêté le 8 décembre et j’ai été interrogé pendant deux jours avec interdiction de dormir toute la nuit. Cette année, la police de Guizang a commencé les arrestations fin novembre. Toutes les réunions ont été annulées ». « Les Chinois n’ont plus peur de l’information » Ce qui n’empêche pas l’information de circuler. A l’aide des micro-blogs, sur les forums internet, les internautes déjouent la censure. Pour Renaud de Spens, « le prix Nobel a montré une fois de plus que l’Etat était incapable de contrôler l’intégralité des informations. Les Chinois ne sont pas mécontents mais ils sont agacés car ils ont envie de vivre comme tout le monde et d'avoir accès à toute l’information. Il y a un affaiblissement de la croyance défendue par les autorités depuis 1989 selon laquelle la censure serait bénéfique au pays, puisqu’elle lui permettrait de se développer en gardant sa cohésion. C’est ainsi qu’il y a tous les jours des milliers de cybers justiciers qui défendent la veuve et l’orphelin sur internet. Et depuis un an, tous ces militants du net utilisent un vocabulaire légal extrêmement précis. Ils disent : « Nous sommes dans un Etat de droit, ce que fait telle ou telle institution est inacceptable. » Et le plus surprenant c’est que même les nationalistes demandent à bénéficier de la liberté d’expression désormais. C’est la preuve qu’il y a un vrai débat dans la société chinoise ». Et ce débat touche désormais jusqu’au Parti communiste chinois (PCC) lui-même. Depuis l’attribution du prix Nobel, vingt-trois membres du PCC ont signé une lettre ouverte réclamant plus d’ouverture. Ces papys du Parti ne risquent pas grand-chose. Ils sont d’un âge vénérable et sont des voix respectées. Veste traditionnelle chinoise, les mains jointes, cet ancien grand architecte du régime est intarissable lorsqu’il s’agit d’évoquer ses souvenirs de la Révolution culturelle. Il en a fait un livre qui dénonce les années Mao. « Depuis trente ans, l’économie a beaucoup progressé mais les avancées politiques se sont arrêtées en 1989, dit-il. Nous ne sommes pas forcément d’accord avec les idées de la Charte 08. Liu Xiaobo veut un système multipartiste, la liberté de vote, la démocratie, c'est pour nous un projet irréaliste aujourd’hui. Nous pensons que le plus important et aussi le plus accessible, c'est d’abord d'obtenir la liberté de parole. On ne partage pas forcément les opinions de Liu Xiaobo, mais pour nous la censure n'est pas acceptable ! La première chose que nous demandons, c'est de pouvoir parler de tout sur tous les sujets. » Stéphane Lagarde