CHINE - Renaissance islamique en
terre bouddhiste
Pallavi Aiyar, Frontline
Au nord de la Chine vit une communauté de musulmans, les Hui, autrefois presque entièrement
sinisés. Aujourd'hui, ils se tournent vers un islam plus orthodoxe.
DE YINCHUAN (Chine) - Le muezzin appelle à la prière du soir. Les calottes blanches se détachent
dans la lumière déclinante du crépuscule, tandis que les fidèles se dirigent vers la mosquée. Le hall
s'emplit de "salam aleïkoum" chuchotés. Les minarets se dressent dans le ciel ; un simple croissant
décore le dôme vert. Une scène banale, à ceci près qu'elle se passe en Chine, un pays officiellement
athée et bouddhiste de tradition.
L'orthodoxie gagne du terrain parmi les 20 millions à 30 millions de musulmans chinois : ils sont de
plus en plus nombreux à faire le hadj, et les jeunes font leurs études dans des pays musulmans.
L'islam chinois conserve cependant des caractéristiques bien particulières. Mao avait déclaré que les
femmes "soutenaient la moitié du Ciel", et les musulmans chinois semblent avoir retenu la leçon.
L'empire du Milieu compte des imams femmes (nü ahong) dans les mosquées réservées aux femmes
(nü si). [En fait, les mosquées féminines existent en Chine depuis le XIIe siècle.]
L'islam chinois a de plus de mille deux cents ans d'histoire. Les Hui constituent la plus grande
communauté musulmane de Chine : 10 millions de personnes. Ils descendent des marchands du
Moyen-Orient, qui se sont lancés sur la route de la Soie sous la dynastie des Tang (618-906), et des
gens qu'ils ont convertis. Isolés pendant des siècles, ceux-ci se sont mêlés aux Han, confucianistes et
bouddhistes, qui représentent plus de 90 % de la population chinoise. Les Hui parlent mandarin et ne
se distinguent en rien des Han.
La région autonome Hui du Ningxia se trouve dans le nord du pays, en bordure du désert de Gobi, et
regroupe 1,8 million de Hui, qui représentent 35 % de sa population. Elle compte 700 imans
officiellement enregistrés et plus de 300 mosquées. Selon Ma Xiao, le vice-président de l'Association
musulmane du Ningxia, on y trouve actuellement plus de 5 000 manla, des jeunes qui étudient à
temps partiel l'arabe et la doctrine musulmane. Comme toutes les religions en Chine, l'islam continue
à faire l'objet de certaines restrictions. Par exemple, le prosélytisme est strictement interdit, et les
enfants de moins de 18 ans n'ont pas le droit de recevoir d'instruction religieuse. De plus, tous les
imams doivent obtenir l'autorisation du gouvernement et reconnaître la supériorité de l'Etat sur la
religion. Ce qui n'empêche pas les Hui d'embrasser la leur avec enthousiasme, comme on le constate
en se rendant dans n'importe quelle partie du Ningxia. Au cours des dernières années, la région a
reçu des millions de dollars de dons de la part de l'Islamic Development Bank, un établissement
saoudien, ce qui a permis à l'université islamique de Yinchuan, la capitale, de faire peau neuve et a
favorisé la création de plusieurs écoles en langue arabe.
Cours d'arabe à l'université et à la mosquée
L'arabe suscite un tel intérêt que l'Institut d'économie du Ningxia s'y est mis et propose un cours de
trois à quatre ans. L'université du Ningxia a ouvert l'an dernier un département d'arabe. Depuis que la
mosquée Xi Guan, à Yinchuan, a mis sur pied il y a deux ans un cours d'arabe gratuit, plus de 300
étudiants se sont mis à étudier cette langue. Le tiers d'entre eux sont des femmes, pour la plupart
âgées de 30 à 70 ans. Selon elles, l'étude de l'arabe les rapproche de leur religion. "Auparavant, nous
consacrions tout notre temps à gagner notre vie. Maintenant que nous sommes plus riches, nous
avons davantage de temps pour nous consacrer au spirituel et pour apprendre l'arabe. Je peux lire le
Coran dans le texte. C'est mon devoir de musulmane", confie Song Xiulan, une femme au foyer de 40
ans.
Mais, comme souvent en Chine, la force qui anime ce renouveau musulman est économique. "Les
autres provinces ont des ports et des ressources naturelles. Au Ningxia, nous avons des musulmans.
C'est notre avantage vis-à-vis de la concurrence", confie Chen Zhigang, le directeur général adjoint du
Bureau pour la promotion des investissements du Ningxia. Pour exploiter cet "avantage", le
gouvernement régional a organisé le mois dernier son premier Salon de l'alimentation halal, dans le
but d'établir des contacts entre les industries alimentaires locales et le Moyen-Orient. L'événement a
duré quatre jours et a vu, selon Chen, la signature de contrats atteignant la coquette somme de 10
milliards de yuans [1 milliard d'euros]. Dans le Ningxia, islam et commerce se fondent en un cocktail
subtil pour le bénéfice du spirituel comme du temporel. Si la maîtrise de l'arabe et les affinités
culturelles des Hui avec le Moyen-Orient riche en pétrole sont considérées par les autorités comme
une précieuse ressource économique, le renforcement de l'identité collective provoqué par ces
nouveaux liens avec le monde islamique crée de nouveaux défis. Les Hui faisaient jadis partie des
moins orthodoxes des musulmans du monde. Beaucoup fumaient et buvaient, peu se laissaient
pousser la barbe et les femmes portaient rarement le voile. L'accroissement des contacts avec le
Moyen-Orient a cependant apporté des changements. Des centaines d'étudiants hui ont fait leurs
études dans des pays arabes ces dernières années, et ils ont rapporté au pays une conception plus
stricte de l'islam. Les mosquées du Ningxia commencent à recevoir des fidèles cinq fois par jour, les
femmes se mettent à porter le voile et les calottes sont omniprésentes.
La communauté hui s'identifie fortement avec les problèmes du monde musulman en général. "C'est
la politique américaine qui nous a donné une mauvaise réputation, à nous les musulmans", explique
Yang Yuhong, l'une des deux imams femmes de la mosquée Tai Zi de Ling Wu, une petite ville située
à quelques centaines de kilomètres à l'est de Yinchuan. Elle en tremble d'indignation. i>"Notre religion
est pacifique, mais regardez ce que les Américains ont fait de nous. Regardez les mensonges qu'ils
répandent sur nous." La cinquantaine de femmes qui l'entourent acquiescent lentement.
Pour les Chinois non musulmans, le fait que les Hui s'identifient avec des communautés extérieures à
la Chine pose problème. "Avant, les Hui étaient comme nous, sauf qu'ils ne mangeaient pas de porc.
Aujourd'hui, ils pensent qu'ils sont différents. Ils se considèrent comme des étrangers",plore un
fonctionnaire du Bureau des étrangers du Ningxia. Et d'ajouter : "La tâche principale de tous les
fonctionnaires gouvernementaux aujourd'hui en poste au Ningxia, c'est de préserver la paix avec les
Hui."
A lire
Elisabeth Allès, Musulmans de Chine. Une anthropologie des Hui du Henand. de l'EHESS, Paris,
2000).
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