d’intellectuels qui a valu onze ans de prison à Liu Xiaobo. Tous ses membres ont été
arrêtés ou placés en résidence surveillés depuis la semaine dernière. « Chez nous tout
le monde est au courant pour le 10 décembre. Tout le monde sait que le prix Nobel a
été remis cette année à Monsieur Liu Xiaobo. Alors notre association avait prévu une
série de réunions. Mais nous ne pouvons pas sortir affirme Shen You Lian. Tout à
l’heure, je voulais aller faire les courses, un type m’a attrapé le bras et m’a dit
violement : « Où tu vas ! » Il dit qu’il est de la mafia mais je sais que c’est un policier
du quartier. Et c’est comme ça depuis le 3 décembre dernier. L’année dernière, j’ai
été arrêté le 8 décembre et j’ai été interrogé pendant deux jours avec interdiction de
dormir toute la nuit. Cette année, la police de Guizang a commencé les arrestations fin
novembre. Toutes les réunions ont été annulées ».
« Les Chinois n’ont plus peur de l’information »
Ce qui n’empêche pas l’information de circuler. A l’aide des micro-blogs, sur les
forums internet, les internautes déjouent la censure. Pour Renaud de Spens, « le prix
Nobel a montré une fois de plus que l’Etat était incapable de contrôler l’intégralité
des informations. Les Chinois ne sont pas mécontents mais ils sont agacés car ils ont
envie de vivre comme tout le monde et d'avoir accès à toute l’information. Il y a un
affaiblissement de la croyance défendue par les autorités depuis 1989 selon laquelle la
censure serait bénéfique au pays, puisqu’elle lui permettrait de se développer en
gardant sa cohésion. C’est ainsi qu’il y a tous les jours des milliers de cybers
justiciers qui défendent la veuve et l’orphelin sur internet. Et depuis un an, tous ces
militants du net utilisent un vocabulaire légal extrêmement précis. Ils disent : « Nous
sommes dans un Etat de droit, ce que fait telle ou telle institution est inacceptable. »
Et le plus surprenant c’est que même les nationalistes demandent à bénéficier de la
liberté d’expression désormais. C’est la preuve qu’il y a un vrai débat dans la société
chinoise ».
Et ce débat touche désormais jusqu’au Parti communiste chinois (PCC) lui-même.
Depuis l’attribution du prix Nobel, vingt-trois membres du PCC ont signé une lettre
ouverte réclamant plus d’ouverture. Ces papys du Parti ne risquent pas grand-chose. Ils
sont d’un âge vénérable et sont des voix respectées. Veste traditionnelle chinoise, les
mains jointes, cet ancien grand architecte du régime est intarissable lorsqu’il s’agit
d’évoquer ses souvenirs de la Révolution culturelle. Il en a fait un livre qui dénonce les
années Mao. « Depuis trente ans, l’économie a beaucoup progressé mais les avancées
politiques se sont arrêtées en 1989, dit-il. Nous ne sommes pas forcément d’accord
avec les idées de la Charte 08. Liu Xiaobo veut un système multipartiste, la liberté de
vote, la démocratie, c'est pour nous un projet irréaliste aujourd’hui. Nous pensons que
le plus important et aussi le plus accessible, c'est d’abord d'obtenir la liberté de
parole. On ne partage pas forcément les opinions de Liu Xiaobo, mais pour nous la
censure n'est pas acceptable ! La première chose que nous demandons, c'est de
pouvoir parler de tout sur tous les sujets. »
Stéphane Lagarde