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Dans la jurisprudence fédérale, la Cour Suprême mentionne parfois la Magna Carta –
en 1819 pour la 1ère fois (Bank of Columbia v. Oakley) – mais les quelque 150 références
identifiées dans les U.S. Reports sont le plus souvent rhétoriques et manquent de substance – à
la différence peut-être des pays qui sont restés membres du Commonwealth britannique et qui
furent sous l’influence juridique du Privy Council pendant des décennies. Elles abordent aussi
une très grande variété de sujets et pas simplement, comme on pourrait le croire, la procédure
criminelle et la constitution du jury, mais aussi le droit des faillites, celui de la famille, le IInd
Amendment et les dédommagements en cas de confiscation publique de la propriété privée
(Takings Clause). Elles sont aussi souvent le fait de dissenters, comme Clarence Thomas,
dans certaines décisions récentes ; il est plus rare que la majorité y ait recours. Comme l’a dit
dernièrement le Chief Justice John Roberts « If you’re citing Magna Carta, you’re in bad
shape »
…
Dans ces conditions, la MC demeure bien entendu évanescente comme outil de droit
positif mais elle n’en constitue pas moins une norme symbolique puissante qui fait partie
intégrante du dialogue constitutionnel américain. Le travail interprétatif de la constitution par
les Juges ne s’est jamais résumé à un simple textualisme des quelque 4000 mots de la
constitution. Comme l’écrit Akhil Amar (2012, America’s Unwritten Constitution), le
dialogue entre la constitution écrite et ce qu’il appelle la « constitution non-écrite » est
essentiel dans l’élaboration & l’affinement de principes essentiels du droit constitutionnel
américain – comme checks and balances, séparation des pouvoirs, État de droit, égalité du
suffrage, qui ne sont pourtant nulle part mentionnés dans le texte fondateur. Ces deux
constitutions, écrites et non-écrites, fonctionnent en symbiose (ce qui se voit par exemple dans
l’Amendement IX, qui est un appel explicite de la constitution écrite à la non-écrite). Elles se
nourrissent & se limitent mutuellement, de sorte que l’opposition traditionnelle chez les
juristes entre textualisme & « constitution vivante » (living constitution) devient ici
secondaire. La Magna Carta intègre à ce titre le dialogue constitutionnel américain, en
particulier pour cette idée centrale dans nos démocraties que le gouvernement n’est pas au-
dessus de la Loi (c’est la fameuse clause 39
).
Library of Congress, « Magna Carta Legal Legacy », 19 novembre 2014 :
http://www.loc.gov/today/cyberlc/feature_wdesc.php?rec=6505 (consulté en décembre 2015). Une recherche sur
US Reports indique 14 décisions citant la MC, avec 6 pour la seule année 2015, du 1er janvier 2000 au 15
septembre 2015: Department of Transportation v. Association of American Railroads (2015) — Horne et Al. v.
Department of Agriculture (2015) — Obergefell et Al. v. Hodges, Director, Ohio Department of Health, et Al.
(2015) — Kerry, Secretary of State, et al. v. Din (2015) — Williams-Yulee v. Florida Bar (2015) — Wellness
International Network Ltd v. Sharif (2015) — Southern Union Co. v. United States (2012) — Hosanna-Tabor
Evangelical Lutheran Church and School v. EEOC (2012)- Borough of Duryea v. Guarnieri (2011) - McDonald
v. Chicago (2010)- Stoneridge Investment Partners LLC v. Scientific-Atlanta, Inc (2008)- Lakhdar Boumediene
et Al. v. George W. Bush (2008)- Hamdi v. Donald H. Rumsfeld, Secretary of Defense, et al. (2004) — State
Farm Mut. Automobile Ins. Co. v. Campbell (2003).
No free man shall be seized or imprisoned, or stripped of his rights or possessions, or outlawed or exiled, or
deprived of his standing in any way, nor will we proceed with force against him, or send others to do so, except
by the lawful judgment of his equals or by the law of the land.