En tant que chrétien engagé au sein de la famille politique verte, je

Extrait de la revue « En question », sept.09, du Centre Avec
Une encyclique du développement durable ?
Trois questions pour y voir clair,
Par Philippe Lamberts, député européen écolo
En tant que chrétien engagé au sein de la famille politique verte, je me propose d’aborder
l’encyclique de Benoit XVI en tentant de répondre à trois questions :
1. Ce texte permet-il de prendre la mesure des défis auxquels sont confrontées les
sociétés humaines en ce début de 21ème siècle ?
2. Formule-t-il à la fois une vision générale et des axes de solutions permettant de
répondre à ces défis ?
3. Est-il susceptible de mobiliser les énergies de tous au service de cette vision et de
ces solutions.
Il va de soi que ces questions, formulées de manière fermée, appellent des ponses
nuancées; elles me semblent toutefois permettre une appréciation de l’impact que ce texte
peut avoir à la fois parmi les chrétiens et plus largement au sein de la société.
Prendre la mesure des défis
Si l’encyclique ne donne pas une vision synthétique des défis auxquels nous sommes
confrontés, au fil des pages elle en énumère un certain nombre qui semblent cruciaux aux
Verts : les effets délétères sur l’économie réelle d’une activité financière mal utilisée (…),
les énormes flux migratoires, l’exploitation anarchique des ressources de la Terre (21),
le scandale des disparités criantes (22) puis, un peu plus loin, l’affaiblissement des
réseaux de protection sociale (25) ou encore l’extrême insécurité vitale qui est la
conséquence des carences alimentaires (27). Par contre, au-delà de leur exploitation,
rien n’est dit de l’épuisement des ressources de la Terre et de sa biodiversité, ni de leur
destruction par la pollution durable. Plus étonnant encore est le quasi-silence sur le
dérèglement climatique : il faut attendre le §51 pour trouver, au détour d’une phrase, la
seule mention de la protection du climat dans toute l’encyclique !
Il ne s’agit pas ici d’un point accessoire : la crise climatique symbolise mieux que
n’importe quelle autre la menace vitale qui pèse sur l’humanité; elle est pourtant ignorée
dans l’encyclique. Les problèmes que rencontre l’humanité n’auront pas simplement,
comme l’écrit Benoit XVI, un impact décisif sur le bien présent et futur de l’humanité
(21) : ce n’est rien de moins que la survie ou non des sociétés humaines à la surface de la
Terre qui est en jeu.
A nos /mes yeux, les défis auxquels sont confrontées nos sociétés n’ont jamais été aussi
complexes, par la multiplicité de leurs dimensions et par la simultanéité des crises.
L’impression qui se dégage de la lecture de l’encyclique est d’une compréhension
parcellaire de la crise systémique que nous vivons et d’une sous-estimation de ses causes
et de ses impacts. Ainsi par exemple, parler d’une activité financière mal utilisée me
semble dans le meilleur des cas une litote malheureuse ; la crise financière me paraît
relever plutôt de l’abus de bien sociaux, de l’escroquerie, pour ne pas dire simplement du
vol. Dans le même paragraphe, ce n’est pas seulement sur l’économie que la crise
financière a un impact : la manière dont la finance mondiale fonctionne est une des
causes directes du changement climatique, de l’épuisement des ressources, de
l’accroissement des inégalités, de la faim dans le monde… Un peu plus loin, on trouve un
passage qui souligne que l’abaissement du niveau de protection des droits des
travailleurs et l’abandon des mécanismes de redistribution des revenus (…) gênent la
consolidation d’un développement à long terme (32). Est-ce bien d’une gêne qu’il s’agit,
ou bien d’un travail de sape qui dans les faits rend radicalement impossible
développement durable et solidaire ? Ou encore : on doit évaluer attentivement les
conséquences sur les personnes des tendances actuelles vers une économie du court,
voire du très court terme (ditto). A mes yeux, le temps de l’évaluation est dépassé : les
conséquences de cette économie du toujours plus, toujours plus vite sont patentes ; il est
temps d’inverser la tendance.
En bref, s’il présente une série de considérations et d’analyses correctes, le document ne
me donne pas l’impression d’avoir saisi une vision d’ensemble des enjeux de ce début de
21ème siècle, de leur nature, de leurs interconnexions, de leur ampleur et de leur acuité et
surtout de leur urgence.
De la vision aux solutions
Si le diagnostic laisse le politique que je suis sur sa faim, la vision d’avenir qui se dégage
du texte de Benoit XVI semble bâtie sur des fondamentaux robustes. Appelant à une
réflexion nouvelle et approfondie sur le sens de l’économie et de ses fins ainsi qu’à une
révision profonde et clairvoyante du modèle de développement (32), il donne déjà un
élément central de la réponse en citant Gaudium et Spes. Ce texte issu du concile Vatican
II affirme sans ambage que l’homme, la personne dans son intégrité, est le premier
capital à sauvegarder et à valoriser : « en effet, c’est l’homme qui est l’auteur, le centre
et la fin de toute la vie économico-sociale (25). Remettre l’économie au service de l’être
humain, de tous les êtres humains et donc pas simplement au service de
l’enrichissement illimité et ultra-rapide de quelques uns voici une balise qui ne
manquera pas de faire mouche. L’idée se précise un peu plus loin : l’activiéconomique
ne peut résoudre tous les problèmes sociaux par la simple extension de la logique
marchande (36). Cas pratique : l’alimentation et l’accès à l’eau doivent être considérés
comme droits universels de tous les êtres humains, sans distinction ni discrimination
(27).
Alors que le diagnostic n’en faisait apparemment pas grand cas, la dimension de la
durabilité du développement apparaît également dans le texte, notamment quand l’auteur
affirme que les projets en vue d’un développement humain intégral ne peuvent donc
ignorer les générations à venir, mais ils doivent se fonder sur la solidarité et sur la
justice intergénérationnelles, en tenant compte de multiples aspects: écologique,
juridique, économique, politique, culturel (48). Le message est renforcé un peu plus loin :
Nous devons cependant avoir conscience du grave devoir que nous avons de laisser la
terre aux nouvelles générations dans un état tel qu’elles puissent elles aussi l’habiter
décemment et continuer à la cultiver (51). Voilà encore une balise claire et à laquelle je
ne peux que souscrire.
Benoit XVI rappelle aussi que l’économie n’est pas tout : Il n’est pas suffisant de
progresser du seul point de vue économique et technologique (…) Sortir du retard
économique (…) ne résout pas la problématique complexe de la promotion de l’homme.
(23). De même, la technique considérée comme un absolu (…) l’agir technique centré sur
lui-même s’avère irrationnel, parce qu’il comporte un refus décisif du sens et de la
valeur (74). Il souligne que la créature humaine, qui est de nature spirituelle, se réalise
dans les relations interpersonnelles (54) et donc l’importance, comme on pouvait s’y
attendre, de la liberté religieuse (29).
Benoit XVI marque un point essentiel à mes yeux lorsqu’il insiste sur le fait que la
société doit reconsidérer son style de vie qui, en de nombreuses régions du monde, est
porté à l’hédonisme et au consumérisme, demeurant indifférente aux dommages qui en
découlent. Un véritable changement de mentalité est nécessaire qui nous mène à adopter
de nouveaux styles de vie, citant Jean-Paul II « dans lesquels les éléments qui
déterminent les choix de consommation, d’épargne et d’investissement soient la
recherche du vrai, du beau et du bon, ainsi que la communion avec les autres hommes
pour une croissance commune » (51). Ce point est crucial : comme le soulignent les Verts
et quantité de mouvements sociaux, il ne suffira pas de changer de technologie ou
d’adapter nos systèmes pour résoudre les défis de notre temps : le temps est venu d’un
véritable changement de civilisation. Voilà un message radical et rafraîchissant, auquel
j’adhère volontiers.
En contrepoint, certaines balises que pose Benoît XVI semblent singulièrement
prudentes, voire timorées. Ainsi, affirmer que la dignité de la personne et les exigences
de la justice demandent (…) que les choix économiques ne fassent pas augmenter de
façon excessive et moralement inacceptable les écarts de richesse (32), et ce alors même
que l’on s’indigne par ailleurs du scandale des disparités. L’heure est bien à la réduction
des inégalités, pas au ralentissement de leur croissance !
Au-delà des balises, quelques idées de solutions sont évoquées, comme par exemple que
les coûts économiques et sociaux dérivant de l’usage des ressources naturelles
communes soient établis de manière transparente et soient entièrement supportés par
ceux qui en jouissent et non par les autres populations ou les générations futures (50).
Faut-il lire ici un plaidoyer pour une taxe carbone, intégrée aux prix des biens et
services ? On trouvera aussi des lignes sur l’économie sociale (46), sur l’aide au
développement (58,60), sur l’éducation (61), autant de priorités que les Verts partagent.
Sur la problématique des migrations, on appréciera aussi le rappel net et courageux de
Benoit XVI que tout migrant est une personne humaine qui, en tant que telle, possède des
droits fondamentaux inaliénables, qui doivent être respectés par tous et en toute
circonstance (62). Il plaide aussi avec clarté pour un travail décent pour tous, c’est-à-dire
un travail choisi librement, qui associe efficacement les travailleurs, hommes et femmes,
au développement de leur communauté; un travail qui, de cette manière, permette aux
travailleurs d’être respectés sans aucune discrimination; un travail qui donne les moyens
de pourvoir aux nécessités de la famille et de scolariser les enfants, sans que ceux-ci ne
soient eux-mêmes obligés de travailler; un travail qui permette aux travailleurs de
s’organiser librement et de faire entendre leur voix; un travail qui laisse un temps
suffisant pour retrouver ses propres racines au niveau personnel, familial et spirituel; un
travail qui assure aux travailleurs parvenus à l’âge de la retraite des conditions de vie
dignes (63).
Comme l’a illustla gestion de la crise, l’Etat, la politique, doivent retrouver leur plein
le. Si l’activité économique doit viser la recherche du bien commun la communauté
politique d’abord doit aussi (le) prendre en charge (36). Par conséquent, au-delà d’une
logique de contrat entre personnes privées, Benoît XVI rappelle que la vie économique a
besoin de lois justes et de formes de redistribution guidées par la politique (37). Au-delà
de l’Etat-nation, il appelle à la mise en place d’une véritable autorité politique mondiale,
capable de gouverner l’économie mondiale (…) pour prévenir l’aggravation (de la crise),
pour procéder à un souhaitable désarmement intégral, pour assurer la protection de
l’environnement et réguler les flux migratoires (67). Et parallèlement, il souhaite que
grandissent de la part des citoyens une attention et une participation plus larges à la res
publica (24).
Mobiliser les énergies
A lire ce qui précède, on peut avoir l’impression que le texte recèle les ingrédients
indispensables pour résoudre les crises du temps présent - des balises claires et des pistes
d’action qui font sens. Cependant, est-ce suffisant pour mobiliser à la fois à l’intérieur et
à l’extérieur des communautés chrétiennes ?
La première remarque qui me vient à l’esprit est à nouveau le manque de sens de
l’urgence. Certes, Benoît XVI nous incite à une attitude positive : La crise devient (…)
une occasion de discernement et elle met en capacité d’élaborer de nouveaux projets.
C’est dans cette optique, confiants plutôt que résignés, qu’il convient d’affronter les
difficultés du moment présent. (21). Il fait appel aussi à notre sens des responsabilités à
l’égard les uns des autres (42 et 72). Mais trop souvent, des souhaits, des attentes, des
orientations sont formulées mais, en cohérence avec un diagnostic qui ne semble pas
prendre la mesure de la hauteur et de l’urgence des défis, Benoit XVI ne passe pas au
stade de l’exhortation, de l’ardente obligation qui est faite au genre humain et donc à
chacun d’entre nous, de se mobiliser. Le texte apparaît comme une contribution, pas
assez comme un appel.
Ensuite, on peut se poser la question de la nécessité de consacrer à nouveau, dans un texte
consacré aux enjeux économiques et sociaux, des sections au combat contre l’avortement
(28), à la sexualité (44), à la bioéthique (75). Ces domaines controversés ont été
largement couverts par d’autres textes, et leur rappel ici risque de détourner le débat du
sujet, et de détourner du texte celles et ceux qui, chrétiens ou non, considèrent que
l’Eglise catholique fait preuve en ces domaines d’une attitude contre-productive voire
erronée parce qu’excessive.
Mais, comme chrétien et politique, ce sont certains passages de la conclusion qui me
choquent particulièrement. A la suite de Paul VI, Benoit XVI y affirme que sans Dieu,
l’homme ne sait aller et ne parvient même pas à comprendre qui il est, ou encore, que
l’homme n’est pas à même de gérer lui-seul son progrès, parce qu’il ne peut fonder par
lui-même un véritable humanisme. Nous ne serons capables de produire une réflexion
nouvelle et de déployer de nouvelles énergies au service d’un véritable humanisme
intégral que si nous nous reconnaissons, en tant que personnes et en tant que
communautés, appelés à faire partie de la famille de Dieu en tant que fils. La plus grande
force qui soit au service du développement, c’est donc un humanisme chrétien.
Comme chrétien engagé, je suis en total désaccord avec ces lignes ; je crois au contraire
que les êtres humains sont dotés de la faculté de comprendre et de façonner le monde et
que cette capacité n’est pas conditionnée par le fait qu’ils reconnaissent ou non dans leur
vie la présence aimante d’un être transcendant. Si je ne me reconnais pas dans
l’affirmation de Benoit XVI, je crains fort que les croyants non-chrétiens, les agnostiques
ou les athées n’y retrouvent qu’une version moderne de « hors de l’Eglise, point de
salut » et donc d’un langage d’exclusion et de magistère sûr de lui et dominateur. Voilà je
pense qui risque de disqualifier le texte de Benoit XVI aux yeux de beaucoup, ce qui
serait regrettable.
Conclusion
Car malgré les limites soulignées plus haut L’Amour dans la vérité me semble être une
contribution utile, en particulier par certaines balises qu’elle propose pour réorienter le
développement, vers un modèle respectueux de chaque être humain dans toutes ses
dimensions, qu’il appartienne aux générations actuelles ou à venir.
Ce ne sont pas ces balises, loin s’en faut, qui guident notre monde aujourd’hui. Au
carrefour de toutes les crises climatique, environnementale, économique et financière,
sociale, sanitaire, de la faim, des ressources, de la biodiversité les adopter nécessite la
mobilisation d’urgence de toutes celles et tous ceux qui refusent de laisser conduire notre
monde à l’abîme. Relever ces défis vitaux ne se fera pas sans que se partage l’espérance,
cette espérance encourage la raison et lui donne la force d’orienter la volonté (34).
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