2. LES ENJEUX DE LA TRANSITION AU NUMÉRIQUE
On me permettra de débuter cette étude par une anecdote personnelle. Au début des années 1980,
alors que j’étais recherchiste pour la Commission d’études sur le cinéma et l’audiovisuel,
présidée par Guy Fournier, j’ai eu l’occasion de rencontrer Georges Destounis, alors président de
Famous Players. En abordant le futur de l’exploitation en salles, monsieur Destounis nous avait
dit entrevoir, peut-être d’ici la fin de la décennie, le moment où il n’y aurait plus de copies
physiques des films, ou leur contenu serait transmis aux salles de son circuit par câble ou satellite
à partir d’un centre de diffusion unique.
Georges Destounis était incontestablement un visionnaire, très en avance sur son temps. Il n’était
pas le seul toutefois : une décennie plus tard, alors qu’on ne parlait plus que de nouvelle
économie numérique et de dématérialisation des supports, nombreux étaient ceux qui prédisaient
que le cinéma en salles serait parmi les premiers secteurs à bénéficier de cette révolution
numérique, étant donné les économies considérables dont les grands studios américains
pourraient bénéficier en abandonnant les lourdes, coûteuses et encombrantes copies 35 mm. pour
un support numérique transmis sur support physique voire dématérialisé.
Mais cela ne s’est pas passé aussi rapidement que prévu. Certes, le cinéma - dans sa production et
surtout sa post-production - s’est mis à l’ère numérique dès le début des années 1990 mais pour
ce qui est de son exploitation en salles de cinéma, la bonne vieille copie 35 mm. est demeurée la
norme jusqu’à tout récemment. Pour toutes sortes de raisons : difficultés à s’entendre sur des
normes technologiques communes, réticences des exploitants à assumer les coûts élevés du
remplacement de leurs équipements de projection 35 mm. par des serveurs et projecteurs
numériques, peu d’avantages mesurables pour le spectateur résultant du passage du 35mm. à la
projection numérique 2D, etc.
Mais aujourd’hui, nous y sommes. Le processus de numérisation des parcs de salles – en
Amérique du Nord, en Europe et dans la zone Asie-Pacifique principalement - est solidement
enclenché et il s’accélère. En juin 2008, on estimait à près de 9 000 le nombre d’écrans
numériques dans le monde, dont un peu plus de 1 500 en Europe. Sur ce continent, à la faveur de
la disponibilité accrue de films en 3D, ce nombre a triplé en un an, passant de un peu plus de 1
500 en 2008 à près de 4 700 à la fin 2009.
Tout porte à croire que des croissances similaires ont
été enregistrées aux États-Unis, au Canada, en Corée du sud, en Chine, au Japon… Au Québec
même, quelques 127 écrans numériques 3D étaient en opération en juillet 2010.
Certes, le nombre d’écrans numériques répondant aux normes et spécifications DCI (« Digital
Cinema Initiatives, LLC ») ne représente toujours qu’une fraction du nombre total d’écrans de
chaque territoire,
mais les pressions s’accentuent en faveur d’un déploiement accéléré qui
permettraient d’atteindre rapidement les 50% du parc de salles, puis sa numérisation complète
dans un délai le plus court possible.
Observatoire européen de l’audiovisuel. Communiqué de presse, Strasbourg, 6 mai 2010
Au Québec, par exemple, si on exclut les ciné-parce, ces 127 écrans numériques 3D représentent 17% des 755
écrans de salles commerciales de cinémas en opération à la mi juin 2010 selon la Régie du cinéma.