Théâtre / Francophonies en Limousin / France Francophonies en Limousin : Marie-Agnès Sevestre nous parle du « voisinage de langues » (MFI / 27.09.11) C’est avec un spectacle de rue signé Salia Sanou qui mobilise une centaine de danseurs et musiciens amateurs que débutera le 28 septembre à Limoges la 28è édition du festival Francophonies en Limousin. Neuf jours de théâtre, de danse, de cirque, de concerts et de débats sur la création francophone contemporaine. Au total, une trentaine de spectacles dont parle ici Marie-Agnès Sevestre, la directrice du festival. RFI : Comment définiriez-vous ce festival que vous dirigez depuis bientôt six ans ? Marie-Agnès Sevestre : Difficile de définir cette manifestation qui a beaucoup évolué depuis sa création en 1984, tout en restant fidèle à son esprit initial de rencontres, d’échanges et de la fameuse « pédagogie Nord-Sud ». La référence au théâtre a été abandonnée car au théâtre sont venues s’ajouter d’autres formes de spectacles vivants : danses, musiques, cirque, one man show… Ces mutations de formats et de contenus sont reflétées par le changement de nom : nous avons abandonné « le festival des théâtres francophones » pour « Les Francophonies en Limousin ». Un nom qui rappelle les deux ancrages de cette rencontre : la francophonie et les liens historiques de ce festival avec la ville de Limoges et sa région. RFI : Le concept même de la francophonie a changé au cours des dernières décennies. Comment le festival rend-il compte de cette transformation qui est d’ordre à la fois géopolitique et de l’imaginaire ? M.-A. S. : La francophonie constitue le principal point d’ancrage de cette manifestation, mais le festival a tout de même accueilli dès ses débuts des auteurs issus d’autres langues, notamment Soyinka en 1986 et Robert Lepage l’année suivante. Le spectacle de ce dernier, La Trilogie des dragons, était parlé en français, en anglais, voire même en chinois. Pour donner à voir et surtout à entendre cette complexité, mon prédécesseur Patrick Le Mauff avait introduit la notion de « langue invitée » qui permettait d’accueillir chaque année un certain nombre de spectacles conçus dans une langue étrangère. Les festivaliers ont pu ainsi assister à des spectacles en anglais, en flamand ou en arabe. J’ai voulu aller plus loin en initiant l’idée de « voisinage de langues » qui a pour objectif de faire entendre toute la palette des langues parlées dans une société. Les dialogues en langues étrangères sont sur-titrés. RFI : Diriez-vous que cette cohabitation des langues est la réalité de la francophonie aujourd’hui ? M.-A. S. : En voyageant au Maghreb comme en Afrique noire, je me suis rendu compte que dans ces pays, le français était devenu une langue comme les autres. On y assiste à un phénomène de « vernacularisation » du français qui fait qu’un locuteur francophone de Dakar ou de Kinshasa peut utiliser dans une conversation, voire même dans une seule phrase, des mots de provenances différentes, mélangeant le parler local aux langues venues d’ailleurs. Du coup, le français est en train de perdre son statut de langue d’élite pour devenir une langue comme les autres, parlée par tous. Au Maghreb, la francophonie est en net recul dans le domaine de la création artistique. Tout en étant parfaitement francophones, les artistes préfèrent créer en arabe. C’est le cas de Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi dont nous avons montré l’année dernière Amnesia, une pièce qui racontait la situation en Tunisie avec beaucoup de clairvoyance. Elle était en arabe tunisois que les metteurs en scène veulent imposer comme langue de création. Je n’ai pas demandé aux auteurs de réécrire leur spectacle en français, j’ai sur-titré. Le travail en dari de la troupe Aftaab de Kaboul, que j’ai programmé cette année, sera aussi surtitré. RFI : Ne craignez-vous pas qu’on vous accuse de vous éloigner du champ francophone en programmant un spectacle en langue dari ? M.-A.S. : Aux Francophonies en Limousin, la francophonie n’a jamais été synonyme de valorisation de la langue française parlée dans les anciennes colonies. Pour nous, la défense et l'illustration de la francophonie va de pair avec la création, la solidarité, la recherche artistique. L’un des grands axes de notre festival a été l’accompagnement des artistes qui nous a permis de faire émerger des Wajdi Mouawad, Sony Labou Tansi, Dieudonné Niangouna, pour ne citer que ceux –là. Quant à la troupe Aftaab, c’est une de mes collaboratrices qui a attiré mon attention la première sur le travail de cette équipe de Kaboul et sa collaboration très intéressante avec le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine. RFI : La chaîne de télévision franco-allemande Arte avait tourné un film sur la naissance de cette troupe, suite à un stage de théâtre dirigé par Mnouchkine à Kaboul… M.-A. S. : Je me souviens bien de ce film qui s’intitulait Un soleil à Kaboul (ou plutôt deux !). C’est lui qui m’a décidé à inviter la troupe Aftaab à Limoges. J’ai été bouleversée par ce très beau documentaire qui montrait Mnouchkine à l’œuvre, transmettant non seulement des techniques qui sont propres à son style de théâtre - le masque balinais, la commedia dell’arte -, mais aussi les valeurs sur lesquelles le théâtre occidental est fondé : l’individualisme, le libre-arbitre, la liberté de conscience, l’égalité des sexes, le rapport décomplexé avec le corps. Le « jeu / je » de Mnouchkine véhicule une vision révolutionnaire de la personne que les jeunes stagiaires afghans, désorientés par les turbulences politiques et idéologiques qui les ont structurés, devaient intégrer avant de monter sur scène. Il m’a semblé que via ce projet qui aurait pu être porté par les Francophonies si nous en avions encore les moyens, Mnouchkine nous ramenait à la pédagogie Nord-Sud qui avait inspiré les fondateurs de ce festival. RFI : Cette troupe afghane n’est pas si éloignée de la francophonie puisqu’elle va présenter L’Avare ! M.-A. S. : Elle aurait pu interpréter la pièce de Molière dans le texte original puisqu’elle a fait une résidence d’un an en France en 2009. Mais finalement, les acteurs se sentaient plus à l’aise dans leur langue maternelle. Cela ne me posait pas problème car leur jeu, largement influencé par le théâtre de Mnouchkine, est très visuel avec une approche de l’histoire d’Harpagon à la commedia dell’arte. En plus de L’Avare qui est une création, la troupe afghane va présenter aussi une pièce qu’elle a déjà créée et montée à Paris. Cette pièce s’appelle Ce jour-là. Elle raconte l’histoire contemporaine de l’Afghanistan. RFI : Quels seront les autres temps forts de cette édition ? M.-A. S. : En théâtre, à ne pas rater, Le Socle des vertiges de Dieudonné Niangouna. On ne présente plus Dieudonné qui a été adoubé par le Festival d’Avignon dont il sera artiste associé en 2013. Sa nouvelle pièce est différente des spectacles solo qui l’ont fait connaître. Elle met en scène plusieurs personnages, l’histoire congolaise - la colonisation, les années rouges, la démocratie… Cette pièce a été produite par les Francophonies en collaboration avec le théâtre des Amandiers de Nanterre. Nous avons porté le projet avec Niangouna pendant plus de deux ans. On en attend beaucoup. Je mise aussi beaucoup sur Moroni Blues du Comorien Soeuf Elbadawi, un spectacle qui se situe au carrefour de l’histoire, de la politique et des drames humains. J’aime aussi énormément le travail d’Eva Doumbia qui mêle musique et théâtre pour créer ce qu’elle appelle Moi et mon cheveu ou le cabaret capillaire. Il s’agit d’un spectacle à la fois satirique, drôle et original, qui va étonner le public. RFI : La danse africaine sera aussi à l’honneur cette année… M.-A. S. : Oui, avec notamment le Burkinabè Salia Sanou qui inaugure le festival sur un évènement dansé dans la rue, auquel participeront une centaine de danseurs et de musiciens amateurs. Le spectacle est intitulé Souvenir de la Rue Princesse. Il renvoie à une magnifique chorégraphie que le danseur avait réalisée à Bamako, intitulée Rue Princesse ! J’ai également programmé un spectacle de danse sur le thème du féminisme en Afrique, signé DaLavallet Bidiefono, qui est d’origine congolaise. Les scènes chorégraphiques du Burkina Faso et du Congo font preuve d’une très grande vitalité depuis plusieurs années. Elles sont en train de redéfinir l’esthétique de la danse africaine contemporaine. RFI : Lorsque je vous avais rencontrée l’année dernière, vous m’aviez fait part de l’hypothèque que la baisse des subventions de l’Etat français faisait peser sur l’avenir du festival. Est-ce que la situation financière des Francophonies s’est améliorée depuis ? M.-A. S. : En 2010, nous étions en attente de la signature de la convention triennale qui garantit le budget du festival. La précédente convention était échue et pour la nouvelle, je n’arrivais pas à réunir les bailleurs de fonds autour de la table des négociations. Pendant une année entière, j’ai travaillé sans filet, ne sachant pas si le budget serait reconduit. Depuis, le dialogue a été renoué et le rendez-vous pris pour début octobre, pour la signature de la nouvelle convention triennale. L’entrée en vigueur prochaine de la nouvelle convention est un objet de satisfaction pour moi car il garantit la survie du festival au moins pour les trois ans à venir. Le budget n’a pas augmenté, mais il n’a pas baissé non plus ! RFI : J’imagine que la nomination de Tahar Ben Jelloun comme président du festival a sans doute été pour vous un autre objet de satisfaction ? M.-A. S. : On pouvait difficilement faire mieux. Homme de lettres de grande qualité, récipiendaire de nombreux prix, Tahar Ben Jelloun est une personnalité emblématique de la francophonie dont la présence à la tête de notre organisation donnera une plus grande visibilité à notre travail. Qui plus est, c’est un grand humaniste qui défend les valeurs de liberté, d’égalité et de solidarité, valeurs qui sont aussi les miennes. Propos recueillis par Tirthankar Chanda