ETHIQUE EN SANTE AU TRAVAIL Journées de validation Strasbourg, novembre 2004 Hélène RIGAUT Concours E 2002 A PROPOS DE LA DETERMINATION DE L’APTITUDE ET DE LA SURVEILLANCE MEDICALE I. Introduction Le débat sur l’aptitude médicale a pris une dimension particulière ces derniers temps, depuis la parution du décret du 1er janvier 2001, relatif aux produits chimiques cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR). En effet, le médecin du travail doit attester de l’absence de contre indication à l’exposition à des travaux exposant à des produits cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction avant d’affecter un salarié exposé à des travaux de cette nature. Le problème de l’aptitude est un problème plus large que celui limité à la médecine du travail. Il est au centre de problèmes plus profonds, par exemple celui de la contradiction entre droit au travail et droit à la santé. Il importe également de répondre au fond à la question fondamentale de savoir ce que la société attend de la médecine du travail. En 1990, aux XXIèmes journées de médecine du travail, la question de l’aptitude au travail a été « officiellement » posée, sans pour autant la remettre en question. C’est plutôt sur l’inaptitude et ses conséquences que le débat a porté. Progressivement, la jurisprudences a évolué de façon plutôt favorable aux salariés, obligeant les employeurs à prendre d’avantage en compte les recommandations faites par le médecin du travail en ce qui concerne les indications, les mutations ou transformations de postes justifiées par des considérations d’ordre médical. En 1996, la question de l’aptitude au travail a été abordée de manière beaucoup plus critique, concernant la forme mais surtout le fond. Courant 1997, plusieurs ouvrages et des praticiens s’interrogent sur la pertinence et le sens de la rédaction de cet avis demandé au médecin du travail, tout en défendant l’intérêt de l’avis d’inaptitude. Dés 1980, des juristes réunis en colloque posaient clairement la question dans un exposé intitulé « médecin du travail et libertés publiques » les questions concernant l’aptitude : « l’ambiguïté est inhérente à l’incertitude qui pèse sur la finalité de l’institution : 1 protection des salariés, soit mais protection des salariés dans l’entreprise, contre l’entreprise ou pour l’entreprise ? ». L’entreprise est elle un cadre matériel dans lequel un certains nombre de moyens sont offerts au salarié pour contrôler l’évolution générale de sa santé ? La médecine du travail a-t-elle pour objet la protection du salarié contre les risques auxquels, compte tenu de son état physique, les activités de l’entreprise et les fonctions qu’il y occupe peuvent l’exposer ? Ou bien a-t-elle pour but de fournir à l’entreprise un personnel dont l’adaptation aux tâches qu’elle réclame et la condition physique assurent la rentabilité, en éliminant soit à l’entrée, soit au cours de leur vie professionnelle, ceux qui ne rempliraient pas les conditions requises ? En 1988, dans un rapport du conseil économique et social, l’aptitude est considérée comme l’une des missions fondamentales du médecin du travail, tout juste est il recommandé au médecin de bien expliquer au salarié les tenants et les aboutissants de son avis. II. Sur le terrain En interrogeant quelques médecins sur l’éthique en médecine du travail à propos de la détermination de l’aptitude et de la surveillance médicale, plusieurs sujets ont été évoqués. Le cas des salariés porteurs d’une pathologie transmissibles maintenus sur des postes « à risque » de transmission accidentelle. Un des médecins citait le cas des salariés porteurs du VIH ou d’hépatite virale B ou C dans le monde du travail. Si ce salarié est sur un poste à risque important d’accident tel des coupures, par exemple boucher, se posent plusieurs problèmes. En effet, la pathologie en elle-même ne met pas le salarié en danger et ne l’empêche pas d’effectuer correctement son travail. Il ne met pas non plus les autres salariés directement en danger par une conduite dangereuse. Par contre, en cas d’accident, les secouristes seront les premiers concernés par un risque de contamination accidentelle. Si toutes les consignes de prise en charge des victimes sont respectées avec gants, masque pour le bouche à bouche et hygiène générale de l’intervention, le risque de transmission est minime. Cependant, il pourrait être intéressant pour les secours d’être au courant du risque majoré de transmission lors d’une intervention. Faut il insister auprès des secouristes lors des formations et recyclages sur l’importance du port des gants pendant les interventions en milieu de travail alors que tous les salariés se connaissent, au risque de semer le trouble ? Faut il demander au salarié de prévenir les secouristes ou sa direction ? Le risque de transmission accidentelle peut elle constituer un motif d’inaptitude ? Le problème similaire mais un peu différent se pose quand un salarié atteint d’une maladie identique type VIH, HBV ou HCV est sur un poste à priori sans danger. Le médecin citait le cas d’un comptable atteint du VIH. Le métier de comptable n’est à priori pas un métier à risque d’accident tel que des coupures. Néanmoins, ce risque ne peut être exclus totalement, lors de la manipulation par exemple de coupe papier ou de ciseaux. Si l’entreprise est assez grande pour avoir des SST, il faudrait insister auprès de ces derniers lors des formations ou recyclages sur le port des gants, là aussi sans semer le trouble au sein des salariés qui, à priori se connaissent tous. Si l’entreprise ne possède pas de SST, peut on demander au salarié de porter toujours avec lui une paire de gants au cas où une intervention s’avèrerait nécessaire sur sa personne ? Un autre cas de problème éthique qui a été soulevé est celui de la compatibilité entre le travail et les conduites addictives. Le sujet a en effet été abordé lors de la journée annuelle de l’AIMT67, par le Dr Eber qui est amené à suivre des salariés intérimaires. Maintenir des 2 salariés toxicomanes en situation de travail est en effet un pari risqué pour la salarié lui-même (sera-t-il capable de s’intégrer, de se maintenir ou de se remettre au travail ?), pour la sécurité du salarié lui-même et de ses collègues, et pour le médecin du travail qui déclare la personne apte à son travail tout en connaissant la conduite addictive du salarié. Un des médecins évoquait la difficulté éthique à se situer face à l’aptitude et aux restrictions médicales. En effet, l’état de santé du salarié en regard du poste qu’il occupe peut amener le médecin à poser des restrictions médicales telles que mutations ou transformations d’un poste justifiées par l’état de santé physique ou mental du salarié (art. L. 241-10-1). L’employeur est alors tenu de prendre en considération ces propositions et, en cas de refus, de faire connaître les motifs qui s’opposent à ce qu’il y soit donné suite. Considérant le contexte économique des entreprises ou la taille des entreprises trop petites pour offrir au salarié une possibilité de reclassement, le médecin du travail est souvent obligé de composer en fonction de tous les paramètres. Ce médecin me disait ne plus exprimer sur le certificat médical de restriction d’aptitude seulement quand cela est indispensable et s’il est sûr que celle-ci peut être suivie d’effet. Le domaine d’action du médecin du travail est ressenti comme de plus en plus limité et l’aptitude peut être vécue comme une certaine lâcheté de la part du médecin : « on met apte car on ne peut pas faire autrement ». Le problème se pose également de façon peut être encore plus marquée pour les intérimaires puisque mettre une restriction d’aptitude équivaut la plupart du temps au refus d’obtention de la mission pour le salarié car l’entreprise utilisatrice préfèrera embaucher un autre salarié plutôt que de faire des aménagements pour un salarié temporaire. Un autre médecin interrogé parlait de la difficulté de se situer entre la santé et le poste de travail du salarié. En effet, le médecin de par ses fonctions et sa connaissance de l’entreprise, connaît les postes de travail, ceux soumis à des risques toxiques, physiques ou chimiques. Il a beau être conseillé de l’employeur et proposer des améliorations, celles-ci ne seront et ne pourront pas toujours être suivies d’amélioration. Que faut il faire en attendant ? Prévenir l’inspection du travail peut être une menace, certes, mais qu’en est il des salariés affectés à ces postes de travail ? Est-ce que mettre inapte tous les salariés affectés à ces postes dangereux est une solution, sachant que ce n’est pas l’état de santé des salariés qui est à l’origine de l’inaptitude mais le poste de travail qui risque de dégrader la santé des travailleurs. Peut on mettre au chômage tous les salariés affectés à des postes à risque même si cela peut être la seule solution pour que l’entreprise effectue des améliorations ? Comment se situer dans le contexte économie / santé ; santé / emploi ? Les salariés eux même, informés des risques qu’ils encourent pour leur santé, dus à un problème de santé dont ils sont porteurs ou affectés à un poste à risque, préfèrent prendre ce risque plutôt que de risquer perdre leur emploi, demandant au médecin de ne surtout rien dire ni rien faire qui pourrait risquer de compromettre leur emploi. La position du médecin est alors un compromis entre risque pour la santé du salarié et environnement social de l’entreprise et du salarié. Un médecin évoquait également la position du médecin du travail coincé entre le législateur et le milieu économique en prenant comme exemple le travail de nuit. En effet, le travail de nuit est connu et reconnu comme dangereux pour la santé. Le législateur lui-même reconnaît ce danger puisque la loi impose les visites annuelles tous les 6 mois pour les travailleurs de nuit. Le médecin est donc aux premières loges pour la surveillance de ces salariés mais quelle est sa marge de manœuvre ? C’est un peu comme si le législateur, et l’entreprise se déchargeaient sur le médecin : puisque le travail de nuit est dangereux pour la santé, les salariés n’ont qu’à être suivis par le médecin du travail. Mais que peut il faire de plus ? Rendre inapte un salarié qui ne peut travailler de nuit au risque de lui faire perdre son 3 emploi ou au mieux ses primes de nuit ? Alors qu’au fond le problème n’est pas là puisque le problème de fond est la pathogénicité du travail de nuit. Un médecin citait sa position et ses interrogations vis-à-vis du suivi médical des salariés : dans un restaurant, le médecin a surpris une conversation entre des clientes qui parlaient d’une de leur collègue atteinte d’un cancer du sein que « même le médecin du travail n’avait pas trouvé ». Sur ce et depuis, le dit médecin s’est mis à palper les seins de ses salariées dans le cadre du dépistage du cancer du sein, pour lequel il a effectivement dépisté quelques cas en plusieurs mois. Mais un jour, un DRH d’une entreprise a téléphoné pour signaler au médecin du travail que des salariées s’étaient plaintes que le médecin du travail n’avait pas à palper les seins et que dorénavant, l’entreprise demandait au médecin de ne plus palper les seins de ses salariées. Le médecin a donc demandé à ce DRH de confirmer cette position par écrit et depuis, ne fait plus de dépistage du cancer du sein, regrettant les quelques cas dépistés à côté desquels il allait passer à côté. Toutes ces réflexions apportées par les médecins du travail en poste sur l’éthique de leur profession à propos de la surveillance médicale et de l’avis d’aptitude provient probablement du fait que la position du médecin du travail en entreprise est assez ambiguë et que le médecin doit composer entre le milieu économique dans lequel évolue l’entreprise, le salarié avec sa santé et son contexte social, la législation et son indépendance et son savoir médical. Chaque médecin doit se situer en fonction de ses convictions, de sa personnalité et de ses attentes. III. Les différentes postures du médecin du travail a. L’indépendance du médecin du travail Le code de déontologie, art. 5 et 95, fait un devoir à tout médecin d’agir en toute indépendance « le médecin ne peut aliéner son indépendance sous quelque forme que ce soit ». L’indépendance est, pour le médecin du travail, la possibilité de prendre des décisions « dans l’intérêt de la santé des personnes qu’il examine et dans l’intérêt de leur sécurité au sein des entreprises…dont il est responsable ». Cette indépendance peut s’exprimer dans plusieurs domaines : - Surcharge en effectif et choix à faire Le médecin surchargé en effectif manque de moyen en temps : comment tenir compte de cette réalité en lien avec les impératifs économiques et la démographie médicale ? L’idéal est de ne pas subir mais les moyens d’actions sont limités pour affirmer son indépendance dans ce domaine là puisque le médecin est salarié d’une association ou d’une entreprise à qui il doit un certain service. - Pressions subies et attitudes à adopter Des moyens de pression peuvent s’exercer sur le médecin du travail à propos de l’aptitude (de la part des salariés, des employeurs, du médecin conseil ou autre), à propos des avis sur les conditions de travail, ses déclarations de maladies professionnelles ou plus globalement sur l’ensemble des modalités d’exercice. - Avantages acceptés et contreparties prévisibles Tout avantage accordé et accepté introduit une partie à deux dans laquelle il y a un donateur et un bénéficiaire. La nature de l’attente découle de l’état d’esprit qui préside à l’avantage consenti. Par exemple, on peut citer un arrangement pour les horaires de travail, une prime personnalisée, une liberté d’organisation du tiers temps…Il faut être vigilant car les 4 manipulations peuvent être sournoises, sources de mépris pour les médecins du travail imprudents et peu attentifs aux conséquences, dont le moindre n’est pas le jugement porté sur notre spécialité. - Choix en investissements financiers des services ou silence des médecins. La difficulté d’exercice en service interentreprises relève en grande partie de leur gestion financière et les modalités de financement essentiellement basées sur la visite médicale constituent un blocage certain. En pratique, l’indépendance médicale du médecin du travail passe par une responsabilité médicale collective, assumée par tous, basée sur une approche partagée par l’ensemble des médecins. La pratique de cette responsabilité doit nous conduire : - à obtenir ce qui nous est nécessaire pour obtenir notre indépendance, - à respecter les règles déontologiques sur lesquelles nous nous sommes un jour engagés, - à réagir contre toute dérive. b. Le code international d’éthique pour les professionnels de santé au travail En 1992, la Commission Internationale de Santé au Travail (CIST) a publié pour la première fois, un code international d’éthique destiné à l’ensemble des professionnels de santé au travail. Dés son introduction, le nouveau code d’éthique de la CIST insiste sur un certain nombre de points qui font l’objet d’articles ultérieurs : - Le rôle primordial de la prévention primaire et de tout ce qui concourt à maintenir le travailleur dans un emploi, assurant le lien entre santé au travail, santé de la communauté et santé de l’environnement. - Les relations entre les différents professionnels qui peuvent être impliqués - L’indépendance professionnelle, qui doit être totale, et, ce qui en est une des conditions, l’obligation que l’ensemble des moyens nécessaires à l’accomplissement de la mission soit présents, sachant qu’il appartient au professionnel lui-même de s’en assurer. - Le fondement des méthodes de prévention, notamment de surveillance de la santé, sur des bases scientifiquement établies. - Le devoir « éthique » de rendre compte de son activité et de mettre en œuvre un processus critique permanent de celles-ci. Les principes éthiques de base et les valeurs sur lesquels repose le Code international d’éthique pour les professionnels de la santé au travail peuvent ainsi être résumés : - L’objectif de la santé au travail est d’être au service de la santé et du bien être des travailleurs, mené selon les normes professionnelles et les principes éthiques les plus rigoureux. 5 - La protection de la vie et de la santé des travailleurs, le respect de la dignité humaine et la promotion des principes d’éthique les plus élevés dans les politiques et les programmes de santé au travail font partie des devoirs des professionnels de la santé au travail. L’intégrité, l’impartialité et la protection de la confidentialité des données de la santé font partie de ces obligations. - Les professionnels de la santé sont des experts qui doivent jouir d’une indépendance professionnelle totale dans l’exercice de leurs missions. Ils doivent acquérir et entretenir les compétences nécessaires pour cet exercice. Parmi les missions et les obligations des professionnels de santé, certaines ont un lien avec le suivi médical et l’aptitude : - Surveillance de la santé : les objectifs et les méthodes en santé au travail ainsi que les procédures de surveillance de la santé doivent être clairement définis et la priorité doit être donnée à l’adaptation des lieux de travail aux travailleurs, qui doivent être informés en conséquence. La surveillance de la santé doit être réalisée avec le consentement informé des travailleurs. Les conséquences potentiellement positives et négatives susceptibles de résulter de leur participation à des programmes de surveillance de la santé et de dépistage doivent être discutées en tant qu’élément du processus de consentement. La surveillance de la santé doit être assurée par un professionnel de santé au travail agréé par l’autorité compétente. - Monitorage biologique et investigations : les tests biologiques et autres investigations doivent être choisis en fonction de leur validité et de leur capacité à assurer la protection de la santé du travailleur concerné en tenant dûment compte de leur sensibilité, de leur spécificité et de leur valeur prédictive. - Compétences, intégrité et impartialité : les professionnels de la santé doivent toujours agir, avant toute chose, dans l’intérêt de la santé et de la sécurité des travailleurs. Ils doivent s’abstenir de tout jugement, conseil ou activité qui puisse mettre en doute leur intégrité ou leur u$impartialité. - Indépendance professionnelle : les professionnels de santé doivent exercer leurs fonctions dans la recherche et le maintien d’une totale indépendance professionnelle et observer les règles de la confidentialité de leur exécution. - Clause d’éthique dans les contrats de travail : les professionnels de santé doivent demander qu’une clause d’éthique soit incorporée dans leur contrat de travail, qui devrait couvrir en particulier leur droit d’appliquer des normes, conduites à tenir et codes d’éthique professionnelle. c. Les différentes approches du médecin du travail Il n’existe pas une position « juste » dans l’absolu, mais le positionnement professionnel du sujet et ses convictions jouent un rôle décisif. De même, il est également clair que le choix du 6 maintien ou de la suppression de l’aptitude et de l’inaptitude n’est pas une décision technique mais découlera de la place attribuée à la santé au travail dans l’espace social. Le médecin du travail pourra tenir différents « postures », selon sa conscience, ses convictions, son honnêteté. - L’expert en santé au travail : cette posture repose sur la notion d’un savoir considéré comme déterminant dans l’avis qui sera rendu, elle renvoie à l’idée de la constatation de conformité à des règles ou à des critères de normalité et elle est fondée sur une notion biologique de fonctionnement du corps et sur la notion de santé, comme absence de pathologie. L’expert entrepreneurial : il considère le salarié comme un élément du collectif de travail, s’appuyant sur le fait que la loi parle d’éviter toute altération de la santé des travailleurs. Cet exercice s’inscrit dans une intégration aussi complète que possible à la vie, au développement et aux objectifs de l’entreprise. Le médecin est, dans l’exercice de ses missions, un acteur important de l’entreprise qui doit améliorer la sécurité et les conditions de travail et protéger la santé de l’ensemble des travailleurs. Il considère que : La santé économique est un facteur de progression de la politique de prévention et d’amélioration des conditions de travail Sa participation active à la politique de l’entreprise et la confiance que lui accorde l’employeur en retour lui permettent d’être mieux écouté Son positionnement en matière d’aptitude consiste : Lors des examens d’embauche à inclure une dimension de sélection de la main d’œuvre Lors des examens de reprise et de pré-reprise à participer à une politique dite des « postes aménagés » Les avis de « contre indication » sont délivrés avec parcimonie en fonction de la pathologie mais également des nécessités de fonctionnement de l’unité de production. Pour le collectif de travail, une telle pratique ne présente que des avantages, contribuant à écarter les sujets susceptibles de présenter des capacités de travail réduites, en tenant systématiquement compte des collègues de travail et en prenant la sécurité collective comme prioritaire. Pour l’employeur, le médecin est perçu comme un véritable collaborateur à qui il reconnaît une réelle valeur ajoutée économique. Pour le médecin, un tel exercice du métier est vécu comme particulièrement valorisant, reconnu comme faisant partie des cadres supérieurs de l’entreprise qui lui reconnaissent un rôle social utile aux objectifs économiques, jouant un rôle technique d’expert, de conseil et d’alerte. Néanmoins, ce positionnement du médecin peut être à l’origine d’un réel dysfonctionnement par rapport aux attributions que lui confie le législateur. Son positionnement est déséquilibré puisqu’il est généralement perçu comme un cadre en lien privilégié avec l’équipe de direction plus que comme un observateur et acteur impartial. Le médecin expert technique : il se positionne avant tout comme expert auprès de chaque salarié, au cas par cas. Il prend seul, ou en prenant conseil auprès de ses pairs, la décision d’aptitude après avoir interrogé, écouté, entendu et examiné le salarié. Sa position d’expert peut varier suivant les valeurs qu’il privilégiera : humanisme ou technicité. 7 L’humaniste considère que l’acte médical nécessite une relation qui implique la confiance. Il considère la santé comme un état dynamique d’équilibre physique, psychique et social. Le technicien recherche un sentiment de neutralité dans sa prise de décision et fait reposer celle-ci sur la conformité à des normes et à la réglementation. Son savoir est basé sur des connaissances médicales et scientifiques. Il croit en l’objectivité et s’en estime porteur. Il pense être dans le vrai et agit conformément à cette éthique et à cette conviction. Pour le salarié, le médecin « expert » peut adapter une attitude variable sur une échelle de valeurs allant de l’humanisme pur à la technicité pure. L’ « expert humaniste » considère que la parole et la pensée du salarié sont capitales et que la décision d’aptitude lui appartient largement, ce qui est à priori plutôt favorable à l’instauration d’une relation de confiance. L’ « expert techniciste » émet un avis qui s’inscrit dans une démarche d’application stricte des règles, sans intégrer la subjectivité des salariés. Pour le collectif des salariés, le médecin « expert humaniste » renvoie à l’employeur et au collectif des salariés la nécessité de mettre en œuvre des processus de coopération et risque de ne pas être compris dans certaines entreprise où règne le chacun pour soi. Le médecin « expert techniciste » risque lui d’être critiqué car ne répondant pas aux problématiques actuelles. Pour le chef d’entreprise, un tel médecin peut être perçu comme un travailleur social plus que comme un partenaire utile avec risque de marginalisation du médecin du travail ou comme un technicien de santé neutre mais mal à l’aise avec l’organisation du travail et les problèmes de psychopathologie, pour lesquelles la référence à des normes fait défaut. Pour le médecin « humaniste », seul compte le salarié qu’il a en face de lui au moment de la délivrance de l’aptitude. Ce positionnement peut être valorisant, il replace le médecin dans sa position de médecin-consultant, entraînant une remise en cause personnelle permanente. Pour le médecin « techniciste », l’application stricte de normes, la binarité des raisonnements peuvent paraître donner un exercice confortable mais peut également être déstabilisant lorsque qu’il advient que des certitudes sont prises en défaut. Le médecin du travail conseiller : du fait de la réglementation, ce type de médecin du travail aujourd’hui n’existe pas sauf pour partie dans la fonction publique d’état. Dans ce positionnement, qui ne peut qu’aller de pair avec la suppression de l’avis d’aptitude, le médecin du travail est le conseiller de chaque salarié pris individuellement comme sujet pour l’aider à la construction de son rapport avec son travail du point de vue de sa santé. Aucune décision ou proposition ne sort donc du cabinet médical sans le consentement éclairé du salarié, quel que soit le sentiment du médecin du travail sur ce qui serait le mieux pour le salarié. Cette position rapproche la consultation du médecin du travail des consultations en médecine traditionnelle et fait fortement référence au code de déontologie. Pour le médecin du travail : il en résulte une limite posée par l’ambiguïté fondatrice de sa spécialité et un retour au cadre clinique. Il est un médecin comme les autres, pouvant recevoir confidences et secrets, les conclusions qu’il en tirera seront construites avec le salarié. Il reçoit le salarié comme un sujet et non comme l’objet de son avis d’aptitude. La consultation s’inscrit comme un événement quasi naturel de la dynamique de travail. La meilleure connaissance de l’entreprise au travers le vécu de ceux qui y travaillent le rend capable de mieux s’engager dans son action collective. Il devient un partenaire de confiance 8 également pour les forces sociales en présence, il est davantage reconnu par ses confrères comme partie intégrante de l’équipe soignante. Pour l’employeur : sans délégation de responsabilité, ce médecin a-t-il encore une justification ? Ce médecin qui ne fait « que » conseiller a-t-il encore sa place dans ce monde économique ? Est il crédible ? Ce médecin qui n’est plus que conseiller ne peut répondre aux questions concernant les postes de sécurité et l’entreprise doit donc recourir à un médecin expert. Pour le salarié : l’évolution principale est la reconquête de sa dignité en tant que sujet décisionnaire se sa santé. Il a en face de lui un médecin conforme à l’image ou au modèle de ses « autres » médecins, en qui il peut avoir confiance sans avoir à faire le choix entre ce qu’il pense pouvoir dire et ce qu’il estime plus prudent de taire. Ce médecin est « son » conseiller en santé au travail. Mais cette posture suscite également des interrogations pour le salarié concernant le risque de voir l’employeur empiéter directement sur sa liberté en abordant les questions de santé, au risque de transgresser l’interdiction de discrimination pour toute raison liée à l’état de santé et également de voir reprocher au salarié la poursuite d’une activité dommageable pour sa santé risquant de mettre à mal le principe d’imputabilité et de recherche de responsabilité du côté du salarié. Pour l’employeur : un grand nombre d’employeurs apprécient, malgré le coût, la garantie médico-juridique qu’ils pensent tirer de l’avis d’aptitude. La question qui se posera sera donc celle de la responsabilité de l’employeur en cas de pathologie professionnelle ou non développée au cours du temps et des coûts du recours à un expert en cas de nécessité. Le médecin du travail conseiller permet de développer la dimension médicale et clinique de la médecine du travail, mais elle est clairement en opposition avec le maintien de l’aptitude. IV. Conclusion La question de l’éthique concernant le vécu des médecins du travail à propos du suivi médical et de l’aptitude suscite beaucoup de réflexions de la part des médecins interrogés. La place du médecin du travail est difficile à trouver car il évolue entre les salariés, l’employeur, le législateur et les confrères. Il a une place très particulière et parfois assez ambiguë, la société n’étant elle-même pas toujours claire sur ce qu’elle attend de la médecine du travail. Le médecin du travail doit donc trouver sa place en fonction de tous les paramètres cités mais également de ses convictions et de la façon dont lui-même conçoit sa profession et ses missions. 9 BIBLIOGRAPHIE 1. « L’aptitude médicale en question » Réflexions d’un groupe de travail de l’Inspection Médicale du Travail et de la Main d’œuvre, Décembre 2002 2. « Invalidité et inaptitude » Circulaire DRT n°94-13 du 21 novembre 1994 3. « Conduites addictives, un pari à risque ? » Dr EBER, journée annuelle de l’AIMT, octobre 2004 4. « Forum drogue et alcool » Forum organisé par l’AIMT67, 14 octobre 2004 5. Code du travail Dalloz, 2003 6. « Le code international d’éthique pour les professionnels de santé au travail : une nouvelle révision » J.F. CAILLARD, DMT n°97, 1er trimestre 2004 7. « De la théorie à la pratique. A propos de l’indépendance du médecin du travail » Société de médecine du travail et d’ergonomie de Franche Comté, n°7-8, 530-533 8. « Contribution d’un médecin du travail à l’analyse des stratégies défensives des médecins du travail » V.ARNAUDO, février 2003 10