Sujet : « Le progrès technique est-il toujours source de croissance ? »
Le progrès technique est célébré à travers le perpétuel renouvellement des objets et des modes de vie. L’accélération de l’innovation constatée
depuis un quart de siècle dans la branche des TIC (techniques de l’information et de la communication) et à travers le processus de mondialisation
(qui est un aspect du progrès technique) est incontestable. La théorie économique comme l’expérience historique devraient nous conduire à
envisager en conséquence une croissance économique plus rapide, le progrès technique, entendu au sens général de toutes les idées nouvelles
qui peuvent favoriser la production, entraînant des gains de productivité et, finalement, plus de croissance. Si l’attention est concentrée sur la
croissance mondiale, c’est bien ce qui est observé depuis les années 1990, en particulier dans les pays émergents.
Cependant, tous les pays ne bénéficient pas également de cette vague de progrès technique. D’autre part, celle-ci n’empêche pas la tendance
préoccupante au ralentissement depuis cinq ans. Par conséquent, et contrairement à une idée répandue, le progrès technique n’entraîne pas
automatiquement la croissance, même s’il en est une condition nécessaire.
Il est évidemment important d’essayer de comprendre à quelles conditions la relation peut se faire. L’étude des pays restés en dehors du
mouvement de croissance, tels que la zone euro, donne à penser que l’orientation des politiques macroéconomiques est un élément important. Le
rythme plus ou moins rapide auquel les structures économiques se réarrangent pour pouvoir tirer profit des nouvelles techniques semble
également jouer un grand rôle. En particulier, l’existence d’un cadre institutionnel et de facteurs de production adaptés à la nouvelle configuration
que dessine le progrès technique est vitale.
Nous verrons donc que le progrès technique peut effectivement entraîner la croissance économique, mais qu’il n’a d’effets significatifs que si
certaines conditions sont réunies.
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Le progrès technique peut être un puissant facteur de croissance. Il est la principale origine des gains de productivité, qui peuvent entraîner la
croissance.
Le progrès technique est une source essentielle de gain de productivité du travail. L’innovation se présente sous forme de nouveaux procédés de
production (nouveaux équipements ou nouvelles formes d’organisation) ou sous forme de nouveaux produits (biens ou services destinés à la
consommation). Les biens de production nouveaux sont souvent plus productifs que ceux qu’ils remplacent, car ce remplacement ne se produirait
pas dans le cas contraire. L’extraordinaire augmentation de la puissance de calcul des machines, mesurée dans le document 2, illustre cette
progression de l’efficacité. Lorsqu’ils ne remplacent pas d’autres équipements mais sont complètement nouveaux, ils élargissent le choix des
entrepreneurs, qui peuvent alors adapter plus précisément leurs investissements à leurs besoins, donc d’obtenir une meilleure productivité de ces
investissements.
L’argument de la variété vaut aussi pour les biens de consommation. Les économistes font l’hypothèse d’une préférence pour la variété de la part
des consommateurs : l’élargissement de la gamme des biens, même si les nouveaux biens ne sont pas strictement supérieurs aux anciens, accroît
la satisfaction du consommateur, donc la valeur qu’il attribue à la production. D’autre part, les nouveaux produits répondent à des besoins déjà
existants. Ils ne peuvent s’imposer et remplacer les anciens produits que s’ils sont moins chers ou s’ils répondent plus efficacement aux besoins
des consommateurs pour le même prix (effet qualité). Le service rendu par ces biens rapporté à la quantité de travail et de capital utilisée pour les
produire est en hausse, ce qui est la définition même d’un gain de productivité.
La productivité est donc accrue pour les deux types d’innovations. Certaines innovations jouent d’ailleurs les deux rôles : le téléphone cellulaire est
un objet nouveau, qui se substitue à d’autres consommations parce qu’il apporte plus de satisfaction au consommateur pour son prix. Mais c’est
aussi un outil de production, montre le document 4, qui permet d’optimiser le fonctionnement du marché de la pêche et d’accroître la production
vendue par les pêcheurs. Il faut enfin remarquer que le bénéfice de l’innovation pour la collectivité est accru par les transferts de technologies qui
se produisent par cession de brevets, simple diffusion des connaissances ou par migration de la main-d’œuvre. Les gains de productivité au niveau
macroéconomique sont donc plus élevés qu’au niveau de la firme.
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Les gains de productivité liés au progrès technique sont la principale origine de la croissance économique. Il est facile de le montrer en théorie et
les données disponibles le confirment.
Du point de vue de l’offre, l’augmentation de l’efficacité signifie qu’il est possible de produire plus avec les moyens disponibles. Par exemple, les
paysans devenus inutiles du fait des gains de productivité dans l’agriculture pourront fournir la main-d’œuvre qui permettra de développer
l’industrie. Du point de vue de la demande, les gains de productivité traduisent la création d’un surplus lié au progrès technique. Sauf en situation
de monopole, l’entreprise innovante ne peut conserver ce surplus entièrement pour elle-même et doit le redistribuer en partie sous la forme d’une
diminution des prix. L’ordinateur en est une bonne illustration, dont les prix sont en baisse malgré des performances en hausse permanente. A
revenu nominal égal, le volume de biens et services à disposition des consommateurs augmente donc. Elle peut également accroître la
rémunération des facteurs (salaires et bénéfices), ce qui, là encore, accroît le pouvoir d’achat. Dans les deux cas, la croissance augmente si les
facteurs de production sont correctement utilisés.
Les données de comptabilité de la croissance présentées dans le document 1 confirment en partie le rôle du progrès technique, ici mesuré
indirectement comme la productivité totale des facteurs (PTF). En général, les gains de PTF représentent entre un cinquième et un tiers de la
croissance attendue du PIB entre 2008 et 2016. Mais, si la comparaison était faite par rapport au PIB par habitant, qui est une mesure plus
judicieuse de la croissance, la contribution de la PTF serait plus importante. D’autre part, la hausse de la qualification de la main-d’œuvre, qui est
ici mesurée à part, est la conséquence des progrès techniques passés. On pourrait aussi bien l’intégrer dans la PTF. En tenant compte de ces
deux éléments, les estimations traditionnelles de Robert Solow pour les Etats-Unis ou de Edmond Malinvaud pour la France, qui attribuent au
moins la moitié de la croissance au progrès technique, semblent confirmées sur la période récente.