francophone de Dakar ou de Kinshasa peut utiliser dans une conversation, voire même
dans une seule phrase, des mots de provenances différentes, mélangeant le parler local
aux langues venues d’ailleurs. Du coup, le français est en train de perdre son statut de
langue d’élite pour devenir une langue comme les autres, parlée par tous. Au Maghreb,
la francophonie est en net recul dans le domaine de la création artistique. Tout en étant
parfaitement francophones, les artistes préfèrent créer en arabe. C’est le cas de Jalila
Baccar et Fadhel Jaïbi dont nous avons montré l’année dernière Amnesia, une pièce
qui racontait la situation en Tunisie avec beaucoup de clairvoyance. Elle était en arabe
tunisois que les metteurs en scène veulent imposer comme langue de création. Je n’ai
pas demandé aux auteurs de réécrire leur spectacle en français, j’ai sur-titré. Le travail
en dari de la troupe Aftaab de Kaboul, que j’ai programmé cette année, sera aussi sur-
titré.
RFI : Ne craignez-vous pas qu’on vous accuse de vous éloigner du champ
francophone en programmant un spectacle en langue dari ?
M.-A.S. : Aux Francophonies en Limousin, la francophonie n’a jamais été synonyme
de valorisation de la langue française parlée dans les anciennes colonies. Pour nous, la
défense et l'illustration de la francophonie va de pair avec la création, la solidarité, la
recherche artistique. L’un des grands axes de notre festival a été l’accompagnement
des artistes qui nous a permis de faire émerger des Wajdi Mouawad, Sony Labou
Tansi, Dieudonné Niangouna, pour ne citer que ceux –là. Quant à la troupe Aftaab,
c’est une de mes collaboratrices qui a attiré mon attention la première sur le travail de
cette équipe de Kaboul et sa collaboration très intéressante avec le Théâtre du Soleil
d’Ariane Mnouchkine.
RFI : La chaîne de télévision franco-allemande Arte avait tourné un film sur la
naissance de cette troupe, suite à un stage de théâtre dirigé par Mnouchkine à
Kaboul…
M.-A. S. : Je me souviens bien de ce film qui s’intitulait Un soleil à Kaboul (ou plutôt
deux !). C’est lui qui m’a décidé à inviter la troupe Aftaab à Limoges. J’ai été
bouleversée par ce très beau documentaire qui montrait Mnouchkine à l’œuvre,
transmettant non seulement des techniques qui sont propres à son style de théâtre - le
masque balinais, la commedia dell’arte -, mais aussi les valeurs sur lesquelles le
théâtre occidental est fondé : l’individualisme, le libre-arbitre, la liberté de conscience,
l’égalité des sexes, le rapport décomplexé avec le corps. Le « jeu / je » de Mnouchkine
véhicule une vision révolutionnaire de la personne que les jeunes stagiaires afghans,
désorientés par les turbulences politiques et idéologiques qui les ont structurés,
devaient intégrer avant de monter sur scène. Il m’a semblé que via ce projet qui aurait
pu être porté par les Francophonies si nous en avions encore les moyens, Mnouchkine
nous ramenait à la pédagogie Nord-Sud qui avait inspiré les fondateurs de ce festival.
RFI : Cette troupe afghane n’est pas si éloignée de la francophonie puisqu’elle va
présenter L’Avare !