ethique en sante au travail - Formation Médecine du Travail

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ETHIQUE EN SANTE AU TRAVAIL
Journées de validation
Strasbourg, novembre 2004
Hélène RIGAUT
Concours E 2002
A PROPOS DE LA DETERMINATION DE L’APTITUDE ET
DE LA SURVEILLANCE MEDICALE
I. Introduction
Le débat sur l’aptitude médicale a pris une dimension particulière ces derniers temps, depuis
la parution du décret du 1er janvier 2001, relatif aux produits chimiques cancérogènes,
mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR). En effet, le médecin du travail doit
attester de l’absence de contre indication à l’exposition à des travaux exposant à des produits
cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction avant d’affecter un salarié exposé
à des travaux de cette nature.
Le problème de l’aptitude est un problème plus large que celui limité à la médecine du travail.
Il est au centre de problèmes plus profonds, par exemple celui de la contradiction entre droit
au travail et droit à la santé. Il importe également de répondre au fond à la question
fondamentale de savoir ce que la société attend de la médecine du travail.
En 1990, aux XXIèmes journées de médecine du travail, la question de l’aptitude au travail a
été « officiellement » posée, sans pour autant la remettre en question. C’est plutôt sur
l’inaptitude et ses conséquences que le débat a porté.
Progressivement, la jurisprudences a évolué de façon plutôt favorable aux salariés, obligeant
les employeurs à prendre d’avantage en compte les recommandations faites par le médecin du
travail en ce qui concerne les indications, les mutations ou transformations de postes justifiées
par des considérations d’ordre médical.
En 1996, la question de l’aptitude au travail a été abordée de manière beaucoup plus critique,
concernant la forme mais surtout le fond.
Courant 1997, plusieurs ouvrages et des praticiens s’interrogent sur la pertinence et le sens de
la rédaction de cet avis demandé au médecin du travail, tout en défendant l’intérêt de l’avis
d’inaptitude. Dés 1980, des juristes réunis en colloque posaient clairement la question dans un
exposé intitulé « médecin du travail et libertés publiques » les questions concernant
l’aptitude : « l’ambiguïté est inhérente à l’incertitude qui pèse sur la finalité de l’institution :
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protection des salariés, soit mais protection des salariés dans l’entreprise, contre l’entreprise
ou pour l’entreprise ? ».
L’entreprise est elle un cadre matériel dans lequel un certains nombre de moyens sont offerts
au salarié pour contrôler l’évolution générale de sa santé ? La médecine du travail a-t-elle
pour objet la protection du salarié contre les risques auxquels, compte tenu de son état
physique, les activités de l’entreprise et les fonctions qu’il y occupe peuvent l’exposer ? Ou
bien a-t-elle pour but de fournir à l’entreprise un personnel dont l’adaptation aux tâches
qu’elle réclame et la condition physique assurent la rentabilité, en éliminant soit à l’entrée,
soit au cours de leur vie professionnelle, ceux qui ne rempliraient pas les conditions requises ?
En 1988, dans un rapport du conseil économique et social, l’aptitude est considérée comme
l’une des missions fondamentales du médecin du travail, tout juste est il recommandé au
médecin de bien expliquer au salarié les tenants et les aboutissants de son avis.
II. Sur le terrain
En interrogeant quelques médecins sur l’éthique en médecine du travail à propos de la
détermination de l’aptitude et de la surveillance médicale, plusieurs sujets ont été évoqués.
Le cas des salariés porteurs d’une pathologie transmissibles maintenus sur des postes
« à risque » de transmission accidentelle.
Un des médecins citait le cas des salariés porteurs du VIH ou d’hépatite virale B ou C dans le
monde du travail. Si ce salarié est sur un poste à risque important d’accident tel des coupures,
par exemple boucher, se posent plusieurs problèmes. En effet, la pathologie en elle-même ne
met pas le salarié en danger et ne l’empêche pas d’effectuer correctement son travail. Il ne
met pas non plus les autres salariés directement en danger par une conduite dangereuse. Par
contre, en cas d’accident, les secouristes seront les premiers concernés par un risque de
contamination accidentelle. Si toutes les consignes de prise en charge des victimes sont
respectées avec gants, masque pour le bouche à bouche et hygiène générale de l’intervention,
le risque de transmission est minime. Cependant, il pourrait être intéressant pour les secours
d’être au courant du risque majoré de transmission lors d’une intervention. Faut il insister
auprès des secouristes lors des formations et recyclages sur l’importance du port des gants
pendant les interventions en milieu de travail alors que tous les salariés se connaissent, au
risque de semer le trouble ? Faut il demander au salarié de prévenir les secouristes ou sa
direction ? Le risque de transmission accidentelle peut elle constituer un motif d’inaptitude ?
Le problème similaire mais un peu différent se pose quand un salarié atteint d’une
maladie identique type VIH, HBV ou HCV est sur un poste à priori sans danger. Le médecin
citait le cas d’un comptable atteint du VIH. Le métier de comptable n’est à priori pas un
métier à risque d’accident tel que des coupures. Néanmoins, ce risque ne peut être exclus
totalement, lors de la manipulation par exemple de coupe papier ou de ciseaux. Si l’entreprise
est assez grande pour avoir des SST, il faudrait insister auprès de ces derniers lors des
formations ou recyclages sur le port des gants, aussi sans semer le trouble au sein des
salariés qui, à priori se connaissent tous. Si l’entreprise ne possède pas de SST, peut on
demander au salarié de porter toujours avec lui une paire de gants au cas une intervention
s’avèrerait nécessaire sur sa personne ?
Un autre cas de problème éthique qui a été soulevé est celui de la compatibilité entre le
travail et les conduites addictives. Le sujet a en effet été abordé lors de la journée annuelle de
l’AIMT67, par le Dr Eber qui est amené à suivre des salariés intérimaires. Maintenir des
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salariés toxicomanes en situation de travail est en effet un pari risqué pour la salarié lui-même
(sera-t-il capable de s’intégrer, de se maintenir ou de se remettre au travail ?), pour la sécurité
du salarié lui-même et de ses collègues, et pour le médecin du travail qui déclare la personne
apte à son travail tout en connaissant la conduite addictive du salarié.
Un des médecins évoquait la difficulté éthique à se situer face à l’aptitude et aux
restrictions médicales. En effet, l’état de santé du salarié en regard du poste qu’il occupe peut
amener le médecin à poser des restrictions médicales telles que mutations ou transformations
d’un poste justifiées par l’état de santé physique ou mental du salarié (art. L. 241-10-1).
L’employeur est alors tenu de prendre en considération ces propositions et, en cas de refus, de
faire connaître les motifs qui s’opposent à ce qu’il y soit donné suite. Considérant le contexte
économique des entreprises ou la taille des entreprises trop petites pour offrir au salarié une
possibilité de reclassement, le médecin du travail est souvent obligé de composer en fonction
de tous les paramètres. Ce médecin me disait ne plus exprimer sur le certificat médical de
restriction d’aptitude seulement quand cela est indispensable et s’il est sûr que celle-ci peut
être suivie d’effet. Le domaine d’action du médecin du travail est ressenti comme de plus en
plus limité et l’aptitude peut être vécue comme une certaine lâcheté de la part du médecin :
« on met apte car on ne peut pas faire autrement ». Le problème se pose également de façon
peut être encore plus marquée pour les intérimaires puisque mettre une restriction d’aptitude
équivaut la plupart du temps au refus d’obtention de la mission pour le salarié car l’entreprise
utilisatrice préfèrera embaucher un autre salarié plutôt que de faire des aménagements pour un
salarié temporaire.
Un autre médecin interrogé parlait de la difficulté de se situer entre la santé et le poste
de travail du salarié. En effet, le médecin de par ses fonctions et sa connaissance de
l’entreprise, connaît les postes de travail, ceux soumis à des risques toxiques, physiques ou
chimiques. Il a beau être conseillé de l’employeur et proposer des améliorations, celles-ci ne
seront et ne pourront pas toujours être suivies d’amélioration. Que faut il faire en attendant ?
Prévenir l’inspection du travail peut être une menace, certes, mais qu’en est il des salariés
affectés à ces postes de travail ? Est-ce que mettre inapte tous les salariés affectés à ces postes
dangereux est une solution, sachant que ce n’est pas l’état de santé des salariés qui est à
l’origine de l’inaptitude mais le poste de travail qui risque de dégrader la santé des
travailleurs. Peut on mettre au chômage tous les salariés affectés à des postes à risque même si
cela peut être la seule solution pour que l’entreprise effectue des améliorations ? Comment se
situer dans le contexte économie / santé ; santé / emploi ? Les salariés eux même, informés
des risques qu’ils encourent pour leur santé, dus à un problème de santé dont ils sont porteurs
ou affectés à un poste à risque, préfèrent prendre ce risque plutôt que de risquer perdre leur
emploi, demandant au médecin de ne surtout rien dire ni rien faire qui pourrait risquer de
compromettre leur emploi. La position du médecin est alors un compromis entre risque pour
la santé du salarié et environnement social de l’entreprise et du salarié.
Un médecin évoquait également la position du médecin du travail coincé entre le
législateur et le milieu économique en prenant comme exemple le travail de nuit. En effet, le
travail de nuit est connu et reconnu comme dangereux pour la santé. Le législateur lui-même
reconnaît ce danger puisque la loi impose les visites annuelles tous les 6 mois pour les
travailleurs de nuit. Le médecin est donc aux premières loges pour la surveillance de ces
salariés mais quelle est sa marge de manœuvre ? C’est un peu comme si le législateur, et
l’entreprise se déchargeaient sur le médecin : puisque le travail de nuit est dangereux pour la
santé, les salariés n’ont qu’à être suivis par le médecin du travail. Mais que peut il faire de
plus ? Rendre inapte un salarié qui ne peut travailler de nuit au risque de lui faire perdre son
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emploi ou au mieux ses primes de nuit ? Alors qu’au fond le problème n’est pas puisque le
problème de fond est la pathogénicité du travail de nuit.
Un médecin citait sa position et ses interrogations vis-à-vis du suivi médical des
salariés : dans un restaurant, le médecin a surpris une conversation entre des clientes qui
parlaient d’une de leur collègue atteinte d’un cancer du sein que « même le médecin du travail
n’avait pas trouvé ». Sur ce et depuis, le dit médecin s’est mis à palper les seins de ses
salariées dans le cadre du dépistage du cancer du sein, pour lequel il a effectivement dépisté
quelques cas en plusieurs mois. Mais un jour, un DRH d’une entreprise a téléphoné pour
signaler au médecin du travail que des salariées s’étaient plaintes que le médecin du travail
n’avait pas à palper les seins et que dorénavant, l’entreprise demandait au médecin de ne plus
palper les seins de ses salariées. Le médecin a donc demandé à ce DRH de confirmer cette
position par écrit et depuis, ne fait plus de dépistage du cancer du sein, regrettant les quelques
cas dépistés à côté desquels il allait passer à côté.
Toutes ces réflexions apportées par les médecins du travail en poste sur l’éthique de
leur profession à propos de la surveillance médicale et de l’avis d’aptitude provient
probablement du fait que la position du médecin du travail en entreprise est assez ambiguë et
que le médecin doit composer entre le milieu économique dans lequel évolue l’entreprise, le
salarié avec sa santé et son contexte social, la législation et son indépendance et son savoir
médical. Chaque médecin doit se situer en fonction de ses convictions, de sa personnalité et
de ses attentes.
III. Les différentes postures du médecin du travail
a. L’indépendance du médecin du travail
Le code de déontologie, art. 5 et 95, fait un devoir à tout médecin d’agir en toute
indépendance « le médecin ne peut aliéner son indépendance sous quelque forme que ce
soit ». L’indépendance est, pour le médecin du travail, la possibilité de prendre des cisions
« dans l’intérêt de la santé des personnes qu’il examine et dans l’intérêt de leur sécurité au
sein des entreprises…dont il est responsable ».
Cette indépendance peut s’exprimer dans plusieurs domaines :
- Surcharge en effectif et choix à faire
Le médecin surchargé en effectif manque de moyen en temps : comment tenir compte de cette
réalité en lien avec les impératifs économiques et la démographie médicale ? L’idéal est de ne
pas subir mais les moyens d’actions sont limités pour affirmer son indépendance dans ce
domaine puisque le médecin est salarié d’une association ou d’une entreprise à qui il doit
un certain service.
- Pressions subies et attitudes à adopter
Des moyens de pression peuvent s’exercer sur le médecin du travail à propos de l’aptitude (de
la part des salariés, des employeurs, du médecin conseil ou autre), à propos des avis sur les
conditions de travail, ses déclarations de maladies professionnelles ou plus globalement sur
l’ensemble des modalités d’exercice.
- Avantages acceptés et contreparties prévisibles
Tout avantage accordé et accepté introduit une partie à deux dans laquelle il y a un donateur et
un bénéficiaire. La nature de l’attente découle de l’état d’esprit qui préside à l’avantage
consenti. Par exemple, on peut citer un arrangement pour les horaires de travail, une prime
personnalisée, une liberté d’organisation du tiers temps…Il faut être vigilant car les
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manipulations peuvent être sournoises, sources de mépris pour les médecins du travail
imprudents et peu attentifs aux conséquences, dont le moindre n’est pas le jugement porté sur
notre spécialité.
- Choix en investissements financiers des services ou silence des médecins.
La difficulté d’exercice en service interentreprises relève en grande partie de leur gestion
financière et les modalités de financement essentiellement basées sur la visite médicale
constituent un blocage certain.
En pratique, l’indépendance médicale du médecin du travail passe par une
responsabilité médicale collective, assumée par tous, basée sur une approche partagée par
l’ensemble des médecins. La pratique de cette responsabilité doit nous conduire :
- à obtenir ce qui nous est nécessaire pour obtenir notre indépendance,
- à respecter les règles déontologiques sur lesquelles nous nous sommes un
jour engagés,
- à réagir contre toute dérive.
b. Le code international d’éthique pour les professionnels de santé au travail
En 1992, la Commission Internationale de Santé au Travail (CIST) a publié pour la
première fois, un code international d’éthique destiné à l’ensemble des professionnels de santé
au travail.
Dés son introduction, le nouveau code d’éthique de la CIST insiste sur un certain
nombre de points qui font l’objet d’articles ultérieurs :
- Le rôle primordial de la prévention primaire et de tout ce qui concourt à
maintenir le travailleur dans un emploi, assurant le lien entre santé au
travail, santé de la communauté et santé de l’environnement.
- Les relations entre les différents professionnels qui peuvent être impliqués
- L’indépendance professionnelle, qui doit être totale, et, ce qui en est une
des conditions, l’obligation que l’ensemble des moyens nécessaires à
l’accomplissement de la mission soit présents, sachant qu’il appartient au
professionnel lui-même de s’en assurer.
- Le fondement des méthodes de prévention, notamment de surveillance de la
santé, sur des bases scientifiquement établies.
- Le devoir « éthique » de rendre compte de son activité et de mettre en
œuvre un processus critique permanent de celles-ci.
Les principes éthiques de base et les valeurs sur lesquels repose le Code international
d’éthique pour les professionnels de la santé au travail peuvent ainsi être résumés :
- L’objectif de la santé au travail est d’être au service de la santé et du bien
être des travailleurs, mené selon les normes professionnelles et les principes
éthiques les plus rigoureux.
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