La théorie néo - classique de l`échange international indique que le

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INTEGRATION ET DEVELOPPEMENT HUMAIN
DANS LES PAYS EMERGENTS
§§§
PLAN DU COURS
INTRODUCTION
Des négociations commerciales multilatérales à la mise en place de zones
d’intégration régionale
THEORIES DE L’INTEGRATION ECONOMIQUE
DEVELOPPEMENT COMMERCIAL AU DEVELOPPEMENT HUMAIN
CHAPITRE 1 - LES
:
DU
Section 1 - Les effets de l’intégration commerciale
A - Les effets statiques et dynamiques d’une union douanière
B – Quelques exemples de projets d’intégration commerciale
Section 2 - Une logique cumulative de l’intégration : l’unification
monétaire
A - Les enseignements de la théorie des zones monétaires optimales
B - La politique économique en union monétaire
Section 3 - Le traitement des biens collectifs non marchands,
notamment sociaux
A - La justification économique du fédéralisme budgétaire : les
effets externes
B - Les enseignements de l’analyse des fédérations existantes
CHAPITRE 2 - LA
MESURE DU DEVELOPPEMENT HUMAIN ET SANITAIRE ET
LES DIFFICULTES DE LA REGULATION SANITAIRE
Section 1 - L’évaluation économique en santé publique
A - Les principales méthodes d’évaluation économique
B - Des exemples d’analyse empirique
C - Le financement de la santé dans les pays émergents africains :
bilan et perspectives de l’initiative de Bamako
Section 2 - Le développement humain dans le Voisinage de l’Union
européenne : le cas de la santé publique
A - La protection sanitaire dans l’Est européen
B - Les systèmes de santé des pays sud - méditerranéens
CONCLUSION
Une constance : - la difficulté du financement public du capital humain ;
- la nécessité de politiques publiques multidimensionnelles.
§§§
-2-
Introduction : des négociations commerciales multilatérales à la mise en
place de zones d’intégration régionale
Après la Seconde guerre mondiale, la libéralisation du commerce s'est effectuée dans
un cadre multilatéral sous l'impulsion du Gatt puis de l'OMC. Mais au cours des années 50,
le régionalisme, en suivant l'exemple des accords européens, s'est développé en Amérique
latine, en Afrique et au Moyen-Orient. Il se caractérise par la constitution d'accords
commerciaux discriminatoires impliquant un accès généralement réciproque et préférentiel
aux marchés des pays membres et le maintien d'une politique plus restrictive à l'égard des
pays tiers. Ce processus de régionalisation s'est ralenti dans les années 80 avant de
réapparaître vigoureusement dans les années 90, favorisé par les difficultés de négociation de
l'Uruguay round. Il représente des potentiels commerciaux très contrastés : par exemple, le
Caricom (Zone de libre-échange d'États des Caraïbes) exportait en 1993 2,548 milliards de
dollars de marchandises alors que l'Alena en exportait 662,045 milliards soit 260 fois plus…
La diffusion des accords régionaux peut être interprétée comme une modalité libérale du
processus de mondialisation mais peut aussi l'être comme un renforcement des liens
régionaux. L'objectif économique de l'intégration régionale reste fondamentalement le même
que celui du libre-échange : la recherche d'une plus grande efficacité économique. Cependant,
les moyens sont différents :
- l'intégration implique le développement privilégié de relations commerciales,
économiques et financières entre un nombre restreint de partenaires ;
- elle repose sur la suppression de toutes les formes de discrimination entre les
économies de ces pays. Elle vise donc la constitution d'un ensemble économique unifié et
dépasse la simple suppression des obstacles aux échanges internationaux.
A l'issue des négociations du Tokyo round conclues dans le cadre du GATT, le tarif
douanier commun européen (6,4% en moyenne) était nettement inférieur à celui des Npi
(Corée du Sud : 22,6%) tout en étant comparable à celui des concurrents japonais et
américains (environ 6%). Mais sa dispersion sur les différents produits était plus faible qu'aux
Etats-Unis ou au Japon. Avec ces deux pays, les relations commerciales de l'Union
européenne allaient d'ailleurs devenir vite très tendues en raison du protectionnisme américain
et du déficit extérieur chronique et très important de l'Europe vis-à-vis du Japon. Dans le
cadre de l'Uruguay round, les négociations agricoles ont abouti à d'importantes concessions
européennes qui ont mis fin à la préférence communautaire et ont entériné l'avènement de la
-3-
libéralisation internationale des marchés agricoles. L'Europe a accepté la réduction de ses
subventions à l'exportation, la suppression du système des prélèvements variables (remplacés
par des droits de douane progressivement abaissés), l'augmentation de l'accès des pays tiers
au marché communautaire. La clause de paix exemptant la Pac de toute contestation était
valide jusqu’en 2004. Pour le commerce des biens industriels, la réduction des protections
tarifaires s'est poursuivie malgré la persistance de pics tarifaires, notamment aux Etats-Unis
qui protègent assez fortement un petit nombre de productions (bois, cuivre, textile). La
réduction tarifaire prévue était en moyenne de 38% pour le tarif douanier commun européen,
de 50% pour le Canada, de 40% pour la Corée du Sud, etc. En réalité, cette baisse sera de peu
de portée pour les Etats-Unis, l’Union européenne ou le Japon qui, avant l’application de
l’accord, enregistraient une protection moyenne faible. L'Uruguay round a aussi organisé, sur
une période de dix ans à compter du 1er janvier 1995, le démantèlement progressif de
l'Accord multifibre régissant les échanges de produits textiles. En revanche, les productions
de l’acier et de l’aéronautique n’ont pas fait l’objet de négociations commerciales. L’accord
multilatéral a abouti à une ouverture du commerce mondial de services antérieurement fermés
à la concurrence. Un accord général sur le commerce des services (Gats) a été conclu : la
libéralisation des échanges, par l’application de la clause de la nation la plus favorisée, a été
étendue aux services et à la propriété intellectuelle. Cette libéralisation n’a été que partielle :
les services financiers, le transport maritime et l’audiovisuel en étaient exclus. La France a
défendu la notion d’exception culturelle, pour faire valoir que les créations de l'esprit ne
sauraient être traitées comme des marchandises. En 1999, à Seattle, l'Omc a enregistré un
échec lors du lancement du nouveau cycle de négociations multilatérales (cycle du
Millénaire), à cause notamment de l'opposition entre les Etats-Unis et l'Union européenne sur
le dossier agricole et des difficultés à associer les pays en développement aux négociations...
Enfin, en ce qui concerne les processus d’intégration régionale, on peut souligner que
l’on constate une logique cumulative de l’intégration selon laquelle l’intégration des marchés
appelle, pour des raisons d’efficacité, une intégration accrue sur le plan monétaire (pour éviter
les fluctuations erratiques des taux de change nationaux), puis sur le plan budgétaire et
politique, conduisant ainsi au fédéralisme fiscal et politique.
B. Balassa définit l'intégration comme étant un processus visant à supprimer les
discriminations entre unités économiques de différents pays. La constitution de zones
préférentielles représente le stade le plus faible de l'intégration (réduction des tarifs douaniers
et suppression des contingents). En dehors de cette forme élémentaire d'intégration, il distingue
cinq degrés d'intégration classés par ordre d'intensité croissante, chacun des degrés retenus
-4-
étant constitué du degré précédent auquel s'ajoute un élément nouveau :
- la zone de libre-échange, dont les pays membres éliminent entre eux les droits de douane et
les restrictions quantitatives freinant la libre circulation des marchandises mais conservent
chacun leur protection initiale envers le reste du monde (Aele créée en 1960 ou Mercosur créé
en 1991) ;
- l'union douanière, se distinguant de l'intégration précédente par l'adoption d'une politique
commerciale commune, notamment l'instauration d'un tarif douanier commun à l'égard des
pays tiers (Union douanière économique de l'Afrique centrale - Udeac - créée en 1973) ;
- le marché commun, qui est une union douanière dans laquelle les pays membres réalisent la
libre circulation et le libre établissement des personnes et des capitaux : la Cee de 1993 avec
l'achèvement du marché intérieur est l'exemple recouvrant le mieux la définition du marché
commun tout en se rapprochant des deux définitions suivantes de l'intégration ;
- l'union économique, qui ajoute aux principes du marché commun l'harmonisation des
politiques économiques nationales;
- enfin, l'union économique et monétaire ou intégration économique totale, qui implique
l'unification des politiques économiques et rend nécessaire l'instauration d'une autorité
supranationale en cas de monnaie commune ou unique; la suite logique de l'intégration
économique est l'union politique : il se manifeste ainsi la logique cumulative de l'intégration en
vertu de laquelle l'intégration des marchés, c'est-à-dire la création d'un véritable marché
commun, appelle une intégration plus poussée d'abord sur le plan économique (harmonisation
des politiques économiques) puis sur le plan monétaire.
-5-
CHAPITRE 1 - LES THEORIES DE L’INTEGRATION ECONOMIQUE : DU
DEVELOPPEMENT COMMERCIAL AU DEVELOPPEMENT HUMAIN
La théorie néo - classique de l'échange international indique que le libre-échange généralisé
est à l'origine de gains très élevés en bien-être. Au sein du Gatt (article XXIV, § 4), l'union
douanière a été considérée comme un progrès vers le libre- échange, car elle permettait d'accroître
le bien-être même si elle ne le maximisait pas. Les avantages issus de l'intégration commerciale
sont importants et la fixité des taux de change ou l'existence d'une monnaie unique apporte des
gains supplémentaires.
Section 1 - Les effets de l'intégration commerciale
La création de l'Union douanière de la Communauté économique européenne engendre tout
d'abord un changement du cadre réglementaire des échanges. Cette modification est analysée par la
théorie de l'union douanière qui appréhende les effets statiques de l'intégration économique.
Ensuite, le taux de croissance de la zone en cours d'intégration va être influencé par plusieurs
facteurs à l'origine de gains dynamiques : les effets d'économie d'échelle et de concurrence accrue,
le développement de l'échange intra-branche entre les Etats - membres et l'accroissement des
investissements directs en provenance des pays tiers dans la zone d'intégration régionale. Dans le
cas de la Communauté européenne, la libéralisation commerciale interne s'est achevée au 1er
janvier 1993 avec l'entrée en vigueur du Marché unique qui se caractérise par un démantèlement
des obstacles non tarifaires aux échanges de biens et services.
A - Les effets statiques et dynamiques d’une union douanière
La modification de la protection tarifaire domestique et extérieure entraîne une variation
des flux d'échanges à l'intérieur de l'union et entre celle-ci et le reste du monde. Trois effets
apparaissent :
- une création de trafic entre Etats membres de l'union douanière ;
- un détournement de trafic au détriment des pays tiers ;
-6-
- une hausse des importations en provenance des pays tiers.
1- L’analyse de la création de trafic
Le premier effet indique que les fournisseurs nationaux de chacun des pays de l'union
douanière dont les coûts de production sont internationalement les plus bas développent leurs
exportations à l'intérieur de la zone et éliminent du marché les producteurs les moins efficaces : il y
a création de trafic par exploitation de l'avantage comparatif, ce qui crée une situation avantageuse.
A titre d'illustration, analysons les effets d'une création de trafic, le producteur efficace résidant
dans l'union douanière (graphique 1). Considérons un monde avec deux pays A et B qui
constituent une union douanière. Avant la formation de celle-ci, le pays A produisait en situation
de protection une partie de ses besoins en bien x. Le pays A supprime les droits de douane
envers le pays B, alors l'industrie inefficace en bien x du pays A est concurrencée et décline
pendant que les importations en provenance du pays B se développent. Il y a création de trafic.
Les courbes de demande et d'offre domestiques du bien x dans le pays A sont représentées
par les droites DD' et OO'. Le bien x est produit dans le pays B sous l'hypothèse d'une offre
parfaitement élastique. Avant que l'union douanière ne soit formée, la fonction d'offre
d'importations après le paiement du droit de douane était TT'. Le pays A produisait la quantité OM
de sa consommation qui était ON et importait MN du pays B. La suppression du droit de douane
fait de PP' la nouvelle courbe d'offre des importations et fait croître la consommation jusqu' à
ON' , les importations jusqu'à M'N' et baisser la production domestique à OM'. Les quatre aires a,
b, c et d dans le graphique 1 mesurent le gain en bien-être, c'est-à-dire la variation de surplus des
agents économiques. Les consommateurs du pays A bénéficient pour le bien x d'un gain de surplus
mesuré par toute l'aire a + b + c + d. Cependant, cette aire ne représente pas le gain net pour le
pays. En effet, auparavant, l'aire a représentait un bénéfice désormais perdu pour les producteurs
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du bien x protégé du pays A (baisse du surplus des producteurs). De la même façon, l'aire c
représentait avant l'union douanière le produit de la recette douanière perçue par le gouvernement
du pays A. Cette recette est désormais perdue avec la préférence donnée au pays B. Le bénéfice
net est donc représenté par les aires b+d. C'est une situation avantageuse pour l'union douanière et
qui contribue au progrès du libre-échange mondial.
2 - Les autres effets statiques
Le second effet indique que des fournisseurs pourtant moins efficaces appartenant à l'union
douanière sont préférés aux fournisseurs efficaces qui sont hors de l'union douanière. Leurs ventes
renchéries par le tarif extérieur commun cessent : il y a détournement de trafic et l'union est
désavantageuse. Enfin le troisième effet révèle que même avec l'existence de détournements
d'échanges, la valeur des importations en provenance des pays tiers ne diminuera pas
nécessairement. En effet, les changements dans les prix relatifs et l'augmentation du revenu réel
dans les pays de l'union douanière peuvent donner naissance à de nouveaux échanges avec des
pays non membres : il y a création d'échanges externes.
De façon générale, si deux pays A et B en situation d'union douanière échangent de
nombreux biens, les différents effets de création et de détournement de trafic peuvent être agrégés.
Un effet net favorable (différence entre la somme des créations et la somme des détournements de
trafic) peut d'autant plus d'intervenir que les conditions suivantes sont respectées :
- la protection douanière domestique initiale est forte et les importations en provenance de
l'extérieur faibles : les possibilités de détournements de trafic seront alors limitées ;
- les économies de l'union doivent être concurrentielles avant l'union douanière mais
potentiellement complémentaires une fois l'union douanière réalisée. Chaque Etat membre doit
être ainsi le producteur le plus efficace de biens protégés et produits de façon inefficace par son
partenaire ; de ce fait, avec l'union douanière, il y aura création de trafic plutôt que détournement.
Une telle situation est possible lorsqu'il existe des échanges de produits similaires différenciés
entre nations de l'union (niveaux proches de développement économique).
- l'union douanière se révélera d'autant plus rentable qu'elle sera plus vaste ; l'agrandissement d'une
union douanière (à la limite jusqu'à incorporer toute l'activité économique mondiale) réduit les
risques d'un détournement de trafic puisque l'union accroît les chances d'avoir en son sein les
producteurs les plus efficaces.
L'union douanière qui favorise des changements dans la spécialisation internationale des pays ne
conduit pas nécessairement à une situation plus proche de la situation optimale du libre - échange :
-8-
tout dépend de l'importance des détournements de trafic. Signalons que la création de courants
d'échanges peut avantager les firmes des pays tiers opérant dans la zone d'intégration régionale et
le détournement de trafic peut défavoriser les entreprises des Etats-membres ayant des
établissements de production dans des pays tiers et qui exportent vers la zone en cours
d'intégration. Des indicateurs tels que la création ou le détournement de courants d'échanges
peuvent perdre une partie de leur signification dans un contexte de globalisation.
D'autres types d'avantages apparaissent dans l'union douanière au fur et à mesure que
l'activité économique s'y développe: il s'agit des gains dynamiques de l'intégration.
3 - Les effets dynamiques d’une union douanière
On distingue habituellement les effets d'économies d'échelle, l'accentuation de l'échange
intra - branche et le développement des investissements directs en provenance des pays tiers.
En premier lieu, l'union douanière permet, grâce à l'élargissement du marché, l'exploitation
d'économies d'échelle conduisant à une réduction des coûts de production et à une plus grande
efficacité de l'appareil productif (contribution au soutien de la croissance économique).
Néanmoins, le problème de la distribution des gains entre Etats membres et celui de la localisation
des unités de production restent posés. En effet, la disparition progressive d'entreprises d’un Etat
membre au profit de firmes plus compétitives de l’union douanière est source de difficultés si elle
se produit dans une région en retard de développement ou dans une zone en déclin industriel. Les
coûts induits par la perte d’activités peuvent être élevés (contribution à la désertification
économique entraînant une perte de vitalité régionale) et sont ignorés par l’analyse traditionnelle
des effets d’économies d’échelle.
En second lieu, la Cee enregistre une intensification des échanges entre Etats membres et
un développement du commerce intra-branche : il s'agit d'échanges croisés de produits similaires
représentant des flux d'importations et d'exportations de grandeur comparable. Le commerce peut
porter sur des caractéristiques absentes du marché domestique. Dans les échanges croisés, les flux
bilatéraux entre deux pays doivent être distingués des flux multilatéraux entre un pays et tous les
autres: a priori, ce sont les flux bilatéraux
qui correspondent véritablement à la définition
d'échanges croisés. Pour évaluer ce type d'échanges, l’indicateur le plus utilisé est celui de GrubelLloyd, qui mesure la part du commerce intra-branche dans le commerce total d’une branche
donnée. Avec n, le nombre de branches étudiées, i, l’indice de la branche et X et M respectivement
les exportations et les importations du pays étudié, le ratio global de Grubel-Lloyd s'écrit :
-9-
Cet indicateur tend vers 1 quand prédominent les échanges intra-branche. Quand il tend
vers 0, le pays considéré importe ou exporte, mais pas les deux à la fois, plusieurs catégories de
produits (échanges inter-branches). Le commerce intra-branche s'est accentué dans les années qui
ont suivi l'instauration du Marché commun, tendance confirmée jusqu'à la fin des années 70.
Cependant, même si l'influence de l'intégration économique est explicative de cette évolution, déjà
en 1958 ce commerce représentait une part significative des échanges des premiers pays membres
de la Cee. L'intégration est donc un facteur partiellement explicatif du développement du
commerce intra-branche. La proximité géographique et le caractère comparable des demandes
nationales ont favorisé le développement de ce type de commerce. Sur la période 1961 - 1985, les
tests de F. Mazerolle et J.-L. Mucchielli sur le commerce extérieur des pays développés indiquent
une forte présence du commerce intra-branche dans leurs échanges de biens manufacturés.
Cependant, la progression de ce type de commerce dans les pays européens s'est ralentie
sensiblement au cours des quinze dernières années (haut niveau déjà atteint par ce type d'échanges
et plafonnement de l'intégration commerciale). En 1997, L. Fontagné, M. Freudenberg et N.
Péridy distinguent trois types de flux commerciaux dans l'étude du lien entre l'intégration
économique européenne et le développement du commerce intra-zone. Ils utilisent deux critères :
- un critère de similarité reposant sur la valeur unitaire (prix par tonne de produit) des
produits de même nomenclature faisant l'objet d'un échange. Deux produits sont définis comme
similaires (ou différenciés horizontalement) si les rapports des valeurs unitaires des importations et
exportations diffèrent de moins de 15%. Ces produits n'ont pas de caractéristiques techniques et
qualitatives différentes, les biens se distinguant par leur conditionnement et leur adaptation aux
goûts des consommateurs.
- un critère de croisement des échanges : un flux commercial est bi - directionnel si le flux
minoritaire (le moins élevé) représente au moins 10% du flux majoritaire (le plus important). Dans
le cas contraire, l'échange se fait dans un seul sens et peut être assimilé à un échange inter branches.
Trois types d'échanges sont possibles : un échange de produits similaires, différenciés
horizontalement, satisfaisant aux deux critères de similarité et de croisement ; un échange "à
double sens" de produits différenciés verticalement par leurs qualités et leurs caractéristiques
techniques qui satisfait au critère de croisement des échanges mais pas au critère de similarité ; un
échange "dans un seul sens" ou univoque (échanges inter - branches) qui ne satisfait pas au critère
- 10 -
de croisement des échanges. Les biens différenciés horizontalement échangés entre deux pays sont
produits à l'aide de technologies identiques : leur fonction de production est la même dans les deux
pays. A contrario, l'échange de produits différenciés verticalement provient de branches utilisant
des techniques différentes. Un produit de qualité supérieure, dont la fabrication requiert une
technologie avancée, nécessitera par exemple un volume relativement élevé de recherche développement et de main-d'œuvre qualifiée. Ce type d'échange s'effectuera entre des pays de
niveau de développement inégal. L'échange inter - branche va concerner des pays très différents
quant à leur niveau de développement technologique et leur dotation factorielle. Il est important de
noter l'existence d'un coût d'ajustement dans le développement du commerce de produits
différenciés verticalement en raison de l'apparition d'une spécialisation (produits de haut de
gamme, de moyenne gamme, de bas de gamme).
Les tests empiriques montrent que le commerce inter - branches a sensiblement régressé en
passant de 47% en 1980 à 38% en 1994. C'est le commerce intra-branche de produits différenciés
verticalement qui a le plus augmenté en passant de 35% à 42% du total. Quant au commerce intrabranche de produits différenciés horizontalement, il progresse relativement peu, de 18% à 20 % du
total des échanges intra - européens. Le commerce intra - branche s'est développé avec le Marché
unique et, parmi les nouveaux entrants, l'Espagne et le Portugal ont fortement profité de
l'expansion de ce type de commerce (essentiellement de type vertical) mais pas la Grèce. Le
commerce intra - branche de produits différenciés horizontalement est surtout intense entre les
pays dont les niveaux de développement et les performances technologiques sont les plus proches :
l'Allemagne, la France, la Belgique et les Pays-Bas. Le commerce de produits différenciés
verticalement est celui qui a crû le plus rapidement. Il est prépondérant dans les échanges des pays
du Nord (y compris la France) alors que dans les pays d'Europe du Sud, le commerce inter branches prédomine. L'étude de l'échange des produits selon leur qualité confirme le contraste très
net entre le modèle commercial des pays du Nord (y compris la France) et celui des pays
méditerranéens. Ces derniers échangent dans leur commerce intra - branche avec les pays
européens des produits de qualité relativement faible (fréquemment liés aux ressources naturelles
ou de consommation courante) avec des techniques moins avancées et une main-d'œuvre moins
qualifiée. De plus, leurs échanges sont principalement inter- branches. La conséquence est
importante pour l'union monétaire : il existe un risque accru de chocs asymétriques dans les pays
du Sud de l'Union européenne alors que les instruments budgétaires pour les traiter font défaut.
Ces pays sont beaucoup plus sensibles à la concurrence des pays à bas coûts salariaux et défendent
des positions différentes en matière de politique commerciale internationale, ce qui ne facilite pas
une solution européenne de leurs difficultés.
- 11 -
En troisième lieu, la réalisation de l'union douanière européenne a attiré les investissements
directs en provenance des pays tiers. Les principaux investisseurs sont les Etats - Unis et le Japon
qui ont développé progressivement leurs implantations sur les marchés communautaires. Une part
significative de celles-ci a été motivée par la crainte d'être confronté à un protectionnisme de zone.
La diffusion des technologies et des normes de production américaines a représenté un avantage
pour la Communauté européenne.
B - Quelques exemples de projets d’intégration commerciale
Nous prendrons ici l’exemple du Marché unique européen. Le ralentissement des échanges
intra- communautaires (épuisement des effets de création de trafic de l'union douanière) va aboutir
à une relance commerciale de la construction européenne. Elle se traduit par l'adoption en 1985 de
l'Acte unique qui entre en vigueur le 1er janvier 1987 et d'un "Livre blanc" qui donne la liste des
mesures à mettre en œuvre pour aboutir le 1er janvier 1993 au grand marché intérieur européen. Il
se caractérise par la suppression des obstacles non tarifaires aux échanges et des entraves à la libre
circulation de la main-d'œuvre et des capitaux. Le cloisonnement des marchés des biens et des
facteurs entraînait un coût élevé appelé le coût de la non-Europe. Celui-ci a été évalué par une
étude effectuée sous la responsabilité de P. Cecchini, ancien directeur général des services de la
Commission [1988] : il s'élevait chaque année à plusieurs dizaines de milliards d'Ecus pour les
citoyens de la Communauté. La suppression de ces obstacles non tarifaires doit se traduire par une
convergence moyenne des prix vers le bas. La marge de gain a été estimée entre 170 et 250
milliards d'Ecus. Cependant, un effet n'a pas été quantifié par le rapport Cecchini : l'impact de
l'amélioration de la position concurrentielle de la Communauté européenne dans le monde.
Les barrières non tarifaires existantes étaient principalement les suivantes : les différences
nationales de règles techniques ; les délais en douane et les autres charges administratives
connexes dont les sociétés et les administrations publiques doivent s'acquitter (paiement de la Tva)
; le manque d'ouverture des marchés publics peu accessibles à des fournisseurs étrangers même
plus compétitifs; les restrictions à la libre prestation de services ou à la liberté d'établissement pour
certaines activités dans les Etats membres (services financiers, transports, etc.). La réalisation du
Marché unique s'est effectuée par l'application de directives communautaires. La date
d'achèvement du 1er janvier 1993 constituait un objectif politique : il ne s'agissait pas d'une
obligation juridique, ceci expliquant qu'à la date prévue, la totalité des directives n'était pas entrée
en application. Aujourd'hui, on constate encore des retards dans la transposition de ces directives
dans les droits nationaux, en particulier en matière de libre circulation des personnes aux frontières
- 12 -
(refus d'abolition des contrôles aux frontières - Royaume-Uni, Irlande- ou pratique de contrôles
partiels -France-) ou d'ouverture des marchés publics.
Présentons de façon plus explicite un exemple d'entraves non tarifaires importantes aux
échanges intra-communautaires impliquant un effort d'harmonisation : les différences nationales de
règles techniques.
1 - L'exemple de l’harmonisation des normes européennes
L'harmonisation des normes techniques imposées aux produits et aux technologies est un
dossier important du décloisonnement des marchés productifs communautaires. Les frontières
techniques introduisent
des distorsions dans les systèmes de production en empêchant la
réalisation d'économies d'échelle parce que les entreprises sont incitées à se limiter aux marchés
nationaux. Ces normes sont par essence très évolutives en raison notamment du progrès technique.
Le problème n'est pas seulement la suppression des entraves existantes mais aussi l'empêchement
de nouvelles formes d'entraves techniques. L'énorme quantité de normes à prendre en compte a
conduit l'Acte unique à renoncer à les harmoniser dans le détail. Une nouvelle approche du
problème est rendue possible par l'arrêt Rewe dit "Cassis de Dijon" de février 1979 qui a posé le
principe de la reconnaissance mutuelle (la loi allemande interdisait la commercialisation d'alcools
inférieurs à 35° ; un importateur allemand s'est vu opposer cette réglementation parce qu'il voulait
importer de la liqueur Cassis de Dijon qui titrait entre 15° et 20° ; la Cour de Justice des
Communautés Européennes a prononcé l'incompatibilité de la législation allemande avec le traité
de Rome). Ce principe énonce que tout produit légalement fabriqué et commercialisé dans un Etat
membre doit en principe pouvoir circuler librement dans tous les pays de la Communauté. Celle-ci
a développé une politique reposant sur les deux piliers suivants, encore appelée nouvelle approche
:
- la mise en œuvre du principe de reconnaissance mutuelle des règles nationales au niveau
communautaire;
- une harmonisation des réglementations nationales limitée aux exigences de santé, de
sécurité et d'environnement (renoncement à l'harmonisation intégrale comme préalable à la libre
circulation) ; elle va aboutir à l'élaboration de normes européennes sur la base d'un vote à la
majorité qualifiée. Ces normes seront élaborées par le Comité européen de normalisation (Cen), le
Comité européen de normalisation électrotechnique (Cenelec) ou le comité européen de
normalisation pour les télécommunications (Cent).
- 13 -
La nouvelle approche européenne est aussi fondée sur l'information mutuelle. Une directive
communautaire oblige les Etats membres à notifier à la Commission les normes et les
réglementations nouvelles qu'ils se proposent d'adopter. Cette instance européenne a le pouvoir de
"geler" une nouvelle réglementation nationale pendant une période allant jusqu'à un an si elle
estime qu'une initiative communautaire est plus appropriée. En fait, la diversité des
réglementations européennes est acceptable si les échanges commerciaux au sein de l'Union ne
sont pas entravés. Une multiplication des normes nationales est apparue depuis l'ouverture du
Marché unique, ce qui constitue un risque accru d'entraves à la libre circulation. La normalisation
communautaire s'effectue lentement et les normes européennes n'entrent en vigueur que très
progressivement (certifications communes avec apposition de la marque CE). Mais d’ores et déjà,
environ 65 % de la normalisation française est réalisée au niveau européen. De 20 à 30 % des biens
traversant les frontières internes de l’Union doivent respecter des normes harmonisées, le reste des
échanges étant régi par des procédures de reconnaissance mutuelle. Cependant, chaque année, la
Commission reçoit plusieurs centaines de plaintes pour non - application de ce principe. Depuis
1997, les Etats membres sont tenus de notifier à la Commission chaque refus de son application.
Précisons enfin que 40% des normes Cen et 75% des normes Cenelec reprennent les normes
internationales, notamment sous la pression des Etats-Unis. Tant en ce qui concerne les normes
que les marchés publics, l'affaiblissement relatif du pouvoir central par rapport aux pouvoirs
régionaux (conséquences des politiques de décentralisation ou d’autonomie) peut être source de
difficultés dans l'application des directives nationales.
2 - Le bilan actuel de l'achèvement du marché intérieur
L'intégration des marchés doit entraîner une diminution des coûts qui s'étendra aux prix.
Cette baisse proviendra à la fois de l'effet direct de la réduction des coûts par la disparition des
obstacles non tarifaires et de la concurrence d'entreprises rivales sur des marchés jusqu'alors
protégés. La réduction des prix pourra aussi résulter de la compression des marges. La pression à
la baisse ainsi exercée sur les prix stimulera à son tour la demande et donnera aux entreprises
l'occasion d'augmenter leur production. Elles exploiteront mieux leurs ressources et pourront se
hisser à un niveau plus favorable de compétitivité européenne et mondiale. Cette situation
permettra de desserrer les contraintes macro-économiques et de résorber progressivement les
déficits publics. Une croissance sans inflation, des déficits publics en voie de réduction
favoriseront l'amélioration de l'emploi dans la Communauté. Ce schéma mécanique et vertueux ne
s'est que partiellement confirmé. En effet, les premières estimations des effets de l'achèvement du
- 14 -
marché intérieur montrent l'existence de résultats favorables mais généralement de portée limitée :
faible augmentation supplémentaire du revenu, baisse du taux d'inflation, renforcement de la
convergence et de la cohésion entre Etats, résorption modeste du chômage (entre 300 000 et 900
000 emplois créés).
Cependant, les enseignements sont plus intéressants en ce qui concerne les échanges
commerciaux. Le Marché unique a engendré une sensible augmentation des flux d'échanges intracommunautaires de produits manufacturés. Cette progression ne s'est pas faite au détriment des
producteurs des pays tiers dont les ventes se sont accrues sur les marchés de l'Union européenne.
Le phénomène le plus important est la modification de la nature des échanges intracommunautaires : au sein de chaque secteur industriel, une spécialisation en termes de qualité et de
prix est intervenue. Généralement, les Etats membres sont présents sur l'ensemble des secteurs
d'activité mais sont positionnés sur des gammes différentes de produits. C'est un résultat important
pour l'union monétaire parce qu'il révèle l'existence d'un échange intra - branche vertical
significatif, source de chocs asymétriques éventuels. Les investissements directs ont eux aussi été
stimulés, notamment dans le secteur des services financiers. L’unification du marché a été entravée
par les turbulences monétaires intra - européennes avec les dévaluations compétitives de
l’Espagne, du Portugal et du Royaume-Uni engendrant de sérieuses difficultés concurrentielles
sectorielles (automobile, textile, agrumes, etc.). La mise en place de la monnaie unique le 1er
janvier 1999 a mis un terme à ces distorsions, du moins entre les Etats participant à l'union
monétaire. Les résultats positifs du Marché unique seraient sans doute plus importants avec une
transposition plus rapide des directives communautaires du "Livre blanc" dans les droits nationaux.
Examinons maintenant les avantages supplémentaires qu'apporte la monnaie unique, notamment
dans le cas de l’Union européenne.
Section 2 – Une logique cumulative de l’intégration : l’unification monétaire
Le principal problème en union monétaire concerne le traitement des chocs économiques
internes consécutif à la perte de l'instrument du taux de change. Cette question est abordée par la
théorie des zones monétaires optimales. Elle énonce qu'une zone monétaire optimale regroupe des
pays qui parviennent à corriger leurs déséquilibres réels à l'intérieur d'un espace économique doté
d'une unité monétaire commune (ou unique) ou de plusieurs monnaies nationales convertibles
entre elles à des taux de change définitivement fixés.
Un instrument d'ajustement aux chocs
économiques est définitivement perdu : la variation des taux de change intra-communautaires. La
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théorie des zones monétaires optimales indique les conditions économiques à respecter par les
régions de la zone monétaire pour que les coûts d'ajustement aux difficultés économiques soient le
moins élevés possibles.
A - Les enseignements de la théorie des zones monétaires optimales
Il existe plusieurs critères de définition d'une zone monétaire optimale, qui n'ont pas la
même signification. Certains étudient les conditions de l'ajustement économique dans le contexte
de perte de l'utilisation du taux
de change national. D'autres identifient les conditions
économiques qui rendent l'utilisation du taux de change national inutile ou inopérante. Les
premiers sont les plus fondamentaux : ils indiquent que la flexibilité factorielle est une condition
indispensable pour qu'une union monétaire minimise les coûts de résorption des chocs
économiques.
1 - L’optimalité par la flexibilité factorielle
Tout d'abord, R. Mundell a montré en 1961 que la mobilité du travail était une variable
essentielle d'ajustement dans une union monétaire. Il considère un monde composé de deux pays
mono - producteurs A et B, aux prix domestiques rigides, liés entre eux par un taux de change fixe.
Un choc exogène (perte de compétitivité - prix) survient, qui déplace la demande globale du pays
A vers les produits du pays B, les facteurs de production demeurant immobiles. Le pays A
enregistre une sous-exploitation de son potentiel productif, une hausse de son taux de chômage et
un déficit de sa balance commerciale. Quant au pays B, il subit une surcharge de ses capacités de
production, une élévation de son inflation et un excédent de sa balance commerciale. En union
monétaire, un tel déséquilibre ne peut être corrigé que par la flexibilité factorielle, c'est-à-dire la
modification des taux de salaires ou (et) les mouvements de main-d'œuvre. Dans le pays A, la
hausse du sous-emploi provoque une réduction de la rémunération du travail. A contrario, dans le
pays B, la croissance économique favorise une meilleure rémunération de la main-d'œuvre.
L'ajustement économique se manifeste de la manière suivante : dans le pays A, le prix de la
production diminue, rendant de ce fait plus compétitifs les produits de ce pays, ce qui stimule la
demande domestique ; inversement, dans le pays B, la demande domestique se contracte à la suite
de l'élévation du prix de la production. Une autre solution existe pour résorber le choc subi par le
pays A : les travailleurs de ce pays peuvent émigrer dans le pays B pour y satisfaire la demande de
travail excédentaire. Cette solution élimine le chômage dans le pays A et résorbe le sous-emploi
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dans le pays B, sans variation du taux de salaire dans les deux pays. Selon R. Mundell, la mobilité
du travail à l'intérieur de la zone fournit la voie d'ajustement dans un système de changes
complètement fixes. Une autre voie d'ajustement, plus discutable, réside dans la mobilité du
facteur capital. En 1973, J.C. Ingram souligne la voie d'ajustement permise par la mobilité du
capital. La résorption des chocs économiques peut s'effectuer par transfert de capitaux financiers
de la zone en expansion vers la zone en récession d'une union monétaire. Toutefois, dans un
contexte de globalisation financière, la libération des capitaux ne lève pas l'indétermination sur
leur destination parce que ceux-ci auront tendance à s'allouer dans les zones offrant les meilleures
conditions de sécurité et de rémunération. Ce critère doit donc être utilisé avec prudence dans la
définition d'une zone monétaire optimale.
2 - L’optimalité par la convergence économique
Les critères non liés à la mobilité factorielle rendent compte des évolutions économiques
domestiques des Etats et de leur convergence, phénomènes de nature à faciliter le renoncement à
l'utilisation du taux de change intra-communautaire. Le degré d'ouverture des économies
(McKinnon, 1963), mesuré par le rapport entre les biens échangeables et le Pnb, révèle
l'opportunité de création d'une union monétaire. Plus ce rapport sera élevé, plus les pays membres
de la zone d'intégration régionale auront intérêt à avoir des taux de change stables (ou une monnaie
unique) qui faciliteront le développement des échanges. En 1969, P. Kenen souligne l'importance
de la diversification de l'appareil de production : un pays dont la structure productive est plutôt
spécialisée a intérêt à choisir un système de changes flexibles pour endiguer les pertes de
compétitivité affectant ses activités. En revanche, un pays dont les industries sont très diversifiées
sera concerné par des chocs sectoriels de compétitivité, éventuellement forts, mais qui, sur un plan
macro-économique, seront plus atténués. Ce pays peut adopter un système de changes
complètement fixes parce que la crise ne peut être que sectorielle. Dans une économie diversifiée,
la diminution de la demande n'affectera en fait qu'un faible pourcentage de ses exportations et
l'impact sur l'emploi sera en définitive réduit. L'ajustement
s'effectuera par la mobilité
intersectorielle du travail si un recours à la modification du taux de change n'est plus possible. En
1986, C. Kindleberger indique que des échanges commerciaux importants à l'intérieur d'une zone
économique intégrée révèlent que les pays membres ont les mêmes préférences à la fois pour les
marchandises échangées mais aussi pour les biens collectifs. Ces préférences identiques
concernent surtout le choix des objectifs clés d'une politique économique, en particulier la lutte
contre l'inflation. Toutefois, l'arbitrage inflation - chômage peut différer d'un pays à l'autre,
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entraînant des coûts d'ajustement dans l'union monétaire. Ceux-ci n'existent pas dans l'analyse
monétariste où l'inflation est un phénomène purement monétaire sans effets réels, n'impliquant
aucun coût. La Commission européenne a négligé la relation inflation - chômage parce qu'elle
doutait de sa réalité dans la réalisation de l'Uem. Une telle conception a conduit à un choix
monétariste des critères de convergence de Maastricht (absence de tout indicateur relatif au
chômage). Ces critères nominaux sont les suivants:
- inflation : elle ne doit pas être supérieure de plus de 1,5 % à celle de la moyenne des trois Etats
membres les moins inflationnistes (inflation calculée à partir de l'indice des prix à la
consommation) ;
- déficit budgétaire: il ne doit pas être supérieur à 3 % du Pib, sauf s'il est en diminution régulière
ou en cas de circonstances exceptionnelles ;
- dette publique : elle ne doit pas être supérieure à 60 % du Pib, sauf si elle diminue vers le seuil
de référence;
- taux d'intérêt à long terme : il ne doit pas être supérieur de plus de deux points au taux moyen à
long terme des trois Etats membres les plus performants en matière de stabilité des prix ;
- change : il faut faire partie du Sme depuis au moins deux ans en respectant les marges de
fluctuation normales entre les monnaies participant à ce système, sans dévaluation de la monnaie
par rapport à celle d'un autre Etat membre.
Ces critères établissent une contrainte de fonctionnement des économies ambitionnant de participer
à l'union monétaire. La convergence réelle n'est pas recherchée (sauf dans le long terme par la
politique des fonds structurels) ; elle est pourtant la seule à permettre la définition et l'utilisation de
politiques économiques communes, ce qui peut révéler l'existence d'une volonté européenne
minimale en la matière.
B - La politique économique en union monétaire
L'intégration européenne semble entraîner aujourd'hui davantage une spécialisation
régionale que nationale. De ce fait, la comparaison des Etats européens aux régions américaines
pour conclure à une plus grande homogénéité du territoire européen serait une comparaison
inadaptée parce que la variabilité communautaire de la production et de l'emploi est devenue plus
importante au niveau régional que national. L'insuffisante convergence économique des Etats
membres engendre l'apparition de chocs spécifiques dont l'origine est multiple (chocs de demande,
d'offre, chocs périphériques dus aux effets d'agglomération des activités dans les régions déjà les
plus développées, etc.). Ces déséquilibres seront traités par les politiques économiques de la zone
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euro. Il s'agit principalement des politiques budgétaires nationales contraintes, d'une part, par le
budgétarisme des Etats membres qui les conduit à soutenir l'activité économique par
l'assainissement des finances publiques et, d'autre part, par le Pacte de stabilité et de croissance.
Ce dernier a pour finalité d'éviter qu'une politique budgétaire laxiste d'un gouvernement ne
pénalise les autres Etats membres, en particulier par ses conséquences sur les taux d'intérêt de la
zone. Il s'articule autour de la notion de déficit public excessif et indique qu'un dépassement du
seuil de 3% est possible, s'il a pour origine un événement majeur, imprévisible et exogène au pays
concerné (catastrophe naturelle) ou une récession sévère. Le Pacte de stabilité suggère la recherche
par les Etats membres de soldes budgétaires équilibrés ou excédentaires en situation normale. Les
gouvernements pourront ainsi disposer d'une marge de sécurité permettant le jeu des stabilisateurs
automatiques en phase de récession. De façon générale, la règle de 3% de déficit public autorisé
semble laisser aux stabilisateurs automatiques une latitude suffisante pour fonctionner dans le sens
contra - cyclique attendu (récession d'ampleur limitée).
A l'heure actuelle, le budget général de l'Union européenne n'est pas en mesure d'assumer le
rôle de stabilisation des chocs asymétriques dans l'Union monétaire. Son évolution à terme vers un
budget fédéral peut lui fournir les moyens de cette action, solution pour l'heure écartée par les Etats
membres. La politique monétaire commune est du ressort de la Banque centrale européenne (Bce),
qui voit officiellement le jour le 1er juin 1999 à Francfort en remplacement de l’Institut monétaire
européen. Elle exerce une tutelle sur l’ensemble des Banques centrales nationales des douze pays
de la zone euro, avec lesquelles elle forme l’Eurosystème (Bce et Instituts d’émission des Etats
membres de l’Union européenne). L'action de la Bce s'appuie sur l’utilisation de trois grandes
catégories d’instruments (facilités permanentes, open market, réserves obligatoires) en vue d'un
objectif final de stabilité des prix. L’une des difficultés des autorités monétaires est de résoudre la
contradiction entre la nécessaire unité de cette politique et les divergences économiques entre Etats
membres (position différente dans le cycle économique, par exemple). Néanmoins, la Bce demeure
l’institution la plus appropriée pour répondre aux chocs symétriques affectant la zone euro
(récession généralisée en Europe). La politique de change concerne le contrôle des fluctuations
quotidiennes de l’euro sur les marchés des changes, au moyen de déclarations publiques des
dirigeants de la Bce orientant les anticipations des opérateurs et d’interventions de l’Eurosystème
sur ces marchés. Elle détermine aussi le choix entre une politique de change active (contrôle
effectif de la valeur du taux de change) ou passive (pratique du "benign neglect"). Un autre aspect
de la politique de change a trait au rôle de la Banque centrale européenne dans les systèmes de
change existant (contrôle d'un Sme-bis ne concernant que le Danemark, celui-ci maintenant le taux
de change de sa monnaie avec l'euro dans une marge de fluctuation de ±2,25%) ou dans
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l'éventuelle refonte du Smi. La meilleure articulation possible entre politique monétaire et
politique budgétaire, c'est-à-dire la recherche d'un policy mix, se heurte à la difficulté suivante : si
la politique monétaire est unique, en revanche, la politique budgétaire, prérogative nationale, est
contrainte par le Pacte de stabilité et coordonnée au sein du Conseil Ecofin. En fait, le policy mix
ne peut que s'ajuster sur les décisions du pôle monétaire, ce qui ne laisse pas d'autres solutions que
l'assainissement des finances publiques. Le policy mix européen praticable n'est donc pas adapté
au traitement des
chocs asymétriques. Les gouvernements nationaux peuvent alors vouloir
recourir à des mesures nationales de traitement de ces difficultés : à cet effet, la Finlande, dont le
tissu économique est peu diversifié, a créé en novembre 1997 un fonds national de stabilisation des
chocs économiques, indépendant du budget des administrations publiques et permettant de
contourner la contrainte du Pacte de stabilité et de croissance. Cette solution peut être interprétée
comme une application du principe de la subsidiarité.
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