Pèlerinage diocésain de Lourdes 2012 1er entretien : Le chrétien et la prière Nous sommes au début de notre pèlerinage, nous sommes venus à Lourdes parce que nous sommes chrétiens, parce que nous sommes des baptisés. Or, dans la vie d'un baptisé, il y a une dimension essentielle qui est celle de la prière. Je vais, si vous le voulez bien, tenter d'éclairer ce lien entre la vie du chrétien et la vie de prière dans ce premier entretien qui sera suivi d'un second entretien sur la vie de prière de Bernadette, thème d'année des sanctuaires de Lourdes. Il y a certainement mille manières de parler de la prière, et la façon dont je le ferai sera sans doute insuffisante. Mais il me semble important de développer ce premier entretien sur le chrétien et la prière à travers trois points. D'abord, rappeler ce que c'est que la prière pour un chrétien, que la prière a un caractère en particulier biblique et trinitaire. Puis, dans un second temps, j'aimerais préciser pourquoi nous sommes appelés à prier, en quoi cela est important, dans une vie de baptisé, dans une vie de disciple du Christ, que de prier. Puis, dans un troisième temps, j'aimerais donner quelques points de repère pratiques, très concrets, pour notre prière. I. La prière La prière, un phénomène universel, mais qui va prendre des caractéristiques par l'expérience biblique, et enfin par l'expérience chrétienne. Aujourd'hui, en Occident, nous sommes dans un monde où croire n'est pas évident. Ce n'est pas le cas pour le reste du monde. La laïcité, souvent mal comprise, qui fait la promotion de l'athéisme, qui ridiculise la foi, ridiculise en même temps le fait de vouloir prier. Ce climat de promotion de l'athéisme ou de l'agnostisme, du ridicule de la foi, fait qu’aujourd'hui en France, nous essayons d'expliquer le monde, un monde dans lequel Dieu est exclu, d'une certaine manière. Nous n'avons pas besoin de Dieu pour expliquer le monde. Et de ce fait, la foi en un Dieu qui serait à l'origine du monde, de la vie, semble totalement irrationnelle, voire absurde. Et dans ce monde, nous nous contentons alors en quelque sorte de ce qui est visible, tangible, matériel, fruit d'expérience évidente et immédiate. Or, comme le dit le pape Benoît XVI, prier, c'est croire que le monde a son sens en dehors de lui-même, hors de lui-même. Et donc le fait de prier, de s'adresser à une réalité au-dehors de ce monde visible, semble difficile. C'est la première difficulté de la prière. Avons-nous conscience, encore, qu'il y a une réalité qui s'appelle Dieu, qui est au-delà de ce monde, qui lui donne sens, et que nous pouvons le prier ? La deuxième réalité qui rend la prière difficile aujourd'hui est le mode de vie qui est le nôtre, dans la société occidentale. Un monde caractérisé par la rapidité, par l'efficacité apparente, un monde dans lequel il suffit de presser sur un bouton pour obtenir ce que l'on veut, peut-il comprendre les exigences de la prière qui, au contraire, demande de faire confiance et de laisser du temps, et de voir peu à peu aussi les choses s'éclairer, mais d'une manière qui n'est pas conforme à nos désirs personnels ?… Dans un monde d'efficacité, en effet, la prière semble parfois ne servir à rien. Il y a donc deux difficultés : prier dans un monde où Dieu n'est plus du tout évident, et prier dans un monde où l'efficacité est première. Il s'agit par conséquent de se rappeler pourtant que la prière est un phénomène d'abord universel et ancien. Dès les premières traces, l'humanité se caractérise d'une part par l'art, la gratuité du beau, que les animaux ne développent pas, mais d'autre part aussi par les rites funéraires qui vont se développer. C'est ce qui caractérise le passage de l'animal à l'humain : d'une part l'art et la gratuité, et d'autre part les rites funéraires et le fait que l'on croie qu'il y a quelque chose, une espérance après la mort. Et cette espérance s'accompagne de prières. Dans le monde païen, déjà, on connaît des exemples nombreux de prière, à la fois dans le monde grec, dans le monde égyptien. Dès le troisième millénaire avant J.C., des prières s'adressent aux divinités. Ce qui caractérise cette époque de la prière il y a de cela 3000-4000 ans, c'est que la prière apparaît dans un rapport que l'on qualifierait aujourd'hui de "magique". On met en œuvre des formules qui s'adressent à des divinités, on met en œuvre des rites pour obtenir quelque chose. D'une certaine manière, on exerce un pouvoir sur le divin par une technique que l'on met en œuvre, technique de formules, technique de rites. Peu importe finalement le cœur profond de l'homme, il s'agit surtout de bénéficier d'un avantage que l'on demande à la divinité. Au milieu de ce phénomène ancien et universel de la prière apparaît alors le phénomène nouveau : 1500 ans environ avant le Christ, le phénomène biblique va manifester une nouvelle manière de prier. La révélation biblique, en effet, se situe d'une manière radicalement différente par rapport aux autres expériences religieuses. Alors que dans les expériences religieuses l'homme essaie de réfléchir sur le sens du monde et projette parfois des explications, en s'inventant des dieux qui sont parfois les causes des phénomènes naturels du monde, la révélation biblique, elle, part du phénomène inverse. Ce n'est pas tant l'homme qui essaie d'expliquer le monde et qui réfléchit à des divinités qui seraient derrière les phénomènes naturels, que Dieu, au contraire, qui vient vers l'homme pour se révéler à lui. La Bible, c'est l'histoire de Dieu qui vient vers l'homme, qui le rejoint dans sa propre vie, qui inspire à des écrivains bibliques le mystère de cette révélation. Et, dans cette expérience nouvelle d'un Dieu qui vient vers l'homme, les caractéristiques de la prière vont changer en raison de ce Dieu qui se révèle et de la relation nouvelle et originale qu'il veut avec l'homme. Cette prière présente trois caractéristiques : Tout d'abord, elle est basée sur la foi. C'est-à-dire que c'est la relation de confiance avec le Dieu qui s'est révélé, le Dieu d'Abraham, d'Isaac, de Jacob, qui est au cœur même de l'expérience de foi et au cœur même donc de l'expérience de la prière. On ne prie pas Dieu pour se préserver de quelque chose d'abord, on ne le prie pas en raison de la peur, d'obligations, on le prie parce qu'on a avec lui une relation confiante et amicale. La prière est personnelle. Non pas dans le sens qu’on ne prie pas communautairement, mais dans le sens où le Dieu que l'on prie, le Dieu révélé à Abraham, Isaac et Jacob, est quelqu'un, une personne. Un "Je" auquel je m'adresse en lui disant "Tu". On prie Dieu qui entre dans l'histoire de l'homme non pas comme dans le monde païen où les divinités surplombent l'humanité et se moquent même des hommes, se rient des hommes, jouent avec eux. Au contraire, le Dieu d'Israël est un Dieu qui entre dans l'histoire humaine pour rejoindre l'homme, pour lui signifier sa présence, pour l'accompagner et vivre avec lui une relation, un dialogue. Et, de ce fait, la prière dans le monde hébraïque va prendre alors des formes différentes nourries par cette foi, cette dimension personnelle et cette dimension d'histoire. La prière va se manifester en particulier dans les psaumes, qui sont la grande prière que Dieu révèle lui-même à son peuple pour que son peuple puisse le prier, ces psaumes qui évoquent tous les états du cœur de l'homme, qui passent par la prière de demande, par le remerciement, la louange, l'action de grâce, mais aussi par l'adoration, le cœur même de la prière selon le Deutéronome. Cette prière, dont l'origine est universelle - dès qu'il y a eu de l'humanité, il y a eu de la prière -, qui prend des caractéristiques nouvelles avec la Bible - avec la foi, la dimension -2- personnelle, la dimension historique -, trouve alors son accomplissement dans la prière chrétienne, la prière qui trouve son articulation dans la personne du Christ. Le fondement de la prière chrétienne, c'est Jésus-Christ lui-même. Jésus est d'abord maître et modèle de prière. Il est celui qui nous permet de prier, il le dira d'ailleurs en saint Jean : "Je suis la porte, nul ne va au Père sans passer par moi". Cela est vrai de la prière, et c'est bien la raison pour laquelle dans l'Eglise toutes les prières se terminent en demandant à Dieu ce que nous lui demandons "par Jésus-Christ, son Fils, notre Seigneur et notre Dieu". Nul ne va donc au Père sans passer par le Christ. Et en même temps, Jésus est le maître de cette prière, car c'est lui qui la conduit, c'est lui qui prie, c'est avec lui que nous prions, et il en est le modèle car dans l'Evangile il nous montre comment prier. Jésus, en fait, vient accomplir l'expérience de la prière dans l'Ancien Testament, même s'il la libère d'une certaine manière avec un certain nombre de nouveautés. D'abord une dimension de grande liberté par rapport au lieu de la prière. Dans l'Ancien Testament, on prie essentiellement au Temple, dans la synagogue, chez soi à la maison ; Jésus invite à prier "en tout lieu". Il y a aussi la liberté par rapport au temps : dans le monde juif il y a des temps fixés, rituels, que les chrétiens reprendront, mais Jésus invite à dépasser cette ritualité pour une prière qui se veut beaucoup plus libre (chapitres 10 et 18 de l'évangile de saint Luc), en nous invitant à prier "en tout temps", sans jamais nous décourager. En tous cas, ce que la prière va trouver de nouveau avec le Christ, c'est une triple dimension. D'abord Jésus donne à la prière chrétienne une dimension interpersonnelle. Nous sommes en relation avec quelqu'un. Prier comme chrétien, ce n'est pas entrer dans une abstraction, un monologue, c'est s'adresser à quelqu'un dans la confiance, et c'est l'expérience même de Jésus qui nous montre que celui que nous prions essentiellement et fondamentalement, c'est le Père. La première caractéristique de la prière chrétienne est qu'elle s'adresse à un Père avec lequel nous échangeons, avec Jésus, en reprenant même les mots que Jésus nous a enseignés, ce Père qui est Abba, Papa, celui qui est la finalité même de notre expérience de prière. Il y a donc un entretien, un dialogue avec lui, nous lui parlons, nous l'écoutons, nous échangeons avec lui, et cela demande alors une attitude filiale, de vraie disponibilité du cœur, d'avoir un cœur ouvert, un cœur d'enfant, face à ce Père. La deuxième caractéristique de cette prière chrétienne est qu'elle s'appuie sur une Parole reçue, cette Parole qui est le Christ lui-même. La prière ne se fait pas par nous-mêmes, nous nous appuyons sur une parole, en particulier la Parole de Dieu, l'Evangile, cette parole qui nous révèle quelqu'un. Cette parole que nous lisons, que nous méditons, que nous contemplons. Elle nous permet de savoir qui nous prions, car dans l'Evangile progressivement nous découvrons le visage du Christ. C'est cette prière qui nous permet d'entrer dans un échange avec la figure de Jésus, médiateur, qui nous fait entrer dans l'intimité de la vie chrétienne ; c'est lui qui nous éclaire. Troisième caractéristique de la prière chrétienne : parce qu'elle n'est pas une technique ou une magie, elle est le fruit de l'action de l'Esprit Saint en nous. Jésus est celui qui peut prier, car il est le Fils. Il n'avait pas besoin de prier, car il est le Fils de Dieu, mais il nous a enseigné à prier, et, comme le dira saint Paul, nous ne savons pas prier, c'est l'Esprit qui intercède en nous. C'est en fait au moment du baptême que nous recevons le don de l'Esprit Saint et c'est ce don de l'Esprit Saint posé en nous qui va nous aider à prier. Au moment du -3- baptême, nous avons reçu la foi, l'espérance et la charité. Et ce triple dynamisme va donc nous aider à prier, à entrer dans la relation de prière et à vivre un chemin de sagesse avec l'Esprit qui intérieurement va éclairer notre prière et nous aider à prier. Nous venons d'éclairer ce qu'est la prière, prière difficile aujourd'hui dans un monde où croire en Dieu n'est pas évident, où l'exigence d'efficacité rend la prière complexe, un monde dans lequel la prière s'est développée de manière universelle, a pris des caractéristiques spécifiques avec la Bible et avec l'expérience chrétienne. J'aborde maintenant mon deuxième point, qui est un point important : nous avons besoin, régulièrement je crois, de nous redire pourquoi prier. Nous savons mieux mobiliser nos énergies pour faire quelque chose quand nous savons pourquoi nous le faisons, il est donc important de nous redire pourquoi nous prions. II. Pourquoi prier Au sens strict la prière, finalement, si l'on revient à la Parole de Dieu, n'a de fait aucune utilité véritable. C'est une relation d'amour confiante avec Dieu, c'est une expérience de gratuité. C'est saint Bernard de Clairvaux qui disait, au début de son traité sur l'Amour de Dieu : "Pour quel motif faut-il prier Dieu ? Par amour. Et quelle est la raison de cet amour ? L'amour n'a pas d'autre motif à lui-même que l'amour". Et il posait la question ensuite : "Quelle est la mesure de cet amour ? C'est d'aimer sans mesure"… Mais s'il y a bien évidemment l'inutilité de la prière parce que c'est une gratuité d'amour, en fait il y a bien peu à peu, et on le découvre, des motifs pour lesquels la prière est une bonne chose dans nos vies. Je verrai en particulier ici comment la prière vient éclairer les quatre relations fondamentales qui constituent notre existence. 1. La prière concerne notre relation avec Dieu Il est important de se souvenir que Dieu lui-même nous demande de le prier. Dans l'Ancien Testament, un commandement essentiel, dans le livre du Deutéronome, est le commandement de l'adoration : "Tu adoreras le Seigneur ton Dieu". C'est la reconnaissance de la grandeur de Dieu ; du fait que nous dépendons de lui, il est important de prier parce que nous nous rappelons que nous ne sommes pas nous-mêmes notre propre source, mais que nous dépendons véritablement de quelqu'un qui nous a donné la vie. Dans le Nouveau Testament, c'est une invitation à prier "sans cesse" qui nous est rappelée par Jésus. Mais c'est une invitation à prier en particulier par une prière qu'il va nous donner : le Notre Père ; à prier et à être des adorateurs, il le dira d'ailleurs à la Samaritaine au chapitre 4 de saint Jean : "Le Père cherche des adorateurs"… Dieu nous demande donc de le prier, et un des motifs fondamentaux pour prier Dieu, c'est cette demande. Mais prier va aussi nous permettre, dans cette relation avec Dieu, une découverte expérimentale. Comme le montrent un certain nombre de spirituels, la prière est l'expérience par laquelle nous découvrons Dieu ; nous apprenons à le connaître non pas théoriquement, mais expérimentalement, nous apprenons à "goûter" Dieu. Nous entrons dans une expérience de connaissance amoureuse, une amitié avec lui, qui a une dimension trinitaire : avec l'Esprit qui habite en nous, avec la Parole de Dieu, le Fils, et avec le Père, dans lequel nous nous confions, parfois aussi par la médiation de Marie ou encore des saints. Cela permet une union progressive avec Dieu, qui est le but de la vie chrétienne, une anticipation de la vie au Ciel, puisqu'au Ciel Dieu sera tout en tous, nous serons unis à Lui. La prière nous fait goûter les arrhes de cette expérience, de cet héritage qui nous est promis. 2. La prière éclaire aussi la relation avec nous-même En effet, sainte Thérèse d'Avila le dira, la prière est le moyen fondamental pour apprendre à se connaître soi-même. Quand je prie, je m'abstrais d'un certain nombre de réalités, je me concentre sur moi-même, j'entre en moi-même et je vis une véritable -4- aventure, celle de la découverte de mon intériorité, de ma vie profonde. C'est la découverte de l'intériorité, ce lieu où Dieu habite en nous, comme dira saint Paul (1ère Corinthiens 3, 16) : "Nous dépassons la surface de nous-mêmes, nous entrons dans les profondeurs de nousmêmes". Nous passons, comme le disait Thomas Merton, du moi superficiel au moi profond, et nous apprenons alors, en prenant de la distance par rapport aux éléments extérieurs, à nous découvrir intérieurement et à découvrir le vrai lieu de notre liberté. Cette expérience de Dieu et de la prière fait aussi que peu à peu la vie de Dieu passe en nous. L'Esprit Saint nous comble de la grâce, et nous apprenons progressivement à découvrir comment cet Esprit éclaire et illumine notre intelligence, comment peu à peu aussi cet Esprit donne force à notre volonté pour agir, avec l'action des fruits de l'Esprit Saint, qui ont un aspect thérapeutique dans la prière. Par la paix de la prière, par le silence, par la joie que Dieu nous donne, nous apprenons peu à peu à découvrir le langage que Dieu utilise dans la prière. Il nous parle vraiment, pas avec des mots, mais par la paix, par le silence, par la joie nouvelle qu'il nous donne. Nous découvrons ce que saint Bernard appelait les "visites" de Dieu en nous, la présence de Dieu en nous, et qui peut avoir des éléments de guérison et une action "thérapeutique" sur notre psychologie, même sur notre corps. C'est l'expérience que vivra le Père François Libermann. Enfin, dans la relation avec nous-même, cette expérience de la prière nous permet de vivre une expérience qui est celle du discernement. Quand je rentre en moi-même, quand je prie Dieu, par le jeu des consolations et des désolations, qui est un langage de Dieu, je découvre ce que Dieu attend de moi. Il éclaire ma vie, il me permet de faire des choix, de relire ma vie pour décider dans une vraie liberté. Si Dieu, rencontré dans la prière, éclaire son propre mystère pour moi, si la prière me permet de mieux me comprendre, la prière change aussi ma relation avec les autres. 3. La prière change aussi ma relation avec les autres En effet, la prière authentique me tourne vers Dieu, mais pour mieux me tourner ensuite vers les autres. Elle permet un décentrement de moi-même, elle est une sorte d’antiégoïsme, pour m’apprendre à mieux me tourner vers les autres. La prière permet ainsi de mieux connaître les autres parce que, dans la prière, quand je prie pour les autres, quand je médite ou prie ma vie dans mon rapport avec les autres, je regarde avec plus de détachement, de recul, avec plus de profondeur. Cela me permet de mieux discerner mes propres relations. La prière me met en relation aussi avec les autres parce que je prie pour eux, je porte leurs traversées de vie difficiles, leurs échecs, leurs souffrances. Et la prière me donne un lien fondamental qui est l’expérience ecclésiale et communautaire. En effet, je ne prie pas seulement pour les autres, mais il m’arrive aussi de prier avec les autres, je me décentre avec les autres, et je me recentre avec les autres sur la personne de JésusChrist. La prière nous fait ainsi devenir véritablement un corps ; elle nous rend responsables et solidaires les uns des autres, et elle manifeste aussi visiblement ce corps mystique. Quand un groupe de prière se réunit, quand une équipe de funérailles accompagne une famille, lorsque l’Eglise se rassemble évidemment surtout pour célébrer l’Eucharistie, alors l’Eglise fait corps visiblement. Et c’est bien la raison pour laquelle nous sommes présents visiblement, mais aussi invisiblement. Car quand je prie même seul dans ma chambre, comme je suis membre d’un même corps, qu’un même Esprit habite en moi et dans tous les chrétiens, même seul je prie avec la communauté. C’est ce qui a permis à l’Eglise, dès les débuts, de légitimer l’existence des ermites qui, même seuls, prient comme membres du corps et disent, même tout seuls, « Notre Père » parce qu’ils sont en lien avec les autres. Enfin, dernier point, la prière non seulement transforme ma relation et est un motif fondamental parce qu’elle me permet de mieux découvrir Dieu, de mieux me découvrir moimême, d’être mieux en relation avec les autres, mais aussi elle transforme ma relation fondamentale avec le cosmos et le monde. -5- 4. La prière transforme notre relation avec le cosmos et le monde En effet, si la prière nous rend membres de l’Eglise, elle nous rend aussi mieux membres de la société dans laquelle nous sommes, et du monde. Elle nous permet de contempler avec du recul, avec sagesse et avec amour, ce monde que Dieu aime aussi. Elle nous permet de contempler l’action de Dieu dans ce monde, d’avoir un regard théologal de foi, d’espérance et de charité sur lui. Qu’est-ce que la prière ? Nous avons essayé de le dire : prière, phénomène universel, biblique, chrétien. Pourquoi prier ? J’ai essayé d’éclairer comment la prière transforme les quatre relations essentielles qui constituent la personne : la relation à Dieu, à soi-même, aux autres et au monde. Enfin j’aimerais aborder, si vous le permettez, dans un dernier point, la dimension concrète de la prière : III. Comment faire pour prier ? Il y a souvent de beaux témoignages et des exemples édifiants sur la prière, mais l’important est aussi de se donner un certain nombre de points d’attention sur notre prière, pour savoir comment prier concrètement. Comme le disait sainte Thérèse d’Avila, on peut bien évidemment prier spontanément, mais elle ajoutait qu’il y a un « art de la prière ». Si l’on veut vraiment prier en profondeur, avoir une véritable expérience de prière, la développer, il est important d’avoir un certain nombre de points de repère et de conseils spirituels qui nous aident à prier, pour ne pas très rapidement nous fatiguer, nous épuiser ou bien tout simplement ne pas trouver. Il y a donc ce que l’on pourrait appeler une « préparation lointaine » à la prière, comme on dit en spiritualité, puis une « préparation proche » de la prière, qui sont des conseils que l’on peut se donner pour que notre vie de prière se passe de la manière la plus féconde possible. Comment faire alors ? D’abord se rappeler que notre vie de prière dépend aussi de notre vie chrétienne en général. Si nous ne sommes pas attentifs à notre vie chrétienne, il est évident que la prière ne sera pas facile. Il faut qu’il y ait un point d’attention général à notre vie chrétienne pour avoir une vraie vie de prière. Mais ensuite il faut se donner trois points d’attention, de préparation « lointaine » : le climat, le lieu et le temps. Le climat Pour avoir une vraie vie de prière, pour que cette prière soit croissante, qu’elle progresse, il nous faut d’abord être attentif à un certain climat. Il est important de favoriser un climat général dans notre vie chrétienne et cela demande d’être attentif au fait d’arriver à notre moment de prière dans une certaine paix, dans un certain calme. Notre vie aujourd’hui est trépidante et stressante, il n’est donc pas inutile, par exemple, d’avoir un moment de sas avant de prier, de se détendre un peu, et de favoriser, avant le moment de la prière, un calme intérieur qui sera bien évidemment très utile au moment où je m’arrêterai devant Dieu. Le lieu pour prier Beaucoup disent : « Je prie partout », et quand on regarde de près leur vie, on voit qu’en fait ils ne prient nulle part. Il est donc important de soigner le lieu qui va nous permettre de prier. Avoir chez soi un coin prière, où on mettra un décor qui nous aidera à prier : pour les uns une icône, pour les autres une croix, quelque chose qui nous permette véritablement d’entrer dans la prière, et qui nous suggère aussi le goût de nous arrêter. On veillera donc à ce que cet endroit soit beau, décoré ; qu’il y ait -6- aussi de quoi nous installer confortablement. Tous les auteurs spirituels nous disent bien que, si l’on ne s’occupe pas de notre corps pendant la prière, si on ne lui permet pas de se détendre, c’est alors lui qui s’occupe de nous. Et au lieu de penser à Dieu, nous pensons tout simplement à notre corps, à la souffrance que nous avons au genou ou à tel autre endroit ; et il est donc aussi très important d’avoir des conditions idéales pour être détendu dans sa prière. Et de ce fait, si l’on est mieux assis, dans un fauteuil, on veillera à ne pas se mettre sur un prie-Dieu par exemple, qui nous fera peut-être mal aux genoux. Bref, c’est à chacun, comme disait le Père Libermann, de « faire ce qui lui réussit », et saint Ignace de Loyola nous dit lui-même qu’il faut essayer ce qui nous convient le mieux. Organiser ce lieu avec une décoration, la lumière, faire en sorte aussi que le téléphone soit coupé, peut-être prévenir les gens qui sont avec nous du moment de prière que nous allons prendre pour qu’ils ne viennent pas nous déranger. Le temps et le moment Quel est le moment le plus agréable pour moi pour prier ? Il y a des gens du matin, il y a des gens du soir ; certains sont plus à l’aise le matin parce que leur esprit est frais, d’autres préfèrent le soir… L’important est de se dire : quel est le moment le plus adéquat pour moi, où je serai le plus tranquille, où je ne manquerai pas aux autres non plus ? Et ensuite la durée : il est certain que, pour avoir une vie de prière à peu près juste, il faut se dire que dix minutes / un quart d’heure est un minimum et que vingt / vingt-cinq minutes serait l’idéal. Rappelons-nous que nous avons 96 quarts d’heure par jour, et que donner un quart d’heure à Dieu, ce n’est jamais que donner 1% de notre temps. Il faudra d’ailleurs mesurer ce temps : soyons attentifs à avoir un moyen qui nous aide. Aujourd’hui souvent, sur les téléphones portables nous avons une minuterie : pourquoi ne pas l’utiliser, pour ne pas passer notre temps à regarder notre montre ? On règle tout simplement sa minuterie sur 20 ou 25 minutes, et cela permet de ne pas se concentrer sur autre chose que sur le Seigneur. Une fois que j’ai mon lieu, que j’ai choisi le moment où je vais prier, que j’ai soigné mon climat de prière et éventuellement le sas qui va me permettre de passer des activités de la journée à la prière, il s’agit alors de m’arrêter pour prier. Là aussi, pour cette préparation immédiate, on peut se donner quelques conseils pratiques qui aideront à entrer dans une vie spirituelle qui permettra de durer. Les conseils pratiques que je vais donner ici pour conclure sont un peu une synthèse de différentes écoles, car il y a diverses écoles pour la prière dans l’Eglise. On peut penser à l’école ignatienne, à l’école franciscaine, à l’école bénédictine… Ces conseils très pratiques permettront, je l’espère, à chacun et chacune de trouver une manière adéquate de se fabriquer ses propres outils. La vie spirituelle, c’est de l’artisanat, à chacun donc de voir ce qui lui réussit le mieux… Il y a trois moments importants pour occuper notre moment de prière, justement pour ne pas nous ennuyer. Car nous savons bien que si nous entrons dans une église, si nous nous asseyons pour prier, nous prions trois-quatre minutes, puis nous tournons un peu en rond. Cela veut donc dire - et c’est pourquoi il faut apprendre à prier - qu’il y a des choses à faire qui nous permettent peu à peu de passer de ce monde extérieur dans lequel nous sommes (pour le retrouver ensuite) à l’intériorité. 1. La disposition : nous nous disposons à prier Dieu. Nous arrivons devant notre coin de prière, c’est le matin (si nous avons choisi de prier le matin), nous allons prier 20 minutes. Comment faire ? Nous arrivons devant Dieu, et comme dirait François de Sales, la première des choses à faire, c’est d’abord de saluer Dieu. Il est quelqu’un de vivant, il nous attend, et nous allons -7- le saluer, tout simplement par le signe de la croix. Et puis nous allons commencer par ce double mouvement que conseillent les auteurs spirituels, en particulier sainte Thérèse d’Avila, vider son cœur et le remplir. - Comment allons-nous vider notre cœur ? En commençant par demander pardon à Dieu. Cela peut se faire de manière très spontanée, mais cela peut se faire aussi par les formules de prière que l’Eglise nous donne. Je viens devant le Seigneur : « Seigneur je te salue, je viens prier avec toi maintenant, je veux te prier et je te demande pardon. » On peut dire le Je confesse à Dieu par exemple, ou un psaume de pénitence. Il s’agit tout simplement de se dire que nous sommes des pauvres et que nous demandons à Dieu d’avoir un cœur vraiment libre devant lui pour prier. - Puis nous allons nous remplir. Nous allons demander l’aide de l’Esprit Saint, car c’est lui qui prie en nous. Et là encore on pourra utiliser les belles prières que notre Eglise nous donne : le Veni Creator, le Veni Sancte Spiritus ou le « O roi céleste consolateur » de la tradition orientale. Et puis on peut aussi prendre un chant que l’on chantera, mais en se rappelant que dans la préparation, dans ce premier moment de la prière, on veillera surtout à faire les choses avec beaucoup de douceur et très lentement, de façon à favoriser la dimension d’apaisement intérieur qui est absolument fondamentale. A partir du moment où nous avons demandé pardon et prié l’Esprit Saint, sont déjà passées en principe 3 à 4 minutes. Si nous sentons que nous sommes encore tendus, n’hésitons pas à reprendre très tranquillement, comme une mélopée, un petit refrain à l’Esprit Saint que nous allons prier tranquillement. L’important est d’arriver à une certaine qualité de paix intérieure. Puis nous allons passer à un deuxième temps de la prière : L’orientation Il faut que j’oriente mon cœur vers Dieu, pour que tout ce qui me constitue, mon affectivité, mon intelligence, ma mémoire, ma volonté, soient occupés par lui, car s’ils ne sont pas concentrés sur lui, ils iront penser à la liste des courses, à ce que nous devons faire après la prière. Et, dans la tradition chrétienne, cette orientation se fait avec la Parole de Dieu. Ce que l’on appelle parfois une « méditation ». Nous allons donc prendre un texte de la Parole de Dieu. Soit nous avons choisi tel texte de la Parole de Dieu, soit, ce qui est encore le plus simple, nous prenons le texte que la liturgie nous donne au jour le jour, « l’évangile du jour », comme on dit. Avec un missel, un Magnificat, Prions en Eglise. Et nous allons lire ce texte - je répète le conseil - de manière extrêmement lente, très doucement, très tranquillement. Et nous allons donc nous en imprégner. S’il est court, nous pouvons le lire deux fois, voire trois fois. Et puis nous allons entrer dans une méditation. Non pas une méditation au sens monastique, qui demanderait un autre climat et plus de temps, mais une méditation comme le donne la tradition de saint François de Sales, de saint Ignace. Nous allons nous poser trois questions : - qu’est-ce que j’apprends sur Dieu dans ce texte ? - qu’est-ce que j’apprends sur l’homme dans ce texte ? - qu’est-ce que j’apprends pour moi dans ce texte ? Pour cette petite méditation, on peut même s’aider tout simplement d’un petit carnet sur lequel on notera un mot, une formule, pour chacun de ces trois points. Il sera d’ailleurs peutêtre très intéressant, lors d’une récollection mensuelle d’une journée où nous irons nous mettre un peu au vert, de reprendre toutes ces paroles. Et nous verrons que le Seigneur nous dit parfois des choses tout simplement à travers cette manière de prier. 2. En tout cas, cette manière de lire la Parole et de prier va me permettre de me concentrer, de ne pas être dispersé. Même s’il y a parfois des distractions, je reviendrai à ma méditation, et à un moment donné – et c’est là que c’est important -, après m’être disposé en priant l’Esprit Saint, après m’être orienté, en prenant la Parole de Dieu, je vais alors adhérer à Dieu. -8- L’adhésion à Dieu Le texte que je suis en train de prier, à partir duquel je m’interroge, je vais comme le traverser, parce qu’il est un média, un médiateur. Ce n’est pas un texte que je veux rencontrer, c’est Dieu qui me parle à travers ce texte. Maintenant que j’ai médité sur la Parole, je vais donc m’adresser à ce Dieu à un moment donné, lui parler directement. Si par exemple je suis en train de méditer sur le texte de la Samaritaine au puits de Jacob, je vais interroger Jésus et lui dire : « Seigneur, tu viens de révéler à la Samaritaine que le Père cherche des adorateurs, est-ce que je suis un adorateur ? Aide-moi à le devenir si je ne le suis pas. Comment faire pour mieux l’être ? » Je vais interroger le Seigneur, et par ces interrogations, je vais lui permettre, peu à peu, de me conduire jusqu’à son cœur profond. Là, souvent, après m’être adressé à lui, directement, lui avoir dit mon amour, peutêtre simplement, en lui disant « Seigneur je t’aime » (car il ne nous demande pas un amour sensible, mais un amour de volonté), je me tairai pendant quelques instants. Et dans ce silence, je serai alors dans ce que l’on appelle la « contemplation ». Je le regarde, je sais qu’il est là, à travers l’icône, le crucifix peut-être, ou bien tout simplement, si je suis dans une chapelle, dans le Saint Sacrement devant lequel je suis. Et voilà que la minuterie de mon smartphone ou la cloche de la chapelle me rappellent que mes 20-25 minutes sont passées, et je peux alors terminer, comme le dirait saint François de Sales, « comme on salué Dieu au début, on le salue à la fin ». Je le remercie, je peux prendre une action de grâces et peut-être me confier à la Vierge Marie pour qu’elle m’accompagne ensuite dans ma journée. 3. Disposition, orientation, adhésion, voilà ces trois temps de la prière qui nous permettent d’être dans une relation d’intimité profonde avec le Seigneur. J’ai essayé de vous éclairer dans ce premier entretien, sur la prière, ce qu’elle est comme expérience, pourquoi nous sommes appelés à prier, et enfin comment faire, très concrètement. J’aborderai, dans un deuxième entretien, la prière de sainte Bernadette. -9-