Le Cas de Sophie K.
Spectacle de Jean-François Peyret et Luc Steels
Mise en scène Jean-François Peyret
Scénographie : Nicky Rieti
Musique : Alexandros Markeas
Lumière : Bruno Goubert
Dramaturgie : Marion Stoufflet
Costumes : Cissou Winling
Web : Agnes de Cayeux
Avec
Olga Kokorina, Elina Lowensohn, Nathalie Richard, Graham F. Valentine
Création au Festival d’Avignon, La Chartreuse de Villeneuve lez Avignon du 9 juillet au 24 juillet 2005.
Représentations au Théâtre National de Chaillot du 26 avril au 27 mai 2006
Une production tf2 compagnie Jean-François Peyret, Festival d’Avignon, La Chartreuse-CNETS de Villeneuve
Lez Avignon, avec l’aide de la DRAC Ile de France et le Jeune Théâtre National.
Contact : Claire Béjanin
Association tf2 Compagnie Jean-François Peyret
2 bis Square du Croisic, 75015 Paris
T / 00 33 1 45 40 48 36
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F / 00 33 1 45 40 32 82
I LE SPECTACLE : LE CAS DE SOPHIE K.
Jean-François Peyret
Il serait tentant d’attribuer au président de Harvard, Larry Summers, et à sa gaffe récente sur les
capacités du cerveau féminin à faire des mathématiques, l’idée de consacrer un spectacle à la
mathématicienne russe Sophia Kovalevskaïa. L’occasion est presque trop belle de tendre ainsi l’arc
entre la Russie arriérée de la deuxième moitié du XIXème, entre le combat que Sophie K mener
pour se faire reconnaître comme mathématicienne et une des plus performantes fabriques de
cerveaux de l’Amérique d’aujourd’hui, fille aînée de la Science, pour constater que le fil de
l’increvable sexisme est ininterrompu. Entre les propos, tenus dans une des plus brillantes fabriques
de cerveaux d’aujourd’hui, et ceux, par exemple, de Strindberg révolté à l’idée qu’on nomme
Sophie, une femme ! à un poste de professeur à l’Université, le chemin parcouru ne semble pas
bien grand, comme si le machisme ordinaire n’était pas le fait de l’ignorant et du fruste mais
sommeillait aussi dans les esprits éclairés, à croire qu’il serait inné…
Ce serait tentant, mais malhonnête puisque notre rencontre avec SK s’est faite autrement, et
beaucoup plus par hasard. Nous étions en effet l’an dernier en train de faire un spectacle sur Darwin
lorsque Une Nihiliste, le roman de notre mathématicienne parut en français; sur la quatrième de
couverture, n’était-il pas indiqué qu’elle avait épousé le traducteur russe de Darwin, qu’elle avait
rencontré l’auteur de L’Origine des espèces ? Cela suffisait pour piquer notre curiosité et donner
l’envie de faire entrer la mathématicienne-écrivain dans notre petit théâtre.
Que le théâtre, ou le roman ou le cinéma soient tentés de s’emparer de la vie et l’œuvre de cette
femme, rien d’étonnant. On dirait qu’elle épouse son époque. De son enfance d’aristocrate russe
ébranlée par le nihilisme, de sa fascination pour les idées nouvelles, de son combat pour faire valoir
ses droits au savoir à la victoire de son féminisme consacrée par sa chaire en Suède et la
reconnaissance de son génie mathématique, en passant par la Commune de Paris, par les relations
qu’elle entretint avec les plus grands esprits de son temps, elle n’a pas ménagé sa passion et on
regrettera seulement qu’elle soit morte si jeune, et n’ait pas connu la suite de cette Histoire si pleine
de bruits et de fureurs. Après tout, en 1917, elle n’aurait eu que 67 ans. Ainsi ses talents
mathématiques ne l’ont pas enfermée dans une tour d’ivoire ; elle était dans le siècle, et voulut s’y
inscrire politiquement en luttant pour l’émancipation des femmes, mais littérairement aussi en se
choisissant écrivain. Bref, pour revenir aux préoccupations de Larry Summers, le cerveau de Sophie
Kovalevskaïa nous intéresse.
Il nous intéresse par son caractère amphibie, le côté scientifique et le côté littéraire, et il nous
intéresse d’autant plus que notre théâtre, littéraire par vocation, cherche, depuis quelques années et
quelques spectacles à être en résonance avec la science et la technique dont il est le contemporain,
à s’en faire l’écho poétique, si ce n’est pas prétentieux de le dire. Qu’on me permette d’ajouter que
cette démarche est, contrairement à une tradition anglo-saxonne plus riche en ce domaine, assez
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rare en Europe continentale. Cela signifie aussi que notre intérêt n’est pas seulement historique
mais qu’il nous importait aussi d’examiner l’héritage de Sophie et de savoir ce que les scientifiques
d’aujourd’hui pouvaient en faire.
Tout ce qui précède explique pourquoi nous avons fait le choix de Sophie. Il faut maintenant dire un
mot du comment. Notre démarche n’est délibérément pas imitative, notre esthétique n’est pas une
esthétique de la représentation ; nous ne chercherons pas à construire une fable représentative
le personnage de Sophie K. s’incarnerait dans une comédienne bien choisie. Le théâtre ici n’est pas
au service de l’illusion biographique : nous avons des doutes, plus que des doutes, sur la validité
(artistique ou non) de tout projet biographique, projet d’une intenable maîtrise de la part du
biographe qui veut qu’une vie obéisse à un plan, qu’une vie soit de part en part intelligible. Nous ne
voulons pas réintroduire sournoisement un déterminisme à qui la science à cette époque est en train
de tordre le cou. Nous ne posons pas que la vie de cette femme disparue il y a 125 ans, ni que son
œuvre mathématique par nature hors des prises d’un théâtre peu au fait des équations aux dérivées
partielles ou des intégrales abéliennes dégénérées nous soient intelligibles et que nous pourrions
rapprocher Sophie K de nous; non, nous chercherons plutôt à nous approcher d’elle. Ce travail
théâtral est un travail d’approche par les moyens propres du théâtre (trois comédiennes et un
comédien en quête de Sophie K) prolongés par l’apport d’autres pratiques artistiques, comme ceux
de la vidéo, de la musique électro-acoustique et d’internet. Surtout ce spectacle sera l’occasion d’un
commerce entre artistes et scientifiques dont le résultat ne sera pas une conversation académique
ou mondaine mais quelque chose de fabriqué en commun: un spectacle.
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LE CAS DE SOPHIE K.
Un projet de théâtre
Le Cas de Sophie K., spectacle de Jean-François Peyret et de Luc Steels, naîtra donc de la
collaboration d’un metteur en scène et d’un scientifique spécialiste en Intelligence Artificielle. Par le
biais du frottement avec d’autres arts, voire d’autres technologies que les techniques proprement
théâtrales, le théâtre de Jean-François Peyret explore en effet depuis près de dix ans les zones
frontalières qu’il contribue à créer, entre science et théâtre d’abord, mais aussi entre ce qui serait
résolument du côté du théâtre tel qu’on se le représente et ce qui semblerait y échapper. Il aménage
donc des rencontres les contours de “l’imagination créatrice” sont appelés à se redéfinir sur le
plateau. Rencontres entre artistes et scientifiques certes, mais aussi (et surtout?) rencontre avec
des comédiens, qui nous somment de donner corps et mouvement à de telles rêveries.
Ici trois comédiennes, Olga Kokorina, Elina wenshon et Nathalie Richard, seront donc
confrontées à Sophia Kovalevskaïa; mathématicienne russe de la fin du XIXème siècle, première
femme à obtenir une chaire de mathématiques à l’Université; romancière aussi. Et peut-être plus
particulièrement à son cerveau : imagination mathématique, imagination poétique. “Je comprends
votre surprise de me voir travailler aussi bien en littérature qu’en mathématiques. Bien des gens qui
n’ont jamais eu l’occasion d’en savoir plus sur les mathématiques les réduisent à l’arithmétique et
les considèrent comme une science sèche et aride. C’est pourtant la science qui demande le plus
d’imagination”, écrivait-elle à une correspondante peu de temps avant sa mort.
Comment des comédiennes réagissent-elles à la proposition Sophie K. ? Que vont-elles chercher
en elles-mêmes pour jouer ? Loin de l’identification, peut-on incarner la pensée, mouvante ?
Comment cela traverse-t-il les corps, son corps, trois corps, n corps…?
Un quatrième comédien, l’homme oublié, Graham Valentine, sera déguisé en femme déguisée en
homme par exemple pour avoir accès aux scènes du music-hall de l’époque. Il sera le témoin de
la “transformation K” subie par les comédiennes “kovalevskaïamment modifiées”. Un contre-point.
Comme extérieur à cette prise en charge de Sophia Kovalevskaïa par le théâtre sa scène et ses
actrices il se fera le rhapsode du spectacle. Une autre façon de se retrouver confronté à l’activité
cérébrale, activité créatrice, politique aussi, et féministe de SK. Il s’agirait donc de dresser sur la
scène le portrait éclaté et changeant d’une femme, cerveau compris !, et de son monde. Univers
nihiliste russe passe Dostoïevski et ses Démons -, qui demande en mariage la soeur aînée de
Sophia mais cette dernière quitte Saint Pétersbourg pour Paris, s’engage dans la Commune et
épouse Jaclard pour fonder La Sociale. Univers mathématique aussi : du développement de
l’ananlyse moderne avec Weierstrass à l’intuition par Poincaré de la théorie du chaos. Quelles
conditions créer les pour qu’un théâtre s’y retrouve, se retrouve dans cette pensée- ? Un théâtre
peut-il être familier de ces questions scientifiques? Il nous faudra trouver des tours de théâtre
comme on dit des tours de pensée pour approcher, même par métaphore, cette dramaturgie de la
pensée.
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1. La scénographie
La scénographie est à considérer d’un point de vue qui n’est pas celui du théâtre ou de la scène
traditionnelle, ni celui d’une installation contemporaine installée au cœur d’un monument historique
juxtaposition devenue habituelle au fil des ans. Nous tenterons de parvenir à une synthèse des
deux, c’est-à-dire éviter autant que possible d’une part l’indifférence manifeste que suscite une
scène traditionnelle au-delà de l’arche du proscenium, et d’autre part le manque d’attention de
l’installation artistique pour les textes théâtraux, le jeu des acteurs et la mise en scène. Aussi
secondaires que ces distinctions scénographiques puissent paraître, elles font partie du théâtre de
Jean-François Peyret, qui cherche à re-combiner des disciplines théâtrales et artistiques d’une
façon souvent inattendue, mais toujours vers l'appréciation et la compréhension de textes dont le
contenu n'est jamais limité aux frontières littéraires, théâtrales, ou autres.
2. Un dispositif vidéo
Un dispositif vidéo permettrait en outre de démultiplier les scènes et de jouer sur le trouble que peut
engendrer la captation en temps réel : sont les actrices que l’on voit projetées sur le plateau ; et
quand ? Sont-elles vraiment éloignées, ou sont-elles susceptibles d’entrer sur scène à tout moment,
alors même qu’elles semblent si loin de notre théâtre? Ou comment se trouver dans deux, n, lieux à
la fois ? Délocalisation. Et si Stockholm n’autorise pas les mêmes choses que Saint Pétersbourg,
une cellule off stage projetée sur le plateau pourrait-elle permettre à une comédienne, sur scène in
abtentia, d’établir un autre rapport aux matériaux convoqués, aux spectateurs rassemblés (ou
dispersés si l’on s’adresse au public à constituer sur le web voir infra)? Et le champ des possibles
s’ouvre encore si l’on choisit d’explorer l’écart qui s’ouvre entre l’objectivité de la caméra de
surveillance, (plan fixe et témoin, auquel on ne saurait échapper, vecteur de la continuité d’un lieu
donné, assigné, et de la flèche du temps qui se déroule), et l’intimité dévoilée, la mise en scène de
soi, qu’exhibe la webcam qui accompagne l’actrice. Autant d’occasions d’explorer et de démultiplier
les rapports à SK que construisent les comédiennes et le spectacle, fractal.
3. La musique
La musique de ce projet s'articule autour de la dualité entre musique instrumentale et musique
synthétique. L'idée serait de construire deux musiques dissemblables et opposées qui s'écoutent
simultanément, qui gardent leur propre logique de comportement dans le temps et dans l'espace,
qui proposent une lecture différente de ce qui se passe sur scène. Le son du piano, l'évocation de
l'écriture romantique et post-romantique du 19e siècle d'une part, l'univers de synthèse sonore
numérique et les différentes textures sonores issues des labos informatiques formeront les deux
matières qui évolueront de manière indépendante. Leur parcours sera organisé par un programme
de codes d'interaction :
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