RISQUE INFECTIEUX POST-SPLENECTOMIE : QUELLE PREVENTION ? Eric Batard, Médecine Interne A, Hôtel-Dieu, Nantes. La rate est un organe lymphoïde secondaire, non pas associé à une barrière cutanée ou muqueuse comme le sont les ganglions lymphatiques, mais situé en dérivation sur la circulation sanguine. Elle tient une place importante dans la défense contre les bactéries encapsulées présentes dans le sang, en intervenant dans la réponse anticorps dirigée contre ces pathogènes et dans leur phagocytose. Cette particularité fonctionnelle confère aux sujets splénectomisés une sensibilité accrue aux bactéries encapsulées que sont le pneumocoque, le méningocoque et Haemophilus influenzae. S’il n’est pas certain que les infections dues à ces germes soient plus fréquentes chez les splénectomisés, il est en revanche admis qu’elles sont plus souvent graves. Elles peuvent en particulier suivre une évolution fulminante, avec un choc septique et des troubles de la coagulation responsables de nécroses des extrémités pouvant mener à l’amputation (purpura fulminans). La mortalité de ces infections fulminantes est comprise entre 50 et 70 %. Une étude a calculé que, pour un sujet splénectomisé, le risque de mourir d’une infection pneumococcique est 75 fois celui d’un sujet normosplénique. Le risque d’infection fulminante semble particulièrement élevé dans les deux premières années suivant la splénectomie, si la splénectomie a été réalisée chez un enfant de moins de 5 ans, et en cas de certaines maladies associées (lymphome, maladies héréditaires du globule rouge et de l’hémoglobine). Les splénectomies sont ou ont été réalisées dans plusieurs situations : traumatisme splénique, staging d’une maladie de Hodgkin, certaines maladies héréditaires du globule rouge (microsphérocytose héréditaire de Minkowski-Chauffard), purpura thrombopénique auto-immun, anémie hémolytique auto-immune. Une splénectomie peut également être réalisée dans de larges exérèses de chirurgie digestive (estomac, pancréas, colon). Certaines situations provoquent un hyposplénisme fonctionnel, que l’on peut simplement détecter par la présence de corps de Jolly sur un frottis sanguin : il s’agit essentiellement des hémoglobinopathies (drépanocytose, thalassémies majeures) et des cirrhoses. Du fait de leur forte mortalité, les infections fulminantes chez les splénectomisés justifient une prise en charge préventive optimale. Celle-ci repose d’une part sur les vaccinations et/ou l’antibioprophylaxie, et d’autre part sur le traitement précoce de toute infection. La première étape consiste à détecter les sujets splénectomisés, et à les informer du risque d’infections bactériennes fulminantes qui les caractérise afin d’obtenir une bonne observance vis-à-vis des mesures préventives et curatives. Il convient de recommander au sujet splénectomisé de consulter en urgence en cas d’apparition d’une fièvre ou de frissons. 1) Prophylaxie 1.1 vaccins Le vaccin anti-pneumococcique à 23 valences s’impose chez tout splénectomisé. Pour une efficacité optimale, il doit être réalisé au moins 15 jours avant la splénectomie si celle-ci a été programmée. Dans les autres cas elle doit être administrée avant la sortie de l’hôpital. Le rappel de ce vaccin doit être réalisé tous les 5 ans. Ce vaccin est inefficace chez l’enfant de moins de 2 ans. Le vaccin anti-Haemophilus influenzae prend toute son importance chez l’enfant. Le vaccin anti-grippal nous semble souhaitable, bien qu’il ne soit pas recommandé par la plupart des auteurs. Le vaccin antiméningococcique n’est pas habituellement recommandé, en l’absence de séjour en zone d’endémie des méningocoques A et C. 1.2 antibioprophylaxie La rareté des études cliniques consacrées à l’antibioprophylaxie chez le splénectomisé explique l’absence de consensus à ce sujet. L’antibioprophylaxie s’impose chez les enfants de moins de 2 ans, chez lesquels le vaccin anti-pneumococcique est inefficace. L’association des professeurs de pathologie infectieuse et tropicale recommande d’étendre l’indication à tous les splénectomisés, dans les 2 ou 3 ans qui suivent la splénectomie. La pénicilline V (ORACILLINE®) est utilisée en première intention. En cas d’allergie aux -lactamines, un macrolide est recommandé. La prévention de la pneumocystose pulmonaire par BACTRIM®, chez certains patients traités par chimiothérapie anticancéreuse ou immunosuppressive, protège probablement également du pneumocoque. Les doses recommandées sont les suivantes : pénicilline V 500 000 U x 2/j après 5 ans, 250 000 U x 2/j avant 5 ans ; érythromycine-base : 250 mg/j après 2 ans, 125 mg/j avant 2 ans. 2) Le traitement précoce des infections L’efficacité des mesures prophylactiques n’est jamais totale. Il faut donc savoir, même chez un sujet vacciné ou sous antibioprophylaxie bien suivie, évoquer le diagnostic d’infection fulminante post-splénectomie pour débuter rapidement un traitement. Une difficulté supplémentaire réside dans le fait qu’une infections fulminante post-splénectomie peut se présenter initialement sous la forme d’un syndrome pseudo-grippal ou de troubles digestifs. Chez un sujet splénectomisé, un syndrome infectieux d’apparition brutale ou mal toléré, ou sans point d’appel évident, impose l’injection au cabinet, avant hospitalisation, d’un antibiotique actif sur le pneumocoque, mais aussi sur le méningocoque et Haemophilus influenzae. L’utilisation de ROCEPHINE® 1 g chez l’adulte (50 mg/kg chez l’enfant) est recommandée. Il est recommandé de prescrire aux patients éloignés d’un centre médical, un antibiotique à garder sur soi pour prise en cas de fièvre brutale.