Inequality, redistribution and growth : a challenge to the conventional political economy approach Saint Paul et Verdier 1996 European Economic Review, 40, 719-728 Résumé : Article qui remet en question la vision conventionnelle de l’économie politique qui dit que : (1) les sociétés plus inégalitaires ont tendance à faire plus de redistribution et (2) plus de redistribution pénalise la croissance. Les auteurs présentent une série d’arguments théoriques qui suggèrent que ces deux implications ne sont pas nécessairement vraies et que la corrélation négative entre inégalité et croissance observée empiriquement pourrait venir du fait que les sociétés plus inégalitaires ont tendance à redistribuer moins et que c’est cela qui est mauvais pour la croissance. En fait les auteurs constatent un regain d’intérêt pour la question posée par Kuznets (1955) de l’interaction entre la distribution du revenu et le développement économique. Une nouvelle littérature a produit les bases pour une meilleure compréhension de la manière dont les externalités et les imperfections de marché affectent les dynamiques du produit et de la distribution de revenu. Une littérature parallèle a émergé et étudie comment la distribution de revenu détermine de manière endogène la politique économique, et comment cette politique joue ensuite sur la croissance économique. Cette littérature repose principalement sur des modèles où la taxation est votée. On peut la résumer sommairement comme suit : (a) plus d’inégalités conduit à plus de taxes redistributives, (b) ce qui a des effets pervers sur la croissance. Il y a des preuves empiriques que les inégalités affectent négativement la croissance à travers la politique, mais l’auteur propose de discuter des mécanismes à l’œuvre. D’abord parce que la redistribution n’est pas toujours positivement corrélée avec les inégalités, ensuite parce que les transferts (la redistribution) semble avoir des effets positifs et non négatifs sur la croissance. Champs d’étude : économie politique, redistribution, inégalité et croissance. Plus d’inégalités ne conduit pas nécessairement à plus de taxation redistributive : On dit en général que plus d’inégalités conduit à plus de taxes redistributives par un raisonnement en 3 étapes : dans les économies actuelles, la distribution de revenu à une queue à droite, donc le médian est plus pauvre que la moyenne ; le taux de taxe déterminé au vote à la majorité est une fonction décroissante du ratio médian/moyenne ; plus d’inégalité allonge la queue dans la distribution de revenu et le ratio médian/moyenne diminue et les taxes augmentent. Les auteurs énumèrent alors un ensemble de mécanismes qui invalident ce raisonnement et qui génère une corrélation négative entre les inégalités et la taxation. 1) Il n’existe pas de théorème qui dit que la queue augmente en même temps que la moyenne quand on garde constante la largeur de la distribution de revenu. 2) De plus, on peut prendre en compte le fait que des groupes aux revenus différents ont des poids ou des participations politiques différentes. (ex : participation politique aux USA par Petrocik et Shaw, 1991). Donc l’électeur décisif est plus riche que le médian, et donc il y a des chances pour qu’il devienne plus riche par rapport à la moyenne quand les inégalités augmentent. 3) Le ratio median/moyenne est le déterminant approprié pour les taxes uniquement dans le cas particulier de taux de taxe linéaires et de transferts forfaitaires. Si les taxes et les transferts sont progressifs, la moyenne doit être remplacée par un index du revenu agrégé non linéaire approprié. 4) Les distorsions engendrées par la taxation dépendent de la distribution des revenus. D’une part, le taux de taxe marginal effectif est très élevé pour les plus pauvres, tandis que les plus riches ont généralement accès à plus d’opportunités d’évasion fiscale. Alors plus d’inégalités fait que la taxation entraîne plus de distorsions, et donc le taux de taxe préféré par la majorité diminue quand les inégalités augmentent. Plus de redistribution n’est pas nécessairement pénalisant pour la croissance. Le second principe traditionnel de l’économie politique de la croissance est que plus de redistribution affecte négativement la croissance, parce que plus de redistribution signifie plus de taxe sur les rendements de l’investissement, ce qui décourage et réduit l’investissement et la croissance. Si ce raisonnement semble approprié dans de nombreux papiers théoriques, il est contredit dans plusieurs analyses empirique, en particulier par Sala-i-Martin et Perotti qui trouvent une relation positive entre les transferts et la croissance. Les auteurs exposent quelques arguments qui expliquent que la redistribution n’est pas nécessairement pénalisante pour la croissance : 1) D’abord quand la redistribution est faite à travers l’éducation publique comme dans Saint Paul et Verdier 1993. L’éducation publique peut tout à la fois égaliser les niveaux de revenus entre les dynasties et augmenter le stock agrégé de capital humain dans l’économie. Quand ce dernier est le moteur de la croissance, cela génère un effet bénéfique sur la croissance. 2) Ce qui soutient cette vue standard sur la redistribution et la croissance est que les incitations à investir sont basées uniquement sur le rendement privé net des taxes. En particulier les agents n’ont aucune contraintes de liquidité. Cela est évidemment faux quand le marché des capitaux est imparfait. En particulier les agents pauvres peuvent alors être incapable d’investir dans les projets ou les facteurs cumulatifs qui sont essentiels à la croissance (Galor et Zeira,1993 ; Aghion et Bolton 1992 ; Banerjee et Newman 1993 ; Perotti 1993). On a alors des comportements d’investissement différents pour les riches et les pauvres et les inégalités s’accroissent. La croissance n’est déterminée que par l’investissement des riches. Si l’économie est assez riche, la redistribution qui facilitera l’investissement des pauvres sans empêcher celui des riches sera positive pour la croissance. 3) Effet de composition de la demande : la redistribution affecte la croissance si les préférences ne sont pas homothétiques et si la demande agrégée dépend des distributions de richesse et de revenu (ex : Murphy et al. 1989). A cause des technologies à rendements croissants, l’industrialisation ne peut surgir que si les marchée domestiques sont importants. Il faut qu’il y ait suffisamment de richesse initiale pour couvrir les coûts fixes des industries. Mais de plus la richesse agrégée doit être suffisamment largement distribuée afin de générer une demande importante. Dans ce cas la redistribution en générant une classe moyenne importante peut avoir des effets positifs sur la croissance, au moins à un certain stade du développement. 4) Crime, envie et inégalité : les transferts du gouvernement écartent les personnes pauvres d’activités socialement néfastes et qui diminue la rentabilité des investissements, comme le crime. Les pauvres ont peu à perdre s’ils se font prendre à voler. Les transferts augmentent le coût potentiel associé au crime en les rendant plus riches. On peut aussi développer l’argument de l’envie, par exemple le classement dans la distribution de richesse. S’il n’y a que peu de mobilité sociale par des moyens légaux et si les inégalités initiales sont grandes, alors les incitations à entrer dans des activités illégales sont grandes. Donc réduire les inégalités à travers la redistribution réduit l’envie et le crime, et donc stimule l’investissement et la croissance. CCL : les connexions entre les inégalités, la redistribution et la croissance doivent être plus subtiles et complexes que ce que la vision conventionnelle suggère. On peut expliquer pourquoi les transferts gouvernementaux ne sont pas nécessairement associés à plus d’inégalités initiales, et pourquoi ils entraînent des effets positifs sur la croissance.