-1LA SOLIDARITÉ TELLE QUE PRATIQUÉE PAR L’UNION EUROPÉENNE La « Solidarité telle que pratiquée par l’ Union européenne », c’est le thème que les organisateurs de la semaine de la solidarité ont demandé à l’association Attac de présenter dans cette salle de la Halle au Blé, afin d’en débattre. En effet, nous avons été quelques uns, au sein de notre association, à regarder de plus près comment s’est construite et comment fonctionne l’Europe aujourd’hui. C’est donc le regard d’un citoyen européen ordinaire, qui cherche à s’informer, que nous vous présentons aujourd’hui, avec ses manques et sa partialité, et non l’exposé d’ un universitaire, d’un politique ou d’un familier des instances européennes. Ceci posé, soulignons que solidarité contient l’idée de solide. C’est à dire d’un lien, d’une force qui unit les éléments qui le composent. Dans une société, être solidaire, c’est la conscience que l’on a d’appartenir à un groupe et la conscience de notre responsabilité vis à vis des autres membres de ce groupe, que ce soit au niveau de la famille, du pays, de l’Europe ou du reste de l’humanité. C’est de la solidarité telle qu’elle est transcrite dans les traités, les règlements ou les directives européennes ou telle qu’elle se concrétise dans les pratiques politiques de celle-ci que nous parlerons. Nous laisserons volontiers de côté la solidarité militaire, judiciaire ou policière pour ne parler que de la solidarité sociale et économique à travers quelques exemples non exhaustifs. L’exposé comprendra trois parties. Une première partie sera consacrée à la solidarité de l’Union européenne (l’UE) envers les pays qui lui sont extérieurs. Une seconde partie parlera de la solidarité ou de l’absence de solidarité à l’intérieur de l’ Union européenne. La troisième partie clôturera l’exposé par la matrice théorique de l’économie sociale de marché à laquelle se réfère la politique européenne. I - Les politiques européennes de solidarité envers le monde extérieur 1°) La Commission européenne (27 commissaires assistés d’une administration) est un organe central de l’Union européenne. L’un de ces commissaires, le belge Louis Michel, a en charge le domaine du « Développement et aide humanitaire » de l’U.E., donc celui de la solidarité internationale. L’aide humanitaire est assurée par un service spécifique, le service ECHO. C’est ainsi que l’Europe vient tout récemment d’adresser un chèque important au Pérou et au Paraguay suite aux désastres climatiques que ces pays ont subi. Il vient ces jours-ci de décider, en partenariat avec les Nations unies, de financer un dispositif de sécurité et d’aide pour les populations du Darfour. C’est, selon ce service, 18 millions de personnes secourues chaque année, dans 60 pays à travers plus de 200 partenaires, dont les ONG notamment, et les agences spécialisées de l’ONU comme le HCR. L’UE se présente comme le premier acteur de la planète dans ce domaine. Ces interventions sont basées, dit ECHO, sur les principes d’humanité, de non discrimination et d’impartialité. 2°) La solidarité s’exerce aussi, ou s’exerçait, à un niveau institutionnel plus accompli, dans les conventions passées avec des pays en voie de développement (PVD). Trois périodes sont à distinguer. . Dès 1963, la solidarité entre ce qui était alors la CEE, (Communauté Economique Européenne) et 18 états africains et malgache s’est manifestée à travers la convention de Yaoundé. 1 -2Puis ce fut, en 1975, sous l’impulsion de Claude Cheysson, alors commissaire à la place qu’occupe aujourd’hui Louis Michel, la Convention de Lomé (Togo) passée avec 46 pays ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique) , puis élargie à 58 pays en 1979 (Lomé II). Cette convention garantissait aux pays ACP : - un système de stabilisation de leurs exportations de produits, appelé Stabex, pour compenser les pertes de recettes à l’exportation en cas de fluctuation des prix du marché, - un système équivalent pour des produits miniers, le Sysmin. - des préférences tarifaires non réciproques, - des programmes agricoles financés etc. Ces conventions manifestaient un réel esprit de solidarité de la part de l’UE envers les pays ACP. Il est vrai que l’UE n’avait pas envie de voir ces pays se rapprocher de l’Union soviétique. De 1984 à 1995 (Lomé III, IV et IV bis), les pouvoirs politiques ouvrent les frontières, la mondialisation commence à déferler. L’accord de Lomé va instaurer une inflexion dommageable à la solidarité car il inclut désormais l’obligation de respecter les Plans d’Ajustement Structurel (PAS) du Fond Monétaire International (FMI). Ces plans sont une ingérence à l’intérieur des pays. Ils les contraignent à une rigueur monétaire pour rembourser leurs dettes ; résultat, les budgets Santé et Education en sont souvent les premières victimes. Ces pays se voient de plus forcer la main pour privatiser leurs services publics, telle la distribution de l’eau. A partir de 1995, le monde a changé, la guerre froide est finie, l’OMC a été créée en 1995. Petit rappel : l’OMC a pour objectif d’abolir les obstacles au libre échange et d’abaisser autant que possible les droits de douane, d’établir la libre concurrence et circulation des marchandises, des services et de la finance à travers le monde. Une nouvelle convention remplace celle de Lomé en 2000, c’es la Convention de Cotonou. Plus de Stabex, plus de Sysmin, plus de tarifs préférentiels à terme, les pays ACP devront à l’avenir se plier aux règles de l’OMC. Mieux, pour parvenir à ses fins – stratégie prudente – l’UE divise ces pays en 6 zones avec lesquelles elle négociera séparément des Accords de Partenariat Economique Régional (APER). Ceci contre la volonté unanime de ces pays qui exigeaient que ces négociations soient précédées d’un accord cadre applicable à tous. Dans ces accords, l’UE imposera à terme : - la compatibilité de tout accord avec les règles de l’OMC, - la libéralisation des services du pays, c’est à dire leur mise en concurrence au niveau mondial, soit une stricte application de l’AGCS (Accord Général sur le Commerce des Services dont on parlera plus avant) - l’application de l’ADPÏC (Accord sur les brevets). Cet accord sur les brevets est particulièrement dommageable à ces pays comme l’a démontré le conflit entre l’ Afrique du Sud, le Brésil et les labos pharmaceutiques à propos des antiviraux dans le traitement du Sida. - le respect des PAS du FMI. En conclusion, l’UE apparaît désormais comme le fer de lance de la mondialisation version OMC. Plus question de solidarité, place à la concurrence. * Exemple de la banane : l’Europe est le marché le plus important pour la banane. Le ¼ de ce marché est fourni par les pays ACP. Ce sont pour beaucoup de petits producteurs vivant en pays montagneux. Selon Pascal Lamy, L‘Europe en 2002 leur payait 500 € la tonne alors que le prix du marché mondial variait entre 150 et 250 € la tonne. 2 -3Les 2/3 du marché restant sont l’affaire de 2 multinationales américaines Dole et Chiquita et une mexicaine Del Monte. Le Costa Rica, la Colombie, le Venezuela, le Nicaragua, pays de production et porte parole de ces multinationales, ont ainsi demandé à l’OMC la condamnation de ces pratiques favorables aux pays ACP. . 3°) Troisième remarque pour clore cette première partie. Cette fois pour constater l’évacuation définitive de toute trace de solidarité dans les négociations menées au sein de l’ OMC, notamment dans le cadre de l’AGCS (Accord Général sur le Commerce des Services. Rappelons que l’AGCS « comporte l’engagement de libéraliser de façon ininterrompue par des négociations périodiques » et « il vise tous les services ». En clair, il s’agit de livrer tous les services à la concurrence mondiale. Ces négociations se poursuivent en ce moment même à Genève. Dans le Traité instituant la Communauté européenne (Titre IX « La politique commerciale commune »), il est écrit à l’article 133 : « Ces négociations sont conduites par la Commission (en l’occurrence par le britannique Peter Mandelson qui a succédé à Pascal Lamy) en consultation avec un comité spécial désigné par le Conseil ». Ce comité, qu’on appelle Comité 133, est composé de représentants des pays membres. Il travaille dans l’obscurité démocratique la plus complète. Le Parlement européen est tenu à l’écart de ces négociations et leurs conclusions ne seront pas soumises au vote des parlementaires. En effet, la codécision Parlement / Conseil n’est pas requise en ce domaine. Les traités laissent encore une quarantaine de domaines, sur 90 environ, hors de cette procédure de codécision. Le nouveau traité fait un effort, il réduira cette amputation de la démocratie à 21 domaines environ… Constatons, pour conclure cette première partie, que l’UE s’est repliée, depuis l’ouverture à la concurrence mondiale, sur un mode historiquement régressif de solidarité – de l’ordre de la philanthropie - des riches envers les pauvres. La philanthropie, forme de la charité, entretient une image de générosité louable, mais elle ne remet pas en question un système économique et commercial qui n’a pas fait la preuve à ce jour, qu’il réduisait les écarts de pauvreté et les inégalités, loin s’en faut. II – La solidarité au sein de l’Union européenne et ses contraires. 1 – Les objectifs et les valeurs définis dans les traités ne manquent jamais d’ambition généreuses. Tels le préambule et l’article I-3 de feu TCE, repris dans le nouveau traité où il est écrit, par exemple, que l’UE « combat l’exclusion sociale » ou « promeut la solidarité entre les états membres ». La longueur et les détails de cet article ont été critiqués, notamment par les conventionnels britanniques qui l’ont qualifié avec ironie d’ « arbre de Noël » car ce sont de multiples décorations que l’on a suspendues à l’arbre. Ce qui en dit long sur l’effectivité de leur portée. 2 – Mais nos traités, dès le Traité de Rome, contiennent des dispositifs de solidarité d’ordre économique et social. a) Par exemple la PAC, la Politique agricole commune, institue une solidarité entre les 6 pays de la Communauté. Elle avait pour objectif l’auto suffisance alimentaire qui n’était assurée qu’à 80% dans les années 50. En 1962, paraissent les premiers règlements qui assurent la libre circulation des produits agricoles à l’abri d’une frontière et de droits de douane communs. Ils apportent la garantie de leurs prix, la préférence communautaire et la modernisation de l’agriculture . En 1966 les 6 pays créent une caisse commune, le Fonds Communautaire d’Orientation et des Garanties Agricoles (FEOGA) pour garantir les revenus agricoles et financer la modernisation de 3 -4l‘agriculture. Cette solidarité agricole aujourd’hui, entre les 27 pays, c’est 40 % du budget européen. Chaque état ayant la responsabilité de répartir dans son agriculture la part qui lui revient. b) Autre fonds créé par le Traité, le Fonds Social Européen dont l’essentiel est consacré aujourd’hui aux formations de réinsertion et de réorientation professionnelles. c) De la même façon, suite à la crise économique des années 70, au dérèglement monétaire international et à la restructuration industrielle engagée, est créé en 1975 le Fonds Européen de Développement Régional (FEDER) qui absorbe environ, sauf erreur, 36% du budget européen. Cette solidarité concrétisée par l’existence de ces fonds a tendance aujourd’hui à se dévoyer et à s’éroder. Tout a commencé avec Madame Thatcher dans les années 80 quand elle a exigé du Conseil européen le retour de sa monnaie « I want my money back » Une telle exigence équivalait à détruire le principe de solidarité qui régissait ces fonds entre les pays de l’Union. La PAC a été réformée en 1999 pour se conformer aux règles de l’OMC. Un « bilan de santé » de la PAC est prévu en 2008 par le commissaire à l’agriculture, la Danoise Mariamm Fischer Boel et la fin du financement garanti actuel est annoncée. D’autre part, quand l’Espagne, le Portugal sont entrés dans la CEE (Communauté Economique Européenne) en 1986, après la Grèce en 1981, les 6 ont accru leur participation financière pour les accueillir. Aujourd’hui, malgré l’élargissement de l’Union à 27 pays, les pays riches refusent tout nouvel effort financier alors même que leurs régions, par exemple, continuent à profiter de plus d’un tiers du budget du FEDER. C’est la solidarité envers les pays derniers venus et l’harmonisation économique et sociale entre pays européens qui en pâtissent.. A titre d’illustration, ARTE nous a révélé que la ville de Bordeaux avait aménagé son quartier des Chartrons. avec l’aide du FEDER. La Basse-Normandie reçoit elle aussi une participation conséquente de l’Europe à la réalisation de nombre de projets. Le Club de réflexion et de propositions « Notre Europe » créé par Jacques Delors critique sévèrement cette dérive qu’il appelle « dérive comptable », cette politique qu’il nomme « du juste retour » ou « du solde net », dérive qui se substitue au principe de solidarité. Il fustige les « égoïsmes nationaux » et plaide pour des recettes budgétaires indépendantes du bon vouloir des états. 3°) Contre exemple. Pour éviter la concurrence déloyale entre pays de l’Union, la solidarité voudrait que chaque pays soumette les entreprises à la même fiscalité. Aujourd’hui, les taux d’imposition varient d’ un pays à l’autre autour de 35 % pour la France, la Belgique et l’Italie par exemple. Il est de 12,5 % pour l’Irlande qui reçoit des aides conséquentes de l’Union et de 0 % pour l’Estonie. C’est au pays qui attirera le plus d’entreprises vers son territoire. C’est ainsi que la plupart des pays, comme le Luxembourg, la Pologne, l’Autriche, la Roumanie etc. baissent leurs impôts sur les sociétés. Pas de solidarité, tout est concurrence. Cette harmonisation – si elle était souhaitée par l’Union – serait d’ailleurs impossible à réaliser car la fiscalité relève de la compétence des états et il faudrait qu’un règlement ou une directive européenne instituant cette harmonisation soit votée à l’unanimité des 27 états. Mission impossible. Lors de la Convention qui a élaboré le TCE, le vote à la majorité qualifiée en matière de fiscalité a été catégoriquement rejeté par les Britanniques, les Suédois et les Irlandais notamment. Le vote à l’unanimité en matière de fiscalité a été maintenu. Seules les mesures contre la fraude fiscale et l’évasion fiscale illégale peuvent être votées à la majorité qualifiée. On a cru un moment que le travail d’harmonisation de l’assiette fiscale de l’impôts des sociétés entrepris par le Commissaire chargé de « La fiscalité et l’Union douanière », le hongrois Laszlo 4 -5Kocvacs, était le préalable à une harmonisation du taux de l’impôt. Pas du tout, ce travail entrepris voici plus d’un an et qui doit aboutir si tout va bien en 2010 a pour seul but de simplifier les contraintes des entreprises transnationales au sein de l’Europe pour les rendre plus performantes. 4°) Qu’en est-il de l’harmonisation sociale entre pays membres , ce qui serait une forme de solidarité dans l’ Union ? Dès les négociations du Traité de Rome, dans les années 50, cette harmonisation revendiquée par la France, a été rejetée à l’instigation de l’ Allemagne, plus précisément par Ludwig Erhard qui avait déjà à l’esprit un projet économique et social précis pour l’Europe. Jacques Delors a été l’artisan du bouleversement économique de l’Union avec l’Acte Unique (86) et Maastricht (92) mais ses initiatives pour en amortir les effets sociaux n’ont rien changé de fondamental. Or voilà que l’UE s’intéresse à la coordination des politiques sociales entre états, depuis qu’à Lisbonne, en mars 2000, les Chefs d’état et de Gouvernement ont fixé à l’Europe l’objectif de « devenir l’économie … la plus compétitive et la plus dynamique du monde » Un problème s’est alors posé car le social est de la compétence des états. L’ Europe ne peut donc pas légiférer pour imposer cette harmonisation par des règlements ou directives. Elle a contourné la difficulté en instituant une procédure, la MOC (Méthode d’Ouverture et de Coordination). Cette méthode consiste à ce que les représentants des pays membres élaborent au sein de comités (Comite de l’Emploi, Comité de Protection sociale etc.) des Lignes Directrices que chaque état doit ensuite mettre en œuvre dans des PAN (Plan d’Action National). Ces MOC permettent d’exercer une pression à laquelle il est difficile pour un état de se dérober. C’est l’équivalent des GOPE (Grandes Orientations de Politique Economique) mises en place après Maastricht afin que les ministres des Economies et des Finances coordonnent leurs politiques respectives. Pourquoi ce besoin de coordination ? Toutes les Lignes directrices, qu’elles concernent l’emploi, la santé, l’éducation etc. doivent être assujetties, annexées, au profit de l’objectif économique de croissance. Elles doivent être un investissement dans le Capital humain, affreux mot qui trahit une vision racornie de l’être humain et qui est attentatoire à sa dignité. On peut constater en effet, à la lecture de documents préparatoires de la Commission, que la Santé n’est pas un objectif en soi mais une façon de maintenir en bonne santé les travailleurs, que l’éducation est un investissement économique pour disposer d’acteurs économiques performants. Une tel objectif s’éloigne sensiblement de celui de l’ Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui définit la santé comme « un état de complet bien être physique, mental et social et ne consistant pas seulement en une absence de maladie et d’infirmité ». Or, et ce sera notre conclusion, l’objectif social et l’objectif économique relèvent de 2 logiques différentes et s’opposent. Les amalgamer dans un même objectif comme le Conseil de Lisbonne l’a fait, c’est un déni de la spécificité du social. 5°) Pour clore cette 2ème partie de l’exposé, attardons-nous sur les services de protection sociale qui sont par excellence des institutions de solidarité. Vous vous souvenez certainement du tollé provoqué, en fin d’année 2004 par le projet de Directive sur les Services (en date du 13 janvier 2004), dite Bolkestein du nom du Commissaire hollandais au « Marché intérieur et Services ». L’objectif de cette directive, dans le cadre du programme arrêté par les Chefs d’Etat à Lisbonne en 2000, était de mettre en concurrence dans l’Union, tous les services. Le coût de Main d’Oeuvre, le coût des contributions sociales et les contraintes légales, différant très largement d’un pays à l’autre, c’était instituer la concurrence en lieu et place d’une harmonisation solidaire, par le haut, de ces charges. 5 -6Devant ce tollé, la Commission s’est vue contrainte de retirer du champ d’application de cette directive la Sécurité Sociale et les Services sociaux. Or, le 26 avril dernier, la Commission revient sur ce retrait. Elle a en effet adopté une « communication » présentée par le commissaire à l’ « Emploi, Affaires sociales et égalité des chances », le Tchèque Vladimir Spidla (prélude à une directive). Cette communication concerne une nouvelle appellation sans existence juridique : les Services Sociaux d’Intérêt Général. Sous couvert de cette appellation, il s’agit en gros de la Sécurité sociale (santé, vieillesse, accidents du travail), du chômage, des retraites, des handicaps, de l’aide aux toxicomanes, du logement social etc. qu’il faut désormais considérer comme des activités économiques. Or, la Commission rappelle, qu’en vertu du droit de la concurrence imposé aux activités économiques, la Cour de Justice des Communautés européennes a défini l’activité économique comme « toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné par une entreprise indépendamment du statut de cette dernière et de son mode de fonctionnement » La Commission conclut que « la quasi totalité des services prestés dans le domaine social peuvent être considérés comme des activités économiques » . Et au cas où nous n’aurions pas compris, elle ajoute que : « les services exclus du champ d’application de la directive relative aux services dans le Marché intérieur continueront de relever de l’application de ces règles et principes ». Autrement dit, le projet européen de la Commission est de substituer le commerce à la solidarité dans les services sociaux et la sécurité sociale. III – Quelle est donc la matrice théorique de toutes ces réformes entreprises – sous couvert de modernisation par les Chefs d’Etat au niveau européen ? Vous avez certainement entendu parler de « modèle européen de société », de « modèle social européen » ou de capitalisme rhénan » et plus sûrement d’« économie sociale de marché ». Autant d’appellations pour souligner l’originalité d’un modèle qui démarquerait l’Europe du modèle de société anglo-saxon. C’est ainsi que « Pierre à pierre, pas à pas, graduellement, nous avons créé un cadre de plus en plus solide pour une économie sociale de marché » nous dit le Président du Parti Socialiste Européen, Poul Nyrup Rasmusen (Le Monde en novembre 2004). La matrice théorique de cette Economie sociale de marché est une doctrine, l’ordolibéralisme, élaborée dans les années 30, dans un contexte socio politique spécifique. Pour ses concepteurs, elle a été élaborée contre 2 ennemis : - le collectivisme (la planification d’état) qui aurait conduit au communisme et au nazisme, - le « laissez faire » du libéralisme classique qui a conduit à la crise de 1929. L’Ordo libéralisme se proposait ni plus ni moins de sauver la liberté individuelle et le capitalisme. L’Allemagne qui n’a plus d’état après 1945 va reconstruire son nouvel état sur la base des principes de l’Ordo libéralisme, du moins le volet économique de cette doctrine, grâce à Ludwig Erhard converti à l’ordolibéralisme. L’Allemagne jouera par la suite un rôle central dans la construction européenne et imposera à celle-ci, au fil des traités, son modèle de société.. C’était le programme des Chrétiens démocrates (CDU) au pouvoir. Mais la rigueur du volet social de l’ordo libéralisme ne serait pas passée en Allemagne. Pour ne pas compromettre son programme économique, la CDU a dû prêter attention aux questions sociales de l’après guerre de façon tactique. 6 -7Ils ont donc fait de l’Etat Social intensif. Exemple, les retraites en 1957 : augmentation de 65 à 72%, indexation sur les revenus, augmentations garanties… Cependant, ces 20 dernières années, la crise sociale s’est durablement installée. L’Allemagne et avec elle l’Europe radicalisent leurs politiques dans le sens des principes sociaux de l’ordolibéralisme. Il est donc temps d’en dire plus sur l’ordolibéralisme. L’objectif des ordo libéraux est d’instituer un ordre économique performant et un ordre social qui garantit la liberté et la dignité de l’être humain. La croissance n’est pas un but en soi mais elle est nécessaire pour permettre la satisfaction des besoins matériels, moraux et spirituels. La notion de dignité est ambiguë. Elle est liée à la responsabilité individuelle de chaque membre de la communauté dans la réussite économique L’idéalisme traditionnel des allemands a donné à l’ordo libéralisme un caractère quasi religieux que les politiques récupèrent aujourd’hui en tant que morale culpabilisante au service de l’économie. Ludwig Erhard n’écrivait-il pas à sa fille en 1945 que « l’économie n’est pas le but suprême de la société, elle ne peut être qu’au service d’un « but suprême » de nature spirituelle. Et ne lit-on pas dès le premier article de la Constitution allemande (Loi Fondamentale de 1949) : « Responsable devant Dieu et les hommes …. nous peuple allemand etc. » Aujourd’hui on emploie plus volontiers l’expression laïque de cette doctrine, le néolibéralisme (nouveau libéralisme), mais les principes sont rigoureusement identiques. Quel est son programme économique ? Pour l’ordolibéralisme, il n’existe que deux principes fondamentaux en économie : - ou l’activité économique des individus et des entreprises est coordonnée par un plan central, - ou ces activités sont coordonnées spontanément par les prix du marché. Les ordo libéraux constatent que les systèmes basés sur un de ces principes ou sur un mélange des 2 n’ont jamais marché. D’où leur postulat pour remédier à ces échecs: seule la concurrence permettra un bon fonctionnement. Mais elle n’est pas naturelle. Elle doit donc être encadrée juridiquement Et encadrée par une constitution économique car il s’agit de la mettre à l’abri du pouvoir politique , qui lui, change au fil des élections... D’où la loi fondamentale de la « concurrence libre et non faussée » au cœur des traités , comme principe radical et inaliénable. Dans cette constitution économique, 2 institutions sont essentielles: : a) Une institution de police. Une institution de police contre tout monopole – et contre toute mesure d’aide directe ou indirecte aux entreprises, tel un privilège fiscal. Les services publics doivent perdre leur statut spécifique et devenir des entreprises comme les autres, des entreprises soumises à la concurrence et aux aléas de la guerre économique. Dans l’UE, cette police est assurée par un « Commissaire européen à la concurrence ». Actuellement c’est une Hollandaise qui occupe ce poste, Neelie Kroes. Les Commissaires prêtent serment d’indépendance devant la Cour de Justice et le Conseil européen qui les nomme ne peut pas les démettre de leurs fonctions. Toutes les précautions sont ainsi prises pour que la doctrine soit respectée (à noter que l’Allemagne s’était dotée dès 1957 d’un Office des Cartels à cet effet). Deux exemples tout récents : Microsoft condamné à 457 millions d’€ pour abus de position dominante dû à ses systèmes d’exploitation, France Télécom condamné à rembourser à l’Etat français entre 798 et 1140 millions d’€ pour avoir bénéficié d’exemptions, etc. 7 -8Cette institution de police complète et pérennise tout naturellement les réformes menées au pas de charge par l’Union depuis les années 90 pour réduire les Services publics, les Mutuelles et les Coopératives à des entreprises comme les autres. b) Une institution pour assurer la stabilité des prix, c’est la BCE, indépendante elle aussi du pouvoir politique. L’inflation ne doit pas fausser ou introduire d’incertitude dans les calculs économiques et financiers (la Bundesbank assumait cette fonction en Allemagne dès 1957). Le contrôle de la BCE par un gouvernement économique, revendiqué par certains politiques, rôle que pourrait jouer l’EuroGroupe présidé par le Luxembourgeois Junker, n’est probablement pas pour demain. Aujourd’hui, faute de laisser jouer une inflation limitée, c’est l’emploi qui en pâtit et les milieux financiers qui en profitent. Quel est son programme social ? En conséquence, le programme social qui en découle est tout simple. Pour palier à la déficience de la solidarité familiale, la collectivité assure un filet de sécurité mais a minima. C’est à chaque individu d’être assez prévoyant pour souscrire des assurances santé, retraite ou autre aléa de la vie. La profession ne doit pas être un statut, tel celui des fonctionnaires, qui garantit une sécurité absolue. Celle-ci est un privilège inconcevable qui fausse la concurrence sur le marché du travail. Seule est acceptable une sécurité relative, une sécurité de survie. Le salaire lui, doit être flexible et s’adapter à a loi de l’offre et de la demande, sur un marché du travail. L’indemnisation du chômage (que rend inévitable l’évolution des technologies) doit rester dissuasive et soumise à recherche d’ emploi ou à formation de reconversion professionnelle. Etc. etc. Vous reconnaissez évidemment là ce que nos politiques entendent par la nécessaire modernisation de nos systèmes sociaux. Denis Kessler, dans un récent article de Challenge, nous résume bien le programme mis à l’ordre du jour de la dite modernisation : « Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde » et plus loin « il s’agit […] de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ». C’est à dire en finir avec la solidarité instituée par l’Etat Social. Denis Kessler est l’ancien n°2 du Medef, Directeur Général d’Axa, banquier, président des sociétés d’assurances. Conclusion générale de cet exposé. L’Union de l’Europe est un très vieux projet que le traumatisme énorme laissé par la 2 ème guerre mondiale – et un contexte géo politique favorable – a permis d’entreprendre dès les années 50. Mais il nous semble que l’élan de solidarité à laquelle on aspirait à cette époque est trop souvent trahi. L’Europe solidaire et démocratique ne peut sur ces bases se mettre en place. Les choix politiques, économiques et idéologiques sont impulsés et arrêtés par nos Chefs d’état et de Gouvernement lors des Conseil européens, à l’abri de leurs opinions publiques. Ces choix paraissent ensuite nous tomber dessus, du haut de l’Europe. Le sentiment de ne plus avoir prise sur ces orientations politiques désabuse les populations et menace la survie même de cet idéal de solidarité auquel elles aspirent. Mais c’est un point de vue, place au débat. Attac-Alençon. Exposé d’introduction à un débat organisé dans le cadre de la Semaine de la Solidarité, à la Halle au Blé, le 10 novembre 2007 à Alençon. 8