Communication interculturelle 3
Le temps et la communication
interculturelle
跨文化交际第三讲
时间观与跨文化交际
1. Introduction
Depuis plus de deux mille ans, le concept de temps a toujours été
au cœur des préoccupations philosophiques. Une des questions qui
faisait l’objet de débats interminables et qui touche aux rapports du
temps avec l’existence, est la suivante : le temps est-il un fait objectif
du monde extérieur ou une essence subjective construite à travers un
« réseau de significations ? » (Hassard, 1990 : 216) Si l’on opte pour
la première hypothèse, à laquelle souscrivent de grands noms comme
Descartes et Newton, le temps est quelque chose de réel, d’homogène,
de mesurable et de nettement délimité ; avec la deuxième option,
appuyée par les théories de la physique moderne, notamment celle de
la relativité d’Einstein
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, le temps est considéré comme une abstraction
subjective, hétérogène, aux contours variables. Dans nos sociétés
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Selon une anecdote, A. Einstein aurait répondu de la façon suivante à une
demande d’explication de la théorie de la relativité par un exemple concret :
-- Si un jeune homme reste près d’un four, il a la sensation que le temps passe très
lentement, alors que le temps lui semble passer très vite quand il a une jolie jeune
fille à son côté. C’est bien cela la relativité.
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modernes, on a trop souvent privilégié les conceptions quantitatives
du temps, facilement associées au progrès industriel. Notre intention
ici est d’insister sur le paradigme qualitatif du temps, constituant
d’ailleurs la raison d’être de notre approche interculturelle du
phénomène, le paradigme quantitatif ayant pour effet de présupposer
l’absence de différences temporelles entre les cultures. Dans ce
chapitre, nous allons examiner le caractère culturel du temps et les
différences quant aux manières dont les cultures le perçoivent, le
traitent et organisent.
2. Temps et culture
La conception qualitative du temps implique la participation de
l’homme et qui dit homme dit naturellement culture. E.T.Hall, l’un des
pionniers de la recherche interculturelle, pose que « Chaque culture a
son propre ‘langage’ temporel » (1990 : 36). Mais bien avant Hall, E.
Durkheim voit déjà essentiellement dans le temps un phénomène
collectif, un produit de la conscience collective. Pour lui, les membres
d’une société ont en commun la même conscience du temps ; le temps
est un produit de la vie sociale et fait l’objet de représentations
collectives. Il se divise en une infinité de processus correspondant à
différentes activités, qui se rassemblent ensuite pour former un rythme
culturel global (Hassard, 1990 : 223). Cette dimension culturelle de la
conception du temps, qui suscite notre intérêt, nous semble mériter un
développement.
La conception du temps est avant tout le reflet du temps naturel,
c’est-à-dire le temps en tant que réalité du monde, dans notre esprit.
Or, il ne s’agit pas d’un reflet automatique, comme l’effet d’un miroir,
mais d’un reflet qui suit un processus dynamique, passant par la
perception humaine. Chaque culture ayant ses propres modes de
perception, conditionnés eux-mêmes par l’histoire de cette dernière, le
monde ainsi vu au travers des lunettes culturelles n’est pas perçu de la
même manière. De ce fait, une réalité temporelle (une heure marquée
par l’horloge, par exemple), filtrée par la perception de l’esprit humain,
ne saurait représenter la même chose pour des cultures différentes.
Ensuite, la conception du temps s’est construite dans l’histoire
des pratiques sociales et a évolué en parallèle avec le développement
de l’humanité. Selon M. Eliade (1959), le cycle est l’image
fondamentale du temps dans les sociétés qu’il appelle « archaïques ».
Dans ces dernières, l’homme sortait travailler avec le lever du soleil et
rentrait à la maison avec le coucher du soleil. Le temps naturel
conditionnait en quelque sorte ses activités. Le sens du temps lui
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venait de sa lutte contre ce temps naturel (in Hassard, 1990 : 217). Au
fur et à mesure du développement social et surtout avec l’apparition
de la lumière, l’homme parvient progressivement à maîtriser le temps.
Il organise le temps en fonction de ses besoins et de ses activités
sociales. Il se débarrasse de plus en plus du temps naturel et peut par
exemple se reposer en pleine journée et travailler dans la nuit. Le sens
qu’il a du temps évolue avec l’organisation des activités accomplies
dans le temps. Or, les sociétés diffèrent aussi bien dans le contenu de
leurs activités sociales que dans leurs modes d’organisation ; le temps
ne s’associe pas de la même façon aux activités sociales et ne saurait
signifier la même chose selon les cultures. Prenons un exemple : Il est
dix heures du soir. Cette heure n’a pas la même signification pour les
Chinois et les Français. En France, il s’agit d’un temps plutôt privé,
moment l’on évite en général d’appeler pour ne pas déranger. En
Chine, c’est un temps plutôt social et on ne se sent pas dans
l’obligation de s’excuser si l’on téléphone chez quelqu’un à cette
heure, d’où parfois des malentendus entre Français et étudiants chinois
nouvellement arrivés en France.
Enfin, la conception du temps n’est pas innée mais acquise dans
l’enfance. De nombreuses observations anthropologiques ont mis en
lumière le fait qu’il est impossible de supposer que l’homme est
avec un quelconque « sens temporel » (Usunier, 1992 : 411). Ses
concepts temporels se sont formés dans un environnement
nécessairement social et culturel. Sa vision du temps est ainsi modelée
et limitée par le système culturel dans lequel il a grandi. Cette vision,
tout comme les autres éléments culturels, est acquise très tôt dans
l’enfance, de façon implicite, sans que nous en prenions conscience.
C’est d’ailleurs cette caractéristique qui complique en particulier les
contacts entre les cultures, car chacune d’entre elles, comme l’affirme
Hall, tient pour acquise, donc pour universelle, la manière dont elle
perçoit et organise le temps. Individuellement, chacun de nous tend
ainsi à utiliser son propre langage temporel lorsqu’il communique
avec les ressortissants d’une autre culture (1990 : 36).
3. Perception du temps : « circulaire » ou « linéaire »
Le temps coule, sans arrêt et en silence, comme l’eau du fleuve.
Mais le temps possède en lui deux caractéristiques intrinsèques : d’un
côté, le jour et la nuit se renouvellent, les jours se succèdent et les
saisons se répètent, le temps nous donne ainsi l’impression de tourner
éternellement suivant un même mouvement cyclique ; d’un autre côté,
le calendrier nous indique bien que la date « le 22 mars 2002 », passée,
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ne reviendra jamais et que le temps perdu l’est pour toujours. Le
temps nous semble avancer d’une façon linéaire et irréversible. Ces
deux caractéristiques du temps devraient être vraies dans toutes les
cultures. Ce qui varie, ce sont les tendances vers lesquelles tendent les
cultures. Dans certaines d’entre elles, le temps est perçu plutôt comme
« circulaire » alors que dans certaines autres, il est considéré
davantage comme « linéaire ». Mais comment expliquer ces
tendances ? S’il est vrai que le temps linéaire est reconnu comme
dominant dans le monde occidental et se voit lié à la modernité et que
le temps cyclique reste très présent dans les pays plutôt traditionnels et
se voit lié à la tradition, il nous semble que le progrès économique ne
suffit pas à expliquer l’origine des différences qui opposent le temps
linéaire au temps cyclique. Sinon, on ne saurait expliquer pourquoi les
Japonais, appartenant à un pays économiquement développé, restent
très marqués par le temps cyclique (selon Hall). Certains chercheurs
tentent d’expliquer ces différences par les situations géographiques
dans lesquelles vivent les peuples. Ainsi, selon Zhao, chercheur
chinois, le peuple qui vit sur le continent voit tous les jours le soleil se
lever à l’Est et se coucher à l’Ouest. Sa vie s’organise autour du soleil
et ses activités agricoles, suivant l’alternance des saisons. Le temps est
vécu par lui plutôt dans sa caractéristique circulaire ; un peuple vivant
sur les îles perçoit le temps différemment. Sa vie en mer est pleine de
risques et d’aventures. Il doit arriver à un endroit de pêche à un
moment donné et revenir avant la montée de la marée sous peine de
mort. Il est toujours précipité par les événements. La dimension
linéaire du temps s’impose ainsi davantage à sa vie (Zhao, 1989 :
137). Ces deux conceptions du temps, circulaire et linéaire, expliquent
en partie l’état d’esprit des gens face au temps. Les peuples orientaux
se sentent moins pressés par le temps, car pour eux, si l’on ne finit pas
le travail aujourd’hui, on aura demain et après-demain, des jours
semblables à « aujourd’hui ». Dans la culture chinoise, par exemple, le
fait d’ « aller lentement » est plutôt perçu comme une valeur positive,
liée à la prudence, à l’esprit mûr, à la maîtrise de la situation, etc.. Le
proverbe enseigne : « Réfléchis trois fois avant d’agir ». L’un des
conseils adressés aux jeunes est le suivant : « Allez doucement, ne
vous impatientez pas » ; quand un invité part, il revient à l’hôte de
dire : « Marchez lentement » ; une des formules de politesse invitant
les hôtes à se servir à table est la suivante : « Mangez lentement, je
vous en prie ». L’anecdote suivante nous montre un des malentendus
culturels possible dû à l’usage de ces formules :
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Un jour, dans un restaurant chinois à Paris, le patron s’approche
d’une grande table où sont assis une dizaine de clients français. Il
leur sourit et dit, comme il a coutume de le faire : « Mangez
lentement ». Un des Français réplique en plaisantant : « Pourquoi
lentement, Monsieur ? », et toute la table de rire.
Dans ce contexte précis, les Français attendent plutôt un « Bon
appétit » qui implique le contraire de « manger doucement ». De plus,
« mangez doucement » présuppose pour les Français que la personne
pense que ses interlocuteurs pourraient manger comme des gens ayant
jeûné pendant des jours.
Pour le peuple hindou, il n’y a ni attente, ni désespoir. Il ne
s’impatiente pas parce qu’il ne s’accroche pas nerveusement à un futur
incertain au cours duquel il espère que l’événement projeté se réalisera
(Usunier, 1992 : 423). Les Occidentaux ressentent davantage de stress
devant le temps qui est plutôt à leurs yeux une ressource limitée que
l’on peut gagner, dépenser, perdre, économiser, gaspiller, etc.. Pour
eux, il faut toujours aller vite comme l’indique le proverbe : « He who
hesitates is lost ». Dans la vie quotidienne en Occident, on passe son
temps à attendre. Il faut attendre une visite, un autobus qui n’arrive
pas, ou une idée qui n’en finit pas de se cristalliser, sans parler de
l’attente chez le médecin, à la banque. Une valeur prisée en Amérique
est la rapidité. Un homme lent est souvent accusé d’impolitesse ou
d’irresponsabilité. Les Américains semblent obsédés par le temps à tel
point qu’on attribue les ulcères d’estomac et l’hypertension à la
contrainte exercée par ce système (ibid.).
On peut percevoir les expressions de ces deux conceptions du
temps dans la vie quotidienne. Prenons par exemple la notion du
retard.
Qu’est-ce un retard ? Combien de temps peut-on supporter
d’attendre un retardataire ? Chaque culture répond différemment à ces
questions suivant ses propres critères implicites. Pour les Américains,
selon Hall, un retard de cinq minutes appelle des excuses rapides ; un
retard de dix minutes, des excuses un peu plus longues ; quinze
minutes, des excuses certaines, plus une explication ; trente minutes
représentent une insulte, etc. (1979 : 52). Les Allemands et les Suisses
semblent aller plus loin. Pour eux, l’exactitude est une vertu
indispensable de l’homme. Après une attente de dix minutes, ils se
sentent humiliés et trouvent que l’on méprise la valeur qu’ils
accordent au temps. Le mot, typiquement américain, « deadline »,
donne par une traduction rapide en français : « échéance »
(temporelle). Selon Usunier, cette traduction ne saurait rendre compte
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