REVUE ROUMAINE DE LINGUISTIQUE Tome XXIV, N° 4, Bucarest, 1979. PROBLEMES LINGUISTIQUES DE LA TRADUCTION POETIQUE (UN POÈME D'EMINESCU EN TROIS LANGUES ÉTRANGÈRES) PAÏSSY HRISTOV La traduction poétique en tant qu'activité langagière et artistique se prête aussi bien à un examen littéraire qu'à une étude linguistique. Sa complexité provient du fait qu'il faut refaire le contenu d'un poème donné dans une forme qui corresponde à celle de l'original. On pourrait distinguer deux niveaux d'étude : celui de la forme (qui vise d'établir des correspondances dans le rythme, la rime, la strophe, etc.), et celui du contenu (qui cherche à découvrir la nature des transformations se produisant lors du passage d'une langue dans une autre). Il est bien évident qu'une telle étude gagnerait en profondeur si l'on prenait en considération plus d'une version étrangère, car cela permettrait non seulement de faire l'analyse de chacune d'elles par rapport à l'original, mais aussi de chercher dans quelle mesure les particularités des différentes langues imposent des restrictions aux traducteurs. Sachant d'avance que la traduction poétique repose sur le choix subjectif du traducteur et représente une œuvre d'art, nous sommes loin de nous attendre à découvrir des modèles à suivre ou des formules universelles. Mais nous croyons qu'il existe quelque chose derrière ce qu'on appellerait « intuition du traducteur». Nous nous proposons à traiter deux problèmes liés à l'essence linguistique de la traduction poétique: a) La prosodie comme ensemble des règles relatives à la métrique en rapport étroit avec l'intonation spécifique d'une langue donnée. b) Les transformations au niveau sémantique qui ne reposent pas seulement sur la réalité morpho-syntaxique de l'énoncé poétique, mais portent atteinte aussi à la perspective dans laquelle se dessinent les images poétiques. Notre choix tombe sur le poème «Despărţire » de M. Eminescu1. L'analyse portera sur trois versions de ce poème : française (de Veturia DrăgănescuVericeanu), russe (de A. Gatov) et espagnole (de Maria Teresa Leon et Rafael Alberti). I. PROBLÈMES PROSODIQUES Le rythme qui se définit par la disposition des syllabes accentuées et non accentuées, la versification qui suit le schéma du vers syllabotonique ou syllabique, la place de la césure, tout cela se ramène en dernière analyse à la prosodie. La pratique démontre qu'un traducteur expérimenté ne compte pas les syllabes, ne fait pas l'analyse détaillée du rythme d'autant plus qu'il n'y a pas de correspondance complète entre les lois métriques dans le passage d'une langue à l'autre. La mélodie de l'original commence à résonner dans l'esprit du traducteur tout en cherchant la forme et la matière qui lui est nécessaire pour s’incorporer. .Même dans le cas où l'on constate une correspondance entre la forme de l'original et celle de la traduction, il ne peut être question de coïncidence des caractéristiques formelles ou de transfert de la forme de l'original dans la langue d'arrivée.. Il s'agit plutôt d'une transmutation qui permet de greffer, si l'on peut dire, la forme de l'original sur un terrain étranger. La question qui se pose est de chercher les principes qui régissent «intuitivement » le passage d'un système de versification dans un autre. Avant d'entamer l'étude concrète de la prosodie à la base des trois versions du poème «Despărţire » il convient de se rappeler ce qui distingue le vers rythmique du vers syllabique pour pouvoir établir des correspondances éventuelles entre eux. 1 M. Eminescu, Dorinţa, Ed. Albatros, Bucureştia 1976. La versification rythmique repose sur l'accentuation régulière des vers qui possèdent un nombre déterminé de syllabes. Elle se pratique dans des langues comme le roumain et le russe où les mots ont un accent mobile et se prêtent à des combinaisons qui fournissent les différents pieds du vers rythmique (le trochée, l’iambe, le dactyle, l'amphibraque et l'anapeste). Le vers syllabique (français, espagnol) s'appuie sur un nombre fixe de syllabes tandis que le nombre et la place des accents sont plutôt variables. Par conséquent, le passage d'un vers rythmique à un vers syllabique s’avère plus aisé puisqu'il consiste à libérer le vers des contraintes accentuelles tout en conservant le même nombre de syllabes et la même césure. Le passage de la versification syllabique à la versification rythmique présente plus de difficultés parce qu'à un rythme qui ne dépend pas strictement de la place des accents il faut chercher un rythme correspondant qui soit basé sur une accentuation régulière. Le traducteur qui passe du vers syllabique au vers rythmique ne peut être complètement libre dans le choix de la mesure. Nécessairement il se voit influencé par la mélodie de l'original. Pour être plus concret dans les analyses nous prendrons pour base le vers syllabique français et nous tâcherons d'établir quelles peuvent être les correspondances dans une versification syllabotonique. Par principe, la première syllabe du vers français, à quelques exceptions près, ne peut porter l'accent puisqu'elle représente le plus souvent un mot non prédicatif employé comme proclitique. Cela nous porte à la conclusion théorique que le trochée et le dactyle devraient être exclus dans une traduction à partir du français. D’un autre coté, puisque l'accent français tombe sur la dernière syllabe du vers français ou du groupe rythmique, l'amphibraque serait difficile à admettre pour rendre la mélodie d'un vers français. Le choix de la mesure doit dépendre du nombre des syllabes dans le vers et de la place de la césure. Une présentation sommaire du vers français 2 sera prise pour base de notre étude. 1. A l'hexamètre (vers de 12 syllabes) avec une césure après la sixième peuvent correspondre un iambe de six pieds ou un anapeste de quatre pieds. Ce vers permet au traducteur un double choix puisque les deux parties du vers, divisé par la césure, comportent, chacune, six syllabes - nombre compatible avec un pied de deux ou de trois syllabes. 2. Le vers de 11 syllabes avec une césure après la cinquième ne s'enracine pas dans la versification française. Puisque l'accent avant la césure tombe sur une syllabe impaire, il pourrait se traduire par le trochée en conservant la césure après la cinquième syllabe ou par l'amphibraque qui imposera le déplacement de la césure après la sixième syllabe et la chute de la dernière syllabe non accentuée. 3. Le vers de dix syllabes a une césure après la quatrième. Comme les quatre syllabes de la première partie du vers ne peuvent se distribuer que dans un pied bisyllabique on recourt à l’iambe, puisque dans l'original l'accent tombe sur la quatrième syllabe qui est paire. 4. Le vers de 9 syllabes avec une césure après la troisième devrait correspondre à l'anapeste. Le trochée est aussi possible étant donné que l'accent tombe sur les syllabes impaires. 5. Le vers de 8 syllabes ouvre la série de ceux qui, à cause de leur petite longueur, ne possèdent pas obligatoirement une césure. Comme le nombre des syllabes est multiple de deux, c'est de nouveau à l'iambe que vont les préférences. Le principe de l'étude est déjà bien établi pour ne pas la pousser sur lesvers dont le nombre des syllabes est supérieur à 12 ou inférieur à 8. La supposition que le choix de la mesure dépend du nombre des syllabes et de la place de la césure se confirme non seulement par les réflexions théoriques mais aussi par 2 Ph.. Martinon. Versification française, in Dictionnaire des rimes françaises. la pratique de la traduction. Un coup d'œil sur les poèmes français traduits en bulgare nous permet de constater que la plupart sont en iambe. On comprend de ce qui vient d'être dit que ce n'est pas le résultat d'un simple hasard. C'est dû au fait qu'en français la césure se trouve ordinairement après une syllabe paire qui porte l'accent et c'est une condition suffisante pour choisir l'iambe. Les principes établis ci-dessus ne doivent pas être érigés en norme. Un traducteur expérimenté y arrive intuitivement. Une telle étude nous permet de prendre conscience des bases prosodiques du passage de la versification rythmique à la versification syllabique ou inversement. Une fois ces principes élaborés, nous pouvons aborder de près le poème Despărţire d'Eminescu. L'original roumain est écrit en vers de 13 syllabes avec une césure après la septième. La versification roumaine est rythmique (ou syllabotonique), puisque les mots roumains ont un accent mobile. Le pied qu'utilise Eminescu dans ce poème c'est l'iambe. Le russe qui n'appartient pas à la même famille linguistique que le roumain accepte le mieux le vers rythmique d'Eminescu grâce à la mobilité de son accent. La correspondance formelle entre l'original et la version est complète : La ce simţirea crudă a stinsului noroc... Когда угасло счастье, сгоревшее дотлa . . . II va sans dire que des variations rythmiques peuvent toujours survenir ; l'essentiel, c'est que le schéma des principaux accents est conservé. Ainsi par exemple, dans les vers cités « stinsului » et « сгоревшее » devraient porter deux accents. En outre, le premier vers de la version russe offre un déséquilibre accentuel puisqu'il commence par un mot monosyllabique accentué sur lequel tombe l'accent logique : Что у тебя на память я попросить бы мог ! La version française reprend les caractéristiques fondamentales de l'original. Les vers sont toujours de 14 syllabes, la césure est après la septième syllabe Paris, Larousse, 1962. p. 18-24. qui est inaccentuée puisqu'elle est représentée partout par un « e » muet prononcé. Ainsi au lieu d'avoir le rythme « saccadé » de l'original, on arrive à aplanir l'intonation qui ne monte qu'à la sixième syllabe qui s'appuie sur la syllabe suivante contenant un « e » muet devant la césure ou à la fin du vers pour rimer avec le vers voisin. Les auteurs de la version espagnole dans leur désir d'être le plus près possible du contenu de l'original se sont souciés peu du rythme des vers et de leur longueur. A titre d'exemple nous citerons les quatre vers suivants de l'adaptation espagnole : El mismo río canta con diferentes ondas : (14 syllabes), ¿ De que puede servir la persistente pena (13) , Si a través de este mundo está escrito pasamos (17) ,,1 cual sueño de una sombra y sombra de un ensueño? (16) Les traducteurs, en outre, ont sacrifié la rime pour faciliter leur tâche — être fidèles au contenu de l'original. Mais on peut dire avec Martinon que faire des vers sans rime (des vers blancs), « cela peut sembler utile pour faire passer un texte poétique d'une langue dans une autre avec plus de précision; mais ce ne sont pas des vers. Au surplus, une exactitude très rigoureuse dans la traduction n'est presque jamais inconciliable avec la rime, c'est seulement plus difficile »3. Les versions française et russe le prouvent irrévocablement. L'adaptation espagnole, si fidèle qu'elle soit, ne répond pas aux exigences de la théorie et de la pratique de la traduction poétique d'aujourd'hui. Elle ne reprend pas la prosodie originale quoique le contenu et les images soient sauvegardés. L'analyse ci-dessus nous permet d'aboutir à la conclusion que lors du passage d'une langue à l'autre, si les systèmes de versification sont de même nature, le traducteur doit se servir du même modèle que l'auteur de l'original. Si les versifications sont de nature différente, le traducteur établit des équivalences entre elles de sorte qu'on puisse obtenir une prosodie proche de celle de l'original. 3 Op. cit., p. 9. Faute de mieux, on accepterait la traduction libre qui néglige le côté formel. II. PROBLÈMES TRANSFORMATIONNELS L'étude, même superficielle, de la traduction littéraire permet de constater que celle-ci repose sur des procédés transformationnels. Est-ce dire que les principes de la grammaire transformationnelle4, une fois élaborés, permettraient d'expliquer la traduction poétique. Les règles transformationnelles dans leur application concrète ne peuvent être universelles puisque la morpho-syntaxe de chaque langue a ses traits particuliers. Dans le domaine de la traduction les complications viennent des servitudes formelles qui ne sont pas à sous-estimer. Une étude plus poussée pourrait nous renseigner sur le travail du traducteur. Il ne s'agit pas de faire l'analyse d'une seule transformation 5, mais de voir quelles sont les voies dans lesquelles s'engage l'esprit pour arriver à une version adéquate. L'analyse comparée des trois versions étrangères du poème Despǎrţire nous permettra de découvrir quels sont les modèles transformationnels utilisés dans les cas concrets, à quel niveau se produisent les transformations et dans quelle mesure la forme poétique influence le caractère des changements morpho-syntaxiques et sémantiques. L'étude des versions françaisе, russe et espagnole en comparaison avec d'original nous permet de distinguer les espèces suivantes de changements : 1. Les transformations morpho-syntaxiques (nominalisation, verbalisation, adjectivation) à l'état pur n'ont pas beaucoup de chance d'être rencontrées lors de la réalisation d'une traduction poétique parce que les exigences de la forme ne permettent pas de les pratiquer librement. a) La nominalisation du syntagme verbal exige l'emploi d'un verbe à valeur plus générale pour pouvoir introduire dans le contexte le substantif obtenu qui est porteur de l'idée particulière. Les. trois valeurs fondamentales du verbe 4 J. Dubois. Grammaire structurale du français. La phrase et les transformations. Paris, Larousse, 1969. С.Ф. Гончаренко. О моделирование процесса перевода поетических образов. Тетради переводчика, Москва, 1975, с. 39 – 50. 5 être peuvent servir d'appui au syntagme nominal obtenu : - La valeur existentielle : Ca şi cînd niciodată noi nu ne-am fi găsit… Comme si nos rencontres n'eussent pas existé… - La valeur attributive : Să-intiereşti — Toujours plus jeune sois - Будь же юной -La valeur locative : О să mor — yйдy из жизни я. Dans le deuxième cas (la valeur attributive) le verbe de l'original possède un attribut interne qui s'extériorise dans la traduction. Après une simplification de la phrase le syntagme nominal obtenu peut se rapporter, comme complément, à un autre verbe : Că te-am iubit atita putea-vei tu să ierţi? Pardonneras-tu, chère, mon amour éperdu ? Sous ce point doivent être rangés tous les cas où une forme verbale, personnelle ou impersonnelle, cède la place à une construction sans verbe : ...Unul, venind de mine-aproape — alguien cerca de mi. b) L'adjectivation consiste dans le passage de la combinaison pré- position + nom ou d'une construction adverbiale à un adjectif : norocul visat do amîndoi - notre bonheur rêvé eu anii înapоi - de ce temps écoulé La transformation inverse se rencontre aussi : floarea vestejită – esa flor sin vida. c) La verbalisation, comme on peut s'y attendre, consiste dans le délaissement d'un verbe à sens plus général et dans l'incorporation du contenu du substantif dans un verbe lexicalement chargé: Uitării să mă dai – забудь меня l'Haï'ii su ma d a i - .iw'>i/<>b меня La ce de-acu nainte tu grija mea s-o pоrti ! Так надо ли годами томиться обо мне?.. . Ces exemples, sans être une preuve suffisante, rappellent la tendance des langues romanes à préférer les constructions Verbe + Nom là où dans les langues slaves est utilisé un verbe simple. Si l'original représente une construction sans verbe, dans lu traduction on peut voir apparaître une forme verbale traduisant le contenu d'un substantif : Singura mea rugă - je ne quémande que - solo deseo ; de vor — si asi quieren La ce statornicia părerilor de rău ¿De que puede servir la persistente pena ? Зачем же предаваться мучительной тоске? La traduction peut introduire dans un syntagme verbal plus ou moins développé une forme verbale non personnelle : Nu floarea vestejită din părul tău bălai... Non, ni la fleur mourante ornant tes cheveux blonds. prin zidurile reci — atraversando el muro 2. Changements dans le syntagme verbal. Le vегЬе, étant le noyau autour duquel s'organise l'unité syntaxique, est exposé très souvent à des changements de différente nature. a) d'existence Le traducteur peut profiter de la neutralisation possible entre l'idée portée par être et celle de possession exprimée par avоir pour passer de l'une à l'autre, d'autant plus que d'une langue à l'autre les constructions diffèrent lors de l'expression des rapports fondamentaux. La tournure avec a f i (rourn.) est traduite par t e n e r (esp.). Tot uni va fi mai bine — Mas dicha yo tendré. Ce passage se justifie par le fait que les différentes langues présentent des découpages spécifiques de la réalité objective. L'exemple démontre que la même valeur sémantique en roumain se traduit par une construction attributive à base de a fi, tandis que l'espagnol recourt à l'idée de possession exprimée par tener. b) Les rapports du sujet au procès (les problèmes de lu voix) su- bissent des changements notables qui vont de l'actif au passif, du personnel à l'impersonnel, du subjectif à l'objectif, en s'appuyant parfois sur le réfléchi ou le factitif. Le matériel fourni par une œuvre poétique est insuffisant pour dresser un tableau représentatif des changements en question. Nous ne citerons que quelques exemples. Dans le premier, le traducteur passe du réfléchi à une construction infinitive non réfléchi : Să nu se sting asemeni. ci-n veci să stea pe loc… Pourquoi ne pas l'éteindre et la garder sans fin ? Dans le deuxième exemple : Căci singura mea rugă-i - De toi je ne quémande. . .le syntagme nominal de l'original extériorise le mouvement psychique du sujet, alors que dans la version française le procès exprimé par un verbe le rattache plus intimement au sujet et devient plus subjectif. Le passage d'une forme personnelle à une forme impersonnelle facilite beaucoup la tâche du traducteur. Cette transformation peut être illustrée, par exemple, par la substitution d'une construction personnelle à un gérondif, ce qui entraîne un changement de voix : Dînd pulberea-mi ţărînii şi inima-mi la vînt Mi barro al polvo vuelva, mi corazon al viento. c) L'expression d'une catégorie verbale peut s'obtenir par des moyens morphologiques ou lexicaux. L'idée de modalité, par exemple, peut être traduite de différentes façons ; « E scris » de « Să trecem ne e scris » contient implicitement l'idée d'obligation qui dans la version française s'incarne explicitement dans le verbe devoir : « Nous devons tous glisser ». La modalité puissantielle dans l'original est rendue par le correspondant de pouvoir : « Putea-vei tu să ierţi ? » et en français par le morphème du futur : « Pardonneras-tu ? ». 3. Changements au niveau de la phrase. Ces changements touchent l'unité syntaxique dans ses caractéristiques les plus diverses. La traduction peut atteindre la proposition simple dans sa nature même et la faire changer de mode d'énonciation. Tel est le cas du passage d'une affirmative à une interrogative : Totuna-i dacă astăzi sau mîne о să mor Qu'importé que je meure aujourd'hui ou demain? La présence ou l'absence d'un verbe est une alternance sur laquelle joue souvent le traducteur de poésie : Ca-n ceasul de acum (construction comparative sans verbe) Que la que tengo ahora (construction verbale) Mă lasă prin străini Вокруг — одни чужие. Les propositions subordonnées peuvent être introduites pour reprendre une construction participiale (comme dans l'exemple 1) ou pour reformuler profondément la trame syntaxique de l'original (exemple 2) : 1. Ci eu aş vrea ca unul, venind de mine-aproape să-mi spuie al tău nume... Je veux qu'alors vienne quelqu'un à mes côtés et que ton nom murmure... 2. La ce sirmţirea crudă a stinsului noroc să nu se sting-asemeni, ci-n veci să stea pe loc? ¿De que sirve sentir la dicha ya apagada que no se extingue y sigue igual eternamente? Le dernier exemple prouve à quel point peuvent être complexes les transformations dans la phrase : la première partie nominale d'une proposition simple développée qui présente, sous une forme interrogative négative le besoin d'en finir avec le bonheur éteint, est rendue dans la version espagnole par l'introduction du verbe « servir » (¿De que sirve sentir?...) pour exprimer une interroga- tion rhétorique. Le deuxième vers de la version espagnole est constitué de deux propositions relatives coordonnées dans lesquelles on retrouve la négation, mais cette fois elle est pure et simple à la différence de l'original où la négation est interrogative exhortative. Cette analyse est loin d'épuiser tous les détails concernant les changements imposés à la syntaxe de l'original pour aboutir à une version étrangère. C'est la preuve que la traduction littéraire, et à plus forte raison la traduction poétique, présente un enchevêtrement de transformations soustendues par un seul élément stable qui est le contenu de l'œuvre. 4. Changements lexico-sémantiques. Si la traduction poétique reposait sur des modèles transformationnels, on aurait eu dans les cas précédents beaucoup plus d'exemples. En réalité, les trois versions étrangères nous offrent un nombre limité de modèles plus ou moins réguliers. Les observations prouvent que la traduction poétique consiste plutôt dans la réorganisation de la matière sémantique, sans tenir nécessairement compte de la morphosyntaxe de l'original. Libéré de la servitude des formes grammaticales, le traducteur pétrit le contenu sémantique et le déverse dans des moules qu'il trouve convenables pour obtenir une traduction adéquate. A la différence des transformations morphosyntaxiques, les changements lexico-sémantiques ne sont pas prévisibles. Elles sont le fruit de l'inspiration du traducteur, de son talent créateur. Nous nous proposons d'analyser un des plus simples cas : norocul visât — sueño feliz Cette transformation, toute simple qu'elle paraît, pour se réaliser, doit répondre à certaines exigences. Le premier substantif doit être abstrait pour en obtenir un adjectif. Son déterminant doit être une forme déverbale (participiale) qui puisse fournir un substantif (cf. en français : un bonheur rêvé — des rêves de bonheur). La matière dont on dispose procure d'autres cas de changements lexicosémantiques bien plus compliqués : Tot alte unde-i sună aceluiaşi pirău Le ruisseau chantonne toujours renouvelé. Ci tu rămii în floare ca luna lui april А ты как день апреля, всегда сияй, цвети ! Cînd voi să-mi piară urma în mintea tuturor Ya que borrar deseo el rastro de mi paso. Un cas particulier de changement sémantique consiste dans le passage de l'affirmation à la négation ou inversement sans que le sens en soit modifié. Le type morpho-syntaxique le plus simple est fourni par le modèle «La fenêtre est fermée - la fenêtre n'est pas ouverte». Les versions étrangères de Despărţire offrent des exemples de transformation négative qui s'exerce non plus à l'endroit de la seule forme verbale, mais touche à la structure lexico-sémantique. En voilà quelques cas : spre-a nu te mai uita - на память, - qui te rappelle à moi; nu mai eşti a ta — но ты теперь чужая ; că nu m-oi şti nici eu — pues de mi yo me olvido ; pe ochii rnei cei orbi — sur mes yeux sans vue. Ces exemples illustrent la thèse que le traducteur de poésie accomplit un travail artistique semblable à celui du poète, et plus difficile peut-être, parce que le poète est libre dans son élan, il peut choisir les moyens d'expression, les images poétiques sont créées selon les mouvements de sa propre inspiration, tandis que le traducteur a pour toute liberté de travailler la matière linguistique dans le cadre de la forme et du contenu de l'original. Et il est normal de s'attendre à des écarts de l'original plus ou moins importants. Les petits sacrifices sont inévitables. Ils sont plus grands lorsque le traducteur s'impose à observer une forme rigide (comme dans les versions française et russe) et moins importants quand un poème d'architectonique classique est traduit en vers relativement libres (comme la version espagnole). Les écarts qu'on peut observer sur le plan lexico-sémantique sont de na- ture différente : a) Le particulier est rendu par le général après un mouvement d'extension. Le volume de l'image poétique augmente. On y arrive par la substitution d'une expression à sens plus général à une expression à sens plus particulier : Din zare depăartată — de tout au loin Cînd voi să-mi piară urma in mintea tuturor Quand je veux disparaître de tout esprit humain. Dans le dernier cas on constate un rapport métonymique (de la partie au tout) entre l'original et la version. On arrive au général par la suppression des éléments concrétisants d'un syntagme : in margine de drum - al camino a ochilor lumini - mon œil. b) Le mouvement du général au particulier contribue à la concré- tisation du sens. Dans la traduction le contenu sémantique est explicite et l'original se présente comme une métaphore à l'endroit de la version : Cîntări tinguitoare — Y mis lamentaciones un semn — un recuerdo Cind voi să-mi piară urma în mintea tuturor Хочу забвенья, хочу небытия ! La particularisation s'acquiert par l'emploi de termes plus concrets que ceux de l'original : Să-ngheţe sub pleoape a ochilor lumini Que en mis ojos se hiele la luz de mis pupilas. La réduction du volume sémantique nécessite souvent un élargissement du syntagme : repaosul de veci — la grâce de l'éternel repos ; cîntări tînguitoare — des chants plaintifs l'écho. c) Le traducteur peut se permettre de modifier l'image poétique, de la présenter d'un autre point de vue, pourvu qu'il n'aille contre la conception de l'auteur : Pe-nchisele-mi pleoape — sobre mis ojos ciogos in margine de drum — в пыли дорог Parfois la présentation incomplète de l'image est compensée dans la suite de la version. Ainsi le traducteur omet-il de rendre en russe l'adjectif « bălai » et par l'adjonction de « в твоем венке » atteint sensiblement l'image de l'original : ...nu floarea vestejită din părul tău bălai a не увядший в твоем венке цветок L'idée de «bălai » apparaît à la fin de la version russe et par cette compensation l'intégrité de l'image poétique est sauvée : Все той же белокурой и вечно юной будь. Parfois une compréhension ou une interprétation incorrectes de la part du traducteur peuvent fausser l'image. Dans : Ci eu aş vrea ca unul venind de mine-aproape să-mi spuie al tău nume pe-nchisele-mi pleoape A я хочу чтоб кто-то у век поникших стал и дорогое имя твое мне прошептал. « У век поникшшх » au lieu de se rapporter au personnage lyrique, est attribué dans la version russe à celui qui devrait venir lui murmurer le nom de sa bien-aimée. Un autre exemple de traduction incorrecte est fourni par : La ce să măsuri anii ce zboară peste morţi ? И о других, уснувших в могильной глубине.... où il n'y a rien de commun entre l'original et la traduction. d) Enfin, le traducteur s’écarte de l'original, quand il omet de traduire certains éléments jugés, sans doute, de moindre importance, ou qu'il ajoute des éléments nouveaux qui témoignent de son interprétation personnelle de l'œuvre ou bien sont exigés par la forme poétique. De tels écarts se font remarquer sur- tout dans les versions russe et française et sont imposés par la rigidité de la forme, alors qu'en espagnol les traducteurs n'ont presque rien supprimé ou ajouté puisque le vers libre choisi par eux leur permet de reproduire le mieux possible tout le contenu de l'original. De là il ne faut pas conclure que les quelques écarts en russe et en français soient préjudiciables. Ce qui est sacrifié du côté du sens (et c'est souvent secondaire) est compensé par la forme qui, en l'occasion, n'est pas à sous-estimer. Eu outre, l'absence de rime et de mesure en espagnol a provoqué moins de transformations lexico-sémantiques en comparaison avec les deux autres versions. Dans le cadre du présent article nous n'avons fait que cerner certains problèmes linguistiques de la traduction poétique. Nous sommes conscients qu'une étude approfondie de ces problèmes devrait s'appuyer sur un matériel beaucoup plus riche et alors seulement on pourrait présenter sous son vrai jour l'art de traduire des vers d'une langue dans une autre. Université « Cyrille et Méthode » Véliko Tirnouo Bulgarie