Nous allons examiner la contribution de Tozer, afin de répondre à ces questions. Nous
commencerons par une présentation du contenu de l’article de 1838, nécessaire pour
comprendre la suite (par. 1). L’algèbre de Tozer étant lourde, difficile à suivre, et aujourd'hui
obsolète, nous en présenterons une version « modernisée », pour qu'elle soit plus accessible
aux lecteurs actuels. Ensuite, nous allons utiliser ce matériel pour nous attaquer aux questions
posées ci-dessus, en développant notre analyse en deux étapes. D’abord, nous discuterons la
tentative de Tozer d’appliquer son modèle à l’étude des données numériques utilisées par
Ricardo dans l’exemple le plus connu du chapitre 31 (par. 2). Contrairement à Gehrke, nous
considérons qu’elle ne saurait remettre en cause le contenu essentiel du texte ricardien.
Cependant, elle constitue une critique intéressante de la méthode utilisée par Ricardo,
consistant à se servir d’exemples chiffrés pour construire des raisonnements économiques ; en
ce sens, la tentative de Tozer de montrer les limites de cette méthode, annoncée dès
l’introduction de son article, peut être considérée comme réussie.
Or ce premier résultat ne suffit pas à tirer la conclusion que le modèle de Tozer
constitue une méthode supérieure ; la deuxième étape du raisonnement consiste donc à
évaluer les forces et les faiblesses de ce modèle, en tant que représentation du phénomène du
machinisme et de ses effets sociaux. Dans quelle mesure constitue-t-il une méthode fiable
d’évaluation des effets de la mécanisation des activités productives sur les conditions de vie
d’une collectivité ? Afin de répondre à cette question, nous allons dans le paragraphe 3
discuter l’outil analytique principal, sur lequel la construction théorique de Tozer s’appuie : la
notion de « gain de la communauté ». Elle est introduite dans le but d’évaluer le changement
technique non du point de vue d’un producteur, qui change la technique de production si cela
réduit ses coûts de production, mais du point de vue de la société entière, c’est-à-dire
essentiellement de l’ensemble des consommateurs. Cette notion a des limites, que nous
mettrons en relief en considérant qu’elle est très proche des tentatives de définir une mesure
du surplus, faites à cette époque par des économistes et ingénieurs français, de Jean-Baptiste
Say (1803) à Henri Navier (1832), et qu’elle s’expose à des critiques semblables à celles que
Jules Dupuit (1844, 1849) adressa à ceux-ci: en particulier, la formule proposée par Tozer
surestime l’avantage que les consommateurs retirent de la mise en œuvre d’une technique
plus capitalistique. Nous verrons que cette erreur s’explique en considérant que l’auteur
n’arrive pas vraiment à adopter le point de vue du consommateur et, comme la plupart des
théoriciens d’inspiration classique, reste lié au schéma d’évaluation du coût de production du
capitaliste. Malgré cette difficulté, nous allons souligner l’originalité de la formule du gain de
Tozer, qui constitue la seule tentative de cette époque de relier l’évaluation du surplus des