Nathanael Mason-Schuler Conférence de Mlle A. Steta Exposé d’économie approfondie Sciences Po Novembre 2004 Qu’est-ce qu’un entrepreneur ? Introduction DANS LA DOXA l’entrepreneur est à la mode, CNPF => MEDEF ; jeunesse, dynamisme, audace, prise de risque, réussite, séduction => Superman de l’imaginaire collectif économique POURTANT difficile de dresser un portrait de l’entrepreneur ; polysémie extrême comme en témoigne le Petit Robert… homme d’action, de gestion et d’audace EN FAIT autant d’entrepreneurs que d’économistes, intérêt tardif pur l’entrepreneur qui occupe rarement une place centrale, pas de définition consacrée = nous sommes confrontés aux lacunes de l’analyse économique (à moins que ce ne soit à celles de l’étudiant…) L’INTERET est justement de souligner l’évolutivité de la notion d’entrepreneur à mesure que la théorie économique se complexifie. Plan thématico-chronologique pour mettre en évidence la conceptualisation progressive Question du sujet : la fonction de l’entrepreneur au sein d’une économie de marché Questionnement : de quelle manière la réflexion sur l’entrepreneur nous confronte-elle aux limites de la pensée orthodoxe et nous invite-t-elle à dépasser le cadre néoclassique de l’analyse économique ? I- Paradoxe de la pensée économique orthodoxe : naissance et absence de l’entrepreneur Paradoxe parce qu’il apparaît et disparaît, paradoxe parce qu’il n’est pas clairement identifié quand il n’est pas absent, paradoxe enfin parce qu’il est le mal aimé alors que sa fonction est essentielle. Impasse A- L’entrepreneur émerge comme agent économique alors que l’on célèbre l’héroïsme de l’initiative individuelle (approche historiciste) 1) L’école préclassique : un homme d’action, libre et indépendant a) Montchrestien et Defoe : l’affirmation d’un individu - Montchrestien (1576-1621) = un individu qui passe contrat avec l’autorité publique pour assurer la réalisation de divers travaux ou une mission quelconque, contournement des corporations, réalisation d’un ouvrage - Daniel Defoe = Robinson Crusoé l’entrepreneur « faiseur de projets » ou l’apologie de l’individualisme, b) Cantillon : la prise de risque, une innovation conceptuelle au début du XVIIIème siècle - l’entrepreneur fait preuve de débrouillardise dans un contexte de fluctuations des prix et d’aléas du marché, engagement vis-à-vis d’un tiers - l’entrepreneur acquiert des moyens de production à des prix certains (les coûts sont connus) dans la perspective de les vendre à des prix incertains (la rémunération est incertaine) [Turgot : entrepreneur fournisseur de capital ; risque et incertitude non distinct] 2) L’école classique ou la prise de risque calculée et bien comprise a) JB Say ou les caractéristiques du « métier de l’entrepreneur » - La place centrale dans le processus productif (offre en général, pas secteur particulier, horloger, teinturier, cultivateur) d’un agent qui entreprend de créer et agit pour son propre compte pour produire un produit quelconque. Les « applications de l’entrepreneur » entre le « travail d’exécution de l’ouvrier » et les « recherches du savant ». Sort lié à celui de l’entreprise (ce n’est pas un salarié – simple manager) - Des qualités nombreuses mais peu communes. « Ce genre de travail exige des qualités dont la réunion est peu commune », « Capacité de jugement » (flairer intuitivement les connaissances scientifiques utiles et les besoins potentiels du consommateur) « Tête habituée au calcul », « Talent industriel d’imagination »…) b) Le mal aimé de l’analyse économique - école classique anglaise, adventurer « celui qui cherche à profiter des opportunités du hasard, celui qui prend en main lui-même sa chance » Dr Johnson (dictionnaire) ; absent chez Smith ou Ricardo - John Stuart Mill et Marshall, qualité de gestionnaire et d’organisateur intermédiaire entre production et consommation A côté des trois agents économiques, propriétaire (terre), travailleur (travail) et capitaliste (capital), émerge progressivement un quatrième agent qui engage ou combine les autres, aux contours encore mal définis ; rôle pivot et gestionnaire, notion de prise de risque, notion de hardiesse B- L’entrepreneur est toutefois absent de la micro-économie néoclassique (approche négative) 1) L’entrepreneur se résume à une simple fonction de production dans le paradigme walrassien a) La dépersonnalisation du marché parfait ou les agents économiques homogènes et sans visage - situation d’équilibre, approche statique, abstraction faite des entrepreneurs, pas de quatrième agent, vaguement combinaison du travail et du capital en fonction de leurs prix relatifs [le commissaire-priseur est à la mode] - chez Pareto, l’entrepreneur assure la liaison entre les marchés des produits (il vend) et les marchés des facteurs de production (il achète) b) Le profit est la motivation unique du producteur - prise de décision est une simple application mécanique des règles mathématiques de l’optimisation - maximisation du profit sous contrainte des ressources en capital et en travail dont il dispose, profit comme rémunération du capital, prix = coût marginal, surprofit nul en situation d’équilibre 2) Les postulats du modèle néoclassique sont incompatibles avec la notion d’entrepreneur a) Transparence du marché et symétrie informationnelle - information parfaite, immédiate et sans coût pour tous les agents : pas de dissymétrie informationnelle - pas de place pour l’incertitude dans le modèle néoclassique b) Homogénéité des produits - les biens sont substituables (les individus sont interchangeables) - la différenciation ne se fait que par les prix La théorie néoclassique, modèle simplifiée de la réalité. En fait c’est une impasse. L’entrepreneur invalide les hypothèses néoclassiques. II- Dans le cadre d’un marché imparfait, la FONCTION de l’entrepreneur apparaît comme la pierre angulaire de la dynamique économique dans la pensée hétérodoxe Deux apports conceptuels majeurs, d’une part l’entrepreneur est un innovateur (Schumpeter), d’autre part l’entrepreneur évolue dans un environnement incertain (Knight, Gilder et Drucker). [fonction > dynamique, place > statique, notons que l’entrepreneur n’est pas une profession, mais une fonction, changement en permanence] A- L’entrepreneur schumpétérien est révolutionnaire : il est le moteur du développement économique lui qui « crée sans répit » 1) L’entrepreneur introduit l’innovation dans le circuit économique a) Au sein d’une conception dynamique et évolutionniste du capitalisme - dans la pensée de Schumpeter, le capitalisme est un processus de transformation économique qui connaît des fluctuations : théorie des cycles économiques (Kondratieff et les cycles longs) - évolution économique rythmée par le progrès technique, les innovations qui transforment les conditions de production, d’investissement et de consommation ainsi que l’alchimie de destruction créatrice… arrivée en grappes d’innovations portées par les entrepreneurs (innovateur, imitateur) b) L’entrepreneur joue un rôle moteur, il est l’homme de l’inédit - « les entrepreneurs sont les agents économiques dont la fonction est d’exécuter de nouvelles combinaisons [des moyens de production] et qui en sont l’élément actif » qui sont autant d’opportunités d’investissement - les cinq types d’innovations introduites par l’entrepreneur, ce calculateur génial qui sait éveiller une demande nouveau produit (ex : portable, DVD, appareil photo numérique…) nouvelle méthode de production ou de distribution (ex : taylorisme, fordisme, grande distribution) nouveau débouché (ex : marchés liés à la colonisation) nouvelles matières premières (ex: charbon, coton…) nouvelle organisation productive (ex : trusts, monopoles…) NB : le savant invente, l’entrepreneur innove [Monopole d’innovation ; rente de surprofit, prix au-delà du coût marginal ; brevet ; rupture de l’équilibre néoclassique dans lequel il n’y a pas de profit mais l’intérêt rémunérant du capital] 2) L’entrepreneur obéit à des mobiles irrationnels, ce n’est pas un homo oeconomicus - Un marginal qui aime aller à l’encontre d’un certain statu quo économique, remettre en question et révolutionner la routine ; pas seulement le profit (couronnement sur-profit), pas gestion au quotidien [on retrouve un des sens préclassiques de l’entrepreneur contre les corporations avant la loi Le Chapelier] - Un joueur ambitieux animé par la volonté de puissance, le désir de vaincre, la joie de gagner et de créer, le goût de la difficulté et du changement, une mégalomanie de l’entrepreneur L’entrepreneur révolutionnaire introduit l’innovation et le progrès technique dans le système économique, il est à l’origine du dynamisme économique « Il est le personnage le plus haut en couleur du processus économique » B- L’entrepreneur évolue dans un environnement économique incertain 1) Risque pour le producteur et incertitude pour l’entrepreneur a) Risque et incertitude : les prémisses de Von Thünen (1783-1850) apports de Knight - Le risque est mesurable et de facto probabilisable => souscription à une assurance pour faire face au risque - L’incertitude est non mesurable (pas de précédents, innovation) aucune assurance n’est donc possible b) Le marché imparfait ou marché incertain - Environnement incertain, source de tous les dangers mais aussi de toutes les opportunités nouvelles, le profit rémunère l’incertitude - Tous les agents ne sont pas en possession des mêmes informations, il n’y a donc pas de transparence du marché, dissymétrie informationnelle 2) L’entrepreneur réalise des paris sur l’avenir et doit faire preuve de capacités de jugement à propos d’un futur incertain - L’entrepreneur - visionnaire de L. Von Mises (1881-1973), prédit l’avenir (prévoit est un abus de langage). « aptitude à prévoir mieux que les autres ce que sera la demande des consommateurs ». L’entrepreneur en possession d’informations inédites qui sont autant de prévisions (prédictions) plus ou moins exactes à propos d’évènements futurs incertains, anticipation de la demande des consommateurs => paris sur l’avenir, créer les besoins des consommateurs sur un marché de clientèle il le fidélise - PAS UNE PROFESSION. L’entrepreneur de Gilder ou la figure du selfmade man, pas réagir mais agir le premier, savoir « briser le miroir des idées reçues », connaître les « lois cachées de l’économie », sorte d’incarnation divine ; l’entrepreneur est à la fois gestionnaire, propriétaire du capital, manager, organisateur et parfois même ingénieur ; P. Drucker et l’esprit d’entreprise (en particulier dans les PME), entrepreneur « révolutionnaire de l’économie » Binômes entrepreneur/innovation et entrepreneur/risque Invalidation des hypothèses néoclassiques Craintes de Schumpeter à propos de la disparition des entrepreneurs [Institutionnalisation de l’innovation qui devient routine, entrepreneur innovateur et imitateur, problème du capitalisme actionnarial, de la salarisation, technostructure et Galbraith…] NB spécialiste de la prise de décision chez Casson Conclusion Un lyrisme de l’entrepreneur. Héroïque et audacieux, il se caractérise par sa capacité de jugement qui lui permet de prendre des risques dans environnement économique incertain ; il effectue avec audace des paris sur l’avenir et entretient la dynamique économique en introduisant des innovations; il tire ses revenus d’une situation d’incertitude où tous les agents ne sont pas en la possession des mêmes informations (pas CPP) Le cadre d’un marché imparfait Entrepreneur et producteur Client et consommateur Marché de clientèle et stratégies de différenciation Producteur ou le problème de la propriété des moyens de production pour une véritable prise de risque, il suffit que son sort soit lié à celui de l’entreprise, il devient un héros tragique… Visibilité de l’entrepreneur > technostructure, Galbraith Sur le plan de l’épistémologie économique la théorie de l’entrepreneur illustre l’aspect plus que jamais évolutif de l’analyse économique. Notons toutefois que la plupart des éléments des théories actuelles sur l’entreprenariat avaient été intuitivement présenties par les premiers économistes. Bibliographie commentée Mark CASSON, L’Entrepreneur, Oeconomica Gestion, Oxford, 1982, traduction française en 1991 (chapitres I et II) S. BOUTILLIER et D. UZUNIDIS, La Légende de l’Entrepreneur, Syros – Alternatives économiques, Paris, 1999 (Chapitres I et II) J. SCHUMPETER, Histoire de la pensée économique (utiliser les renvois correspondant à entrepreneur) ; Capitalisme, Socialisme et Démocratie (innovation et destruction créatrice) I- Paradoxe de la pensée économique orthodoxe : naissance et absence de l’entrepreneur A- L’entrepreneur s’affirme comme agent individuel (approche historique) B- Avant de disparaître dans les méandres statistiques de l’école néoclassique en devenant simple producteur (approche négative) II- Dans le cadre d’un marché imparfait, l’entrepreneur innovateurapparaît comme la pierre angulaire de la dynamique économique A- L’entrepreneur innovant est l’élément moteur de la dynamique économique (approche dynamique) 1) L’entrepreneur introduit l’innovation dans le circuit économique 2) Et obéit à des mobiles irrationnels B- L’entrepreneur évolue dans un environnement incertain (approche qualitative… autre) 1) Risque pour le producteur et incertitude pour l’entrepreneur 2) Capacité de jugement à propos d’un jugement incertain Schumpeter explique avec sa définition de l’entrepreneur l’évolution économique mais demeure encore flou, détenteur ou non des moyens de production, problème non résolu « faux problème ». Les nouvelles théories brouillent encore d’avantage la visibilité de l’entrepreneur, technostructure capitalisme managérial, actionnarial… (Galbraith) INNOVATION et PROGRES TECHNIQUE PROBLEME : APPROCHE STATIQUE DANS L’ANALYSE NEOCLASSIQUE vs APPROCHE DYNAMIQUE CHEZ SCHUMPETER => COMMENT EXPLIQUER LE PREMIER POINT ? L’entrepreneur manque de consistance, facteur résiduel, explication de ce qui échappe au cadre d’analyse néoclassique RISQUE et INCERTITUDE A LA FIN DE L’ARGUMENTATION : PEUT-ON DIRE QUE LE PRODUCTEUR EVOLUE DANS UN ENVIRONNEMENT RISQUE DANS LA CADRE DE MARCHE NEOCLASSIQUE PROFIT N’EST QUE REMUNERATION DU CAPITAL, APPROCHE STATIQUE ; A L’INVERSE L’ENTREPRENEUR EVOLUE DANS UN ENVIRONNEMENT INCERTAIN DANS LE CADRE DE MARCHE DE CLIENTELE (fidélisation du client, éveil de la demande nouveaux besoins, PROFIT OBJECTIF SECONDAIRE REMUNERATION DU RISQUE INCERTAIN PRIS, APPROCHE DYNAMIQUE LE CAPITALISTE N’EST PAS FORCEMENT L’ENTREPRENEUR, mais L’ENTREPRENEUR EST UN CAPITALISTE / PROPRIETAIRE des moyens (prise de risque) L’ENTREPRENEUR EST MANAGER MAIS PAS RECIPROQUE Donc entrepreneur est à la fois capitaliste et manager MAIS PAS UNANIMITE DES ECONOMISTES, SCHUMPETER FUIT LA QUESTION (sic…) EN PLUS CAPITALISME ACTIONARIAL QUI EST ENTREPRNEUR MEME PROBLEME CAPITALISME ACTIONNARIAL