Université des Sciences et Technologies du Languedoc – Montpellier II Année universitaire 2003-2004 Diplôme d’Etudes Approfondies (DEA) Biologie – Santé Développement d'une stratégie de traitement anti-infectieux par ciblage d'un facteur de virulence du pathogène Brucella suis. Emeline LAURENT Responsable de Stage : Stephan KÖHLER Microbiologie, Pathologie Cellulaire et Infectieuse INSERM U 431 Place Eugène Bataillon, 34095 Montpellier Cedex 5 Brucella sp est une bactérie pathogène à développement intracellulaire facultatif, dont les cellules-cibles sont les macrophages ; elle est responsable d’une anthropozoonose : la brucellose. Chez l’homme, la maladie se caractérise par une septicémie, puis une fièvre ondulante pouvant conduire à une maladie chronique. Actuellement, il existe un traitement antibiotique efficace contre la brucellose, mais qui se limite au stade aigu. Cependant, des mutations spontanées peuvent apparaître, produisant des souches résistantes aux antibiotiques. De plus, il est relativement simple de produire ces souches résistantes, notamment dans le cadre du terrorisme bactériologique. Il est donc important de développer de nouveaux agents antiinfectieux non antibiotiques. Récemment, lors d’une étude effectuée au laboratoire, des mutations ont été induites dans les différents gènes de Brucella suis, par insertion du transposon Tn5, afin d’étudier l’influence de ces mutations sur la multiplication des bactéries au sein des macrophages THP-1 (réf. 1). Ainsi, 131 mutations dans 59 gènes différents ont été sélectionnées. Une des mutations qui montre la plus grande atténuation de la multiplication des bactéries après 48h d’infection, par rapport à la souche sauvage, est une mutation au sein du gène codant pour la protéine DsbB. Cette protéine est spécifique aux bactéries et semble, pour cela, être un bon candidat pour la recherche d’agents qui inhiberaient sa fonction, et donc la multiplication des bactéries au sein des macrophages, lors d’une infection. DsbB est une protéine qui possède des homologues dans la plupart des bactéries gram négatives. Elle fait partie des protéines Dsb, responsables de la formation et de l’isomérisation des ponts disulfures au sein des protéines en maturation dans le périplasme. Chez Escherichia coli, il existe six protéines impliquées : DsbA, B, C, D, E et G. Le mécanisme principal responsable de la formation des ponts disulfures dans le périplasme met en jeu les protéines DsbA et DsbB (ref. 2). Dans ce processus, DsbA est l’oxydant primaire : elle possède une séquence active CXXC inclue dans un domaine thioredoxine-like. In vivo, DsbA est à l’état oxydé, et se réduit en catalysant la formation d’un pont disulfure à partir d’une paire de cystéines d’une protéine substrat. Ensuite, la forme réduite de DsbA revient à son état oxydé natif par l’intermédiaire de DsbB. Cette dernière est insérée dans la membrane cytoplasmique ; elle possède quatre segments transmembranaires et deux domaines périplasmiques contenant chacun une paire de cystéines actives. Ces deux paires de cystéines sont oxydées à l’état natif. La première paire de cystéines réoxyde DsbA, et transfère les deux électrons obtenus à la deuxième paire de cystéines de DsbB. Finalement, les deux électrons sont transférés vers la chaîne respiratoire via des quinones ; et DsbB revient à l’état oxydé. Mon travail, au cours de ce stage, a été de développer un modèle permettant de tester des inhibiteurs de la voie de formation des ponts disulfures sur les protéines sécrétées dans le périplasme, via DsbA, DsbB et les quinones ; puis de tester certains inhibiteurs potentiels. Afin de s’affranchir des contraintes imposées par la manipulation de bactéries comme B. suis, nous avons décidé de développer notre modèle à partir de souches d’E. coli : CA 8000 sauvage et mutée sur le gène dsbB. Ce modèle est rendu possible par l’homologie entre les gènes dsbB d’E. coli et de B. suis. Nous avons transfecté la souche mutante dsbB- d’E. coli à l’aide du plasmide pBBR1MCS contenant le gène dsbB de B. suis homologue au gène muté (pBBR dsbB). Afin de nous assurer de la validité de notre modèle, nous avons testé la complémentation de la souche mutée dsbB- d’E. coli par le gène homologue de B. suis en étudiant la croissance des différentes souches en présence de différentes concentrations de dithiothreitol (DTT). CA 8 0 0 0 a bs o rba nc e CA 8 0 0 0 d s b B- 2 1,8 CA 8 0 0 0 d s b B- + p BBR d s b B (B. s uis ) 1,6 1,4 1,2 1 0,8 0,6 0,4 0,2 0 0 5 10 15 20 25 30 te m ps (he ure s ) fig 1. Courbe de croissance type des différentes souches d’E. coli en présence de 4mM de DTT. Le DTT est un puissant agent réducteur qui est connu pour réduire de nombreuses protéines ; ce qui se traduit par le mauvais repliement de protéines requérant la présence de ponts disulfures. Ainsi, en présence de concentrations importantes de DTT, les souches bactériennes n’exprimant pas les composants cellulaires impliqués dans la formation des ponts disulfures, comme la protéine DsbB, peuvent être dans l’incapacité de se multiplier (ref. 3). Les courbes de croissance que nous avons obtenues (fig. 1) montrent qu’en présence de DTT, la croissance de la souche sauvage est affectée, mais elle parvient tout de même à se multiplier jusqu’à une concentration de 8mM en DTT. Par contre, les bactéries de la souche dsbB- sont dans l’incapacité de se multiplier, dès une concentration en DTT de 4mM. Les courbes montrent également que la transfection par le gène dsbB de B. suis, restaure en partie le phénotype sauvage pour des concentrations en DTT comprises entre 4 et 6mM. Aussi, nous avons testé plusieurs agents anti-infectieux potentiels sur les différentes souches, en présence d’une concentration de 4mM de DTT. Le premier composé que nous avons utilisé pour pouvoir inhiber la voie de synthèse des ponts disulfures, via DsbB, est l’acide kojique. O CH2 OH (A) HO O (B) O CH2 OH O O O fig 2. Formules chimiques de l’acide kojique (A) et de l’acide kojique modifié (B). Il s’agit d’un composé dont la structure (fig 2.) ressemble à celle des quinones, lesquelles, in vivo, transfèrent les électrons de DsbB réduit vers la chaîne respiratoire. Ainsi, l’acide kojique ne devrait réoxyder DsbB que partiellement et interrompre son recyclage via la chaîne respiratoire. Ceci devrait donc bloquer la formation des ponts disulfures au sein du périplasme en présence de DTT, et donc la croissance des bactéries. CA 8 0 0 0 (DTT) CA 8 0 0 0 (DTT + acid e ko jiq ue) d s b B- (DTT) a bs o rba nc e d s b B- (DTT + acid e ko jiq ue) 2 1,8 d s b B- + p BBR d s b B (B. s uis ) (DTT) 1,6 d s b B- + p BBR d s b B (B. s uis ) (DTT + acid e ko jiq ue) 1,4 1,2 1 0,8 0,6 0,4 0,2 0 0 5 10 15 20 25 30 te m ps (he ure s ) fig 3. Courbe de croissance type des différentes souches de bactéries en présence de DTT (4mM) et / ou d’acide kojique (10 µM). Les expériences que nous avons réalisées (fig 3.) montrent que l’acide kojique n’a pas d’influence sur la croissance des bactéries, quelque soit la concentration utilisée (de 1 à 100µM). Ce résultat peut être expliqué par le fait que, l’acide kojique étant très hydrophile, il ne parvient peutêtre pas à franchir la membrane des bactéries. En collaboration avec le laboratoire du professeur Montero (UMR 5032, ENSCM), nous avons donc étudié l’effet de la greffe d’une chaîne hydrophobe (chaîne d’acide palmitique) sur l’acide kojique, afin de faciliter sa pénétration dans les bactéries. Néanmoins, nous obtenons le même type de résultats que pour l’acide kojique simple. Bien que les résultats obtenus avec l’acide kojique et son dérivé montrent que ces molécules n’inhibent pas l’activité Dsb, le modèle mis en place lors de mon stage devrait permettre de tester de nouveaux produits, à plus grande échelle et de manière plus systématique. 1- Köhler et al., PNAS (2002), 99(24) pp 15711-15716 2- S. Raina & D. Missiakas, Annu. Rev. Microbiol. (1997), 51 pp 179-202 3- Missiakas et al., Proc. Natl. Acad. Sci. USA (1993), 90 pp 7084-7088