L'évolution des avantages comparatifs du Maghreb dans la perspective de la zone de libre-échange euro-méditerranéenne N. Satoura Doctorante, CED, Université Montesquieu-Bordeaux IV Sommaire Introduction 2 Section I – Une spécialisation traditionnelle fortement marquée par la préférence européenne : caractéristique principale de l’insertion internationale des économies maghrébines : 3 §1- la spécialisation des pays du Maghreb : ___________________________________ 4 §2- La place privilégiée de l’Europe : ________________________________________ 6 1- l’orientation géographique du commerce extérieur maghrébin : _______________ 7 2- L’impact de l’ancrage à l’euro sur le commerce extérieur et les IDE du Maghreb : 8 3- Les relations UEM-PECO et les risques de marginalisation du Maghreb : _______ 9 Section II –Vers une Zone de Libre-Echange Maghreb-Union Européenne ? 10 §-1 Les facteurs du blocage de l’UMA : _____________________________________ 10 1-Faiblesses d’ordre institutionnel et politique : _____________________________ 11 2 -Un commerce régional extrêmement faible : _____________________________ 11 §2- La Zone de Libre –Echange ; quel nouvel apport ? _________________________ 12 1- Les modalités conventionnelles : ______________________________________ 13 2- Le dialogue politique euro-méditerranéen : ______________________________ 14 Conclusion 14 Références bibliographiques 15 1 Introduction En signant des accords de libre-échange avec chacun des douze PTM, l’Union Européenne perpétue un schéma institutionnel traditionnel : tandis que cette dernière reste le centre d’un réseau en étoile, chacun des PTM en constitue une extrémité. Ce réseau institutionnel a pour objectif de créer une vaste zone euro-méditerranéenne commerciale de paix et de stabilité. Dans un premier temps, les différents PTM devraient mettre en pratique chacun de son côté, un libre-échange industriel avec l’Union Européenne tandis que la question agricole devrait faire l’objet de concessions mutuelles, réciproques et progressives. Ensuite, ils devraient progressivement passer des accords de libre-échange entre eux. L’objectif final de création d’une zone de libre-échange à l’horizon 2010, implique donc le décloisonnement horizontal de tous les marchés nationaux méditerranéens. Ainsi, la Commission européenne, dans une communication de 1994 sur la politique méditerranéenne, estimait que la ZLE euroméditerranéenne devrait permettre « le libre-échange entre les pays méditerranéens eux même »1. Ceci s’est retrouvé au niveau des principes politiques adoptés par les quinze européens et les douze méditerranéens réunis lors de la conférence de Barcelone les 27 et 28 novembre 1995. Dans cette déclaration, véritable charte constitutive du partenariat, les participants ont affirmés que « la zone de libre-échange sera réalisée à travers les nouveaux accords euro-méditerranéens et les accords de libre-échange entre les partenaires de l’Union Européenne »2. 1 Voir plus précisément le point 10 de la Communication de la Commission, « Renforcement de la Politique méditerranéenne de l’Union européenne : établissement d’un partenariat euro-méditerranéen », Bruxelles, le 19.10.94, COM (94) 427. 2 Voir conférence de Barcelone, Déclaration et Programme de travail, p.7. 2 En bref, la dynamique verticale enclenchée par les accords UE-PTM devrait permettre de créer les conditions favorables à une dynamique horizontale entre les PTM. C’est au moins ce qu’espère l’Union Européenne ! L’intégration économique du pôle Maghreb est fortement encouragée par l’Union Européenne par une multitude d’instruments juridiques.. Dans ce cadre on va essayer de traiter la spécialisation maghrébine qui reste traditionnelle et fortement marquée par la préférence européenne, avant d’examiner le nouvel apport de la mise en place de la ZLE qui doit encourager l’intégration horizontale et l’instauration du dialogue politique entre les pays méditerranéens. Section I – Une spécialisation traditionnelle fortement marquée par la préférence européenne : caractéristique principale de l’insertion internationale des économies maghrébines : Depuis l’indépendance, les pays du Maghreb ont cherché à mettre en valeur leurs avantages comparatifs pour tenter d’améliorer leurs positions dans la division internationale du travail. Les modèles de croissance adoptés n’ont pas démontré leur aptitude à créer les conditions d’un développement durable. A l’inverse, les déséquilibres occasionnés par la combinaison entre substitution aux importations dans les industries manufacturières et la promotion des exportations dans les industries extractives allaient mettre en relief progressivement les contradictions d’un projet global de développement caractérisé par une dépendance croissante à l’égard des variables économiques et financières internationales. Au cours des années quatre-vingt, les modèles de développement autocentré ont montré leur limites : crise de la dette (Maroc, Algérie), contre choc pétrolier (Algérie). Tous les pays du Maghreb ont entrepris de réduire l’emprise de l’Etat sur l’économie, soit à la suite de la mise en place de plans d’ajustement structurel en contrepartie de programmes de rééchelonnement de leur dette extérieure (Maroc en 1983 et Algérie en 1994), soit par leur dynamique interne (Tunisie en 1986). L’approfondissement des réformes structurelles implique la poursuite de l’ajustement en profondeur et l’ouverture de l’économie à la concurrence interne et externe. Certains auteurs insistent sur le rôle crucial des politiques macroéconomiques et sur l’engagement irréversible des pays du Maghreb dans la voie de la libéralisation de leur économie 3. La Cf. – G. Kebadjian : « La création d’une zone de libre-échange entre l’Union Européenne et le Maghreb », journée d’études GEMDEV, 1995 3 3 croissance du Produit Intérieur Brut est aujourd’hui insuffisante dans l’ensemble de la région maghrébine ( Cf. Tableau 1). Celle-ci génère difficilement la valeur ajoutée qui devrait rendre l’évolution démographique supportable. La croissance apparaît bridée par les difficultés considérables des « économies rentières » à se transformer au Maroc et dans une moindre mesure en Tunisie , en un investissement suffisamment dynamique. Cependant, le Maroc et la Tunisie, du fait de la spécialisation ont pu émerger dans les échanges internationaux. Même si leurs résultats restent modestes, les progrès qu’ils ont faits leur permettent aujourd’hui d’envisager de s’ouvrir davantage à l’économie internationale et d’espérer ainsi d’élargir leur potentiel de croissance. Pour l’Algérie, l’évolution politique nationale ou régionale sera déterminante. Tableau 1 : Quelques indicateurs économiques fondamentaux du Maghreb Algérie Maroc Tunisie Population en 2000 (en millions) 31,2 28,2 9,5 Population en 2010 (en millions) 39,0 33,6 11,4 PIB en 2000 (en milliard de $ US) 46,9 35,6 19,8 Croissance du PIB (en %) 5 4,2 5,5 Inflation 1990-2000 (en %) 20,4 4,8 4,5 Taux de chômage 1999 (en %) 33 19 15,6 Déficit budgétaire / PIB 1999 (en %) 1,9 2,5 2,7 Dette extérieure en 2000 (en % du PIB) 60 52 53 Service 25 16 de la dette extérieur / 38,6 Exportations 1999 (en %) Source : Algérie : Office National des Statistiques, Maroc : Direction de la Statistiques, Tunisie : Institut National de la Statistique §1- la spécialisation des pays du Maghreb : La structure des exportations des pays maghrébins se traduit par une spécialisation type PVD : produits énergétiques et miniers, textile-habillement, produits agricoles. L’Algérie exporte essentiellement des hydrocarbures en grande partie à l’état brut (Cf. tableau 2), tandis - A. Chevallier : « Les échanges CEE-Maghreb en rétrospective » GEMDEV-CERCA. La création d’une zone de libre échange entre la CEE et le Maghreb : repères et perspectives, 1994 T-F. Rutherford : « Morocco’s free trade agreement with European Community : a quantitative assessment », Working papers, n° 1173, The world Bank, 1993. 4 que le Maroc et la Tunisie exportent des produits primaires et des biens manufacturés. Les filières d’exportation des deux pays (Maroc et Tunisie) montrent une spécialisation très semblable : avantages pour le textile, l’agroalimentaire (tableaux 3 et 4). Les principaux postes d’exportation révélés pour le Maroc sont par ordre décroissant en 2000 : les produits finis de consommation (vêtements confectionnés et articles de bonneterie), l’alimentation, les demi-produits (engrais et acides phosphoriques) en forte dégradation à partir de 1998, les produits finis d’équipement industriel (matériel d’équipement mécanique et matériel électrique et électronique) en croissance depuis 1998 et les produits bruts d’origine minérale (phosphates). Pour la Tunisie, on note le poids important des textiles. Une étude réalisée par L.Fontagné et N. Péridy4 sur les spécialisations marocaines et tunisiennes montrent que deux secteurs sont en croissance fort intéressante et qui apparaissent comme des filières de « spécialisation émergente » susceptibles d’attirer les investissements étrangers ; il s’agit des industries mécaniques et électriques, cependant, la progression la plus nette est enregistrée pour des activités faiblement technologiques. Tableau 2 : Exportations algériennes 1994-1998 (en % des exportations totales) 1994 1995 1996 1997 1998 Agriculture, pêche 0.2 0.8 0.5 0.2 0.3 Energie 0.8 0.1 0.1 0.0 0.0 Hydrocarbures 96.1 94.9 93.5 96.3 96.4 Produits bruts d’origine minérale 0.3 0.2 0.2 0.2 0.3 Industries sidérurgiques, métal, mécan, élec 0.9 1.4 1.3 1.1 0.9 Chimie, caoutchouc, plastiques 1.4 1.8 3.5 2.0 1.8 Industries agroalimentaires, tabacs 0.2 0.3 0.5 0.1 0.1 Industries textiles, bonneterie, confection 0.0 0.3 0.3 0.0 0.0 Industries des cuirs et chaussures 0.1 0.1 0.1 0.1 0.1 Industries du bois, liège, papier 0.0 0.1 0.0 0.0 0.1 total 100.0 100.0 100.0 100.0 100.0 Source : tableau établi à partir des statistiques de la base de données Chelem Tableau 3 : Exportations tunisiennes 1994-2000 (en % de la valeur des exportations totales) 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 Agriculture et industries agroalimentaires 13.0 10.0 7.5 11.1 9.6 11.4 8.8 Energie et lubrifiants 9.4 8.3 10.5 9.0 6.4 7.1 12.1 Cf. L. Fontagné et N. Péridy : « Le renouveau de l’insertion des pays du Maghreb dans les échanges mondiaux », in Anales Marocaines d’Economie, n° 15, printemps 1996. 4 5 Mines, phosphates et dérivés 9.8 10.2 11.5 10.9 10.8 10.2 9.0 Textiles, habillement et cuirs 47.6 49.9 51.1 48.7 50.5 48.8 46.6 Matériel de transport 0.6 0.8 0.5 0.8 0.8 0.8 1.0 Industries mécaniques 5.7 5.6 4.1 4.0 4.6 5.6 5.4 Industries électriques 7.0 7.4 7.9 8.8 10.6 9.6 10.1 Autres industries manufacturières 6.9 7.8 6.9 6.7 6.7 6.5 7.0 Total 100.0 100.0 100.0 100.0 100.0 100.0 100.0 Source : tableau établi à partir des données de la base Chelem Tableau 4 : Exportations marocaines 1994-2000 (en % de la valeur des exportations totales) Alimentation, boissons et tabacs 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 28.3 30.7 31.5 29.4 20.8 20.2 20.3 Crustacés, mollusques et coquillages 9.6 10.7 9.9 8.5 6.4 6.0 8.6 Agrumes 3.8 4.3 6.5 5.2 3.8 3.5 2.6 Energie et lubrifiants 2.1 2.2 1.6 1.9 1.5 2.7 2.6 Produits bruts d’origine animale et végétale 3.9 4.1 3.8 4.2 2.0 2.5 2.4 Produits bruts d’origine minérale 11.0 10.0 11.0 13.2 8.9 8.1 8.2 Phosphates 6.9 6.0 7.3 9.1 6.4 6.1 5.2 Minerai de zinc 0.5 0.6 0.6 0.7 0.8 0.7 0.7 24.9 25.9 25.7 26.0 18.2 18.6 18.4 Demi-produits Engrais 6.8 7.6 8.0 7.4 4.8 4.2 4.4 Acide phosphorique 10.8 11.7 11.1 12.2 7.0 7.8 6.8 Produits finis d’équipement industriel 3.6 3.3 3.2 3.2 7.7 9.2 9.0 Produits finis de consommation 26.2 23.8 23.0 22.1 40.9 38.7 39.1 Vêtements confectionnés 10.4 9.0 8.3 7.5 24.2 22.0 20.5 Articles de bonneterie 7.4 7.1 7.4 7.1 1.9 11.0 11.3 100.0 100.0 100.0 100.0 100.0 100.0 100.0 Total Source : tableau établi à partir des données de la base Chelem §2- La place privilégiée de l’Europe : L’Union Européenne est le premier partenaire commercial du Maghreb. L’ampleur des relations commerciales entre les deux régions peut plaider en faveur de l’adoption de l’euro comme monnaie ancre. 6 1- l’orientation géographique du commerce extérieur maghrébin : Les pays du Maghreb gravitent autour du pôle européen avec lequel ils réalisent la plus grande partie de leurs échanges. La part de l’Europe dans les importations maghrébines est comprise dans une fourchette de 65-80%, respectivement 70-85% pour les exportations (Cf. tableau 5). La France demeure certes parmi les premiers clients des pays du Maghreb, mais son poids n’a cessé de s’effriter depuis le milieu des années 80 au profit de l’Italie, de l’Espagne et de l’Allemagne (Cf. tableau 6). Tableau 5 : Echanges extérieurs des pays du Maghreb par continent en 1999 (en % de la valeur totale des exportations et des importations) Maroc Algérie Tunisie Exportations Europe 77.2 72 82.8 Afrique 4.8 1.6 6.9 Amérique 5.7 25.5 1.4 Asie 11.6 0.9 5.6 Océanie 0.7 0.0 3.3 Importations Europe 68.2 67.4 79.0 Afrique 4.1 4.8 5.1 Amérique 11.0 18.1 6.6 Asie 16.3 8.9 8.2 Océanie 0.4 0.8 1.1 Source : La base Chelem Tableau 6 : les principaux clients européens des pays maghrébins Maroc Rang Algérie Rang Tunisie Rang France 33.5 1 16.4 2 26.8 1 Espagne 13.0 2 9.4 3 Grande- 9.6 3 Italie 7.1 4 21.6 1 23.0 2 Allemagne 5.0 5 12.5 3 Belgique 4.1 5 5.1 4 7.9 4 3.5 5 Bretagne Pays-bas 7 Source : Maroc : Office des Changes, Algérie : Office National des Statistiques, Tunisie : Institut National de la Statistique 2- L’impact de l’ancrage à l’euro sur le commerce extérieur et les IDE du Maghreb : L’adoption de l’euro aura des conséquences d’autant plus fortes sur les économies du Maghreb que ces dernières auront à s’ouvrir aux produits européens dans la perspective de leur adhésion à l’Union Européenne. Les taux de change bilatéraux entre les trois principales devises internationales pourraient se révéler plus instables que par le passé. Un élément déterminant de cette instabilité est constitué par l ‘incertitude pesant sur les pays de l’UE qui n’ont pas adopté la monnaie unique lors de la première vague. Les marchés ne pourront pas ignorer un dérapage de la dette publique de ces pays en raison de la forte progression de la convergence de l’ensemble des économies européennes. Les pays extérieurs à l’Union Européenne qui ont rattaché explicitement ou implicitement leur monnaie à l’euro pourront souffrir de cette instabilité, mais les pays n’ayant pas opté pour cet ancrage pourraient se trouver en plus grande difficulté. a- Impacts sur le commerce extérieur : En effet, compte tenu de la part importante du commerce réalisé avec l’UE, les pays du Maghreb verront une part significative de leurs échanges libellée en euro. Dans ces conditions, un ancrage sur l’euro peut stabiliser les prix d’importations et les recettes d’exportations. Cet argument est encore renforcé dans la mesure où une part croissante de la dette de ces pays pourra être progressivement libellée dans la monnaie européenne. Une révision de la politique monétaire pourra ainsi diminuer la sensibilité des monnaies maghrébines aux fluctuations des taux de change bilatéraux des grandes devises. Par ailleurs, les pays du Maghreb sont d’importants exportateurs de matières premières, dont les cours sur les marchés mondiaux sont côtés en dollars. En Algérie, les exportations d’hydrocarbures ont représenté ces dix dernières années 90% de ses exportations totales ; les exportations des pays maghrébins sont peu diversifiés en général, de sorte que ces trois pays sont relativement vulnérables face aux fluctuations erratiques des cours mondiaux exprimés en dollar. Pour ces pays, il pourrait donc être particulièrement intéressant que les prix de certaines matières premières soient côtés en euro réduisant ainsi une partie de leur vulnérabilité. 8 b- Impacts sur les investissements directs étrangers : Le débat IDE et investissements de portefeuille est loin d’être clos à ce jour, mais force est de reconnaître le caractère particulièrement dynamique des investissements de portefeuille dans les pays émergents. On notera concernant les IDE de l’UE au Maghreb que, malgré leur poids important dans l’ensemble des flux des capitaux ( entre 60 et 70% des capitaux officiellement enregistrés), ils comportent plusieurs faiblesses. Ils sont en fort retrait par rapport aux grand mouvement observé en direction de l’Asie et des PECO, concernent prioritairement les spécialisations classiques du Maghreb qu’ils contribuent à renforcer, et enfin, ont été fortement tirés par les privatisations effectuées ces dernières années. Ce constat renforce l’idée selon laquelle les investissements de portefeuille, malgré leur caractère sensiblement volatil, peuvent constituer une source de financement complémentaire appréciable. En exigeant à la fois plus de sécurité et un rendement élevé, ces investissements contribuent à accélérer la modernisation des systèmes bancaires et financiers des pays émergents. De nombreux travaux empiriques ont montré l’existence d’une corrélation positive entre le développement financier et celui de l’économie en général. Ce type d’analyse s’appuie sur l’hypothèse que la libéralisation financière a certes progressé dans la plupart des pays du Maghreb, mais il n’en reste pas moins que des obstacles structurels à une intégration financière plus poussée demeurent, tenant en particulier à la diversité des régimes monétaires dans les trois pays, mais également au manque de transparence des politiques de change. 3- Les relations UEM-PECO et les risques de marginalisation du Maghreb : Il est vraisemblable que l’euro émerge comme monnaie internationale, notamment à travers sa fonction d’ancrage des taux de change des pays tiers. Ce processus dépendra de l’orientation du commerce extérieur des pays tiers, de la taille de leur dette extérieure et des monnaies dans laquelle elle sera libellée, mais aussi de la coordination monétaire entre l’UE et les pays tiers. De leur côté, les PECO qui n’ont actuellement, ni explicitement ni implicitement ancré leur monnaie à un euro réputé plus stable que leurs propres monnaies, malgré le poids de leur dette et l’inertie qui en découle concernant les monnaies de référence. En effet, à la fois pour des raisons de proximité géographiques et de choix politique, les PECO aspirent à terme à rejoindre l’UE et à adopter l’euro. A l’état actuel des négociations, aucun arrangement spécifique en matière du taux e change n’a été conclut entre les PECO et l’UE. Mais l’adoption de l’euro suppose une phase délicate de transition. 9 Quant aux pays du Maghreb, ils partagent de nombreuses caractéristiques avec les PECO, même si la ZLE proposée au Maghreb n’est qu’une pâle imitation de l’intégration dans l’UE qui est envisagée pour les PECO. Néanmoins, en décidant de rester à l’écart du processus d’intégration monétaire à l’œuvre en Europe Centrale et Orientale, le Maghreb risquerait de se marginaliser dans la ZLE euro-méditerranéenne. Il est en effet probable qu’il sera soumis lui aussi, à une surveillance rigoureuse de l’UE et qu’un ancrage à l’euro constituerait un signal clair de ses intentions et inciterait les pays européens à respecter leurs engagements en créant la ZLE euro-méditerranéenne. Section II –Vers une Zone de Libre-Echange Maghreb-Union Européenne ? A la stratégie d’intégration économique du Maghreb proposée par l’UE s’oppose une réalité économique et politique qui rend l’entreprise périlleuse, mais non moins nécessaire. §-1 Les facteurs du blocage de l’UMA : Le traité de l’UMA signé à Marrakech le 17 février 1989 entre le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie, a pour objet la mise en œuvre d’une politique commune dans les domaines de la diplomatie, de la défense, de l’économie et de la culture(art 2 § 4 et art 3) ainsi que la réalisation progressive de la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux (art2§5). Cette organisation, pour de nombreuses raisons, n’a pas pu atteindre la totalité des objectifs qu’elle s’était fixés. L’UMA a rencontré des difficultés d’ordre économique, institutionnel et politique. A la faiblesse des échanges commerciaux intra-zone doublée d’une forte intégration verticale des économies, viennent s’ajouter les dissensions politiques importantes entre les membres fondateurs de l’UMA, découlant notamment des différends territoriaux post-coloniaux. Cet état de fait a longtemps donné lieu à ce que P. Balta nomme : « le jeu des alliances »5 qui se font et se défont en fonction de la perception qu’a chaque acteur de la lutte pour le leadership régional. Voir P. Balta, Chapitre 9 « Le jeu des alliances » in « Le Grand Maghreb des indépendances à l’an 2000 », la Découverte, Paris, 1990, p.p 197-215. 5 10 1-Faiblesses d’ordre institutionnel et politique : De nombreux facteurs politiques ont retardé le fonctionnement réel et effectif de l’UMA. Au sein même des institutions de l’UMA, la concentration des pouvoirs au dans les mains de l’exécutif maghrébin (le Conseil de présidence) est en lui même un important facteur de blocage du traité. Au niveau politique, une série de crises ont mis à mal l’idéal maghrébin et le fonctionnement pratique de l’organisation régionale. Pour n’en retenir que les plus importantes ; citons : la crise du Sahara (1975), la crise du Golf (1990), la crise algérienne consécutive à l’arrêt des élections législatives de 1992 et l’embargo onusien concernant la Libye (levé en 1999). Le traité de Marrakech de 1989 a mis en place une architecture institutionnelle dominée au niveau de la prise de décision par le Conseil Présidentiel détenteur du pouvoir exécutif. En effet, le Conseil présidentiel composé des Chefs d’Etats membres est « seul habilité à prendre les décisions ». les prises de décision se font à l’unanimité, ce qui revient à « la reconnaissance du droit de Veto », donc à un « fonctionnement étroitement dépendant de la volonté des Chefs d’Etats ». les autres institutions ont un rôle de préparation, de consultation ou de suivi des affaires de l’Union. L’entente commune des cinq Chefs d’Etats est donc la condition sine que non du fonctionnement de l’UMA. Le manque d’unanimité entraîne le gel immédiat du traité dans son ensemble. La concentration du pouvoir au niveau du Conseil de présidence n’est en fait que la transcription institutionnelle du manque de confiance caractéristique des relations politiques intra-maghrébines. 2 -Un commerce régional extrêmement faible : Au lendemain des indépendances (1956 pour le Maroc et la Tunisie et 1962 pour l’Algérie), les pays du Maghreb central ont hérité d’économies désarticulées où coexistent deux secteurs agricoles ( l’un traditionnel et l’autre moderne) spécialisées dans l’exportation des matières premières non transformées et dépendantes du marché de la métropole. Il s’ensuit logiquement une situation caractérisée par une forte intégration entre les économies maghrébines et communautaires au préjudice d’une intégration intra-maghrébine. a-Une forte intégration des économies maghrébines et européennes : la communauté est le principal partenaire des pays de l’Union da Maghreb Arabe. Pour l’Algérie l’UE représente 68,2% des exportations contre 64,4% des importations. Le Maroc connaît une intégration encore plus poussée avec 70% des ses exportations à 11 destination du marché communautaire contre 62,7% des importations en provenance de ce marché. Enfin, la Tunisie est le pays maghrébin commercialement le plus intégré à l’UE avec des exportations équivalent à 79,4% du total contre des importations en provenance de l’UE représentant 76,6% de ses importations totales. Contrairement à cette très forte intégration géographique vers le marché de l’Union Européenne les chiffres du commerce inta-maghreb sont très faibles. b-Une faible interpénétration des économies maghrébines entre elles : A cette forte intégration commerciale des pays du Maghreb Central à l’UE, s’oppose une très faible intégration intra-maghrébine. Ainsi, les trois pays réalisent une moyenne de 4,5% de leurs exportations totales sur le marché méditerranéen contre une moyenne de 3,7% des importations totales. L’Algérie réalise 2% de ses exportations vers le marché méditerranéen contre 4,4 % de ses importations en provenance de ce marché. Avec 3,9%, le Maroc exporte plus et importe moins (2,6%) que son voisin algérien. Par contre, la Tunisie est encore une fois, beaucoup mieux intégrée au niveau horizontale. Ce pays réalise effectivement 6,3% de ses exportations totales vers le Maghreb contre 4,3% de ses importations6. Ce qui retient l’attention est l’extrême faiblesse des chiffres relatifs à l’intégration horizontale entre les pays du Maghreb. Avec un commerce intra-régional inférieur en moyenne à 5%, l’UMA est l’une des zones commerciales au monde au sein de laquelle le commerce intra-zone est le plus faible. Ces chiffres témoignent d’une très forte intégration verticale entre l’UE et chaque partenaire maghrébin pris individuellement. Cette forte intégration géographique sur l’Union Européenne est renforcée par une intégration sectorielle sur les branches textiles-habillement pour le Maroc et la Tunisie ainsi que sur la branche hydrocarbures pour l’Algérie §2- La Zone de Libre –Echange ; quel nouvel apport ? L’Union Européenne semble apporter deux réponses à cette questions ou plutôt une seule réponse mais sous deux approches différentes. Il existe une approche purement technique qui fait de l’octroi européen du cumul de l’origine, l’instrument de base pour encourager le commerce intra-maghrébin dans un premier temps et intra-méditerranéen 6 Voit F. Oualalou, « le commerce extérieur intra-maghrébin » in « Après Barcelone le Maghreb est nécessaire », L’Harmattan- Casablanca, 1996, pp. 99-128. 12 ensuite. Par ailleurs, une approche politique devrait être mise en œuvre par le biais du dialogue politique inauguré par la Conférence de Barcelone. 1- Les modalités conventionnelles : a- L’octroi du cumul de l’origine : Concrètement, l’Union Européenne propose à ses trois partenaires l’octroi du cumul d’origine à condition qu’ils s’engagent mutuellement dans le libre-échange. Le paragraphe premier dispose que « si le Maroc conclut avec d’autres pays méditerranéens des accords en vue d’établir le libre-échange, la Communauté est disposée à envisager le cumul de l’origine dans son commerce avec ces pays ». La fonction principale des règles d’origine est de réserver le régime préférentiel de la zone de libre-échange aux seuls produits originaires des pays membres de ladite zone commerciale. Ainsi, le cumul euro-maghrébin de l’article 4 est un instrument qui permettrai, par exemple, d’importer du tissu de Tunisie qui va servir de matière première à des chemises fabriquées au Maroc, et exportées vers l’Italie sous le régime préférentiel, car « les matières qui sont originaires d’Algérie ou de la Tunisie sont considérées comme des matières originaires du Maroc, et il n’est pas exigé que ces matières y aient fait l’objet d’ouvraisons ou de transformations suffisantes »(art.4 §2 du protocole n°4). b-La zone de libre-échange Maroc-Tunisie : Un accord bilatéral de libre-échange a été signé le 16 mars 1999 au Maroc7. En vertu de cet accord, les deux partenaires maghrébins devraient établir une zone de libre-échange avant le 31 décembre 2007. cet accord met en place une suppression immédiate des droits de douane concernant 2000 produits (qui étaient taxés à 17,5%) échangeables librement, ainsi qu’un calendrier de démantèlement tarifaire progressif pour les autres produits. L’incidence la plus importante de l’intégration économique horizontale est la relance de l’intégration institutionnelle et politique du Maghreb. A la différence des accords de seconde génération (des années 1970), les accords euroméditerranéens mettent en œuvre un nouvel instrument intéressant qui est le dialogue politique. 7 L’Economiste, « Maroc-Tunisie : L’accord de libre-échange signé », mercredi 17 mars 1999,p.29. 13 2- Le dialogue politique euro-méditerranéen : De nombreuses crises, dont certaines –et pas les moindres- ne sont pas résolues, rendent le fonctionnement pratique et effectif de l’UMA assez aléatoire. Or, l’intégration régionale du pôle Maghreb ne pourra avoir lieu sans ce que le Comité économique et social de l’Union Européenne (CES) nomme « une force politique d’entraînement8 ». Cette force politique, puisqu’elle ne peut, pour l’instant, émaner de l’UMA, viendra de l’Union Européenne par le biais de l’instrument du dialogue politique mis en œuvre à la politique de Barcelone. L’une des nouveautés introduites par la conférence de Barcelone, ainsi que par les accords euro-méditerranéens d’association, consiste en l’établissement d’un dialogue suivi de nature politique. De nombreuses incertitudes pèsent aujourd’hui sur la portée réelle de cet instrument novateur. Mais il est possible de prévoir, dés aujourd’hui, que les bénéfices seront largement positifs : un forum de négociations euro-méditerranéennes multilatérales ne peut qu’accélérer le règlement de nombreux conflits ou différends qui caractérisent la zone. Il est à constater que l’Union du Maghreb Arabe va –selon toute vraisemblance – se consolider par le biais du partenariat euro-méditerranéen conçu bien après le traité de l’UMA. Peut-être que l’UMA est né trop tôt ? ou peut-être que la politique du partenariat est arrivée trop tard ? Cette réactivation de l’intégration régionale maghrébine est, dans tous les cas, une des incidences les plus importantes des accords euro-méditerranéens de libre-échange. Conclusion Comme le démontrent I.Bensidoun et A.Chevallier9 l’Algérie, la Tunisie et le Maroc étaient spécialisés dans le début des années 1970 dans les produits primaires : pétrole algérien, gaz tunisien et phosphates marocains. Petit à petit, et ce dés le début des années 1980, la Tunisie et le Maroc vont se spécialiser dans les biens de consommation et plus particulièrement dans les produits textiles au préjudice des produits primaires. Cette spécialisation de la Tunisie et du Maroc sur l’exportation des produits textiles-habillement ne doit pas masquer l’importance du trafic du perfectionnement passif. Ils importent du fil et tissus et exportent des produits d’habillement. Cette spécialisation sur les activités d’assemblage ; très intensives en main d’œuvre non qualifiée ( au Maroc la branche du textile main d’œuvre à majorité féminine de 60% représentant 16% de la main d’œuvre industrielle voir p. 12 de l’Avis du CES sur « la coopération économique avec les pays du Maghreb », cit. supra. Voir I.Bensidoun et A.Chevallier, Europe Méditerranée : le pari de l’ouverture, Economica, Paris, 1996, pp. 84-93. 8 9 14 totale10) met en lumière la très forte intégration des industries textiles européennes, spécialisées sur les stades amonts (avec des exportations textiles vers le Maroc d’environ 23,7% des produits industriels et de 30,8% vers la Tunisie), et maghrébines, spécialisées sur les stades avals. En bref, le schéma caractéristique de sous-traitance, avec les implications traditionnelles que cela entraîne au niveau de la division internationale du travail est respecté, à savoir une localisation des activités intensives en matière grise et technologie en Europe et une délocalisation des activités intensives en main d’œuvre peu qualifiée au Maghreb. Ces différences de développement entre les membres de l’Union Européenne et les pays du Maghreb constituent de véritables barrières à la mise en place d’un partenariat équitable et réussi. La stratégie d’insertion régionale avec l’Union Européenne qui doit s’accompagner de restructurations nécessaires reste le meilleur moyen des choix possibles pour le Maghreb pour accélérer le développement et réduire les disparités qui existent entre les deux blocs régionaux , compte tenu du degré déjà élevé des relations euro-maghrébines et l’absence d’alternatives praticables. Le partenariat euro-maghrébin constitue une base qui peut fournir un cadre de coopération efficace. Références bibliographiques P. Balta, - « le grand Maghreb des indépendances à l’an 2000 », La Découverte, Paris, 1990 - « Méditerranée : défis et enjeux », L’Harmattan, Paris, 2000 I. Bensidoun et A. Chevallier, « Europe-Méditerranée : le pari de l’ouverture » Economica, Paris, 1996 M-N. Calès, « Les enjeux du rattachement des monnaies du Maghreb à l’euro », Revue d’Economie Financière, n°3, 1998 A. Chevallier, « les échanges CEE-Maghreb en rétrospective », GEMDEV-CERCA, 1994 Commission Européenne, « Renforcement de la politique méditerranéenne de l’Union Européenne : établissement d’un partenariat euro-méditerranéen », Bruxelles, 1994 L. Fontagné et N. Péridy, « Le renouveau de l’insertion des pays du Maghreb dans les échanges mondiaux », Anales Marocaines d’Economie, n°15, 1996 Voir pour plus de détails ; Royaume du Maroc, Ministère du Commerce, de l’Industrie et de l’Artisanat, La situation des industries de transformation, décembre 1995, pp 48-55. 10 15 G. Kabadjian, « La création d’une zone de libre-échange entre l’Union Européenne et le Maghreb », Cahiers GEMDEV, 1995 L’Economiste, « Maroc-Tunisie : accord de libre-échange signé », p29, Le 17 mars 1999 A. Mekaoui, « Partenariat économique euro-marocain : une intégration régionale stratégique », L’Harmattan, Paris, 2000 Ministère du Commerce, de l’Industrie et de l’Artisanat du Maroc, « La situation des industries de transformation », Rabat, décembre 1995 F. Oualalou, « Après Barcelone le Maghreb est nécessaire », L’Harmattan, Casablanca, 1996 T-F. Rutherford, “ Morocco’s free trade agreement with european community: a quantitative assessment”, Working Papers, n° 1173, The World Bank, 1993 F. Talahite, « Union Européenne et Maghreb : intégration ou exclusion? » in « Convergence et diversité à l’heure de la mondialisation », Economica, Paris, 1997 16