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Faire face mais à quoi ?
Invité au congrès 50e congrès de l’UNAFAM, le professeur Jeammet, pédopsychiatre a 40 ans
d’expérience auprès d’enfants et d’adolescents en souffrance. Il a intitulé son intervention
Faire face, mais à quoi ?
Son but était de provoquer cette interrogation car il semble que la façon de faire face va
beaucoup dépendre de la conception que l’on a de la maladie mentale.
Il s’appuie sur son expérience depuis 1968 à l’Hôpital International de l’Université de Paris1
était ouvert le premier service dédié aux adolescents et aux jeunes adultes et sur la chance
d’avoir gardé des contacts avec les anciens patients, avec lesquels il garde des liens
épisodiques, à la naissance d’un enfant, lorsqu’ils ont des choses plus douloureuses ou
lorsqu’ils sont dans une impasse.
Il a fait un bilan de retraités avec l’un d’entre eux - lui aussi partait à la retraite - un patient
schizophrène. Après dix ans d’errance et de difficulté à s’insérer, il avait trouvé un poste qui
correspondait à ses compétences, il avait derrière lui deux ans d’école Boule qu’il a mis dix
ans pour les réutiliser.
Lors de cet entretien, ce patient dit au dr Jeammet, j’ai eu une belle vie. Il était toujours sous
neuroleptique, il était suivi par un psychiatre, il tenait à son traitement parce qu’il avait vu ce
que cela lui coûtait de l’arrêter périodiquement.
Il avait une belle vie dans la créativité et la créativité c’est l’échange. Donc c’est possible.
Et puis, il y avait cette chanteuse à la voix extraordinaire, Amy Winehouse, 27 ans, sans
maladie particulière qui avait peut-être des troubles de la personnalité borderline 2, qui s’est
bousillé le cerveau à la drogue et à l’alcool. C’est d’une tristesse infinie. Est-ce ce qu’elle
voulait ? Non.
Les adolescents basculent dans la problématique anthropologique humaine générale mais avec
l’adolescent en difficulté, on a un double miroir grossissant comme une sorte
d’«expérimentation», involontaire, de ce qu’est le destin humain.
Les uns vont basculer vers la créativité après dix ans, quinze ans de bagarre, les autres vont
basculer dans la destructivité quelquefois en quelques années et pas forcément ceux qui
étaient le plus en difficulté au départ.
Qu’est-ce qui fait qu’on bascule dans la créativité ou dans la destructivité ?
C’est la question et le professeur Jeammet a changé sa compréhension des choses lorsqu’il
voit le plaisir comme accru ou la qualité de vie de ceux qui sont sortis de cela.
Il pense que c’est une erreur de parler la maladie mentale car on a diabolisé et idéalisé ces
troubles. C’est beaucoup plus primaire.
La question qu’il se pose, ce n’est pas de reprendre ce qu’on disait au XIXe siècle mais sans
les connaissances sur le cerveau que l’on a maintenant, n’est-ce pas avant tout des troubles
émotionnels ?
Il voit les troubles psychiatriques comme des conduites adaptatives, paradoxalement, à
des difficultés émotionnelles.
L’adolescence va être un moment privilégié pour la révélation de ces troubles.
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La puberté oblige à la réappropriation de son héritage et à se positionner au niveau de sa
personnalité, c’est-à-dire de son territoire, d’une façon nouvelle, différente. Celle d’un adulte.
Ce qui se passe aussi au niveau de tous les animaux supérieurs.
La puberté est aussi le moment de révélation des difficultés, des peurs, des angoisses qui
subsistent, des incertitudes, de l’estime de soi.
Tout cela va être mis à l’épreuve. Qu’est-ce que tu as dans le ventre ? Qu’est-ce que tu as
dans la tête ?
C’est cela la puberté et c’est pourquoi il y a tellement de troubles qui apparaissent.
Dans notre société beaucoup plus ouverte et justement avec une société plus ouverte, on
s’aperçoit que le problème n’est pas tant de celui de l’interdit que celui de la sécurité
intérieure.
La liberté, la permissivité peuvent faire apparaître avec plus de force le doute sur ses capacités
à faire face à la nouveauté et à s’imposer. Les pathologies dites narcissiques ou de la
personnalité vont éclore.
La liberté qui est la mise à l’épreuve de nos ressources est anxiogène parce qu’elle nous
oblige à prendre nos responsabilités. Un ordre qui nous tombe dessus est certes écrasant mais
plus rassurant.
Ces troubles sont comme des conduites adaptatives en réponse à une menace de notre
territoire. A l’exemple de l’éthologie, développée par Boris Cyrulnik, comme les animaux,
nous sommes programmés pour défendre la vie et tout ce qui menace notre territoire.
Ce qui caractérise l’humain par rapport à l’animal, c’est que nous sommes les seuls êtres
vivants qui sommes conscients d’être conscients de nous.
Ce qu’on trouve très bien exprimé dans le livre de Damasio, L’autre moi-même 3 qui montre
comment à partir de la matière, à un moment donné, l’esprit est né. Ce qui lui a permis de
développer un langage symbolique.
C’est la capacité réflexive qui autorise le langage et après, l’un et l’autre se renforcent.
La réflexivité a entraîné une rupture qualitative essentielle à partir de cette prise de
conscience de l’homme et fait naître la capacité de l’envie, avoir plus. Ce qui n’est pas le
problème des animaux. S’ils n’ont pas assez, ils vont prendre au voisin pour survivre, mais ils
ne vont pas tout le temps comparer.
L’envie est le résultat de cette conscience de nous-mêmes.
- Avoir conscience que l’on va mourir et tout perdre va exacerber la créativité humaine.
Il faut comprendre pourquoi on est sur terre, cette recherche est une forme d’addiction.
Heureusement, ce n’est pas une mauvaise forme de l’addiction, il y en a de beaucoup plus
toxiques par la suite.
- La deuxième conséquence est que nous sommes des êtres de paradoxe.
Nous sommes conscients que pour être nous, il faut se nourrir des autres. Mais pour être, moi,
différent des autres comment faire si je me nourris des autres ?
C’est toute la question de l’obéissance, de la soumission aux parents qui va apparaître et que
l’adolescent fait exploser. Plus on a besoin de l’autre, plus on va ressentir ce besoin comme
un pouvoir de l’autre sur nous.
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Par l’émotion l’autre a prise sur moi, cela va devenir l’ennemi intérieur de l’être humain.
Tu m’émeus gare à moi, surtout lorsque les émotions sont de l’ordre de la tristesse, de la
dépression, des pleurs.
L’émotion est là presque comme une maladie auto-immune.
Donc la paradoxalité va complexifier les choses face à ce problème de territoire.
- Le troisième fait, c’est que nous sommes des dérégulateurs.
Parce que l’être humain a conscience d’être vivant, il peut choisir de mourir plutôt que de ne
pas trahir ses copains, de ne pas manger pour des raisons éthiques, de ne pas pratiquer la
sexualité.
Mais parce qu’il peut contrôler ses instincts, il peut aussi les débrider sans limite.
Il semble que cela va ensemble.
- Si nous sommes des dérégulateurs de l’instinct en contre partie nous sommes des
générateurs de valeurs.
Qui de nous peut se passer de cette quête dans un miroir pour dire : qu’est-ce que tu vaux ?
Est-ce tu comptes pour quelqu’un ? Est-ce que tu peux être aimé de quelqu’un ?
C’est ce miroir qui correspond à la quête réflexive.
De dire : il n’y a pas de valeur ou tout le monde est pourri, c’est une valeur. On ne peut pas y
échapper car c’est elle qui va guider notre comportement aux autres.
A partir de quelque chose de biologique, on va aboutir avec cette mutation à ce que j’appelle,
l’humain, le psychologique.
Or, ce n’est pas la capacité réflexive qui est touchée dans les maladies mentales.
La maladie mentale c’est le trouble émotionnel, soit sur un mode quantitatif comme dans
les troubles bipolaires, soit une sorte de dérégulation des informations comme la
schizophrénie l’émotion va aller dans des zones elle ne devrait pas se retrouver et
donner de fausses informations.
Si la capacité réflexive est complètement soumise au poids des émotions, la capacité humaine
n’est pas touchée.
Personne ne choisit ses émotions comme on choisit sa garde robe. On subit les émotions.
On peut essayer de les contrôler mais elles renvoient à la passivité contrairement aux
sensations que l’on se donne.
Face à des émotions trop fortes, on peut comprendre que l’on ait tendance à recourir à
l’agir pour retrouver un pouvoir.
Les troubles dits psychiques sont des réponses non voulues, non choisies à une menace sur
notre homéostasie psychique 4, un sentiment de malaise, de pression contre lequel nous
sommes programs comme les animaux pour réagir activement pour apaiser cette tension.
On peut l’apaiser d’une façon créative qu’on trouve à l’adolescence à travers une passion. Il
y a une quête de valorisation ou de recherche de soi, même si on ne contrôle pas le bonheur.
Quand on est anxieux, on peut contrôler la destructivité pour se sentir redevenir acteur de sa
vie.
Tous ces comportements de l’anorexie, de délires, ne sont pas si fous. C’est un moyen de
retrouver une position active fasse à un sentiment de détresse et d’impuissance majeure.
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On peut penser que le suicide est plus un acte de vie qu’un acte de mort, ce qui le rend
encore plus tragique.
Par des conduites comme l’échec, la rumination, l’enfermement, on se sent redevenir acteur.
Les troubles dits psychiques sont comme des conduites adaptatives qui ne sont pas en
elles-mêmes pathologiques mais qui sont pathogènes. Pourquoi ?
Les troubles ont en commun de nous priver de ce qu’on a droit, c’est-à-dire d’une capaci
de se nourrir des autres pour pouvoir se développer.
La vie est une co création permanente. Un être vivant sans environnement n’existe pas.
Mais, on est maître de s’en priver
Les troubles mentaux touchent un des trois domaines nécessaires à la vie qui sont
nourrir son corps, développer ses compétences au sens large et la sociabili c’est-
dire l’échange avec les autres.
Dès que l’on va mal, on ferme une de ces voies voire les trois.
La maladie mentale c’est l’enfermement dans un comportement que l’on n’a pas choisi, qui
s’est imposé à nous mais auquel on a adhéré parce qu’il nous a donné le sentiment d’un rôle
actif. On est sous la contrainte des émotions, sous l’emprise d’une force que l’on ne
contrôle pas, qui est destructrice.
Au lieu de parler de maladie, il faudrait mieux parler en termes de contrainte qui tourne
autour de la destructivité.
Cette conception fait que l’on peut regarder autrement les troubles mentaux. Ils ne
sont pas aussi fous, c’est compréhensible mais ce n’est pas juste.
Cette conception de la maladie est un enjeu et le débat doit porter la dessus, pour cela on a
besoin de l’UNAFAM.
Le poids de la contrainte émotionnelle qui est notre partie la plus animale, la plus
biologique, celle dont on ne peut pas se passer et la capacité réflexive qui ne doit pas se
duper aux fausses indications que peuvent nous envoyer nos émotions.
Extraits de l’intervention remarquable de Pr Philippe Jeammet, mise en forme par N.
Bernard, afin de vous faire partager la compétence, l’enthousiasme et la grande humani
de cet immense Sage. En espérant ne pas avoir détour les propos ou fait des
interprétations erronées.
Vous pouvez écouter l’intégralité du discours ainsi que les autres interventions en
empruntant le CD du Congrès au secrétariat de l’UNAFAM.
NOTES
1 En 1999, l’institut mutualiste Montsouris unit le centre médico-chirurgical de la Porte de
Choisy et l’Hôpital International de l’Université de Paris (HIUP).
2 Le trouble de la personnalité borderline (TPB ; trouble de la personnalité limite, TPL
en français « cas limite » ou « état limite ») est un trouble de la personnalité désignant de
nombreuses anomalies psychologiques caractérisé par une variabilité des émotions..
3 L'autre moi-même : les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des émotions par
Antonio R. Damasio, éd. O. Jacob. 2012
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4 L’homéostasie est l’ensemble des paramètres de régulation maintenant la constance des
propriétés et de la composition du milieu intérieur de l’organisme. L’homéostasie
psychologique a lieu par le biais de l’équilibre entre les besoins et leur satisfaction.
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