guerre et les hauts fonctionnaires incarnant les « machines administratives » ; par ailleurs, à côté
de ces pouvoirs temporels, le haut clergé peut être rattaché aux dirigeants versant pouvoir
spirituel. Seuls les chefs de l’église et de l’armée constituent de réelles unités d’action, les autres
catégories étant hétérogènes et divisées. Aron s’oppose donc au concept de classe dirigeante qu’il
laisse à Mills ou Gurvitch.
2.1.1.2. La perspective néo-durkheimienne et néo-marxienne de Gurvitch et de Mills
A la même époque où écrit Aron (années 60) mais s’inscrivant dans une lignée de
sociologues durkheimiens, Gurvitch propose des analyses très différentes.
La définition que propose GG de la structure sociale rejoint celle du quotidien: lorsqu'il
évoque la classe montante technocratique (1949, 183-86), c'est non seulement en termes de
domination sociale, mais encore de pouvoir sur l'imaginaire par la manipulation des mythes,
symboles et idéaux. En suivant Gurvitch, on peut donner une définition de la technocratie
sensiblement différente de ce que le sens commun perçoit dans le terme. Il ne s’agit pas de
caractériser la haute fonction publique (ou un pur esprit technocratique) mais de désigner les
groupes industriels qu’elle tend à diriger après être passée, le plus souvent, par le service de l’Etat.
Le texte, écrit en 1949, de Gurvitch montre les limites de Burnham qui caractérisait le groupe des
techniciens dans toute son hétérogénéité. L’ouvrage de Burnham de 1941, The Managerial
Revolution , plus connu en France par le titre L’Ère des organisateurs, expose un raisonnement
rompant avec le marxisme orthodoxe et introduisant le thèmes de la technocratie. Son propos
mérite d’être cité un peu longuement, tant il est original et visionnaire en tant qu’écrit voici plus
d’un demi-siècle ; nous l’avons cependant écourté. En bon marxiste d’origine, le sociologue
Gurvitch commence par l’infra pour aborder ensuite la superstructure. L’essentiel est dit en 1949,
avant et plus précisément que l’Ecole de Francfort.
« Les forces techniques foudroyantes qui ont été déclenchées n’ont pas été entourées de garanties
sociales, politiques et juridiques nécessaires pour les désintoxiquer, pour éliminer le poison que ces forces
peuvent contenir dans certaines conditions. (...) Le problème de la technocratie, c’est-à-dire la menace de la prise
de possession du pouvoir aussi bien économique que politique par le groupe techno-bureaucratique, est un
problème imposé par la réalité des faits. (...) il s’agit de gens qui peuvent, pour influencer leurs semblables et
renforcer leur prestige, manier consciemment les symboles et les slogans, en ayant à leur disposition, ou sous
leur contrôle, les instruments techniques par lesquels la propagande s’effectue aujourd’hui. (...) Des pouvoirs
discrétionnaires, joints au maniement de puissantes forces techniques (il suffit de rappeler l’énergie atomique),
donnent à la classe naissante des technocrates des atouts formidables qu’il serait d’un optimisme sociologique
béat de négliger. (...) Dans tous les cas, l’idéologie technocratique est l’idéologie d’un groupe se considérant
comme une ‘élite fière de ses compétences’ et méprisant les ‘incompétents’ comme des ‘profanes’ et des ‘non-
initiés’. La morale de cette élite est la morale nietszchéenne du Surhomme, la morale d’au-delà du Bien et du
Mal’, combinée avec le culte du machinisme. (...) Les imaginations, les illusions, les mythes, les symboles, les
idéaux, les désirs mêmes font partie de la réalité sociale, représentent un de ses secteurs constitutifs ».
Pour le très visionnaire Gurvitch, il est possible de dresser certains groupements
technocratiques contre d’autres en s’appuyant sur les multiples intérêts en conflit. Il préconise le
choc des titans.
Mais, au-delà de cette première incursion dans notre objet, GG définit la structure des
classes – classes qui sont des « macrocosmes », des « des sur-groupements à distance », ouverts
mais radicalement incompatibles entre-eux – dans plusieurs ouvrages (en particulier dans son