la pratique de la traduction. Un coup d'œil sur les poèmes français traduits en
bulgare nous permet de constater que la plupart sont en iambe. On comprend de
ce qui vient d'être dit que ce n'est pas le résultat d'un simple hasard. C'est dû au
fait qu'en français la césure se trouve ordinairement après une syllabe paire qui
porte l'accent et c'est une condition suffisante pour choisir l'iambe.
Les principes établis ci-dessus ne doivent pas être érigés en norme. Un
traducteur expérimenté y arrive intuitivement. Une telle étude nous permet de
prendre conscience des bases prosodiques du passage de la versification ryth-
mique à la versification syllabique ou inversement.
Une fois ces principes élaborés, nous pouvons aborder de près le poème
Despărţire d'Eminescu. L'original roumain est écrit en vers de 13 syllabes avec
une césure après la septième. La versification roumaine est rythmique (ou sylla-
botonique), puisque les mots roumains ont un accent mobile. Le pied qu'utilise
Eminescu dans ce poème c'est l'iambe.
Le russe qui n'appartient pas à la même famille linguistique que le rou-
main accepte le mieux le vers rythmique d'Eminescu grâce à la mobilité de son
accent. La correspondance formelle entre l'original et la version est complète :
La ce simţirea crudă a stinsului noroc...
Когда угасло счастье, сгоревшее дотлa . . .
II va sans dire que des variations rythmiques peuvent toujours survenir ;
l'essentiel, c'est que le schéma des principaux accents est conservé. Ainsi par
exemple, dans les vers cités « stinsului » et « сгоревшее » devraient porter deux
accents. En outre, le premier vers de la version russe offre un déséquilibre ac-
centuel puisqu'il commence par un mot monosyllabique accentué sur lequel
tombe l'accent logique :
Что у тебя на память я попросить бы мог !
La version française reprend les caractéristiques fondamentales de l'origi-
nal. Les vers sont toujours de 14 syllabes, la césure est après la septième syllabe
Paris, Larousse, 1962. p. 18-24.