Complément - Source : Alternatives Economiques n° 326 - Juillet 2013
Blé, riz, maïs, millet…, les céréales sont la principale source de l'alimentation humaine. Mais entre les besoins et la
production, les tensions restent vives.
Depuis la "révolution néolithique" et les débuts de l'agriculture - entre le neuvième et le cinquième millénaire avant
notre ère -, les céréales sont les nourricières de l'humanité. Aujourd'hui encore, elles assurent en moyenne près de la
moitié des apports caloriques journaliers des habitants de la planète.
Si la production de céréales croît depuis vingt-cinq ans à peu près au même rythme que la population, l'adéquation
entre l'offre et la demande mondiale est récemment devenue plus aléatoire, sous l'effet de trois mutations. D'abord,
l'essor de la consommation de viande dans le monde, qui nécessite de consacrer une part croissante de la production
agricole à l'alimentation animale. Ensuite, l'utilisation de céréales - le maïs principalement - pour la production
d'agrocarburants. Enfin, l'essor du commerce mondial, qui a conduit certains pays en développement à délaisser les
cultures vivrières de base pour se spécialiser dans des productions spécifiques destinées à l'exportation.
Dans leurs "Perspectives agricoles 2013-2022", l'OCDE et la FAO prévoient un ralentissement de la production agricole
mondiale, dû à la stagnation des rendements et au manque de superficies supplémentaires. Elles n'excluent pas de
nouvelles menaces sur la sécurité alimentaire et recommandent des politiques prudentes de stockage. Des tensions qui
devraient entretenir le débat sur l'application des techniques génétiques dans la production céréalière. Un autre modèle
agricole est pourtant possible, fondé sur moins de gaspillages et sur une alimentation moins carnée au Nord.
Le pain, entre tradition et innovations - Claire Alet
En France, le pain a été la nourriture de base jusqu'au début du XXe siècle. En 1900, la consommation par habitant était en moyenne de 900
grammes de pain par jour, avant qu'elle ne décline jusque dans les années 1980 à 175 grammes/jour. Un effet de la diversification de l'alimentation,
mais aussi de la faible qualité du produit : "Après la guerre, les Français ne voulaient plus manger de pain gris, associé aux temps de pénurie. Pour répondre à
la demande, les boulangers ont donc fabriqué du pain très blanc, raconte Philippe de Tonnac, qui a dirigé le Dictionnaire universel du pain. Mais la
contrepartie, c'est que ce pain est devenu insipide." Le prix de la baguette était aussi de plus encadré par l'Etat, ce qui n'incitait guère à développer une
offre de qualité. Les Français s'en sont donc détournés.
"Certains se sont dits : le pain et la boulangerie ont perdu leur âme, il faut les sauver", poursuit Philippe de Tonnac. Et parmi eux, les meuniers : "Ils ont
compris que s'ils ne faisaient rien, leur marché, essentiellement composé de boulangeries artisanales, allait fortement décliner", témoigne Philippe Cavagna,
directeur général de Banette. Face à ce danger, une quarantaine d'entre eux se sont donc regroupés pour lancer en 1982 la première marque
dénommée Banette. L'idée : proposer un pain de meilleure qualité, en se basant sur des recettes dites "de tradition" [1], facilement reconnaissables
par les consommateurs grâce à un logo et à une politique marketing.
A la suite de Banette, d'autres marques ont vu le jour, à l'instar de Copaline en 1985, de Festival des pains en 1989 ou encore de la baguette Retrodor
en 1990. Cette vague a également été accélérée par la fin de l'encadrement du prix du pain en 1987, qui a incité à davantage de créativité.
Aujourd'hui, sous l'influence de ces marques, on assiste à une diversification croissante de l'offre en boulangerie, avec des pains spéciaux, au pavot
et autres graines, et à une montée en gamme avec des pains bio. C'est ainsi que la flûte Gana, vendue 1,28 euros l'unité en région parisienne, est
signalée par un écriteau "Produit haut de gamme".
Côté consommateur, la diffusion de ces marques a certes eu pour avantage d'améliorer la qualité nutritionnelle et gustative du pain. La demande a
d'ailleurs cessé de chuter depuis le milieu des années 1990 et se maintient aujourd'hui à environ 160 grammes par jour et par personne. Mais la
qualité a aussi un prix : selon l'association Consommation logement cadre de vie (CLCV), les pains de marque sont entre 10 % et 35 % plus chers
que la baguette ordinaire. Le consommateur a de moins en moins le choix : il doit payer, dans le prix de son pain acheté en boulangerie artisanale,
une bonne dose de marketing et de publicité. C'est la loi des marques, ici détenues par les minotiers, mais c'est aussi peut-être une des conditions
pour conserver ce qui reste un des réseaux artisanaux les plus denses du monde.
[1] Le "pain de tradition" a été défini par un décret en 1993. Il ne doit pas avoir été surgelé, ne contenir aucun additif et être réalisé à partir d'une
pâte spécifique.