Justifications et moyens d`un droit du travail mondial

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LE DROIT DU TRAVAIL
JUSTIFICATIONS ET MOYENS D’UN DROIT DU
TRAVAIL MONDIAL
par
Emmanuel DOCKES
Professeur à l'Université de Bourgogne – CREDIMI
Si l’uniformisation à l’échelle planétaire du droit du travail apparaît
aussi peu réaliste que souhaitable, la mondialisation d’un socle de droits
fondamentaux des salariés est à l’inverse un objectif réaliste et relativement
consensuel. Deux justifications sont invoquées à l’appui de cette
mondialisation restreinte. La première, que l’on peut dire éthique ou
humaniste, repose sur la défense des droits de l’homme et de certaines valeurs
universelles. La seconde se réfère aux conditions de la concurrence
économique mondiale. La violation des droits fondamentaux des salariés est
alors présentée comme un avantage déloyal dans la compétition mondiale et
par voie de conséquence comme une menace pour nos emplois.
Ces deux justifications sont généralement considérées comme
complémentaires et l’on ne s’attarde guère à en mesurer la portée respective,
afin d’éviter d’inutiles polémiques. En revanche, le débat fait rage lorsque l’on
se préoccupe du contenu et des moyens de l’universalisation souhaitée. Il suffit
de rappeler ici l’intensité des controverses portant sur l’instauration de clauses
sociales, c’est-à-dire sur la mise en place d’une sanction économique des
violations les plus graves des droits fondamentaux du travailleur.
La question des justifications est ainsi relativement paisible, comme
détachée de la vive controverse qui porte sur le contenu et les moyens. Or,
nous autres juristes, amateurs de raisonnements téléologiques, savons que cela
ne se peut pas. Le moyen ne prend sens qu’au vu de son fondement, de sa
justification. Il est impossible d’évaluer, de comprendre ou d’interpréter une
règle sans prendre position, préalablement, sur ce qui la justifie. Ainsi, par
exemple, la prohibition de l’esclavage sera universelle si la justification
éthique domine, elle sera limitée à l’esclavage bon marché, à l’esclavage
LA MONDIALISATION DU DROIT
2
producteur d’avantages comparatifs dans la compétition commerciale
internationale si la justification concurrentielle l’emporte. La justification
concurrentielle est en outre à double tranchant. Au nom de l’égalité des
conditions de la concurrence, elle plaide autant en faveur de la mondialisation
d’un socle de base du droit du travail qu’en faveur de la réduction des droits du
travail locaux à ce simple socle.
Les justifications éthiques et concurrentielles n’apparaissent plus alors
comme complémentaires. Elles sont les termes d’une alternative essentielle, au
sein de laquelle il est indispensable de se situer avant tout débat sur l’étendue
souhaitable de l’uniformisation du droit du travail, ou sur les moyens à mettre
en œuvre pour aller dans le sens de cette uniformisation.
I - LE CHOIX D’UNE JUSTIFICATION A LA MONDIALI-SATION
DU DROIT DU TRAVAIL : L’ETHIQUE FACE A LA
CONCURRENCE.
Le discours en termes concurrentiels se présente avec force et cette
force est celle de la simplicité. Il est nécessaire d’en reprendre l’articulation
avant d’en montrer les éventuelles limites.
A - L’ARGUMENT DE LA CONCURRENCE DELOYALE
Les capitaux se déplacent à la vitesse de la lumière, le long des lignes
téléphoniques, avec l’aisance d’un courrier électronique. Le déplacement d’une
personne humaine est à l’évidence plus difficile, surtout s’il s’agit d’un
déplacement à moyen ou long terme ayant pour objectif l’emploi. Les être
humains sont localisés, enracinés par leurs langues, leurs habitudes, leurs
familles, qui sont autant de freins à la mobilité géographique. En un mot, quels
que soient les appels ou les incitations à la mobilité géographique des
personnes, il n’y a pas, il n’y aura jamais de commune mesure entre la mobilité
des capitaux et celle des hommes. Sur le marché du travail, la demande restera
plus mobile que l'offre.
Or, et c’est là une loi économique que personne ne songe à contester, la
demande va là où les prix sont les plus faibles. Et les capitaux sont ainsi attirés
par le coût du travail le plus faible. La protection juridique accordée aux
salariés a un coût, lequel génère une fuite des capitaux, de l’emploi. Si l’on
pousse ce raisonnement dans ses conclusions les plus extrêmes, on dira que
protéger les salariés provoque le chômage, ruine le pays et nuit ainsi à ceux-là
mêmes que l’on voulait protéger. On ajoutera que délocalisation et dumping
social sont les fruits pourris du code du travail et que ces fruits se reproduisent
dans le terreau de la libéralisation et de la globalisation de l’économie
mondiale.
Cette logique enferme dans un dilemme. Un partisan de la libéralisation
et de la mondialisation des échanges devra pour rester cohérent être
l’adversaire du droit du travail national, quitte à soutenir la mise en place d’un
socle mondial unique de protection des salariés. Un défenseur des acquis
QUELLE LIMITE POUR LA MONDIALISATION DU DROIT ?
3
sociaux sera lui tenu de prendre pour adversaire la mondialisation pour tenter
de réhabiliter un certain protectionnisme.
Mais avant de se laisser enfermer dans cette difficile alternative, il est
préférable de tester un peu le discours qui dont elle est issue.
B - A LA RECHERCHE DE L’IMPACT CONCURRENTIEL
DES COUTS SOCIAUX
Les délocalisations fondées sur une comparaison des coûts sociaux dans
tel ou tel pays ne sont pas un mythe. Les exemples en sont nombreux. Citons
l’affaire Hoover1 tristement célèbre à Dijon, ou encore l’affaire Vidéocolor2.
Ici l’Ecosse, là le Brésil, présentaient comme avantage comparatif leur droit du
travail en ruine et leur main d’œuvre bon marché. Et l’analyse comparative des
coûts du travail a eu dans ces hypothèses une influence indéniable. Mais, au
delà de l’émotion que peuvent susciter de tels exemples, il importe de se situer
à un niveau un peu plus global. A ce niveau, l’impact négatif des coûts du
travail sur la compétitivité apparaît moins évident.
Au sein de l’Union européenne, le pays ayant le plus pratiqué le
dumping social est probablement le Royaume-Uni ; il s’agit aussi du pays visà-vis duquel la France réalise son plus fort excédent commercial3. On cite
souvent les ravages causés par la main d’œuvre relativement bon marché et très
travailleuse d’Asie du Sud-Est. Il est bon de rappeler que, cependant, la
balance commerciale française est excédentaire vis-à-vis aussi bien de la Corée
du Sud que de Taiwan, de Hong Kong, de l’Indonésie ou de Singapour 4. Notre
droit du travail français, relativement protecteur, ne nous a donc pas handicapé
au point que nous cessions de produire des excédents dans nos relations avec
ces concurrents au coût du travail comparativement réduit. L’analyse est
généralisable. La dégradation des normes sociales n’a jusqu’ici jamais
démontré son efficacité en termes de développement et la puissance
économique des pays à normes sociales élevées ne s’est pas démentie à ce
jour5.
1
Cf. G. LYON-CAEN, « Une sale affaire », Le Monde, 3 mars 1993 ; L. RAPP.
et E. DRAI, « Hoover ou le coup de l’aspirateur », D. 1993, chr. 149.
2
Sur l’affaire Vidéocolor, v. notamment Cass. soc. 5 avril 1995, Bull. civ. V,
n°123 ; D. 1995, p. 503, obs. Keller ; Dr. soc., 1995, p. 482, obs. Waquet, p. 489, obs.
G. Lyon-Caen ; Dr. ouvrier, 1995, note A. Lyon-Caen ; RJS, 1995, p. 321, concl.
Chauvy ; CA Lyon, 11 mai 1993, D. 1993, p. 550, note Keller ; Dr. soc., 1993, p. 221,
note Savatier ; Dr. ouvrier, 1993, note Henry ; JCP éd. E, 1994, II, 547, note Couturier.
3
Source : douanes françaises, cité par Images économiques du monde 1999,
Sedes, 1998, p. 82.
4
Ibid.
5
En ce sens, cf. note S. DEAKIN, « Labour Law as Market Regulation, the
Economic Foundations of European Policy », cité par A. JEAMMAUD, « Les droits du
travail à l’épreuve de la mondialisation », Droit ouvrier, 1998, pp. 240 et s. ; et les
références montrant l’excédent quasi-continu en faveur des pays industrialisés dans leur
LA MONDIALISATION DU DROIT
4
Ainsi, si la faiblesse de la protection par le droit du travail est un
avantage concurrentiel, celui-ci n’a pas, jusqu’ici, été déterminant. On
rétorquera peut-être que le passé n’a pas valeur d’exemple, que la
mondialisation de l’économie est en cours et que l’avantage concurrentiel tiré
de la faiblesse du droit du travail sera bientôt un avantage déterminant.
Répondre à cette objection conduit nécessairement sur le terrain glissant de la
prospective. Force est alors de constater qu’à la mondialisation de l’économie
répond l’évolution de l’emploi.
C - MONDIALISATION DE L’ECONOMIE ET EVOLUTION
DE L’EMPLOI
Nos économies ont certes actuellement tendance à s’ouvrir, et l’on peut
raisonnablement anticiper sur le maintien de cette tendance, au moins à court
terme. Mais, simultanément, les emplois localisés (emplois liés au contact avec
la clientèle, aux services après-vente, au nettoyage, les activités sociales,
médicales, d’enseignement, etc.), dont beaucoup sont peu qualifiés, sont parmi
ceux qui se développent le plus6. L’ouverture de l’économie voit ainsi une démondialisation partielle, concomitante, du marché de l’emploi. De surcroît,
s’agissant des emplois pour lesquels la demande demeure mondiale, force est
de constater que, par l’effet de la mécanisation, on assiste à la croissance du
travail qualifié aux dépens de l’emploi peu qualifié. Or, les salariés les plus
qualifiés sont rarement les plus à plaindre. Leurs conditions de travail et de
rémunération ne subissent que peu les variations du socle d’avantages
minimaux prévus par le droit du travail. Une dérégulation compétitive
consistant à brûler le code du travail n’aurait guère d’influence sur le coût de
ce travail, dont l’importance relative est croissante.
On peut ainsi penser que, si le maintien d’un droit du travail protecteur
a un impact négatif sur nos emplois, cet impact tend à diminuer au fil de
temps7.
commerce avec les pays en voie de développement, citées par S. S. GOLUB, « Are
International Labor Standards Needed to Prevent Social Dumping ? », Finances et
Development, décembre 1997, pp. 20 et s.
6
Cf. la liste des professions amenées à progresser le plus rapidement aux EtatsUnis, 1992-2005, Bureau of Labor Statistics, citée in P. R. KRUGMAN, Pop
Internationalism, MIT 1996, trad. fr. , La mondialisation n’est pas coupable, Paris, Ed.
La Découverte, 1998, p. 189. Selon cette liste, vingt et une des vingt-six professions
appelées à se développer le plus rapidement sont des emplois de proximité (professions
médicales, travailleurs sociaux, aides ménagères,...). Les professions restantes sont des
professions hautement qualifiées (ingénieurs, analystes programmeurs, ...) et visent des
salariés pour lesquels le socle d’avantages minimaux prévu par le droit du travail est
largement dépassé.
7
Adde, dans le même sens, réflexion sur l’impact de l’Aléna, in P. R.
KRUGMAN, op. cit., pp. 153 et s.
QUELLE LIMITE POUR LA MONDIALISATION DU DROIT ?
5
L’existence d’un impact négatif du droit du travail sur l’emploi ne
saurait, de plus, être admis, sans être mis en balance avec ses éventuels effets
positifs.
D - LE
DROIT
DU
TRAVAIL
CONDITION
DU
DEVELOPPEMENT ET SOURCE DE LA PUISSANCE
ECONOMIQUE
Les déplacements d’emplois ne peuvent pas être résumés à la question
de coûts induits par le droit du travail. Ils sont la résultante complexe de causes
multiples, aux effets parfois contradictoires8. Le coût de la main d’œuvre doit
être situé au sein d’un système de variables complexes comprenant aussi bien
le coût de la fiscalité, la recherche de qualifications, de productivité de la main
d’œuvre, la proximité du client, celle des matières premières, etc. Les effets
négatifs du coût du travail sur la compétitivité sont alors à mettre en balance
avec les effets positifs qu’il génère sur l’économie nationale. Ces effets positifs
sont de deux ordres : accroissement de la demande intérieure et accroissement
de la productivité.
Une baisse du coût du travail ne peut, au moins dans une certaine
mesure, que se répercuter sur la demande intérieure, laquelle reste un élément
fondamental de notre économie. L’éventuel gain en termes de compétitivité
internationale d’une réduction du droit du travail serait ainsi à comparer avec
la perte occasionnée par la chute de la demande intérieure et avec la crise de
l’emploi qu’elle ne manquerait pas de provoquer9.
De plus, les effets en termes de productivité des règles de droit du
travail, au moins de certaines d’entre elles, sont indéniables.
La représentation du personnel et la négociation collective sont des
conditions de la motivation et de la productivité du personnel. Sans dialogue,
sans accord, les relations de travail sont de pures relations d’affrontement,
favorisent l’opportunisme des salariés, coupent les dirigeants de l’information.
Un système de travail strictement hiérarchisé où l’on s’en remet exclusivement
à la peur du travailleur pour obtenir un travail de qualité est conduit, à terme, à
l’échec. Le travail intensif des enfants interdit la scolarisation, spécialise un
pays dans les tâches d’exécution les plus simples, les moins rémunératrices et
les plus affectées par les progrès de la mécanisation. Loin d’être un avantage
concurrentiel, le travail des enfants condamne l’avenir des pays dans lesquels il
est généralisé. L’égalité des sexes conduit à rendre productive la main d’œuvre
8
Cette complexité est bien connue notamment lorsque l’on évalue les effets des
droits de douane. Ceux que nous pratiquons protègent notre marché intérieur, et ses
emplois, mais ils induisent des réactions et les droits de douane pratiqués par les autres
nous incitent à aller produire chez eux, à délocaliser.
9
Notons au passage le succès que vient de remporter dans les faits cette analyse
keynésienne, l’actuelle sortie de crise du Japon étant à mettre en relation avec la
politique volontariste de relance de la consommation intérieure menée par les autorités
de ce pays.
LA MONDIALISATION DU DROIT
6
féminine, ce qui est un incontestable atout économique. Il est convenu depuis
le XIXe siècle que les normes hygiéniques accroissent la qualité de la main
d'œuvre et sont ainsi une modalité d'accumulation du capital humain. On
pourrait encore citer la mise en place d’un intéressement des salariés, la
structure et le montant des salaires, le respect des droits de l’homme dans
l’entreprise, qui sont autant d'éléments qui renforcent la productivité. Et il ne
s’agit que de quelques exemples de ce qui peut être mis à l’actif d’un droit du
travail bien construit. La démocratie10, une lutte efficace contre la corruption11,
l’existence d’un Etat de droit suffisamment performant12 sont d’autres
éléments dont l'influence sur le développement économique est maintenant
bien connue. Ces éléments sont en passe d’être reconnus, y compris comme
condition dans l’octroi d’un soutien financier, au sein des organisations
économiques internationales comme la Banque mondiale ou le FMI 13. Il est
maintenant nécessaire de faire comprendre à ces institutions que l’existence
d’un droit du travail minimal, comprenant notamment la liberté syndicale, le
droit à la négociation collective, le droit de grève, relève de l’exacte même
logique. Un Etat dictatorial est un frein au développement, de la même manière
qu’un pouvoir patronal dictatorial. Celui-ci comme celui-là bloquent les
revendications, génèrent des accumulations improductives et entretiennent
ainsi la pauvreté et la faiblesse économique d’un pays.
Il faut aussi rappeler les études d'Edmond Malivaud, lesquelles ont
montré que le chômage keynésien, dû à un trop faible niveau de la demande,
était prédominant en France, comparativement au chômage classique, dû à un
trop fort niveau des salaires, chômage dont la part est actuellement
extrêmement modeste. Enfin, il est clair que des salaires élevés incitent à
l'innovation et à la mécanisation sous toutes ses formes.
Il apparaît ainsi que le droit du travail, au moins dans certains de ses
aspects, est une condition du développement et de la croissance au moins
autant qu’il en est un effet14.
10
Cf. note Rapport sur le développement dans le monde, Banque mondiale,
1992 ; L. PRITCHETTE et D. KAUFMANN, « Civil Liberties, Democracy and the
Performance of Government Projects », Finances et Development, mars 1998, pp. 26 et
s. ; et déjà, P. DOCKES et B. ROSIER, L’histoire ambiguë, Paris, PUF, 1988, pp.291
et s.
11
C. W. GRAY et D. KAUFMANN, « Corruption and Development »,
Finances et Development, mars 1998, p. 7.
12
Cf. C. W. GRAY, « Reforming Legal Systems in Developing and Transition
Countries », Finances et Development, septembre 1997, pp. 14 et s.
13
Cf. réf. préc., notes 10, 11, et 12.
14
A. LYON-CAEN, « Pérennité d’une interrogation », Bull. de droit comparé
du travail et de la sécurité sociale, 1996, p. 18. L’idée est présente dans divers
documents de l’OIT, comme par exemple, E. LEE, The Asian Financial Crisis : The
Challenge for Social Policy, Bureau international du travail, Genève, 1998 ; « L’OIT
enjoint aux pays asiatiques de combattre la crise économique par des mesures sociales »
Travail, 1999, n° 28, pp. 4 et s. ; ou de la Commission européenne, dont « Livre vert
QUELLE LIMITE POUR LA MONDIALISATION DU DROIT ?
7
L’impact de l’argument concurrentiel doit ainsi être fortement relativisé.
Ce qui ne signifie pas qu’ici ou là, dans tel ou tel contexte, pour tel ou tel type
de produit bien ciblé, certaines règles de droit du travail puissent, de manière
résiduelle, mais non pas inexistante, générer un handicap compétitif non
négligeable. Une égalisation au niveau du SMIC du salaire minimum des pays
pauvres ne serait bien entendu ni réalisable, ni souhaitable. Il ne s’agit pas
pourtant d’un champ de validité limité de l’argument concurrentiel en faveur
de la mondialisation, mais de tout le contraire.
E - L’AVANTAGE CONCURRENTIEL RESIDUEL, UN
ELEMENT A PRESERVER
L’avantage comparatif qui résulte d’une faiblesse du droit du travail est,
on l’a vu, limité et résiduel. Les pays qui bénéficient de cet « avantage » sont,
en partie à cause de cet « avantage », des pays pauvres. Il n’en demeure pas
moins que, dans un certain cadre et dans certaines limites, certaines faiblesses
génèrent un atout dans la compétition économique mondiale. Mais alors celuici est à comparer aux avantages dont bénéficient les pays riches, parmi lesquels
le moindre coût du capital, des techniques de pointe, et la meilleure formation
de leur main d’œuvre. La faiblesse concurrentielle liée au fort coût du travail
salarié de ces pays riches est ainsi amplement compensée15. Les pays pauvres
n’ont guère pour eux que leur main d’œuvre comparativement bon marché. La
loyauté de la concurrence plaide alors pour le maintien de cet avantage
comparatif notable dont bénéficient les pays pauvres16. En bref, l’analyse
concurrentielle n’est utilisable que pour soutenir la diversité des droits
nationaux, non pour défendre leur uniformisation.
Cette diversité utile reste limitée aux hypothèses dans lesquelles une
faiblesse du droit du travail pourrait constituer un avantage économique. Ce
n’est clairement pas le cas, notamment, s’agissant des droits fondamentaux des
travailleurs. On l’a déjà remarqué, ni l’esclavage, ni le travail forcé, ni le
travail des enfants, ni la discrimination raciste ou sexiste, ni même les
mauvaises conditions d’hygiène et de sécurité ne procurent d’avantages réels
globaux dans la compétition internationale. Ils sont bien plus des freins au
développement que des aides au développement.
Ainsi, la mondialisation des droits fondamentaux des travailleurs n’est
pas justifiée par la préservation de notre compétitivité, à nous qui vivons dans
un pays riche. C’est tout le contraire. La mondialisation des droits
sur la protection sociale européenne », Com. (93)551 ; « Politique sociale européenne.
Une voie à suivre pour l’Union, Livre blanc », Com (94)333.
15
S. S. GOLUB, « Are International Labor Standards Needed to Prevent Social
Dumping ? », Finances et Development, décembre 1997, pp. 20 et s. ; J.-P. SARDIN,
« La loyauté dans les échanges internationaux : le débat sur l’harmonisation des normes
de travail », Bull. de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, 1996, pp. 21 et
s.
16
S. S. GOLUB, préc.
LA MONDIALISATION DU DROIT
8
fondamentaux des travailleurs est justifiée parce qu’elle renforcerait la
compétitivité de nos concurrents pauvres, parce qu’elle réduirait les avantages
comparatifs dont nous bénéficions dans la compétition économique
internationale. La mondialisation des droits fondamentaux des travailleurs ne
nous apportera aucun avantage dans le commerce international et c’est aussi
pour cela que nous devons la poursuivre.
La crainte d’un avantage concurrentiel comme fondement de la
mondialisation du droit du travail est ainsi condamnée par les sciences
économiques17, rejetée par l’histoire18, bannie au nom de la loyauté de la
concurrence, voire scandaleuse d’un point de vue éthique.
L’idée d’une concurrence économique loyale a été pourtant présente dès
l’origine au sein des motifs fondateurs de l’OIT 19, mais elle est restée
mobilisée essentiellement dans la lutte de l’OIT contre d’autres organismes
internationaux20. Les motifs premiers et profonds de l’activité normative de
l’OIT ont été et restent encore des motifs éthiques et politiques21. Ces motifs
sont ceux qui doivent aujourd’hui encore guider la mondialisation du droit du
travail22.
F - LA JUSTIFICATION ETHIQUE
Je suis contre l’esclavage, bien que je ne craigne pas l’avantage
concurrentiel qu’il pourrait constituer, au nom de valeurs à vocation
universelle, que je fais miennes en tant qu’être humain. Le travail des enfants,
17
Cf. note J.-P. Sardin, préc.
L’idée d’une réduction des droits du travail locaux sous les coups de la
concurrence mondiale rappelle une vieille prédiction marxiste, la paupérisation du
prolétariat par application des mécanismes du marché. Sous le changement des mots, la
similitude des raisonnements frappe. Le retentissant échec de la première n’a pourtant
pas découragé les chantres de celle-là. Il aura suffit de changer quelques mots pour que
de vieilles erreurs reviennent au goût du jour. Et pour qu’il faille rappeler l’étendue de
l’échec historiquement constaté. La paupérisation n’a pas eu lieu, la réduction des
droits du travail locaux n’a donc rien d’inéluctable.
19
L’idée est présente, parmi beaucoup d’autres, dans le préambule de la Partie
XIII du Traité de Versailles qui définit les justifications de l’OIT. Adde. A. LYONCAEN, préc.
20
Cf. M. TORTORA, Institution spécialisée et organisation mondiale : étude
des relations de l’OIT avec la SDN et l’ONU, Bruxelles, Bruylant, 1980.
21
Cf. N. VALTICOS, Droit international du travail, Traité de droit du travail
sous la direction de G.H. Camerlynck, vol. 8, Paris, Dalloz, 1983, n° 139 et s., pp. 102
et s. V. aussi l’ouvrage de M. HANSENNE, directeur général du BIT de 1989 à 1999,
Un garde fou pour la mondialisation - Le BIT dans l’après-guerre froide, éd. Quorum,
1999, dans lequel la quête de la justice sociale et la défense de valeurs universelles est
seule déterminante, aux dépens de l’idée de préserver des conditions de concurrence
loyale, même lorsqu’il s’agit d’envisager la question de la clause sociale (cf. spéc. pp.
90 et s. et 113 et s.).
22
Sur cette question, comp. la position plus nuancée de A. LYON-CAEN, préc.
18
QUELLE LIMITE POUR LA MONDIALISATION DU DROIT ?
9
la liberté syndicale, le droit de grève, la prohibition du travail forcé, la sécurité
des conditions de travail sont toutes des questions qui doivent être abordées au
nom d’une réflexion sur la dignité de la personne humaine. Il est presque
indécent et résolument faux d’en traiter par peur de la concurrence étrangère.
L’ingérence sociale ne peut être qu’éthique.
La croyance dans un avantage déloyal détenu par ceux qui violent les
droits fondamentaux des travailleurs a beau être infondée, elle n’en est pas
moins dangereuse. Elle laisse à penser qu’une réduction drastique de notre
droit du travail est la seule planche de salut contre le chômage. Même
dépourvu de fondement objectif ou raisonnable, un tel discours peut avoir des
effets qui sont, eux, bien tangibles. Il faut se rappeler les effets dévastateurs
qu'ont pu avoir, dans certains pays en voie de développement, les incitations,
officieuses de préférence, du FMI ou de la Banque mondiale 23 et espérer que
l’échec de ces politiques de régression sociale servira de leçon pour l’avenir à
ces institutions internationales24 et comme repoussoir aux tentatives
d’appliquer de tels « remèdes » à l’économie française.
Ce n’est pas la concurrence internationale qui menace de rendre
inadapté notre Code du travail, mais l’évolution des techniques, des modes de
production, la montée des activités de services ou celle de l’emploi qualifié,
l’importance croissante du relationnel – social ou commercial –, de
l’innovation, de l’adaptation au contexte, aux clients, en bref la progressive
orientation de l’emploi vers le spécifiquement humain25. Ce sont ces facteurs
qui doivent influencer les évolutions utiles du droit du travail français, et non
un discours infondé, mêlé de peur et de nationalisme. Cette absence de
pertinence de la mondialisation de l’économie comme guide pour le droit du
travail français ne rend pas la mondialisation d’un socle de droits
fondamentaux moins importante ni moins urgente. N’en déplaise aux
scientistes, l’éthique n’est pas une sous-justification négligeable, mais une
justification forte, suffisante, surtout lorsqu’elle est appuyée par l’argument de
l’aide au développement que constituerait la mondialisation de certains
éléments de droit du travail.
Reste à décrire les voies que pourrait emprunter cette mondialisation.
23
Cf. note A. JEAMMAUD, « Les droits du travail à l’épreuve de la
mondialisation », Droit ouvrier, 1998, p. 240, spéc. p. 246 ; G. CAIRE, « Normes de
travail et commerce international », in Travail, emploi et droits de l’homme : le défi des
échanges internationaux, colloque de Paris X Nanterre, 26 novembre 1994, p. 21.
24
La difficulté est désormais clairement identifiée et prise en compte au sein
d’institutions comme le FMI et la Banque mondiale. Cette considération nouvelle pour
les éléments sociaux reste peu suivie d’effets, mais elle est porteuse d’espoir
d’évolution pour l’avenir.
25
Cf. Au-delà de l’emploi, rapport pour la Commission européenne, sous la
direction d’A. Supiot, spéc. pp. 261 et s.
LA MONDIALISATION DU DROIT
10
II - LES VOIES DE LA MONDIALISATION DU DROIT DU
TRAVAIL A L’AUNE DU CHOIX ETHIQUE
Les justifications sus-décrites d’une mondialisation du droit du travail
renseignent tant sur le contenu souhaitable de cette uniformisation que sur les
moyens à mettre en œuvre dans ce but.
A - LE SOCLE SOUHAITABLE DE DROIT DU TRAVAIL
MONDIAL
Même lorsque l’on se place sur le terrain des fins en délaissant celui des
faits, l’universalisation du droit du travail doit être limitée. Premièrement,
parce que, pour des raisons culturelles et historiques, les systèmes nationaux de
droit du travail, même à niveau de développement comparable, ont été
conduits dans des voies parfois très différentes ; et ces différences ne peuvent
ni ne doivent toutes être gommées. Deuxièmement, parce que l’uniformisation
doit être limitée afin de préserver les avantages compétitifs que les pays
pauvres peuvent tirer de la relative faiblesse de leur coût du travail.
Ces deux limites déterminent en creux le champ d‘une uniformisation
souhaitable. Et force est de constater que celui-ci est relativement important.
Elle dépasse sans doute de loin la teneur des sept conventions formant, selon la
Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail,
de juin 1998, le socle des droits fondamentaux des travailleurs. Cette
déclaration affirme la force obligatoire des principes concernant les droits
fondamentaux qui sont l’objet de sept conventions de base de l’OIT, à savoir la
convention n° 87 (1948) sur la liberté syndicale et la protection du droit
syndical ; la convention n° 98 (1949) sur le droit d’organisation et de
négociation collective ; les conventions n° 29 (1930) et n° 105 (1957) sur le
travail forcé ; les conventions n° 100 (1951) sur l’égalité de rémunération et n°
111 (1958) concernant la discrimination dans l’emploi et la profession ; enfin,
la convention n° 138 (1973) sur l’âge minimum d’accès au travail. La force
obligatoire des principes décrits par ces conventions est reconnue vis-à-vis de
l’ensemble des Etats membres, « même lorsqu’ils n’ont pas ratifié les
conventions en question (…) du seul fait de leur appartenance à
l’Organisation »26. Il existe ainsi, désormais, une bonne définition,
internationalement validée, de l’évidence et de l’urgence. Ne sont visés que
des droits élémentaires de l’homme au travail, qui loin de constituer une
entrave au développement peuvent être conçus comme une aide en vue du
développement durable des pays pauvres27.
26
Art. 2 de la Déclaration. On remarquera qu’à la date de l’adoption de la
déclaration seuls 37 pays avait ratifié ces sept conventions de base (soit environ 21%
des Etats membres). Ce qui donne une image du chemin restant à parcourir. Pour une
mesure des ratifications, convention par convention, cf. Travail, n° 25, OIT, 1998, p.
16.
27
Sur la décision du Parlement européen d’adopter une définition plus
restrictive encore du socle fondamental des droits du travailleur, en excluant les normes
QUELLE LIMITE POUR LA MONDIALISATION DU DROIT ?
11
L’universalisable va sans aucun doute beaucoup plus loin. Des règles
minimales d’hygiène et de sécurité, de réglementation du temps de travail,
d’assurance chômage, le droit de grève, voire la prévision d’un salaire
minimum évidemment variable selon les pays, seraient à nos yeux autant de
mesures parfaitement universalisables sans que soient pour autant pénalisées
les économies des pays pauvres, bien au contraire. Mais peut-être est-il
préférable de se limiter à l’évidence et à l’urgence lorsqu’il s’agit de réfléchir
aux moyens d’assurer une effectivité convenable au socle mondial du droit du
travail.
B - LES MOYENS DE LA MONDIALISATION DU DROIT DU
TRAVAIL
La voie du consensualisme et la création d’un droit vert suivant le
modèle de l’OIT sont nécessaires, doivent être poursuivies et amplifiées. Elles
permettent d’aller au-delà de la définition d’une sorte de droit minimal. Mais,
cette méthode a aussi montré ses limites, son manque d’effectivité. D’autres
moyens doivent lui être associés. Même s’ils ne relèvent plus du consensus,
parce qu’ils ne relèvent plus du consensus.
C’est alors qu'apparaissent la question de l’ingérence et celle, dérivée,
de la clause sociale. On se souvient de l’intensité des débats concernant cette
dernière lors de l’Uruguay Round, et si les Accords de Marrakech ayant créé
l’OMC (avril 1994) ne l’ont pas intégrée, le débat ne demande qu’à resurgir à
l’occasion du Millenium Round (cycle du millénaire) qui doit débuter fin
novembre 1999. La question de départ semble simple, faut-il assortir de
sanctions économiques les violations les plus graves des droits sociaux
fondamentaux ? Faut-il conditionner l’application des règles du libre-échange
au respect de ces droits. Qui comme nous est convaincu de l’importance de
cette universalisation pour des motifs éthiques ne peut, a priori , que répondre
positivement à cette occasion de faire sortir le droit du travail mondial de la
soft law, du droit vert. Ce qui ne saurait masquer pour autant la faiblesse
congénitale de ce type de sanction.
L’adoption d’une clause sociale, lorsqu’elle a eu lieu, l’a été d’abord en
tant qu’élément de lutte contre la concurrence déloyale. Ainsi conçue la clause
sociale est pourtant un non-sens, voire une erreur lourde de menaces. Si, à
l’image de ce qui a été prévu au sein de l'Aléna (Accord de libre-échange nordaméricain)28, il est exigé comme condition d’application d’une sanction
économique, la preuve d’un avantage concurrentiel résultant d’une violation
internationales concernant la prohibition des discriminations, cf. L. VOGEL, Bull. de
droit comparé du travail et de la sécurité sociale, 1996, p. 149. Les discriminations
racistes ou sexistes sont pourtant contre-productives en même temps que contraires aux
droits de la personne humaine. Elles méritent clairement, à ce titre, d’être incluses,
comme l’a fait l’OIT dans sa Déclaration de 1998, dans le socle des droits
fondamentaux des travailleurs.
28
Sur cet accord, cf. note. M.-A. MOREAU et G. TRUDEAU, « La clause
sociale dans l’accord de libre-échange nord américain », RIDE, 1995 n° 3, p. 361.
LA MONDIALISATION DU DROIT
12
des droits sociaux fondamentaux, la clause sociale sera soit dépourvue d’effet
et d’intérêt, soit le véhicule de croyances inexactes et dangereuses en cet
avantage concurrentiel induit, et elle débouchera à la fois sur des conséquences
contraires à l’éthique (non-sanction de l’esclavage s’il s’avère
comparativement inefficace) et sur les effets négatifs que ce type de discours
peut produire. Le seul fait de confier un rôle en la matière à l’OMC, de
rattacher ainsi le social aux règles de la concurrence commerciale, apparaît
même, ainsi, dangereux. De plus, ces sanctions économiques risquent d’être
brouillées par les méandres de la diplomatie aux dépens de l’application du
droit. Les risques additionnels sont alors que les sanctions soient orchestrées
par les pays riches contre des pays pauvres, ou encore que les sanctions ne
soient appliquées qu’aux petits pays, laissant les grands comme la Chine ou
ceux disposant de ressources stratégiques (pétrole) impunis29.
L’adoption de procédures de sanction économique en cas de violation
des droits fondamentaux du travailleur, fût-ce devant l’OMC, aurait cependant
plusieurs avantages. Elle permettrait la révélation et la mise en exergue de
violations flagrantes de ces droits sociaux, comme cela a été parfois le cas pour
les clauses sociales actuellement en vigueur30. Elle serait donc pourvue d’un
intérêt réel. Elle aurait aussi l’intérêt de permettre l’intrusion, même limitée, du
social au sein d’un organisme comme l’OMC qui en a le plus grand besoin.
Elle est en un mot le pire des progrès, mais au moins est-elle un progrès
possible, susceptible d’être atteint, donc méritant peut-être d’être soutenu, sous
réserve que sa teneur concurrentielle soit le plus possible estompée au profit de
ses justifications fondamentales et seules valides, à savoir de ses justifications
éthiques. Pour ces raisons et malgré ses limites, la clause sociale mérite donc
d’être soutenue, à nos yeux, quoiqu’avec prudence, au nom de l’espoir que
peut faire naître l’apparition de sanctions internationales à la violation des
droits fondamentaux des travailleurs.
Des réformes plus ambitieuses seraient plus logiques, plus utiles, et
surtout plus urgentes. Mais elles sont aussi plus lointaines. Ce qui ne doit pas
nous dissuader de les évoquer.
Dans l’attente d’une hypothétique Cour internationale du travail
pouvant être saisie par des particuliers, sans que les Etats ne puissent se
soustraire à ses décisions, d’autres réformes, plus immédiates, pourraient être
évoquées.
Les organismes mondiaux économiques, seuls dotés d’une réelle
influence, devraient impérativement prendre en compte les aspects sociaux du
développement. L’idée émise auprès de la Banque mondiale d’un
conditionnement des prêts à des conditions liées au respect des droits
fondamentaux des travailleurs va dans ce sens. Il est souhaitable que cette
29
Banque mondiale, Le monde du travail dans une économie sans frontières,
Washington, 1995.
30
Cf. M.-A. MOREAU, « La clause sociale dans les traités internationaux :
bilan et perspectives », Revue française des affaires sociales, 1996, n° 1. Adde. M.-A.
MOREAU et G. TRUDEAU, préc.
QUELLE LIMITE POUR LA MONDIALISATION DU DROIT ?
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solution soit étendue au FMI. C’est dans ce même esprit que l’adoption d’une
clause sociale au sein des traités constitutifs de l’OMC a pu apparaître utile.
Non pour réduire de manière absurde le social à une question de compétition
économique mondiale, mais pour inciter ces organismes, dotés de pouvoirs
contraignants, à intégrer l’impératif d’une uniformisation du socle des droits
fondamentaux du travailleur.
Un organisme comme l’OIT, mieux à même par son histoire de traiter
des questions de droit du travail mondial devrait voir ses compétences et ses
moyens financiers accrus. Même s’il ne s’agit dans l’immédiat que de vœux
pieux, on peut aller plus loin et plaider pour une réforme permettant
d’institutionnaliser l’influence que devrait avoir le social sur les décisions
financières. On pourrait imaginer par exemple un droit de veto suspensif de
l’OIT sur les décisions d’octroyer une aide financière prise par la Banque
mondiale ou le FMI, et un droit de former appel devant une instance mixte des
décisions de ces organismes de refuser un concours financier.
Bien d’autres réformes peuvent être ainsi rêvées, sur le papier. L’espoir
est cependant bien mince de faire évoluer de manière substantielle, au moins
dans l’immédiat, les institutions internationales. L’espoir est dès lors peut-être
à rechercher en dehors de ces institutions.
L’idée première, historiquement, s’adresse directement aux salariés et à
leurs syndicats : « prolétaires de tous les pays, unissez-vous! » disait-on. L’idée
n’a pas perdu de sa validité, malgré la faillite de son contexte idéologique. On
se souvient qu’au-delà du fordisme, ce sont les luttes sociales qui ont relancé la
demande et permis à l’économie de marché non seulement de survivre, mais de
se développer jusqu’à ses proportions actuelles. Ces luttes demeurent le
nécessaire remède des crises de la demande qui toujours menacent l’économie
de marché. L’internationalisation de l’action syndicale, même si elle a pu
enregistrer certains progrès récents, n’en demeure pas moins un vecteur encore
bien faible de la mondialisation du droit du travail.
L’espoir peut alors venir de ces organisations spontanées et
internationales de citoyens dont le rôle dans le rejet du projet d’Accord
multilatéral sur l’investissement (AMI) a été si important, qui font œuvre
exemplaire à l’occasion de la défense de la taxe Tobin et dont les réseaux n’ont
pas épargné la question de l’universalisation des droits fondamentaux des
travailleurs. On pense encore aux organisations de consommateurs préconisant
le boycott et divers autres moyens de pression sur les entreprises des pays
riches employant de la main d’œuvre en violation des droits fondamentaux des
travailleurs. Jusqu’ici, les avancées, obtenues sous la pression de ces
organisations ou sous celles des médias, n’ont eu que peu d’effets31. Mais elles
ont eu des effets et c’est déjà beaucoup. Ce type de mouvement présente
l’incontestable intérêt de n’être qu’éthique, par nature. L’adéquation des
31
Sur ces codes de conduite à l’effectivité souvent douteuse, cf. note « Les
codes de conduite dans les sociétés multinationales américaines : les exemples de Levi
Strauss & Co. et de Reebok corp. », Bull. de droit comparé du travail et de la sécurité
sociale, 1996, p. 181.
LA MONDIALISATION DU DROIT
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moyens aux fins est donc ici optimal. L’accroissement des modes de
communication et de transfert de l’information laisse espérer l’amplification et
la généralisation de ce type de mouvements internationaux.
Il ne faut pas oublier que le « village mondial » n’est pas un simple
marché. Il désigne aussi une mondialisation de l’information, de la solidarité,
de l’éthique, des institutions, du droit. Le droit du travail a été, au travers de
l’oeuvre de l’OIT, un champ pionnier de la mondialisation du droit. Il doit
reprendre son rôle leader, pour les motifs qui l’ont toujours guidé vers
l’international, pour des motifs éthiques, mais aussi parce qu’il est nécessaire
au développement, à la sécurité, au bien-être des populations et finalement à la
paix.
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