CEFOCOP- Promotion 2005-2007- - Fiche de lecture- Février 2006 SOCIOLOGIE DE L’EDUCATION Anne BARRERE, Nicolas SEMBEL PRESENTATION DES AUTEURS Anne BARRERE est sociologue et enseigne en tant que maître de conférences à l’université de Lille III. Elle co-dirige également le DESS Ingénierie des ressources Humaines en éducation dans cette même université. Nicolas SEMBEL est également sociologue et maître de conférences à l’IUFM d’Aquitaine et à l’université de Bordeaux II. Leur courant théorique de recherche est la sociologie compréhensive de l’éducation et du travail. Leurs divers travaux sont donc en lien avec le travail scolaire, le travail enseignant, les ordres et désordres scolaires ainsi que les régulations dans la classe et dans l’établissement. Ouvrages publiés : BARRERE A. (2002). Les enseignants au travail, Paris : L’Harmattan BARRERE A. (1997). Les lycéens au travail, Paris : PUF SEMBEL N. (2003). Le travail scolaire, Paris : Nathan Université PRESENTATION DE L’OUVRAGE BARRERE A., SEMBEL N. (1998). Sociologie de l’éducation, Paris : Nathan Sociologie de l’éducation est un ouvrage qui se situe dans la continuité des travaux de recherches d’Anne BARRERE et Nicolas SEMBEL. Ici, ces auteurs abordent de façon plus globale le domaine de l’éducation. En effet, en une centaine de page ils dressent un état des lieux des connaissances sociologiques, des principales théories et recherches dans le domaine de l’éducation. Cet ouvrage se compose d’un avant-propos et de quatre chapitres. L’avant-propos est écrit par François DUBET, professeur de sociologie à l’université de Bordeaux II et chercheur au CADIS-CNRS. Les quatre chapitres sont les suivants : - École et socialisation - École et sélection - École et apprentissage - Ordre et désordre à l’école Ces chapitres sont une introduction à la sociologie de l’éducation. Ils éclairent différents processus actifs à l’école d’aujourd’hui. 2 SYNTHESES Avant-propos de François DUBET Selon François DUBET, les auteurs ont voulu présenter aux étudiants les grandes théories et les grandes enquêtes de la sociologie française. Il appuie sur la nécessité pour les enseignants de connaître l’ensemble de ces connaissances afin d’ « éviter de reproduire les erreurs et les illusions du passé ». Ce livre est un raisonnement d’ensemble liant la sociologie de l’éducation à l’histoire de l’école. De la théorie de DURKHEIM au 19ième siècle sur l’idéal scolaire à celle de BOURDIEU et PASSERON sur la reproduction des inégalités, cet ouvrage montre à quel point la sociologie de l’éducation trace les cadres à l’intérieur desquels peut se construire la liberté de chaque acteur de l’école. Chapitre 1 : Ecole et socialisation Les auteurs exposent dans ce chapitre les principales problématiques de la sociologie scolaire du 19ième siècle à aujourd’hui. Ils mettent ainsi en évidence trois conceptions majeures : - DURKHEIM (1858-1917), pour qui la sociologie scolaire est avant tout une éducation morale, dont le programme dépend de la discipline, de l’attachement au groupe (classe) et de l’autonomie de l’élève. Cette socialisation se fonde sur une séparation entre le monde scolaire et le monde social. - Pierre BOURDIEU et Jean-Claude PASSERON pendant les années 70 analysent l’école comme reproductrice des inégalités et des hiérarchies sociales. Le fonctionnement de l’école est proche de la culture familiale des enfants favorisés. De ce fait elle exerce sur ceux d’origine populaire une véritable « violence symbolique ». La distance entre leur culture sociale et celle de l’école peut entraîner chez eux, une acculturation. - François DUBET pendant les années 80 et 90 formalise une théorie sur l’expérience scolaire, sur la manière dont les élèves construisent leur expérience à l’école. La socialisation par l’école est tout d’abord la construction de l’expérience individuelle. Cette construction est caractérisée par l’intégration de l’élève, par ses stratégies et sa capacité de subjectivisation. L’entrée à la maternelle en tant que début de la socialisation marque une étape importante. Mais ce processus n’est pas identique selon les classes sociales : « A l’école pour les élèves de milieux populaires, l’éloignement de la culture scolaire de leur propre univers social peut faire de la socialisation une série d’épreuves tant les différents registres d’action sont 3 difficiles à combiner »p.21. Les différents styles d’autorité familiale expliquent en partie ces difficultés d’harmonisation avec le milieu scolaire. Ici, l’idée de la prétendue « démission des familles » est soulevée. Cette démission n’existe pas. Il y a participation de toutes les familles aux projets scolaires ainsi qu’un attachement à des valeurs comme le travail et la discipline. De plus, les attentes des enseignants ne sont pas toujours perçues par les parents. Le « système école » est de ce fait moins visible à leurs yeux ce qui est un réel problème. Ainsi, « des actions visant à faire comprendre les attentes des instituteurs aux parents peuvent avoir à cet égard des résultats spectaculaires en permettant à l’enfant de circuler dans un univers moins clivé »p.27. Chapitre 2 : Ecole et sélection Ce chapitre concernant l’école et la sélection évoque les recherches antérieures sur ce sujet. En effet, il reprend entre autre la notion d’élitisme (plus social que scolaire), principe central de fonctionnement de la sélection scolaire à l’époque de Durkheim, mais aussi les préoccupations d’égalité engendrés par la massification scolaire des années 70. Les limites de la démocratisation du système scolaire sont épinglées. Elle est perçue comme une « élimination différé » des élèves d’origine défavorisée. L’homogénéité est affaiblie par la création de filières de relégation. Une hiérarchisation des sections est implicitement mise en place. On revient sur les travaux de BOURDIEU et PASSERON et sur le rôle essentiel joué par le système éducatif dans le maintien des inégalités scolaires et de l’ordre social. Ce chapitre reprend donc les différents éléments qui peuvent intervenir à des degrés divers dans la fabrication de la sélection à l’école ainsi que les périodes de la scolarité ou celle-ci est la plus nette : « L’inégalité des parcours scolaires se focalise sur des moments clés : la réussite au CP, par exemple, dont on peut montrer qu’elle est un facteur prédictif important des réussites futures »p.44. Plusieurs « effets » peuvent peser sur la destinée scolaire des enfants : - L’effet collège : « les fils d’employés ou d’ouvriers réussissent plutôt mieux dans l’enseignement privé : ils sont moins éliminés en fin de cinquième et conduits davantage sans redoublement en troisième ou en terminale » p.49. - L’effet classe : « Les classes hétérogènes éliminent ainsi le risque de stigmatisation des groupes faibles, alors que les classes de niveau peuvent produire des effets de clôture en enfermant les élèves dans une image de cancres » p.50. - L’effet maître : « Il existe des stéréotypes défavorables liés à une basse origine sociale : à réussite scolaire égale, les enfants d’ouvriers français sont deux fois moins considérés 4 comme susceptibles d’attirer un jugement professoral favorable que leurs condisciples favorisés (ZIMMERMAN, 1982) » p.51. Aujourd’hui les travaux se centrent davantage sur les acteurs et moins sur les structures, ce qui peut amener à une meilleure compréhension des situations locales. Chapitre 3 : Ecole et apprentissage Pour nous décrire les recherches sur l’apprentissage à l’école, Anne BARRERE et Nicolas SEMBEL évoquent la notion de « métier », c'est-à-dire l’idée que l’élève met en place à tous les niveaux de son parcours scolaire, des stratégies dans ses travaux quotidiens, et mobilise alors des capacités et compétences qui n’ont pas toujours un rapport avec le travail purement scolaire. Les auteurs montrent aussi que « le système école » a connu des évolutions depuis ces dernières années : « la relation pédagogique est alors un échange entre les générations, où la subjectivité et les émotions jouent un rôle » p.74, ainsi les représentations des enseignants se sont transformées comme leurs pratiques pédagogiques. De nombreuses études montrent que malgré la place plus importante accordée aujourd’hui à l’élève dans ses apprentissages, il n’est pas pour autant devenu acteur à part entière de sa scolarité. Pourquoi ? On suppose d’une part que certaines pratiques traditionnelles ont perduré et d’autre part que les nouvelles pédagogies ne sont pas adaptées à tous les élèves. « C’est que la connaissance de l’élève, de ses stratégies d’apprentissage, de ses rythmes propres d’acquisition ou même des représentations préalables qu’il se fait de tel ou tel objet de savoir n’est guère un projet simple à réaliser dans un environnement massifié, et avec des contraintes inchangées quant aux modalités d’évaluation, de passage et d’examen »p.76. ANALYSE DETAILLEE Chapitre 4 : Ordre et désordres à l’école Dans une première partie, les auteurs évoquent « la dérégulation » scolaire et montrent les répercussions à l’intérieur de l’école de problèmes sociaux. Tout d’abord, ils nous font part des principaux aspects de « la dérégulation » scolaire. Ils abordent la notion de « forme scolaire » et montre que celle-ci a bien évolué depuis le 17ième siècle. En effet, posée dès le départ comme « l’articulation d’une relation pédagogique (maître-élève), d’un rapport à l’espace et au temps, et d’un rapport au savoir indissociable du rapport à l’écrit »p.90, elle subie deux inflexions importantes. La première a lieu au début 5 du 19ième siècle, avec la remise en question de l’obéissance a tout prix de l’élève et donc de la pédagogie du maître, qui doit se charger désormais de mieux expliquer pour une meilleure compréhension. On préfère l’expérience à la stricte répétition des exercices. La seconde a lieu au 20ième siècle, avec l’essor de la psychologie et des nouvelles pédagogies s’y rapportant. Elles donnent plus d’importance à l’enfant et à sa spontanéité. Ce bouleversement éclate « la forme scolaire » dont les nouvelles pratiques s’étendent aux activités extrascolaires. Il faut conclure à un affaissement des contraintes de « la forme scolaire » : « le silence de rigueur accepte un certain seuil de bruit, l’ordre se fait moins impersonnel »p.92. Puis, Anne BARRERE et Nicolas SEMBEL tentent de nous donner deux interprétations de la dérégulation scolaire. Ils proposent une interprétation par la massification. Cette dernière a entraîné une perturbation dans l’adéquation de certaines filières avec les élèves qui leur étaient socialement destinés. L’écart s’accroît entre enseignants d’origine favorisée et des publics d’élèves beaucoup plus populaires qu’avant. De plus, la montée des incivilités à l’école est peut-être le signe que l’ordre scolaire antérieur n’est plus viable. Les auteurs suggèrent également une interprétation par l’éclatement du projet républicain traditionnel. Aujourd’hui, on est dans une pluralité des modèles scolaires. Selon Jean-Louis DEROUET, trois modèles se dégagent : « le modèle de l’intérêt général » qui existait jusqu’à maintenant et qui posait comme principe la coupure de l’école avec le reste du monde, « le modèle communautaire » où l’on prône le respect de l’enfant avant tout, et « le modèle de l’efficacité » en rapport avec « une constante préoccupation de la productivité du service public ». La pluralité de ces modèles met à mal les repères habituels des enseignants. Aujourd’hui, maîtriser sa matière ne suffit plus. Chaque enseignant doit accomplir de nouvelles tâches en relation avec des dimensions plus personnelles des élèves comme par exemple la motivation. Puis, les auteurs expliquent aussi que la violence est une problématique récente à l’école, et que les enseignants et les élèves ne la perçoivent pas de la même façon. Selon les premiers la violence s’exprime surtout à l’école de façon verbale alors que pour les seconds, ce sont les bagarres qui sont les plus fréquentes. Pour les enseignants, la montée de la violence à l’école est la conséquence logique de l’accueil de tous les publics et donc de façons de parler jusque là absentes des établissements. Pourtant de nombreuses analyses (E. DEBARBIEUX) montrent que c’est « le non-sens » de certaines expériences scolaires dans les filières de relégation et classes difficiles qui entraîne la violence. « Il faut avoir le courage de briser la loi du silence et de dire clairement que la violence scolaire se fabrique aussi dans la vie de certaines classes » p.98 (CHARLOT, EMIN, 1997). Les enseignants ont donc des difficultés à 6 gérer ces situations de violence ce qui entraîne souvent chez eux une remise en question de leur compétence professionnelles mais aussi de leur identité personnelle. Il s’agit alors de réfléchir ensemble sur le problème afin de construire des solutions durables. Certains acteurs de l’école aimeraient revenir à l’application de normes non négociables en matière de discipline dans les établissements, mais il semblerait que c’est plus « la perception de l’autorité » elle-même qui poserait problème. Alors que les enseignants perçoivent cette autorité comme légitime dans bien des cas, les élèves au contraire la perçoivent souvent comme abusive. De plus, on a tendance à interpréter fréquemment les problèmes en matière de violence comme le résultat de différences culturelles entre les élèves. Les propos racistes sont très nombreux dans certains établissements, mais ce n’est souvent que le reflet de difficultés scolaires, et de la perception un peu trop individualiste de certains enseignants. C’est toute la culture scolaire qui est engagée dans le débat sur le racisme. Elle est parfois jugée comme une culture très ethnocentriste. Dans une seconde partie, Anne BARRERE et Nicolas SEMBEL évoquent les tentatives de régulation scolaire. Ils avancent un premier argument celui de « l’appel à la citoyenneté ». En effet, le nombre de droits accordés à l’élève et plus précisément au lycéen est un aspect de cette citoyenneté. Mais on observe que l’institution verrouille souvent ces libertés, notamment au conseil de classe où la parole de l’élève même par la présence des délégués est rarement prise en considération, et encore plus sur tout ce qui concerne les aspects pédagogiques. L’enseignement de l’instruction civique initiée pendant la IIIième république et généralisée après la Libération, fait naître chez certains jeunes de la banlieue des intérêts particuliers en rapports avec les droits de l’homme, la justice et l’équité. De façon globale, en ce qui concerne l’éducation à la citoyenneté, il s’agit dans la plupart des cas « d’avancer des droits pour réaffirmer des devoirs dont le respect contribuera à rétablir les contours d’une autorité dont les formes sociales sont désormais incertaines »p.103. C’est tous les jours, école par école, collège par collège, lycée par lycée que doivent se créer des réponses aux difficultés qui surviennent. C’est donc aussi par le local que le système peut se réguler. La création des EPLE au début des années 80 comme la mise en place des politiques ZEP a pour objectif de parvenir « à partir d’une action locale à une résolution globale de l’échec scolaire en tenant compte non seulement du poids de l’origine sociale, mais aussi du pouvoir de renforcement des disparités spatiales » p.104. La territorialisation de l’offre scolaire a fait naître un véritable marché de celle-ci ou logique de concurrence et de ségrégation coexistent. Beaucoup de familles favorisées demandent des 7 dérogations pour pouvoir aller dans les meilleurs établissements et non dans ceux du secteur. Ces pratiques renforcent considérablement les inégalités sociales et le sentiment d’injustice. Ainsi, pendant les années 90 naît une sociologie des établissements scolaires. Le pionnier dans ce domaine est Dominique PATY qui dès 1981 s’est intéressé à la structure « collège » et tout particulièrement aux relations existant entre les types d’autorité, les styles de relations sociales et les aspects éducatifs. En partie grâce à cette enquête, l’établissement scolaire à été reconnu comme objet d’étude et plusieurs axes de recherche ont émergé : un premier sur « l’éclatement des orientations au sein d’un même établissement et les difficultés rencontrées pour mettre en place un projet commun » p.107, un second sur les capacités différentielles de mobilisation présentes dans les établissements et variant souvent en fonction des chefs d’établissements, et enfin un dernier sur le bilan mitigé des politiques ZEP où « seuls les bons élèves semblent tirer partie des dispositifs mis en place » p.109. En conclusion, nous pouvons dire que pour évaluer « les politiques publiques, les politiques d’établissements, les pratiques enseignantes et le travail des élèves » il est indispensable de prendre prioritairement en compte le sujet adolescent et sa culture, comme ses besoins et ses envies d’investissement dans la vie de l’établissement. CONCLUSION ET REFLEXION EN LIEN AVEC LE METIER DE COP Les problématiques de la sociologie de l’éducation se sont au fil du temps diversifiées en parallèle avec l’hétérogèneisation des situations scolaires. Aujourd’hui certaines traitent de dimensions telles que la pédagogie, la motivation et le travail scolaire alors que d’autres s’attachent davantage à l’analyse des contextes difficiles. La sociologie de l’éducation caractérisée par cette pluralité des savoirs peut devenir une ressource importante pour les acteurs de l’école et notamment pour les conseillers d’orientation- psychologues. Cet ouvrage est un outil de réflexion sur l’éducation à mettre entre toutes les mains des professionnels de l’éducation. Pour un conseiller d’orientation-psychologue qui débute sa carrière ce livre apporte beaucoup d’éléments (références bibliographiques, historiques…) explicatifs sur le fonctionnement d’un établissement et du système éducatif en général. Il permet de mieux comprendre les difficultés de certains jeunes, leur comportement et le rôle que la famille mais aussi l’école (« effet établissement », « effet classe » et « effet maître ») tient dans ces parcours. Il permet d’avoir un regard neuf sur l’institution et ses acteurs et de se priver de tous clichés et stéréotypes. Ce que nous retiendrons principalement de ce travail 8 c’est que la collaboration entre professionnels et la prise en compte de l’adolescent dans sa globalité sont les clés qui permet d’avancer et de vivre pleinement son métier. 9