
Problèmes économiques
No 2.939
16 janvier 2008
DOSSIER : Les industries culturelles face aux défis de la gratuité
La gratuité va-t-elle tuer la culture ?
Le Nouvel Observateur
Entretien de Jacques Attali avec Denis Olivennes
L'accès gratuit aux œuvres culturelles via le téléchargement de musique, de films, de livres sur l'Internet fait, depuis
quelques années, l'objet d'intenses débats. Pour les uns, ce phénomène, qui prive les artistes d'une juste
rémunération, constitue une terrible menace pour la création et la diversité culturelles. Pour d'autres, la gratuité dans
ce domaine n'est ni nouvelle, ni dangereuse. L'Internet ne fait en quelque sorte que généraliser la radio et le peer to
peer (échange gratuit de fichiers) ne peut pas être assimilé à du piratage. S'il y a bien un combat à mener, c'est contre
le commerce illicite de produits culturels. Jacques Attali, auteur d'un ouvrage récent consacré à l'histoire des
cinquante prochaines années, Une brève histoire de l'avenir, et Denis Olivennes, qui vient de publier un essai
intitulé La gratuité, c'est le vol. Quand le piratage tue la culture, confrontent, ici, leurs points de vue sur une
question essentielle aujourd'hui pour le devenir de l'économie des industries culturelles.
Quand les industriels du numérique pillent une industrie voisine
NetEco.com
Entretien de Jérôme Bouteiller avec Olivier Bomsel
Olivier Bomsel a récemment publié un ouvrage consacré au déploiement de l'économie numérique. Afin de mieux
comprendre le processus de développement de ce secteur, il y analyse le rôle fondamental que joue la gratuité dans
les stratégies des industriels. Il montre notamment que le gratuit sert à conquérir des masses d'utilisateurs qui vont
devenir clients de services liés. Il revient en particulier sur les mécanismes de création de richesse dans la société
moderne, sur les effets de réseau ou encore sur le modèle économique de Google reposant sur la publicité.
La gratuité et ses ennemis
Le Débat
Daniel Cohen
Un livre, un CD, un DVD sont l'enveloppe physique qui oblige jusqu'à présent le consommateur à individualiser sa
commande. Il paie cette enveloppe physique pour accéder à son contenu : l'œuvre. Le numérique, qui rend possible
une dématérialisation totale de ces biens, rend caduc le modèle économique des industries culturelles car il
bouleverse les principes de tarification des biens produits dans ce secteur. Après avoir analysé les différents
arguments développés, notamment en faveur de la défense des industries culturelles par Denis Olivennes et Olivier
Bomsel dans leurs récents ouvrages (La gratuité, c'est le vol et Gratuit !), l'auteur rappelle que chaque fois que ces
industries se sont crues menacées par le progrès technique (radio, magnétoscope, etc.), elles se sont finalement
adaptées, découvrant que ce qu'elles considéraient comme des menaces devenaient vite des opportunités. Repenser
leur business model est donc devenu aujourd'hui une nécessité. L'auteur préconise, en particulier, d'abandonner le
paiement à l'acte, dont il estime qu'il est désormais le pire des systèmes, au profit de toute solution qui pourrait
rapprocher d'un paiement forfaitaire.
Un spectre hante le capitalisme : la gratuité
CERNA - École des Mines de Paris
Pierre-Noël Giraud
Le développement très rapide, au cours des dernières années, des échanges peer to peer (P2P) vient rappeler aux
économistes que le don, abondamment étudié par l'anthropologie, joue encore aujourd'hui dans les sociétés un rôle
fondamental. Les industries culturelles - les premières touchées par ce phénomène qui conduit, selon elles, à un
piratage massif des œuvres musicales et cinématographiques - considèrent qu'il met gravement en péril la création
artistique. L'auteur estime, lui, que s'opposer aux libertés nouvelles offertes par la technique est voué à l'échec. La
création artistique ne serait, en outre, pas réellement menacée, puisque ce que met en danger le P2P, c'est avant tout
" l'économie de la Sierra Madre " qui caractérise ces industries et se traduit par une extrême concentration des gains.
Le spectre de la gratuité qui hante désormais les industries culturelles est un processus inéluctable qui devrait se
déployer dans un avenir plus ou moins proche à une beaucoup plus grande échelle.