l’existence d’une « identité raciale » a pris un essor important au cours du 19ème
siècle et, malgré son reflux relatif depuis les années 1950, tend parfois à revenir à
travers certaines lectures de la « génétique des populations » et de la « génétique du
comportement » (les noirs, selon certains, se distingueraient des blancs par leurs
capacités comportementales, lesquelles seraient liées à leur patrimoine génétique).
On le voit, nous sommes proches de croyances structurées, voire
d’idéologies, telles que l’eugénisme ou le racisme. Pourtant, je n’aborderai pas ces
questions ici, mais je m’intéresserai à des croyances moins extrêmes mais fortement
diluées dans l’opinion. Des croyances où on sait bien “qu’il n’y a pas de races
supérieures” mais où « il faut bien le dire, les races existent » ; des croyances où
personne n’envisage de mettre en place un eugénisme mais où « il faut l’admettre,
beaucoup de choses sont innées ». En fait, la race, si elle existe comme construit
sociologique, a une réalité scientifique problématique (suivant ce qu’on met derrière
cette notion) et le gène est bien loin d’expliquer ne serait ce qu’une infime partie de
ce qu’on voudrait lui faire dire aujourd'hui. Nous nous situerons donc dans le
domaine des croyances collectives et un des problèmes essentiels auxquels nous
sommes confrontés ne tient pas tant à la puissance de la génétique qu’à la croyance
que nous avons dans sa puissance. Un tel problème, relevant de la croyance
collective au sens le plus large du terme, oblige donc à adopter une approche
pluridisciplinaire concernant aussi bien les philosophes que les ethnologues ou les
sociologues, aussi bien les linguistes que les historiens et, bien sûr, les disciplines
relatives à la génétique. Ceci est d’autant plus nécessaire que le “champ” relatif à
l’objet génétique n’est, lui même, pas homogène : les disciplines strictement liées à
la génétique relèvent de deux courants, la « biologie moléculaire » et la « génétique
des populations ». Mais il convient de rappeler l’existence de courants plus
particuliers comme la « sociobiologie » et le poids de la « génétique des
comportements » souvent prise en charge par des psychologues.
D’évidence, il n’est possible pour personne de maîtriser l’ensemble de ces
perspectives mais ne pas vouloir aborder ces problèmes selon une démarche
pluridisciplinaire, c’est laisser la place aux analyses de brèves de comptoir. De
même, ce caractère pluridisciplinaire de la question génétique ouvre la voie à des
incompréhensions : il est certain, par exemple, qu’un domaine aussi pointu que la
biologie moléculaire ne peut pas être totalement compris par des non - spécialistes;
de même certains sociologues ou psychologues ont assis leurs conclusions sur une
mauvaise compréhension de la notion « d’héritabilité », concept venu de la génétique
des populations; Mais, à l’inverse, des généticiens renommés peuvent montrer une
inculture surprenante dans les domaines sociologiques et historiques et retomber
dans des errements maintes fois répétés (ainsi, on n’a pas eu besoin de la
découverte de l’ADN pour imaginer que les « gènes » - le terme est antérieur à la
découverte de l’ADN- soient responsables de l’ensemble des comportements
humains). Ces incompréhensions ont pu permettre un retour en force de
« l’innéisme » (croyance selon laquelle nos potentialités seraient « innées ») qui est
une forme particulière de réductionnisme parmi d’autres comme, à l’inverse, le
« sociologisme » (l’homme ne serait que le produit de son environnement social) et
« “l’environnementalisme » (dont les errements de Lyssenko donnent une illustration
intéressante). Le réductionnisme correspond à toutes les tentations de dévoiler la
« clef unique qui ouvrirait toutes les portes », l’explication unique à tous les
phénomènes (le complexe d’Oedipe, le calcul coût-avantage,...).
Nous aborderons donc ces problèmes en trois étapes. Dans un premier
temps, nous analyserons l’engouement des années 90 pour les explications