Ensemble, l’homme et la nature constituent un seul corps. Cette unité d’existence demande que le
confucéen
ait parfaitement conscience de cette unité et qu’à l’égard de tous les évènements et choses, son
attitude soit celle « d’humanité ». Parler ainsi, c’est ajouter une dimension existentielle à la
formule de Mencius : « humain envers les gens et aimant les choses » (仁民愛物, 7 A, 45), tout
en étendant « l’humanité » aux choses. Dans cette cosmologie et dans cette attitude, les éléments
du monde naturel ne sont pas pour nous des réalités « autres », dressées en face de nous et tout
autres, mais bien une partie de « moi-même ». Dans cette conception du monde, le « soi » n’est
plus ce petit soi « corporel », mais forme avec le monde naturel un grand tout organique.
En même temps, la prise de conscience de l’unité existentielle de l’homme et de la nature
s’origine dans la notion de « souffle ». [44] Quand Cheng Hao dit « Quand la main et le pied ne
sont pas humains, le souffle ne circule pas, ils ne font plus partie du soi », il présuppose que la
paralysie des membres est due au fait que le « souffle » ne peut pas circuler et donc que cela fait
que l’homme ne peut avoir conscience que ces membres font partie de son corps : il y a
« obstruction ». Ainsi, la notion de « souffle » n’est pas seulement nécessaire pour parler de
l’existence ; elle l’est aussi pour parler de la sensibilité.
Chez Zhang Zai le souffle est fondamental. Son « Inscription occidentale » présente des
réflexions analogues à celle de Cheng Hao :
Le Ciel, c’est mon père ; la Terre, c’est ma mère. Et moi, être insignifiant, je trouve ma place au milieu
d’eux. Ce qui remplit le Ciel-Terre fait corps avec moi, ce qui régit le Ciel-Terre participe de la même
nature que moi. Tout homme est mon frère, tout être mon compagnon. (
張載集
, p. 62).
Dire que le Ciel est père et la Terre, mère, c’est dire que le monde naturel est le père-mère de
l’humanité ; en distinguant les termes, c’est dire que Ciel, Terre et homme co-existent tous les
trois. Comme le souffle du Ciel-Terre constitue toutes les choses et l’homme, le souffle
constitutif de l’homme est aussi le souffle constitutif des choses et, donc du point de vue singulier
du confucéen, le Ciel-Terre est mon père et ma mère, tout homme est mon frère et toutes les
choses naturelles, mes amis.
Comme la formulation de « L’Inscription occidentale » le montre clairement, Zhang Zai
ne se fait pas l’avocat d’une expérience esthétique ; il s’agit d’aller plus loin, et de comprendre le
devoir moral qui s’impose à moi envers les autres hommes et toutes les choses de la nature. En
fait, cette philosophie considère l’univers ou la totalité de la nature comme une famille ; or, aux
yeux des anciens Chinois, la famille est un système de devoirs de responsabilité mutuelle et aussi
de commerce affectif. Considérer l’univers ou la totalité de la nature comme une famille aboutit à
ceci : l’homme doit traiter toute chose comme un membre de sa famille ; autrement dit, à l’égard
de toutes les choses, l’homme doit remplir un devoir moral, les considérant comme membres de
sa famille.
Dynastie des Ming : interaction à l’intérieur d’un seul et même corps
Il est clair que chez Cheng Hao et chez Zhang Zai, la conception du monde et de la nature
est déjà passée de l’ordre de l’esthétique à celui de l’éthique : nous avons là une conception de la
nature qui implique des valeurs.[45] Pour une interprétation écologique, ceci représente
indubitablement une attitude toute nouvelle par rapport à la conception chinoise précédente.