La phénoménologie conçoit l’éthique, par exemple de la responsabilité, a priori,
contrairement à l’accountability, pour qui la responsabilité est ex post
. Elle dépend de l’usage
que l’individu fait de sa liberté. Les positions de Levinas (1972) et Jonas (1979) sur cette
priorité sont très fortes. Chaque personne a une responsabilité infinie dans le temps et dans
l’espace. On voit, avec Ricoeur
, l’importance des capacités de la personne, en particulier de
s’imputer une responsabilité. Cette éthique est positive, elle décrit des comportements sinon
les déconstruit (Derrida 1967, Bataille, 1980). Elle constate le comportement de la personne
responsable, contrairement au personnalisme (Mounier, 1971) qui est normatif. La
personne est sociale et responsable, elle a une priorité éthique et est capable d’auto
contrainte
(Rousseau, 1755 ; Kant, 1775-1780).
La capabilité/liberté, sous la forme d’une permission, peut être facultative, obligatoire,
interdite, etc. et devient paradoxale. Elle est fonctionnelle et se prête difficilement à la
méthode comparative. Comment comparer deux permissions ? Peut-on comparer des droits et
des capabilités afin de fonder une théorie de la justice ? Sen (2009 b) oppose la méthode
comparative des économistes à la recherche transcendantale par les philosophes d’une société
juste. Il semble confondre l’éthique du juste (par exemple, Levinas, Jonas) et la théorie de la
justice (Rawls), laquelle se situe dans une éthique du bien. L’éthique du juste réclame un
principe lexicographique entre les règles de la Loi et ne pose pas de problème en fondant la
liberté sur le respect de cette autocontrainte. L’opposition principale n’est pas entre
économistes calculateurs et philosophes transcendantaux, mais, comme le souligne Derrida
(1967), entre une philosophie calculatrice dite « grecque » et une conception lexicographique
dite « talmudique ».
La liberté ne se confond pas avec la liberté de choix. Sen (2009 b) énonce que
«personne ne peut nier que l’absence de choix soit une négation de la liberté », mais
l’existence de choix n’est pas a contrario une preuve de liberté. Qui autorise le choix, qui a le
choix et comment s’effectue-t-il ? Autant de modalités qui font que la liberté de choix peut se
faire dans la pire des dépendances. Ainsi, l'élargissement des choix possibles n'améliore pas
fatalement le bien-être.
On retrouve ici le paradoxe de la redistribution optimale qui, pour assumer la liberté
de choix des donateurs, implique une société totalitaire (Bhukuth, Mahieu, 2010). Enfin
l’agrégation des libertés pose de sérieux problèmes inhérents à l’agrégation du choix social,
notamment l’hétérogénéité des groupes sociaux : l’impossibilité du choix social qui
caractérise l’école correspondante s’applique fatalement à des capabilités confondues en
libres choix.
La théorie de la justice post rawlsienne s’est fait connaître par la théorie de la
compensation optimale (Roemer, 1996) : afin de mieux connaître les types des personnes à
secourir et de pouvoir obtenir l’assentiment unanime des donateurs, ceux-ci ont droit à toute
l’information. Compte tenu des risques de manipulation, un fichier central au Ministère de
l’Equality of Opportunities Program (EOP) détiendrait les fiches de renseignement sur
chaque individu. On voit ainsi comment un libéralisme exigeant mène à une ingérence
orwellienne (Bukuth, Mahieu, 2010).
Sur cette conception de la responsabilité ex post issue de l'usage de la liberté, les positions de John Roemer et
Amartya Sen sont proches, selon Enrica Chiappero-Martinetti (2015).
« Entre la fuite devant la responsabilité et ses conséquences, et l’inflation d’une responsabilité infinie »,
Ricoeur (2004).
Selon Christine Korsgarard (1996), la liberté n'est concevable qu'au sens d'une obligation morale vis à vis de
tous les autres sujets humains.