Deux ans après la crise : quatre leçons pour le futur Francisco

Deux ans après la crise : quatre leçons pour le futur
Francisco Vergara
1
Paru dans LEMONDE.FR | 24.09.09
La crise actuelle a rendu évidentes quelques erreurs sur lesquelles se base la « sagesse
conventionnelle » des économistes, mais il n’est pas certain qu’ils en tireront les bonnes
leçons.
Une première erreur est de croire que, dans les années qui ont précédée la crise, la
déréglementation de la finance globalisée avait permis « une croissance mondiale
exceptionnelle ». Elle aurait permis, dit-on parfois, « une croissance sans égal dans l'histoire
de l'humanité », « 10 ans de croissance mondiale à 5% par an ». La thèse est avancée non
seulement par des personnalités publiques, comme Alain Minc mais aussi par des centres de
recherche prestigieux, comme le CEPII dans leur dernière publication L’économie mondiale
2010
2
.
En réalité, entre 1997 et 2007 (les 10 années qui ont précédé la crise), la croissance
mondiale n’a été que de 3,9% par an selon les chiffres que vient de publier le Fonds
monétaire international et de 3,1% par an selon Banque mondiale (qui pondère
différemment les pays)
3
. C’est bien moins que les 5,4% par an que notre planète a connus
entre 1960 et 1973, avant l’essor de la finance déréglementée. La leçon à tirer est que la
nouvelle finance n’est pas aussi performante qu’on aime à le dire
4
.
Une deuxième erreur est de croire que plus un pays développe ses activités financières,
plus il s’enrichit. Le corolaire est qu’il faut attirer chez-nous le plus possible de services
financiers. La vérité est que le développement excessif de ces services peut rendre une
économie non seulement moins stable mais aussi moins performante en siphonnant pour
elle le capital et les talents les plus dynamiques d’un pays. Comme l’a reconnu récemment
Lord Adair Turner, Président de la FSA (l’autorité qui régule les services financiers du Royaume
Uni), ces activités peuvent s'accroître « au-delà de ce qui est socialement souhaitable »
5
. Il
peut donc être utile, parfois, de décourager l’essor débridé des activités financières.
Remarquons que lorsque le nombre de transactions financières s’accroit de manière
explosive, comme aux Etats-Unis, la comptabilité nationale de nombreux pays enregistre
1
Francisco Vergara est économiste et statisticien, il a écrit Les fondements philosophiques du
libéralisme (La Découverte, 2002).
2
CEPII, L’économie mondiale 2010, Editions La découverte, avril 2009, p. 9.
3
World Economic Outlook Database, October, 2009, et World Developement Indicators Database, avril
2009.
4
Voir notre article « La finance libéralisée et globalisée a-t-elle vraiment accéléré la croissance
mondiale ? Que disent les chiffres ! ».
5
Lord Adair Turner, « How to tame global finance », Prospect Magazine, Londres, 27 août 2009.
cela comme un accroissement du PIB. Le développement de cette branche, même lorsqu’il
est excessif, donne ainsi la fausse impression daugmenter la croissance et la richesse d’un
pays. Comme l’a très honnêtement reconnu, à propos des Etats-Unis, le Président Barack
Obama « À peu près 40 % de notre croissance économique d’ensemble venait du secteur
financier. Maintenant nous découvrons qu’une bonne partie de cette croissance n’était pas
réelle
6
».
Une troisième erreur concerne le mépris dans lequel étaient souvent tenues les politiques
« discrétionnaires » d’accroissement des dépenses publiques lorsque la dépense privée se
contracte fortement. Comme le rappelle Dominique Strauss-Kahn, actuel directeur du FMI
« la plupart des gouvernements ne comprenaient pas que nous avons besoin de
programmes budgétaires discrétionnaires de relance à l’échelle mondiale ».
Malheureusement, les leçons sur ce point n’ont pas été tirées et l’interruption prématurée
des programmes de relance, par peur de la dette publique et/ou de l’inflation, constitue un
véritable danger.
Une quatrième erreur a été le retard pris à admettre qu’une récession avait commen
aux Etats-Unis en décembre 2007. La fascination qu’inspirait le modèle américain ajouté au
mythe tant répété selon lequel il fallait « deux trimestres consécutifs » de recul du PIB pour
avoir une récession, ont sans doute contribué à ce retard. A propos de ce mythe, il faut
savoir que, lors des récessions, les trimestres de croissance et de contraction du PIB sont
souvent intercalés. Le tiers des récessions américaines n’ont ainsi pas connu deux trimestres
consécutifs de recul du PIB et lorsque de tels trimestres surviennent, ce n’est pas
nécessairement au début d’une récession. C’est pourquoi le National Bureau of Economic
Research des Etats-Unis précise qu’il « ne définit pas les récessions comme deux trimestres
consécutifs de recul du PIB »
7
.
Francisco Vergara
6
Interview dans le « Tonight Show » du 19 mars 2009 ; écouter les extraits.
7
National Bureau of Economic Research, « US Business Cycle Expansions and Contractions ». Voir
aussi FAQs du dernier communiqué du NBER.
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