DeBardebelen trie avec une extrême précision toute une série des concepts en fonction de
leur thématique, de leur nature et, partiellement, de leur méthodologie (les approches
économique, culturologique et psychologique).
Grâce à sa classification les frontières interprétatives des notions modernes du stalinisme
commencent à apparaître. Or, cette comparaison des interprétations différentes du
stalinisme, qui semble élémentaire à première vue, suggère précisément des réflexions
sur le caractère infini de la vérité historique, et sur la façon dont notre lecture de
l'histoire dépend de schémas d'appréhension du passé.
D’un côté, les différentes interprétations du stalinisme, y inclus les interprétations
culturologique et économique, ne sont pas les seules interprétations possibles; de l’autre,
chacune de ces interprétations a un caractère spécifique et présente son propre cadre de
‘vérité historique’ unique. Cette conclusion triviale l'est moins dans le contexte de
l’expérience intellectuelle russe des vingt trois années passées.
J. DeBardeleben fait allusion aux différentes exégèses du stalinisme et produit de la sorte
un effet spécial, une sorte de ‘post-effet’ : leur incomparabilité, l’importance des nuances
et des accents dans chacune des exégèses; soulignant combien des concepts dépendent
des objectifs visés, de la stratégie des interprétations, de l’appareil catégoriel, de la langue
utilisée, etc. Elle révèle ainsi le caractère fonctionnel de la ‘vérité’ à propos du
stalinisme, qui ne se soumet pas à la notion de singularité et de monisme de la ‘vérité
historique’ telle quelle.
Je me chargerai de vous parler d’une conférence exemplaire qui a eu lieu dans une
citadelle de l’antistalinisme ‘réformateur’, la fondation Gorbatchev, le 4 mars 2004 (‘La
perestroïka comme une expérience d’élimination du totalitarisme) : des conclusions pour
le futur’). Chacun des participants qui présentait des rapports (V. Sheinis, V. Kouvaldine,
Z. Serebriakova, V. Medvedev, E. Iakovlev, F. Bourlatskii, et al.) a décrit, montré et
soumis à la critique dans son rapport son propre stalinisme unique. La ‘stalintchina’ a été
exposée sous des formes différentes. Elle devenait ‘le Système’, ‘la Fin du
développement’ de la Russie et le dernier ‘Envol du messianisme russe’ en même temps;
le résultat de ‘la mauvaise volonté’ du tyran qui a monopolisé le pouvoir au sein du parti;
la révolution des fonctionnaires; plutôt un ‘état limite’ de la perception de l’histoire qu’un
‘état limite’ de l’histoire elle-même, une nécessité historique et un accident. Tout comme
durant les années de perestroïka les positions relativement consolidées des personnes
présentant ces rapports, leur dégoût démonstratif aux déformations stalinistes
n'entraînaient pas la formation d’un contour quelque peu uni des interprétations – un
contour qui comprenait une vérité (conditionnellement) incontestable sur le stalinisme.
Pour moi, le rapport le plus intéressant et en même temps provocateur était celui de Z. L.
Serebriakova, qui avait été victime des répressions stalinistes. Elle disait que seulement le
recommencement d’une large discussion sur la période staliniste pouvait rendre nos
perceptions de l’histoire soviétique relevantes. La participante a souligné la différence
entre la discussion sur le stalinisme de la fin des années 1980 jusqu’au début des années
1990 et celle qui a eu lieu de la fin des années 1990 jusqu'au milieu des années 2000. Elle