C'est donc un médicament qui fait partie de la batterie de la pharmacopée habituelle à toute unité d'anesthésie
ou de réanimation, en dehors desquelles il n'est pas disponible. Mais comme c'est un opiacé, étant susceptible
d'induire une dépendance et une accoutumance, son utilisation doit obéir à des considérations médico-légales
strictes; d'autant qu'avec le fléau social que constitue désormais l'usage de la drogue, les hôpitaux et les
cliniques sont malheureusement devenus des objectifs pour les trafiquants et les consommateurs de drogues
dures, imposant des mesures de sécurité draconiennes.
Mais est ce que ces mesures peuvent ou doivent atteindre le stade restrictif en entravant l'usage même chez les
patients qui le nécessitent souvent en urgence dans les établissements sanitaires?
L'accès aux produits dangereux et les intérêts du malade
Ma dernière expérience personnelle de cardiologue interventionnel dans un établissement privé prouve en tous
cas que la question mérite d'être soulevée: après une angioplastie coronaire, la patiente avait présenté des
douleurs typiques d'infarctus du myocarde, et ceci peut se voir quelquefois puisque l'angioplastie n'étant pas
comme toute technique médicale, parfaite, le déploiement d'un ressort dans une artère malade la débouche
certes, mais en même temps peut boucher des petites branches collatérales préalablement très malades et
occasionner un infarctus petit, dit rudimentaire.
Bref, la patiente présentant de grosses douleurs de la poitrine, avec certes, facteur rassurant, un
électrocardiogramme normal, l'administration de morphine pour la calmer devenait nécessaire. Seulement, fait
étonnant, il s'est avéré que la morphine n'était pas disponible dans le service de réanimation où elle aurait dû se
trouver à portée de main, parce que le directeur médical en avait décidé ainsi, et que pour en disposer, il fallait
téléphoner à la pharmacie, située à un autre étage.
Dans les faits, joindre le pharmacien n'a pas été chose facile, son numéro de contact habituel dans la clinique
ne répondant tout simplement pas. Et pour un produit demandé en urgence, le délai entre la prescription et
l'administration a été de près de 20 minutes, ce qui est une aberration médicale.
La surveillante de garde, ce jour là, a justifié cet état des choses par les ordres reçus de la part de la direction
médicale. Or la procédure normale pour protéger l'accès aux produits dangereux, tout en sauvegardant les
intérêts des malades et la qualité de la médecine, est très simple : il suffit d'une armoire sécurisée dont seul le
surveillant de l'unité assure l'ouverture par reconnaissance digitale ou oculaire, avec pour seule contrainte, celle
d'assurer à chaque passation de service l'inventaire des produits dangereux.
Dysfonctionnements et absence de normes de travail
Malheureusement, l'existence de dysfonctionnements semblables, traduisant dans le cas précité le manque de
confiance de la direction médicale dans les surveillants de l'unité de réanimation de la clinique, est souvent
révélatrice d'autres dysfonctionnements encore plus graves: au cours de la même garde et pour la même
patiente, un examen biologique prévu à 20 heures n'avait pas été réalisé, tout simplement par oubli, il ne l'a été
qu'à 22h30 après réclamation du résultat. Et heureusement que le laboratoire d'analyses médicales était situé au
sein même de l'établissement, car dans d'autres cliniques, c'est le coursier qui vient récupérer les demandes de
bilans pour les amener à son laboratoire situé à plusieurs kilomètres de là, et les résultats des bilans demandés
en urgence ne sont souvent disponibles que plus de deux heures après les prélèvements. Or l'absence d'un
laboratoire dans une clinique traduit souvent un équilibre déterminé en son sein, entre les décideurs, pour ne
pas en dire plus.
Tout cela reflète avant tout l'absence de normes de travail, ou de la volonté de les imposer; ou bien si elles
existent, l'absence ou l'inefficacité des organes de contrôle chargés de les faire respecter.