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Un jour, dans un restaurant chinois à Paris, le patron s’approche
d’une grande table où sont assis une dizaine de clients français. Il
leur sourit et dit, comme il a coutume de le faire : « Mangez
lentement ». Un des Français réplique en plaisantant : « Pourquoi
lentement, Monsieur ? », et toute la table de rire.
Dans ce contexte précis, les Français attendent plutôt un « Bon
appétit » qui implique le contraire de « manger doucement ». De plus,
« mangez doucement » présuppose pour les Français que la personne
pense que ses interlocuteurs pourraient manger comme des gens ayant
jeûné pendant des jours.
Pour le peuple hindou, il n’y a ni attente, ni désespoir. Il ne
s’impatiente pas parce qu’il ne s’accroche pas nerveusement à un futur
incertain au cours duquel il espère que l’événement projeté se réalisera
(Usunier, 1992 : 423). Les Occidentaux ressentent davantage de stress
devant le temps qui est plutôt à leurs yeux une ressource limitée que
l’on peut gagner, dépenser, perdre, économiser, gaspiller, etc.. Pour
eux, il faut toujours aller vite comme l’indique le proverbe : « He who
hesitates is lost ». Dans la vie quotidienne en Occident, on passe son
temps à attendre. Il faut attendre une visite, un autobus qui n’arrive
pas, ou une idée qui n’en finit pas de se cristalliser, sans parler de
l’attente chez le médecin, à la banque. Une valeur prisée en Amérique
est la rapidité. Un homme lent est souvent accusé d’impolitesse ou
d’irresponsabilité. Les Américains semblent obsédés par le temps à tel
point qu’on attribue les ulcères d’estomac et l’hypertension à la
contrainte exercée par ce système (ibid.).
On peut percevoir les expressions de ces deux conceptions du
temps dans la vie quotidienne. Prenons par exemple la notion du
retard.
Qu’est-ce un retard ? Combien de temps peut-on supporter
d’attendre un retardataire ? Chaque culture répond différemment à ces
questions suivant ses propres critères implicites. Pour les Américains,
selon Hall, un retard de cinq minutes appelle des excuses rapides ; un
retard de dix minutes, des excuses un peu plus longues ; quinze
minutes, des excuses certaines, plus une explication ; trente minutes
représentent une insulte, etc. (1979 : 52). Les Allemands et les Suisses
semblent aller plus loin. Pour eux, l’exactitude est une vertu
indispensable de l’homme. Après une attente de dix minutes, ils se
sentent humiliés et trouvent que l’on méprise la valeur qu’ils
accordent au temps. Le mot, typiquement américain, « deadline »,
donne par une traduction rapide en français : « échéance »
(temporelle). Selon Usunier, cette traduction ne saurait rendre compte