Les anciens ne mettaient pas l’accent sur la connaissance des règles morales, mais sur les qualités qui
caractérisent une bonne personne : sur les vertus. Aristote suit cette voie.
• L’homme bon est celui qui a développé les vertus personnelles, relatives à ses désirs (tempérance
dans ses désirs du corps), craintes (courage face à la peur), relative à son argent et ses biens
(générosité non excessive), à son amour-propre (estime de soi sans vanité), etc.
• Comment acquérir ces vertus ? Elles s’acquièrent par l’apprentissage. L’éducation prépare le terrain :
un enfant qui n’a jamais appris à contrôler ses désirs deviendra difficilement tempérant. Ensuite, c’est
la personne qui d’elle-même doit accomplir des actes de telle nature pour en contracter l’habitude.
« c'est en jouant de la cithare qu'on devient cithariste ; de même, c'est
en pratiquant les actions justes que nous devenons justes, les actions
modérées que nous devenons modérés, et les actions courageuses que
nous devenons courageux »
On finit par en contracter l’habitus, comme disent les latins, une disposition acquise, voire une
seconde nature.
• mais comment savoir ce qu’il faut faire pour accomplir un acte courageux, concrètement : comment
savoir jusqu’à quel point, avec quelle énergie, jusqu’à quel sacrifice, il faut se battre pour être
courageux ? Comment savoir ce que je dois dire lorsqu’on me félicite pour un acte honorable, afin de
ne faire preuve ni de vanité ni de fausse modestie ?
Ici le modèle de la science est inapproprié, le monde pratique dans lequel nous vivons est fait de
situations singulières, donc ne peut être l’objet que d’opinion (thèse constante d’Aristote).
Pour déterminer notre décision, nous raisonnons, de manière consciente ou non : nous avons estimé la
situation (à qui l’on a affaire, dans quelle circonstance, etc.) et nous avons tranché entre diverses
options possibles : la délibération se conclut par une décision et l’action. Le combattant à estimer le
risque qu’il courait, les forces de l’adversaire, les siennes propres, … et a agis en conséquence. De
même l’homme honoré a estimé le caractère de ses interlocuteurs, etc., et a trouvé le mot adéquate
pour n’être ni prétentieux ni inutilement humble. La « phronesis » ou sagesse pratique
est cette vertu
intellectuelle qui nous rend capable d’estimer correctement une situation et les personnes concernées,
et déterminer l’action la plus approprié. Elle nous rend donc capable d’appliquer la règle (« tu ne dois
pas faiblir » ; « tu ne dois pas te vanter », etc) en situation concrète, ou d’atteindre notre fin (le courage,
etc) avec les moyens adéquates.
• Mais parfois, nous hésitons non pas sur la bonne manière d’atteindre telle fin (l’acte courageux, la
modération, etc.) sur quelles fins poursuivre, parmi plusieurs : par exemple, dois-je rester au combat/
au travail, ou dois-je remplir d’autres obligations, comme mes devoirs familiaux ? La concurrence
entre plusieurs fins et les conflits de devoirs ne sont pas du tout exceptionnels : ils sont quotidiens. Ils
sont liés au fait que nous multiplions nos activités, nos relations, et nos statuts (amis, employé,
collègue, père, etc…), sans nous diviser nous-mêmes. Comment être un bon fils, et un bon ami, et un
bon étudiant, etc. ? Certains statuts et obligations qui y sont liées imposent une hiérarchie stricte,
formelle : certaines professions impliquent une priorité sur nos obligations familiales. Mais dans la
plupart des cas, la hiérarchie est variable selon les moments, les situations. Selon Aristote, l’éthique,
comme la politique, est l’art de hiérarchiser mes fins au mieux selon les circonstances (afin de
réussir sa vie, individuelle en éthique, la vie collective de la cité en politique). La phronesis, la sagesse
pratique, est cette qualité intellectuelle qui nous fait choisir les bonnes fins en fonction des bonnes
circonstances.
• C’est une vertu que peuvent partager l’homme privé (vous, moi) et l’homme public (l’homme
politique ou le général, comme Périclès pour Aristote, Napoléon ou De Gaulle pour nous). C’est le
sage qui fournit la mesure de la bonne manière d’agir. Il faut s’inspirer de la manière dont les hommes
sages dans l’action, prudents, vertueux, agissent, s’en servir comme exemple, pour inspirer notre
conduite. L’exemple est plus important que la règle : c’est lui qui donne la règle, comme l’artiste de
génie (Kant, Alain).
Le grec ancien dispose de deux mots traductible par « sagesse ». « Sophia » signifie davantage sagesse
théorique (un savoir général des choses les plus importantes). Phronesis signifie chez Aristote puis Épicure la
sagesse pratique : savoir comment bien agir. Les philosophes latins ont traduit prudentia, qui a donné le français
prudence, mais dont le sens moderne est très appauvri.