
selon certains, se distingueraient des blancs par leurs capacités comportementales, lesquelles
seraient liées à leur patrimoine génétique).
On le voit, nous sommes proches de croyances structurées, voire d’idéologies, telles
que l’eugénisme ou le racisme. Pourtant, je n’aborderai pas ces questions ici, mais je
m’intéresserai à des croyances moins extrêmes mais fortement diluées dans l’opinion. Des
croyances où on sait bien “qu’il n’y a pas de races supérieures” mais où “il faut bien le dire,
les races existent”; des croyances où personne n’envisage de mettre en place un eugénisme
mais où “ il faut l’admettre, beaucoup de choses sont innées”. En fait, la race, si elle existe
comme construit sociologique, a une réalité scientifique problématique (suivant ce qu’on met
derrière cette notion) et le gène est bien loin d’expliquer ne serait ce qu’une infime partie de
ce qu’on voudrait lui faire dire aujourd'hui. Nous nous situerons donc dans le domaine des
croyances collectives et un des problèmes essentiels auxquels nous sommes confrontés ne
tient pas tant à la puissance de la génétique qu’à la croyance que nous avons dans sa
puissance. Un tel problème, relevant de la croyance collective au sens le plus large du terme,
oblige donc à adopter une approche pluridisciplinaire concernant aussi bien les philosophes
que les ethnologues ou les sociologues, aussi bien les linguistes que les historiens et, bien sûr,
les disciplines relatives à la génétique. Ceci est d’autant plus nécessaire que le “champ” relatif
à l’objet génétique n’est, lui même, pas homogène : les disciplines strictement liées à la
génétique relèvent de deux courants, la “biologie moléculaire” et la “génétique des
populations”. Mais il convient de rappeler l’existence de courants plus particuliers comme la
“sociobiologie” et le poids de la “génétique des comportements” souvent prise en charge par
des psychologues.
D’évidence, il n’est possible pour personne de maîtriser l’ensemble de ces
perspectives mais ne pas vouloir aborder ces problèmes selon une démarche pluridisciplinaire,
c’est laisser la place aux analyses de brèves de comptoir. De même, ce caractère
pluridisciplinaire de la question génétique ouvre la voie à des incompréhensions : il est
certain, par exemple, qu’un domaine aussi pointu que la biologie moléculaire ne peut pas être
totalement compris par des non - spécialistes; de même certains sociologues ou psychologues
ont assis leurs conclusions sur une mauvaise compréhension de la notion “d’héritabilité”,
concept venu de la génétique des populations; Mais, à l’inverse, des généticiens renommés
peuvent montrer une inculture surprenante dans les domaines sociologiques et historiques et
retomber dans des errements maintes fois répétés (ainsi, on n’a pas eu besoin de la découverte
de l’ADN pour imaginer que les “gènes” - le terme est antérieur à la découverte de l’ADN-
soient responsables de l’ensemble des comportements humains). Ces incompréhensions ont
pu permettre un retour en force de “l’innéisme” (croyance selon laquelle nos potentialités
seraient “innées”) qui est une forme particulière de réductionnisme parmi d’autres comme, à
l’inverse, le “sociologisme” (l’homme ne serait que le produit de son environnement social) et
“l’environnementalisme” (dont les errements de Lyssenko donnent une illustration
intéressante). Le réductionnisme correspond à toutes les tentations de dévoiler la “clef unique
qui ouvrirait toutes les portes”, l’explication unique à tous les phénomènes (le complexe
d’Oedipe, le calcul coût-avantage,...).
Nous aborderons donc ces problèmes en trois étapes. Dans un premier temps, nous
analyserons l’engouement des années 90 pour les explications génétiques. Il faudra, pour cela,
faire quelques rappels sommaires sur la génétique (niveau ES de lycée) et sur les diverses
pathologies génétiques. Cette connaissance des maladies génétiques est nécessaire car celles
ci constituent le “modèle” à partir duquel on a essayé de raisonner sur les origines génétiques
du comportement. Nous pourrons alors montrer qu’à partir de cela s’est développée dans les
années 90 une véritable croyance sur la toute puissance du gène (appelée “essentialisme
génétique”, “tout génétique” ou “génétisme”,...); nous en verrons les caractéristiques ainsi que
les raisons de son essor. La deuxième partie élargira la perspective en intégrant l’idée du “tout