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principes de maximisation qu’ils soient hommes préhistoriques, anges ou citadin actuel. Evidemment,
les anthropologues, les historiens et les sociologues n’ont pas leur mot à dire.
A priori, je n’ai rien contre les modèles, les jeux et les situations amusantes : ayant découvert
les sciences sociales au lycée en lisant les « règles d’or de Parkinson », « Le principe de Peter » et
« micropsychologie de la vie quotidienne » d’Abraham Moles, je ne pourrais récuser cette optique.
Mais ces auteurs savaient qu’ils travaillaient sur des situations fictives et ne manquaient pas de les
confronter au réel par la suite. On ne trouve pas cela dans le présent livre. Un exemple flagrant peut
être donné pages 46-47 lorsque l’auteur prétend que la loi des grands nombres accroit la probabilité
que le gain espéré se rapproche de la valeur moyenne et que « la loi des grands nombres peut aussi
servir si vous investissez en bourse ». Même si l’auteur aborde ensuite la question des asymétries
d’informations (avec les fameux Lemon d’Akerlof), on se demande s’il a regardé le monde réel depuis
2008 et s’il a lu des auteurs comme Mandelbrot (il n’aborde pas, par exemple, la question des
prédictions créatrices et des bulles, notions évoquées dans « Economix »).
Enfin, s’il cite des auteurs, ce n’est que Smith et Arrow-Debreu, et de manière totalement
décontextualisée.
Je vais avoir du mal à cacher que je préfère, et de loin, « Economix » de Goodwin (qui n’est
pas économiste) et Burr. Dans ce livre l’analyse de l’économie est contextualisée ; l’utilisation de
l’Histoire Economique (centrée sur les Etats-Unis) permet de comprendre la genèse des théories
économiques. La présentation de Smith semble nettement plus fidèle à la réalité que celle qui est faite
dans le livre de Bauman. On n’y cache ni le rôle de la contingence ni les rapports de force. Enfin,
l’auteur est conscient de l’existence d’une pluralité de visions de l’économie, il ne prétend pas être
« neutre » et il propose ses solutions (qu’on peut partager ou pas).
Quel livre conseillerais-je à un néophyte en économie ?
Hé bien, malgré ma préférence pour l’un des deux, je conseillerais les deux car la lecture de ces deux
livres permet de comprendre clairement ce qu’on appelle « orthodoxie » et « hétérodoxie » en
économie. Le lecteur comprendra clairement qu’une des deux approches relève des « sciences
sociales » alors que l’autre, qui se nomme elle-même « La science économique » est avant tout une
branche des jeux logiques. Le lecteur verra clairement que l’approche en termes de modèles présentée
par Bauman peut être utile mais à condition qu’on n’oublie pas de recontextualiser par la suite les
résultats obtenus. Il sera facile de montrer que la théorie économique dominante a fini par oublier cette
contextualisation et s’est laissée aller à « confondre beauté et vérité » (selon les mots de Paul
Krugman
). Enfin, si on s’appesantit sur le seul cas des crises financières, on comprendra facilement
pourquoi les rares « qui ont vu » la crise de 2008 arriver se situent plutôt dans la mouvance
hétérodoxe, au contraire des économistes orthodoxes (dont certains, comme Bauman, n’ont pas encore
vu cette crise), ce qui est du, non seulement aux impasses de leur approche mais aussi au fait qu’ils ont
refusé d’accorder quelque crédit que ce soit à ceux qui abordaient le problème autrement (économistes
hétérodoxes, historiens, sociologues, anthropologues,..)
Mais cela permet aussi d’expliquer au public que l’enseignement des « sciences économiques
et sociales » est en train de s’éloigner de l’approche contextualisée de « Economix » pour se
rapprocher de celle des jeux de Bauman. Si nous sommes encore critiqués et dénigrés par quelque
journaliste ou économiste prétendant que nos élèves n’ont pas accès à la « véritable science
« A mon avis, les économistes se sont égarés, car ils ont, en tant que groupe, confondu la beauté - revêtue
d’imposants atours mathématiques - avec la vérité. » - http://thorstein.veblen.free.fr/index.php/documents/81-
paul-krugman-nous-nous-sommes-tant-trompes.html