Intervention de Valérie LETARD, le 3 septembre 2008 lors du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). Je voudrais tout d’abord vous dire que je suis très heureuse de vous retrouver en ce moment de rentrée, près de trois mois après la Conférence nationale du handicap en espérant que les uns et les autres avec vos proches, vous ayez pu vous reposer et prendre quelques moments de détente au cours des semaines qui se sont écoulées. Comme je m’y étais engagée, je souhaitais évoquer avec vous les orientations du grand chantier du 5ème risque pour lequel les travaux, auxquels vous êtes associés sont largement engagés. Cette présentation a dû être reportée à deux reprises pour des raisons indépendantes de notre volonté et je suis satisfaite de pouvoir avoir cet échange avec vous sur ce sujet qui va être au cœur de nos préoccupations dans les mois à venir. Le point sur la scolarisation des enfants handicapés Mais rentrée oblige, je souhaiterais tout d’abord faire un point sur le dossier de la scolarisation des enfants handicapés et vous présenter les mesures prises pour continuer à améliorer la prise en charge des jeunes handicapés par le système éducatif ordinaire ou spécialisé. Hier matin, j’étais à Hautmont et Maubeuge pour m’assurer que tout était mis en œuvre afin que tous les enfants qu’ils soient handicapés ou non étaient bien pris en charge par les institutions après la tornade du 3 août dernier. Hier après-midi, j’accompagnais le Premier ministre et le ministre de l’Education nationale en Seine-Maritime ce qui m’a donné l’occasion de visiter une classe d’intégration scolaire (CLIS) et de rencontrer les acteurs investis sur cette question. Mes premières impressions sont très positives. Il est pour le moment difficile de savoir si les demandes formulées pour les enfants handicapés seront totalement satisfaites. Nous le saurons d’ici quelques jours mais les efforts et les moyens nouveaux mis en place pour répondre à cette demande sont importants : - 250 nouvelles unités pédagogiques d’intégration (UPI), qui s’ajoutent aux 1 289 existantes. Grâce à cette mesure, nous tiendrons nos engagement d’en ouvrir 2 000 avant 2010 ; - 1100 places nouvelles de SESSAD en 2009, qui s’ajoutent aux 1250 créées en 2008. Au total, nous engagerons la construction de 7250 places d’ici 2012 ; - enfin, 2000 postes d’AVS-i supplémentaires ont été annoncés par le ministre de l’Education nationale pour cette rentrée, afin de faire face aux besoins d’accompagnement recensés par les MDPH (Maisons départementales des personnes handicapées). Le projet de décret revalorisant l’Allocation adulte handicapé Je voudrais ensuite revenir en quelques mots sur le projet de décret revalorisant l’AAH que vous avez examiné aujourd’hui, et sur le projet d’article législatif qui l’accompagnait, car je crois qu’ils méritent quelques éclaircissements. Le projet de décret revalorise, comme nous nous étions engagés, l’AAH de 3,9 % à compter de ce mois-ci. C’est la première étape de la revalorisation de 25 % confirmée par le Président de la République lors de la Conférence nationale du handicap du 10 juin dernier. J’ai tenu, afin que votre information soit complète, à vous transmettre en même temps un projet d’article législatif qui sera inclus dans la prochaine loi de finances et qui donne enfin une base législative au mécanisme de revalorisation de l’AAH. Cet article prévoit que cette revalorisation annuelle devra être au moins égale à l’inflation, ce qui signifie qu’elle pourra naturellement aller audelà, comme ce sera le cas jusqu’en 2012 pour permettre la revalorisation de 25 % à laquelle nous nous sommes engagés. Cet article mettra également en œuvre trois autres mesures annoncées lors de la Conférence nationale du handicap : - l’évaluation systématique, à l’occasion du dépôt d’une demande d’AAH, de la qualité ou non de travailleur handicapé ; - l’obligation, pour les MDPH, d’associer une orientation professionnelle à toute décision de reconnaissance de cette qualité de travailleur handicapé ; - la suppression de toute condition d’inactivité préalable pour l’attribution de l’AAH. Il s’agit de trois mesures essentielles pour pouvoir mettre en œuvre un accompagnement professionnel adapté et personnalisé pour tous les demandeurs d’AAH qui ont la capacité à aller vers l’emploi et pour supprimer les mesures qui découragent les tentatives d’accès à l’emploi des personnes handicapées. Plus globalement, le Président de la République a annoncé, lors de la Conférence du 10 juin dernier, que les deux régimes d’AAH seraient réformés, afin de fonder leur distinction non plus sur un simple taux d’invalidité mais sur la capacité ou non de la personne handicapée à exercer une activité professionnelle. La condition et le préalable pour mettre en œuvre cette architecture générale réside dans la définition d’un outil global pour évaluer la capacité de travail des demandeurs d’AAH. Or, il n’existe pas aujourd’hui d’outil validé et directement réutilisable pour classer les demandeurs d’AAH selon qu’ils peuvent ou non travailler. La réforme annoncée par le Président de la République sera donc l’occasion de nous doter d’un tel outil. Pour y parvenir, nous avons décidé de confier une mission de préfiguration de cet outil à quatre personnalités reconnues pour leur compétence en la matière. Il s’agit : - de M. Louis Melenec, docteur en droit, docteur en médecine, et ancien membre de la cour nationale de l’incapacité ; - de M. André Masson, économiste, directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’école des hautes études en sciences sociales ; - du Docteur Thierry Hennion, médecin du travail et président de l’association Cinergie ; - et du Docteur Michel Busnel, médecin de rééducation fonctionnelle et président du réseau Comète France. Cette mission devrait rendre ses premières conclusions d’ici la fin de l’année. Les suites de la conférence nationale du handicap Je voudrais également revenir plus globalement sur les suites de la Conférence nationale du handicap. Je sais que vous attendez la transmission du rapport au Parlement, prévu par la loi et sur lequel vous avez à émettre un avis. Sachez d’abord que Patrick Gohet réunit demain l’ensemble des administrations concernées pour recueillir leurs contributions. Nous attendons la nomination d’un membre de l’inspection générale des affaires sociales pour diriger les travaux de rédaction de ce rapport. Le cinquième risque J’en viens maintenant au dossier du cinquième risque. Aujourd’hui, à travers vous, le monde du handicap s’interroge sur les principes de cette réforme : quel sera le périmètre de ce cinquième risque ? Comment sera-t-il financé ? Comment sera-t-il piloté ? Et, surtout, que va-t-il changer concrètement pour les personnes handicapées ? Pour mener à bien un projet aussi vaste, aussi complexe mais également aussi essentiel pour l’avenir des personnes en perte d’autonomie, il nous a paru essentiel à Xavier Bertrand et à moi-même, de prendre le temps d’une concertation en profondeur avec l’ensemble des acteurs du champ médicosocial. Cette démarche s’appuie d’abord sur le rapport de la CNSA qui représente le socle de notre réflexion commune. Ce socle constitue une base de réflexion particulièrement solide non seulement parce qu’il présente une stratégie globale pour mettre en cohérence et améliorer les dispositifs existants mais aussi parce que ce rapport a été adopté à la quasi unanimité des membres du Conseil de la CNSA. A partir de ce rapport, et des consultations que nous avons eues avec l’ensemble des partenaires au cours des mois d’avril et mai, nous avons présenté avec Xavier Bertrand un document d’orientation à l’occasion d’un conseil extraordinaire de la CNSA qui s’est tenu le 28 mai dernier. Ce document représente les premières propositions du Gouvernement. Notre fil conducteur, c’est de favoriser chaque fois que c’est possible dans un esprit d’équité et de lisibilité la convergence entre les dispositifs Pour autant, la convergence ne signifie pas confusion. Une telle approche serait d’ailleurs contraire à l’idée même d’une compensation personnalisée. Chacun comprend bien que l’on ne peut pas assimiler totalement handicap et dépendance. Ainsi, si la convergence doit être notre objectif chaque fois que possible, il nous faut également savoir préserver, quand c’est nécessaire une approche spécifique. Cette convergence est nécessaire pour, en premier lieu, mettre en œuvre un droit universel à un « plan personnalisé de compensation » Ce plan personnalisé reposerait sur une évaluation des besoins qui prenne en compte, sur le modèle de la PCH, toutes les dimensions des aides qui concourent à la compensation – aides humaines, aides techniques ou domotiques, aides d’aménagement, aide aux aidants familiaux, etc. Ce rapprochement des méthodes d’évaluation quel que soit l’âge serait une avancée majeure pour toutes les personnes en perte d’autonomie. En ce qui concerne la PCH, il convient de poursuivre la montée en charge et de l’étendre complètement aux enfants. L’enjeu principal est bien ici l’appropriation de ce nouvel outil par les familles et les équipes gestionnaires, puis sa substitution progressive à l’allocation compensatrice pour tierce personne. Comme vous le savez, le Gouvernement a choisi en 2008 d’ouvrir la PCH aux enfants, dans un premier temps sous forme de droit d’option entre la PCH et l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH). La seconde étape va être engagée dès maintenant, sous la houlette du DIPH, avec l’expertise technique de la DGAS et en partenariat avec les conseils généraux et les associations. Il nous faut également réfléchir aux évolutions possibles de la PCH, notamment sur la question des aides ménagères et sur les ajustements possibles des tarifs des aides humaines recrutées en emploi direct. Par ailleurs, je tiens tout particulièrement à faire aboutir le dossier de l’aide à la parentalité. Je sais que vous y êtes également très attachés. Vous avez d’ailleurs émis avis favorable lors d’un précédent CNCPH. Les collectivités territoriales auront un rôle de tout premier plan à jouer dans ce domaine. Il faut convenir avec elles des conditions dans lesquelles ce dispositif sera mis en place. Puisque je viens d’évoquer un ou deux thèmes particuliers, je saisis cette occasion pour vous livrer des informations sur l’état d’avancement de textes réglementaires sur lesquels le CNCPH a déjà eu l’occasion de se prononcer : - ainsi, le projet de décret sur les unités d’évaluation, de réentraînement et d’orientation sociale (UEROS) a été transmis au conseil d’administration de la CNAM qui l’examinera le 16 septembre prochain ; - il en est de même pour celui sur les personnes n’ayant pu acquérir un minimum d’autonomie ; - en ce qui concerne le projet de décret sur l’accessibilité des lieux de travail, le processus de consultation de la Commission européenne est achevé, il a donc été transmis au Conseil d’Etat où il rejoindra le texte qui prévoit l’avancement des dates limites de réalisation des diagnostics d’accessibilité. Quatre nouveaux textes très importants vont donc être promulgués au tout début de l’automne. Le deuxième objectif que nous avons fixé est d’augmenter le nombre de places en établissements et services aussi bien à destination des personnes âgées que des personnes handicapées. Les remontées territoriales à travers les programmes interdépartementaux d’accompagnement des handicaps et de la perte d’autonomie (PRIAC) permettent d’évaluer les besoins de créations de places pour les années à venir. En ce qui concerne les établissements et services pour personnes handicapées, le Plan pluriannuel de création de places annoncé par le Président de la République le 10 juin dernier permettra d’engager la création de 50 000 places sur 5 ans, leur financement étant échelonné sur 7 années budgétaires. Ce plan aura notamment pour objectifs de mettre fin aux listes d’attente excessivement longues pour les familles, de mieux prendre en charge les handicaps lourds – autisme, polyhandicap, troubles graves du comportement – et de tenir compte de l’avancée en âge de la population accueillie en établissement. Mais cet objectif ne sera atteint que si nous assurons la formation des professionnels des métiers en faveur de l’autonomie. Pour répondre à cet enjeu, ce sont plus de 400 000 emplois que nous allons devoir créer d’ici 2015. Ces recrutements ne seront pas possibles sans la mise en œuvre d’un plan des métiers en faveur de l’autonomie. Ce plan devra permettre de former de nombreux professionnels pour faire face aux besoins et d’ouvrir davantage de perspectives à ces personnels en leur proposant des carrières plus diversifiées. Ainsi, le plan des métiers au service des personnes âgées et handicapées, que j’ai lancé le 12 février dernier, constitue pour le Gouvernement un élément complémentaire indispensable du cinquième risque. Je tiens, sur toutes ces problématiques, à saluer votre contribution très positive, notamment sur les volets relatifs aux nouveaux métiers et je souhaite, comme je l’ai indiqué dans mon récent courrier au président Schléret, que votre réflexion puisse venir enrichir les 4 axes de ce plan : l’identification des besoins, le recrutement, la formation et la valorisation de ces métiers. Naturellement il ne peut être question pour moi d’annoncer des mesures, comme les créations de places en établissement et services par exemple, sans assurer le financement du cinquième risque pour aujourd’hui et demain. Le financement du cinquième risque doit reposer sur un socle élevé de financement par la solidarité nationale, tant dans le champ de la compensation que dans le champ des établissements et services. Cette dernière finance aujourd’hui environ 19 milliards d’euros de dépenses annuelles via la CNSA et les départements. L’évolution des besoins sociaux doit être accompagnée d’une meilleure répartition des financements au sein de notre système solidaire de protection sociale. Cette enveloppe a donc vocation à augmenter. Comment ? D’abord par des redéploiements. Comme le notait récemment le rapport Larcher, l’offre hospitalière n’accorde aujourd’hui pas suffisamment de places aux services médico-sociaux par rapport aux services de médecine, de chirurgie, d’obstétrique ou de psychiatrie. Le redéploiement progressif de l’offre de court séjour et de psychiatrie vers les établissements et services d’aval, notamment médico-sociaux, fait partie des axes forts de restructuration de l’hôpital dans les années qui viennent. Ensuite, comme vous le savez nous avons proposé, s’agissant des personnes âgées, que soit pris en compte le niveau de patrimoine afin d’assurer une articulation harmonieuse entre les aides publiques et la prévoyance privée : à terme, soit les personnes feraient un effort de prévoyance, soit leur patrimoine serait mis à contribution, dès lors qu’il dépasserait un certains niveau. Il n’est en revanche absolument pas question de conduire une telle démarche en ce qui concerne les personnes handicapées. Il existe en effet sur ce sujet de profondes différences entre les deux champs du handicap et des personnes âgées. On peut estimer par exemple, que la dépendance liée à l’avancée en âge est un risque prévisible, qui survient après une vie d’activité durant laquelle la plupart des personnes ont acquis des droits à pension et souvent un patrimoine. Le handicap, quant à lui, prive souvent la personne de la possibilité d’acquérir ces ressources. L’équité en la matière, ce n’est pas forcément d’avoir une approche identique. C’est donc sur la solidarité nationale que doit reposer les financements de la compensation du handicap. Enfin, il m’apparaît nécessaire pour répondre au défi social nouveau de l’autonomie de mettre en place une gouvernance qui repose sur une articulation originale entre : - une gouvernance locale au plus près des besoins grâce à l’action des conseils généraux ; - une gouvernance régionale avec la mise en place des agences régionales de santé ; - une gouvernance nationale avec l’instauration d’une agence responsable des financements, de l’animation et de l’équité de traitement sur le territoire. Je crois nécessaire de conforter les départements dans leur rôle de maîtrise d’œuvre des prestations de compensation en faveur de l’autonomie. Ils ont acquis une légitimité incontestable tant en ce qui concerne la gestion de l’APA, celle de la PCH ou encore des établissements et services sous leur responsabilité. Comme préconisé par le rapport de la CNSA, il pourrait être envisagé d’articuler sous l’autorité des conseils généraux l’intervention des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et des coordinations gérontologiques ou équipes médico-sociales départementales. Des « maisons départementales de l’autonomie » pourraient ainsi être mises en place pour assurer la convergence des pratiques et des modalités d’évaluation des besoins d’aide. Je crois cependant que là aussi, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation et que la première urgence est bien d’assurer un fonctionnement stable et efficace des MDPH. Par ailleurs la création des agences régionales de santé (ARS) est l’occasion de conduire une démarche réellement décloisonnée entre le secteur sanitaire, la médecine de ville et le secteur médico-social. Je serai particulièrement vigilante quant aux modalités de prise en compte des problématiques médico-sociales dans les futures ARS. Au niveau national, je crois qu’il faut ériger la CNSA en véritable agence chargée du cinquième risque. Cela implique de renforcer les moyens d’action de la CNSA comme opérateur national de ce nouveau risque, garant de l’égalité de traitement sur tout le territoire, de la transparence de l’information et de l’échange de pratiques. L’ensemble des pistes de réformes que je viens d’évoquer devant vous font dorénavant l’objet de 5 groupes de concertations qui associent notamment l’ensemble des membres du conseils de la CNSA et permettent de mener une discussion approfondie sur chacun des grands thèmes transversaux du 5ème risque que sont la gouvernance, le droit universel à un plan personnalisé de compensation et l’évolution de la PCH, mais également sur le partenariat public privé le soutien à domicile et l’évolution de la tarification et du financement des établissements pour personnes âgées. Comme vous le voyez, c’est bien une démarche de concertation approfondie avec l’ensemble des acteurs que nous avons choisie. Naturellement viendra ensuite le temps de la décision. Celle-ci prendra la forme d’un projet de loi dont nous pensons qu’il pourra être présenté avant la fin de l’année et débattu au Parlement au début de l’année 2009. Je vous remercie.