Le marché des droits à polluer

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Conférence d’économie
Aurore Abdoul-Maninroudine
Séance n° 13
Le marché des droits à polluer ou permis négociables
Pourquoi un marché des droits à polluer ?
 La pollution, une externalité…
Le marché des droits à polluer a été créé dans le but d’internaliser des effets externes, à savoir
la pollution. En effet celle-ci constitue une externalité négative : lorsque l’entreprise utilise
gratuitement la fonction de réservoir de résidus de l’environnement naturel et crée des
dommages du fait de la pollution engendrée par sa production, elle impose à la collectivité des
coûts non compensés, les « effets externes ».
 à l’origine d’une divergence entre coût social et coût privé
Cette externalité conduit le marché à allouer ses ressources de manière non optimale, en
créant une divergence entre le coût social et le coût privé. La gratuité du service fournie par
l’environnement est donc trompeuse, puisque les capacités d’assimilation de l’environnement
ne sont pas infinies. Il s’agit donc d’un défaut d’information : la ressource est utile et rare,
mais elle n’a pas de prix. Or, le calcul économique ne prend en compte que ce qui a un prix.
Par conséquent le producteur, ignore cette partie du coût du social qu’il inflige à la société
pour obtenir le service que lui rend l’environnement, d’où un coût social supérieur au coût
privé : Csocial > Cprivé. Le volume de production qui maximise le profit privé du
producteur est alors supérieur à celui qui correspondrait à l’optimum collectif : X1 > X0
Px
Coût marginal social
Cm
P = Rm
Coût marginal privé
Cp
Effet
externe
X0
X1
X
En situation concurrentielle, l’entreprise égalise son coût marginal privé et sa recette
marginale, qui est aussi égale au prix. Le producteur produit jusqu’à ce que le prix soit égal au
coût marginal. Le coût social étant supérieur au coût privé il est logique que la production
maximisant l’intérêt collectif soit inférieure à celle maximisant l’intérêt privé du producteur,
d’où OX0 < OX1 .
Le rôle des solutions apportées est donc d’internaliser ces effets externes, c’est-à-dire les
intégrer au calcul économique.
Définition brève: La solution de coopération privée consistant en un marchandage entre
pollueurs et pollués préconisée par le théorème de Coase, n’est applicable que dans un
nombre très limité de cas de pollution. Tous les autres instruments de politique
d’environnement supposent une intervention de l’Etat. Avant de définir précisément ce qu’est
un marché des droits de polluer, il nous faut distinguer 2 types d’instruments possibles :
-les instruments réglementaires : quotas, ou normes
-les instruments économiques qui sont des mécanismes d’incitation par les prix, dont
le marché des droits de polluer fait partie mais également la taxe pigovienne.
Le marché des droits à polluer, est un mécanisme d’allocation qui fonctionne à partir
d’une dotation initiale en droits de propriété, sur l’environnement – on rappelle que
l’environnement est un bien collectif, c’est-à-dire qu’il est à la fois non-exlusif [il est libre
d’accès, on ne peut exclure un utilisateur] mais rival, [la consommation de ce bien par un
utilisateur diminue celle des autres consommateurs.] – afin que le service rendu par
l’environnement ne soit plus gratuit. Le bien échangé est la pollution et c’est l’Etat qui
fixe le niveau de pollution, donc l’offre, et attribue un nombre de permis correspondant.
Le prix des permis, qui représente le niveau des droits à polluer est alors établi sur le
marché des permis selon la loi de l’offre et de la demande : il s’agit donc d’une
régulation par les quantités, par opposition à une régulation par les prix. Les entreprises
qui peuvent réduire leur niveau de pollution pourront vendre leurs permis de polluer et
les entreprises pour lesquelles le contrôle de la pollution est très coûteux achèteront les
permis dont elles ont besoin.
Fonctionnement du marché des droits à polluer :
 Comment s’effectue la dotation initiale en droits de propriété ?
Il existe 4 possibilités de d’attribution initiale :
● les droits sont mis en vente par l’Etat et seuls les pollueurs peuvent les négocier
entre eux
● les droits sont mis en vente par l’Etat , et pollueurs et pollués peuvent les acheter et
les négocier.
● l’Etat reste lui même présent sur le marché en achetant ou en revendant des droits
selon la nécessité de faire varier la norme dans telle ou telle direction
● les droits sont gratuitement distribués aux pollueurs selon une répartition qui prend
en compte les objectifs de dépollution et les conditions de production de pollueurs.
 Situation entre deux individus :
Supposons que le pollué détient des droits sur l’environnement, le pollueur doit les acheter au
pollué pour avoir le droit de polluer. Il y a alors création d’un marché entre les 2 parties
aboutissant à la fixation d’un prix du droit d’émettre une unité de pollution.
● Le pollué accepte de vendre un permis de pollution seulement si le prix qu’il en
retire est supérieur au dommage subi, c’est-à-dire le coût marginal de la pollution
P > Cm pollution
● Le pollueur achète un permis si son prix est inférieur au coût marginal de
dépollution P < Cm dépollution
De cette confrontation entre l’offre et la demande va découler un équilibre où l’avantage
marginal de dépollution est égal au coût marginal de pollution  Bm dépollution = Cm
pollution. A cet optimum le prix du permis de pollution ou permis négociable est égal au coût
marginal de dépollution  P = Cm dépollution. Dans cette situation simplifiée au
maximum, il y a négociation décentralisée.
 De façon plus réaliste :
Mais, en réalité il existe un grand nombre de pollueurs et de pollués, ce qui implique que la
création spontanée d’un marché ne peut avoir lieu et une intervention centralisée est
nécessaire. C’est donc l’état qui choisit le niveau de pollution afin qu’il corresponde à
l’optimum économique. Une quantité de droits de pollution ou permis négociables est alors
distribuée correspondant à une pollution totale autorisée. Les pollueurs ne peuvent donc
polluer qu’au prorata de la quantité de droits détenus. Au-delà ils doivent dépolluer.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’optimum économique ne correspond pas au
point où la pollution est nulle mais au point où le dommage marginal social engendré par la
pollution [somme des dommages engendrés par une unité de production et supportés par
l’ensemble des consommateurs] est égal pour chaque firme à son coût marginal de
réduction de pollution.
 Comment un pollueur détermine-t-il sa demande ?
Le marché s’établit donc par confrontation de l’offre et de la demande des pollueurs, cette
demande dépendant de la comparaison qu’ils font entre le prix du droit de pollution et le coût
marginal de dépollution.
● Si le prix de marché du droit de pollution [le prix à payer pour émettre une unité de
pollution] est inférieur au coût marginal de dépollution  P > Cm dépollution, alors les
pollueurs ont intérêt à acheter des droits et à polluer.
● Si au contraire le prix est supérieur au coût marginal de dépollution  P >Cm
dépollution, alors les pollueurs ont intérêt à dépolluer et à ne pas acheter de droits.
La courbe de demande des droits correspond donc à la courbe de coût marginal de
dépollution pour l’ensemble des pollueurs. En effet il faut savoir que le prix du permis
négociable se fixe à un niveau qui égalise les coûts marginaux de dépollution de tous les
pollueurs, chacun d’entre eux adaptant sa quantité de pollution émise et donc sa demande de
droits à ce prix.
En cas de dépassement des quantités permises, les sanctions sont variables. Dans le
cadre du programme « Acid Rain » aux Etats-Unis, le producteur doit payer une amende, et a
obligation de compenser le dépassement l’année suivante en utilisant une quantité de permis
égale au niveau des émissions augmenté du dépassement de l’année précédente.
 Fixation du prix :
Cm
p
La droite verticale issue de P0 représente la quantité maximale de pollution autorisée, fixée
par l’organisme de tutelle c’est-à-dire l’offre rigide de droits. Le prix du droit de pollution
s’établit donc à l’intersection de ces deux fonctions, offre et demande.
p’0
p0
Coût marginal
de dépollution
P’0
P0
Pollution
 Comment le prix du marché de droits à polluer peut-il être modifié ?
Ce prix comme pour n’importe quel autre marché, peut se modifier avec le déplacement des
fonctions d’offre et de demande.
● Si l’Etat décide de diminuer la quantité totale de pollution autorisée sur le marché, la faisant
passer de P0 à P0’, il va en résulter une hausse du prix de p0 à p0’. L’ajustement sur le
marché se réalise donc par le biais des arbitrages des entreprises : celles dont le coût marginal
de dépollution est compris entre ces deux valeurs du prix de marché vendent leurs droits car
elles ont intérêt à dépolluer.
● De même la demande de droits de polluer va augmenter la suite de l’arrivée de nouveaux
pollueurs dans la zone contrôlée.
● Il est également possible que des associations de défense de l’environnement achètent des
permis afin qu’ils ne puissent être utilisés, ce faisant elles diminuent le niveau de pollution
puisqu’elle diminue la quantité de permis dont peut disposer les pollueurs. En théorie ces
associations vont accepter d’acheter ces permis que si le bénéfice qui résulte de cette
diminution de la pollution est supérieur au coût d’achat augmenté dans certains cas des coûts
de transaction.
● Enfin, il faut prendre en compte l’innovation et l’utilisation de techniques moins
polluantes. En effet un progrès technologique va permettre de réduire le coût marginal de
dépollution. Celle baisse ne profite qu’aux pollueurs, puisque le niveau de pollution est
inchangé : le coût total de dépollution passe donc de AP0P1 à BP0P1. De plus la demande des
permis diminue et engendre une baisse des prix de p1 à p2 : le nouveau point d’équilibre,
point B, correspond au point d’intersection de la nouvelle courbe de coût marginal Cm2 et de
la droite d’offre de permis. Le producteur peut alors stocker des permis pour les revendre,
c’est la méthode du banking.
On suppose alors que le nombre de permis est inchangé ainsi que la quantité de pollution
autorisée.
Cm de
dépollution
p1
Cm1
Cm2
Offre de
permis
C
A
B
p2
Pollution
P’O
P0
P1
 Critique :
● Les coûts de transaction (contrôle de la quantité de titres vendus, surveillance de non
dépassement de la pollution permise, mise en place de mesures contraignantes en cas de
dépassement et coûts induits par la négociation entre agents) peuvent être très importants.
● L’objectif de dépollution n’est optimum, que si l’on dispose de toutes les informations
concernant les coûts de pollution et de la dépollution, ce qui n’est jamais le cas. En pratique,
l’Etat doit donc tenir compte de nombreuses incertitudes quant aux fonctions de coûts.
● Enfin avec une taxe, le producteur serait incité à dépolluer jusqu’à ce que le coût marginal
de dépollution soit égal au prix de la taxe. Il produirait alors une quantité de pollution P’0 <P0.
Il y a donc une perte sociale qui correspond à la surface ABC.
Ainsi, le marché des droits à polluer le plus sophistiqué a été mis en place aux EtatsUnis, avec le programme « Acid Rain » en 1990, dont l’ancêtre était la Clean Air Act de
1970, concernant les émissions de dioxyde de souffre. Il apparaît aujourd’hui que cette
expérience est un succès puisque les objectifs ont été atteints et que les coûts moyens de
dépollution ont été réduits. Il faut néanmoins être conscient que l’encadrement institutionnel
est fondamental dans cette réussite, par la mesure des émissions, leur enregistrement, le
contrôle et le système de sanctions appliquées.
Ce système tente d’être mis en place à l’échelle internationale notamment avec le protocole de
Kyoto pour réduire l’effet de serre, mais l’exemple américain est difficilement transposable.
En effet tous les individus émettent des gaz à effet de serre et il n’existe pas d’autorité
supranationale capable d’exercer un réel système de contrôle des émissions. (Pour un
approfondissement de ces deux applications concrètes, voir parties IV-2- b,c du livre
Economie et l’environnement, de Valilée Anne, Points Economie, édition du Seuil, 2002)
Bibliographie :
Economie, Samuelson P.A, W.D Nordhaus, 16ème édition, Economica, 2000
Introduction à la microéconomie, Varian H., De Boeck Université
Economie et environnement, Valilée Anne, Points Economie, Edition du Seuil, 2002
Economie et écologie, Vivien Jean – Dominique, Edition La Découverte, 1994
Economie de l’environnement, Lahsen Abdelmalki, Pierre Mundler, Hachette, Les
Fondamentaux, 1997
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