Guillaume Apollinaire (1880-1918)
da Alcools (1913)
LE PONT MIRABEAU
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
da Calligrammes (1918)
Douces figures poignardées
Chère lèvres fleuries
Mia Mareye
Yette
Lorie
Annie et toi Marie
où êtes-
vous ô
jeunes filles
MAIS
près d'un jet d'eau qui
pleure et qui prie
cette colombe s'extasie
Tous les souvenirs de naguère
O mes amis partis en guerre
Jaillissent vers le firmament
Et vos regards en l'eau dormant
Meurent mélancoliquement
Où sont-ils Braque et Max Jacob
Derain aux yeux gris comme l'aube
Où sont Raynal Billy Dalize
Dont les noms se mélancholisent
Comme des pas dans une église
Où est Cremnitz qui s'engagea
Peut-être sont-ils morts déjà
De souvenirs mon âme est pleine
Le jet d'eau pleure sur ma peine
Ceux qui sont partis à la guerre au nord se battent maintenant
Le soir tombe O sanglante mer
Jardins où saigne abondamment le laurier rose fleur guerrière
LES MAMELLES DE TIRESIAS (1917)
PERSONNAGES
LE DIRECTEUR
THÉRESE-TIRÉSIAS ET LA CARTOMANCIENNE
LE MARI
LF GENDARME
LE JOURNALISTE PARISIEN
LE FILS
LE KIOSQI'E
LACOUF
PRESTO
LE PEUPLE DE ZANZIBAR
UNE DAME
LES CHŒURS
A Zanzibar de nos jours.
PROLOGUE
Devant le rideau baissé, le Directeur de la Troupe, en habit, une canne de tranchée à la main, sort du
trou du souffleur.
SCENE UNIQUE
LE DIRECTEUR DE LA TROUPE
Me voici donc revenu parmi vous
J'ai retrouvé ma troupe ardente
J'ai trouvé aussi une scène
Mais j'ai retrouvé avec douleur
L'art théâtral sans grandeur sans vertu
Qui tuait les longs soirs d'avant la guerre
Art calomniateur et délétère
Qui montrait le péché non le rédempteur
Puis le temps est venu le temps des hommes
J'ai fait la guerre ainsi que tous les hommes
C'était au temps ou j'étais dans l'artillerie
Je commandais au front du nord ma batterie
Un soir que dans le ciel le regard des étoiles
Palpitait comme le regard des nouveau nés
Mille fusées issues de la tranchée adverse
Réveillèrent soudain les canons ennemis
Je m'en souviens comme si cela s'était passé hier
J'entendais les départs mais non les arrivées
Lorsque de l'observatoire d'artillerie
Le trompette vint à cheval nous annoncer
Que le maréchal des logis qui pointait
Là-bas sur les lueurs des canons ennemis
I.'alidade de triangle de visée taisait savoir
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