L’embryogenèse chez une Brassicaceae : mise en place des tissus et des organes de la plante entière Chez les Angiospermes, la double fécondation assure le transfert de deux gamètes mâles, par siphonogamie (transfert par le tube pollinique), jusqu’à l’oosphère et le (ou les) noyau(x) polaire(s) permettra la formation du zygote diploïde et l’initiation de l’albumen (le plus souvent triploïde). Après la double fécondation, l’ontogenèse, c’est à dire l’ensemble des processus de développement, débute par le développement de l’embryon (embryogenèse) et celui de l’albumen (non détaillé ici, voir Berger, 2003 et Sorensen et al., 2002). Ces deux processus concernent deux cellules très différentes du sac embryonnaire, l’oosphère haploïde et la cellule centrale binucléée (deux noyaux haploïdes ) ou uninucléée diploïde selon les espèces. L’embryogenèse est initiée dans la cellule gamétique femelle, l’oosphère, qui est une cellule polarisée, avec son noyau situé à l’un des pôles de la cellule, dans une zone riche en cytoplasme, alors que l’autre partie de l’oosphère est très vacuolisé. Les étapes très précoces de l’embryogenèse, bien qu’il s’agisse d’un processus continu, sont cruciales. Ce processus est initié à partir d’une cellule polarisée, le zygote, qui chez Arabidopsis thaliana, va subir une première division asymétrique. Le cloisonnement transverse isole une cellule apicale qui fournira la majeure partie de l’embryon. La cellule basale quant à elle, génère le suspenseur, mais également une partie de la base du futur embryon, nommée hypophyse. Après la première division asymétrique, puis durant l'allongement unidirectionnel de l’embryon, la cellule apicale demeure de taille constante. Durant l’embryogenèse zygotique précoce, l'allongement cellulaire est rigoureusement contrôlé. Les cloisons des quelques divisions suivantes sont perpendiculaires à l’axe apico-basal. Ceci produit une courte file de cellules, constituée d’une cellule apicale et du suspenseur, c’est le stade linéaire. Les cellules du suspenseur vont en quelque sorte « propulser la cellule apicale, puis l’embryon sensu stricto vers le centre de l’albumen. L’étape suivante est d’une importance capitale. Elle concerne la division de la cellule apicale, avec une mitose dont l’axe est perpendiculaire à l’axe apico-basal (cloisonnement dans l’axe apico-basal). Les divisions qui suivent permettent la formation d’une sphère, stade globulaire jeune. Très rapidement, à un stade 8-12 cellules, des divisions tangentielles isolent une assise cellulaire périphérique nommée protoderme, c’est à dire à l’origine de l’épiderme de la future plante. Cette assise cellulaire exprime des gènes spécifiques du protoderme (et de l’épiderme) : AtLTP1 (pour lipid transfer protein) et AtML1 (pour meristem layer 1). Il s’agit du premier événement histogène de la vie de la plante. Ceci isole des cellules dont les devenirs seront extrêmement différents. Soulignons ici l’importance de cette étape, avec une cellule différenciée “épidermique”, dont la cellule sœur est une cellule multipotente, pouvant produire des tissus très variés tels que parenchyme, cylindre central, foyer méristématique. La mise en place du protoderme est indispensable à la réalisation de la suite du développement. Cet épiderme va se maintenir durant toute la vie de la plante, et s’accroître par des divisions anticlines. Un peu plus tard, vers le stade 12-16 cellules, l’embryon globulaire différencie des cellules apicales sous-épidermiques exprimant le gène WUSCHEL. Ceci constitue la première étape de la mise en place du méristème apical caulinaire (MAC). Il s’agit du premier événement organogène du développement. La partie apicale de l’embryon globulaire contient donc un proméristème, et c’est parce qu’il n’a pas encore fonctionné que l’on n’observe pas encore la forme en dôme, caractéristique du MAC définitif. Le fonctionnement du MAC va permettre la mise en place des cotylédons, les premières feuilles. Cette mise en place du MAC va considérablement modifier la forme de l’embryon, avec les stades triangulaire, cordiforme et éventuellement torpille (lorsqu’un allongement de l’hypocotyle se produit). Figure 1. Développement embryonnaire d’une Brassicaceae. De gauche à droite, stades linéaires, globulaires jeune à agé, stade cordiforme. La figure indique en jaune le marquage de l’épiderme (LTP) et en rouge celui du centre organisateur du MAC (WUS). Parallèlement à l’installation du MAC, mais très légèrement décalé dans le temps, les cellules de la partie basale de l’embryon, ainsi que celles du sommet du suspenseur, mettent en place un méristème apical racinaire (MAR). Celui-ci est identifiable par les tissus qui le caractérisent. En effet, la définition histologique de la racine se déroule avant sa croissance, contrairement à la partie apicale dans la quelle l’histogenèse suit la morphogenèse. Le MAR croît très peu jusqu’à la germination. Les analyses cytologiques montrent que le MAR est en place dans la graine, avec quelques petites différences avec ce que l’on observe après germination, notamment dans le nombre de cellules du péricycle, et la présence d’une seconde assise corticale. Le fonctionnement du MAR, uniquement histogène diffère donc considérablement de celui du MAC, histogène et organogène. Figure 2. Mise en place du méristème racinaire durant le développement embryonnaire. Le centre quiescent figure en rouge, le péricycle en rose et les cellules initiales (et leurs ancêtres) en jaune. Sur les deux schémas de gauche, les traits épais permettent de définir l’origine cellulaire des différentes parties de l’embryon (le méristème racinaire est donc clairement issu de la cellule la plus apicale du suspenseur). QuickT ime™ et un décompresseur T IFF (non compressé) sont requis pour visionner cett e image. Figure 3. Profils d’expression de différents gènes durant l’embryogenèse. Figure 4. Accumulation d’auxine dans les différentes parties de l’embryon. En jaune, faible accumulation d’auxine, et en vert accumulation importante. Le développement embryonnaire requiert l’intervention de signaux de développement, parmi lesquels l’auxine semble jouer un rôle de premier plan. Ainsi, dans les stades globulaires jeunes, l’auxine présente dans la plupart des cellules est donc probablement impliquée dans l’activation des divisions de l’embryogenèse. Par contre, dès le stade cœur, l’auxine paraît préférentiellement localisée dans la zone du MAR, montrant une relocalisation dans le territoire des cellules initiales. Les travaux des groupes de Meinke (1991)et de Jürgens (Mayer et al., 1991 Nature) ont permis de conceptualiser un modèle, dérivant de ce qui est connu chez la drosophile, et impliquant des gènes liés au développement. Ces chercheurs ont sélectionné chez Arabidopsis thaliana des mutants affectés dans leur embryogenèse. Les différentes mutations ont été regroupées en fonction de leur intervention dans le temps et du type de modification induite (cf figure). Les analyses moléculaires ultérieures montrent qu’en fait ces mutants ne sont pas spécifiques de l’embryogenèse, mais pour une large part affectent la cytokinèse, processus capital qui assure la formation d’une paroi entre les deux cellules filles, ou comme monopteros et (absence de MAR) la réponse à l’auxine. QuickTi me™ et un décompresseur TIFF (non compressé) sont requis pour visionner cette image. Figure 5. Les différents mutants affectant l’embryogenèse. MAP kinase module in A. thaliana M méta ana télo pro cytokinesis endoreplic ation G1 G2 S Figure 6. Schéma des pricipales étapes du cycle cellulaire (G1, S, G2, M, cytokinèse). Par la suite, sur le plan physiologique, il faut noter l'accumulation des réserves, par accumulation de macromolécules, ainsi que la mise en place des mécanismes de tolérance à la dessiccation. On parle de maturation embryonnaire. Enfin, au cours des dernières étapes de l'embryogenèse, la graine peut se déshydrater jusqu'à ne plus disposer que d’une teneur en eau inférieure à 5% de sa masse fraîche. L'embryogenèse regroupe donc les étapes successives du développement du zygote, durant lesquelles une série complexe de changements morphologiques et physiologiques aboutissent à la formation d'un embryon. Cet embryon possède un axe apical/basal, délimité par les méristèmes caulinaire et racinaire, avec le plus souvent deux cotylédons dans lesquels des quantités importantes de réserves seront accumulées. L'ensemble du processus conduit à l'organisation de la future plantule, à l’accumulation de réserves, et conditionne sa capacité de germination. Par ailleurs, ces mécanismes préparent l'embryon à la quiescence, voire dans certains cas à la dormance. Nous venons de décrire des événements qui se déroulent après reproduction sexuée (embryogenèse zygotique). Cependant, un grand nombre d’Angiospermes (plusieurs centaines au moins) se reproduisent par graine, mais de manière asexuée. Ce mode de reproduction est désigné par les termes d'apomixie et d’agamospermie. L'embryon se développe dans l'ovule à partir de cellules somatiques, sans qu'il y ait eu au préalable de méiose et de fusion gamétique. L'embryon ainsi obtenu présente néanmoins les caractéristiques morphologiques des embryons zygotiques, et peut germer puis se développer en une plante entière. Par opposition à la reproduction sexuée, l'apomixie conduit à la formation d'un individu génétiquement identique à la plante mère. L'embryogenèse existe donc à partir de cellules somatiques. Cette capacité des cellules somatiques à redonner des plantes entières, est utilisée comme outil de multiplication, notamment depuis l’arrivée de la culture in vitro. Steward et al. (1958) et Reinert (1968) sont les premiers à décrire le phénomène d'embryogenèse somatique in vitro à partir de cultures de cellules isolées de carotte. Depuis, cette époque, l'embryogenèse in vitro a été obtenue chez un très grand nombre d'espèces, le plus souvent d’intérêt agronomique. Les cellules somatiques se révèlent soit totipotentes (embryogenèse somatique), soit multipotentes (caulogenèse suivie d’un enracinement). Dès la même époque, Guha et Maheshwari (1964) montrent qu’il est possible d’obtenir des plantes haploïdes par androgenèse, c’est à dire par culture in vitro de l’anthère contenant des microspores. Bibliographie Berger F (2003) Endosperm: the crossroad of seed development. Curr Opin Plant Biol 6: 4250 Guha S, Maheshwari SC (1964) In vitro production of embryos from anthers of Datura. Nature 204: 497 Mayer U, Torres-Ruiz RA, Berleth T, Misera S, Jürgens G (1991) Mutations affecting body organization in the Arabidopsis embryo. Nature 353: 402-407 Meinke DW (1991) Embryonic mutants of Arabidopsis thaliana. Dev Genet 12: 382-392 Reinert J Backs D (1968) Control of totipotency in plant cells growing in vitro. Nature 220: 1340-1341 Sorensen MB, Mayer U, Lukowitz W, Robert H, Chambrier P, Jurgens G, Somerville C, Lepiniec L, Berger F (2002) Cellularisation in the endosperm of Arabidopsis thaliana is coupled to mitosis and shares multiple components with cytokinesis. Development 129: 5567-5576 Steward FC, Pollard JK 1958 14C-Proline and hydroxyproline in the protein metabolism of plants; an episode in the relation of metabolism to cell growth and morphogenesis. Nature 182: 828-832