La rougeole
par Philippe Reinert
Pédiatre, hôpital Intercommunal, Créteil, France.
En 1976, le premier article du premier numéro de Développement et Santé traitait de
la rougeole : c'était alors une des premières causes de mortalité infantile dans le
monde. Qu'en est-il 23 ans plus tard, alors qu'est survenu le sida et que l'OMS a
réalisé de considérables efforts pour généraliser la vaccination antimorbilleuse ?
Le virus de la rougeole tue encore plus d'enfants que le VIH, et de récentes
épidémies se sont accompagnées d'une mortalité de 10 %. C'est dire si le sujet est
d'actualité en 1999.
I. Épidémiologie
Le virus de la rougeole est un Paramyxovirus dont le seul réservoir est l'homme. La
transmission est directe par les fines gouttelettes de salive émises lors de la toux.
L'enfant n'est contagieux que pendant quelques jours (période d'invasion : 4 jours
début de l'éruption : 48 heures).
La porte d'entrée est habituellement constituée par les muqueuses respiratoires, plus
rarement l'oeil.
Tous les enfants non vaccinés sont réceptifs et la contagiosité est grande : en milieu
urbain, la rougeole sévit à l'état d'endémie avec une recrudescence à la saison
sèche. En milieu rural, la rougeole procède par épidémies tous les 2 ou 3 ans. L'âge
varie, mais est en moyenne plus élevé en zone rurale que dans les villes.
Au Kenya, 25 à 30 % des enfants ont la rougeole avant 1 an, 55 à 60 % avant 2 ans,
l'âge moyen des formes mortelles est compris entre 17 et 20 mois.
Pour expliquer une telle gravité qui n'existe plus dans les pays développés, on retient
de multiples facteurs : dénutrition, retard des soins, infections associées (paludisme,
VIH), contamination virale massive par promiscuité, et bien r, couverture vaccinale
insuffisante.
Comme le vaccin n'est pleinement efficace qu'après l'âge de 1 an, il faut :
- isoler le plus possible les nourrissons des enfants non vaccinés,
- promouvoir la vaccination dès le 6e mois, suivi d'une seconde injection avant l'âge
de 2 ans,
- conduire rapidement au dispensaire tout jeune enfant présentant les critères d'une
rougeole grave.
Il. Symptomatologie
La rougeole non compliquée se caractérise par 4 phases :
- Une incubation silencieuse de 10 jours.
- Une invasion de 4 jours : température à 39°/40°, modification du caractère,
anorexie, catarrhe oculonasale, diarrhée, signe de Koplick (figure 1) qui est le
signe fondamental : un semis de taches blanchâtres reposant sur une muqueuse
rouge, à la face interne des joues, mais pouvant envahir toute la bouche et persister
à la phase d'état de la maladie.
- Une phase d'état (4 à 5 jours) : l'éruption débute derrière les oreilles puis gagne tout
le corps en 3 jours ; elle est constituée de petites taches rouge doré d'un demi
centimètre de diamètre, s'effaçant à la pression. Ces taches deviennent rapidement
congestives et se couvrent de vésicules comme des graines de mil qui vont
rapidement se rompre et se dessécher donnant à la peau un aspect granité. La
peau prend alors souvent un aspect tigré.
- L'évolution : progressivement, si tout se passe bien, la fièvre et l'éruption
disparaissent en 4 à 5 jours, la diarrhée et l'anorexie durent quelques jours de plus.
Dans tous les cas, l'enfant en sort fatigué et amaigri pendant plusieurs semaines.
III. Complications (figure n°2)
Elles sont fréquentes, souvent graves, à redouter à tous les stades de la maladie :
- précoces, c'est la rougeole maligne ou toxique emportant l'enfant en quelques
heures ;
- tardives, ce sont les complications liées soit au virus lui-même (pneumonie,
encéphalite), soit à une surinfection bactérienne (pneumonie, otite, mastoïdite,
conjonctivite) soit enfin, à une aggravation d'un état antérieur (malnutrition).
1. Complications respiratoires
Les poumons et les voies aériennes sont les organes cibles du virus qui lèse
l'épithélium entraînant une paralysie des cils vibratiles favorisant ainsi les
surinfections bactériennes. Ces complications aggravent 10 à 80 % des rougeoles
en pays tropical.
On distingue:
- Les pneumonies précoces liées à une invasion virale massive: cyanose, battements
des ailes du nez, polypnée, fièvre élevée les caractérisent. Malgré l'oxygène,
l'évolution est vite fatale. Elles surviennent surtout chez l'enfant dénutri.
- Les surinfections bactériennes survenant en fin d'éruption. Elles réalisent une
bronchopneumonie, une pleurésie, voire un abcès du poumon se compliquant parfois
de pneumothorax et d'emphysème médiastimal. Cliniquement, le tableau est celui
d'une détresse respiratoire brile progressive. Seule la radiographie pulmonaire
permettra de préciser le type d'atteinte.
Les germes responsables sont haemophilus influenzas, pneumocoque,
staphylocoque doré.
Antibiotiques, réhydratation et renutrition sauvent souvent l'enfant.
Les autres atteintes des voies aériennes sont - les otites tardives, douloureuses,
toujours dues à une surinfection qui peut, en l'absence d'antibiotique, se compliquer
de mastoïdite, voire de méningite ;
- les laryngites précoces, virales et peu graves
- les laryngites tardives bactériennes vères révélées par une toux aboyante et
rauque, une gêne respiratoire.
Dans ces cas, antibiotiques et corticoïdes ont transformé le pronostic.
2. Complications neurologiques
Le virus de la rougeole est neurotrope et peut provoquer des convulsions fébriles
banales, plus rarement des encéphalites débutant 8 à 10 jours après l'éruption . elles
se caractérisent par des troubles de la conscience, des convulsions répétées peu
fébriles, des paralysies variées.
L'évolution peut être sévère dans 30 % des cas épilepsie, retard mental, mortalité: 10
%.
La rougeole peut aussi, de façon exceptionnelle, provoquer une encéphalite
subaiguë qui se révèle 3 à 10 ans après la rougeole. Dégradation intellectuelle,
myoclonies l'annoncent. Le diagnostic étiologique repose sur le dosage des
anticorps qui est alors très élevé.
L'évolution est toujours fatale en quelques mois.
3. Complications oculaires
Fréquentes, elles représentent la cause du tiers des cécités en Afrique.
Il s'agit de conjonctivites et surtout de kératites par surinfection bactérienne pouvant
ulcérer la cornée.
L'antibiothérapie précoce peut sauver l'oeil.
4. Complications digestives
Si la rougeole simple ne provoque qu'une diarrhée modérée, elle favorise et aggrave
les infections digestives bactériennes (salmonelles, shigelles) et parasitoses
(amibiases).
Une diarrhée glairo-sanglante est donc fréquente, se compliquant souvent d'une
déshydratation fatale.
IV. Traitement
Aucun médicament n'est directement efficace contre le virus de la rougeole.
Nous pouvons donc seulement lutter contre la déshydratation, la dénutrition, les
surinfections bactériennes et prévenir par la vaccination.
Mesures indispensables dans tous les cas :
- désinfecter le nez, la gorge et surtout les yeux (collyre antibiotique 3 fois/jour) ;
- administrer systématiquement un traitement antipaludique ;
- l'administration par sonde naso-gastrique est souhaitable en cas d'anorexie et/ou
de dénutrition. Pour beaucoup, une supplémentation en vitamine A est utile
(400 000 u.i.) ;
- au moindre signe de surinfection bactérienne (respiratoire, ORL, oculaire), une
antibiothérapie à large spectre est indispensable : amoxicilline, cotrimoxarole,
céphalosporine, chloramphénicol sont les antibiotiques de base. En cas d'atteinte
pulmonaire sévère, une bi-thérapie est nécessaire : céphalosporine + aminoside, par
exemple.
V. Le point sur la vaccination
Le vaccin contre la rougeole largement utilisé n'a cependant pas réussi a éradiquer
la maladie, même dans les pays occidentaux. Ceci pour plusieurs raisons :
1. C'est un vaccin vivant donc fragile, détruit par la chaleur (danger de rupture de la
chaîne du froid). De toute façon sa durée de vie est relativement courte.
2. Il est détruit par les anticorps rougeoleux présents dans le sang ; or, chez tout
nouveau-né, il existe des anticorps rougeoleux d'origine maternelle qui persistent
entre la naissance et 1 an. En pratique, de 0 à 6 mois, le vaccin est détruit par ces
anticorps donc inefficace. Entre 6 mois et 1 an, même si l'efficacité est imprévisible,
il faut vacciner à l'âge de 9 mois, et à 6 mois en cas d'épidémie.
3. Le vaccin n'entraîne pas la production d'anticorps dans 10 % des cas: 90 % des
enfants vaccinés sont effectivement protégés. Il est donc nécessaire d'effectuer une
seconde injection de vaccin rougeoleux, avant 6 ans. On atteint alors une protection
proche de 100 %.
Développement et Santé, n° 139, février 1999
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