Pèlerinage diocésain de Lourdes 2012
1er entretien : Le chrétien et la prière
Nous sommes au début de notre pèlerinage, nous sommes venus à Lourdes parce que
nous sommes chrétiens, parce que nous sommes des baptisés. Or, dans la vie d'un baptisé,
il y a une dimension essentielle qui est celle de la prière. Je vais, si vous le voulez bien,
tenter d'éclairer ce lien entre la vie du chrétien et la vie de prière dans ce premier entretien
qui sera suivi d'un second entretien sur la vie de prière de Bernadette, thème d'année des
sanctuaires de Lourdes.
Il y a certainement mille manières de parler de la prière, et la façon dont je le ferai sera
sans doute insuffisante. Mais il me semble important de développer ce premier entretien sur
le chrétien et la prière à travers trois points. D'abord, rappeler ce que c'est que la prière pour
un chrétien, que la prière a un caractère en particulier biblique et trinitaire. Puis, dans un
second temps, j'aimerais préciser pourquoi nous sommes appelés à prier, en quoi cela est
important, dans une vie de baptisé, dans une vie de disciple du Christ, que de prier. Puis,
dans un troisième temps, j'aimerais donner quelques points de repère pratiques, très
concrets, pour notre prière.
I. La prière
La prière, un phénomène universel, mais qui va prendre des caractéristiques par
l'expérience biblique, et enfin par l'expérience chrétienne.
Aujourd'hui, en Occident, nous sommes dans un monde où croire n'est pas évident. Ce
n'est pas le cas pour le reste du monde. La laïcité, souvent mal comprise, qui fait la
promotion de l'athéisme, qui ridiculise la foi, ridiculise en même temps le fait de vouloir prier.
Ce climat de promotion de l'athéisme ou de l'agnostisme, du ridicule de la foi, fait
qu’aujourd'hui en France, nous essayons d'expliquer le monde, un monde dans lequel Dieu
est exclu, d'une certaine manière. Nous n'avons pas besoin de Dieu pour expliquer le
monde. Et de ce fait, la foi en un Dieu qui serait à l'origine du monde, de la vie, semble
totalement irrationnelle, voire absurde. Et dans ce monde, nous nous contentons alors en
quelque sorte de ce qui est visible, tangible, matériel, fruit d'expérience évidente et
immédiate. Or, comme le dit le pape Benoît XVI, prier, c'est croire que le monde a son sens
en dehors de lui-même, hors de lui-même. Et donc le fait de prier, de s'adresser à une
réalité au-dehors de ce monde visible, semble difficile. C'est la première difficulté de la
prière.
Avons-nous conscience, encore, qu'il y a une réalité qui s'appelle Dieu, qui est au-delà
de ce monde, qui lui donne sens, et que nous pouvons le prier ?
La deuxième réalité qui rend la prière difficile aujourd'hui est le mode de vie qui
est le nôtre, dans la société occidentale. Un monde caractérisé par la rapidité, par l'efficacité
apparente, un monde dans lequel il suffit de presser sur un bouton pour obtenir ce que l'on
veut, peut-il comprendre les exigences de la prière qui, au contraire, demande de faire
confiance et de laisser du temps, et de voir peu à peu aussi les choses s'éclairer, mais d'une
manière qui n'est pas conforme à nos désirs personnels ?… Dans un monde d'efficacité, en
effet, la prière semble parfois ne servir à rien.
Il y a donc deux difficultés : prier dans un monde Dieu n'est plus du tout évident, et
prier dans un monde l'efficacité est première. Il s'agit par conséquent de se rappeler
pourtant que la prière est un phénomène d'abord universel et ancien. Dès les premières
traces, l'humanise caractérise d'une part par l'art, la gratuité du beau, que les animaux ne
développent pas, mais d'autre part aussi par les rites funéraires qui vont se développer.
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C'est ce qui caractérise le passage de l'animal à l'humain : d'une part l'art et la gratuité, et
d'autre part les rites funéraires et le fait que l'on croie qu'il y a quelque chose, une espérance
après la mort. Et cette espérance s'accompagne de prières. Dans le monde païen, déjà, on
connaît des exemples nombreux de prière, à la fois dans le monde grec, dans le monde
égyptien. Dès le troisième millénaire avant J.C., des prières s'adressent aux divinités. Ce qui
caractérise cette époque de la prière il y a de cela 3000-4000 ans, c'est que la prière
apparaît dans un rapport que l'on qualifierait aujourd'hui de "magique". On met en œuvre des
formules qui s'adressent à des divinis, on met en œuvre des rites pour obtenir quelque
chose. D'une certaine manière, on exerce un pouvoir sur le divin par une technique que l'on
met en œuvre, technique de formules, technique de rites. Peu importe finalement le cœur
profond de l'homme, il s'agit surtout de bénéficier d'un avantage que l'on demande à la
divinité.
Au milieu de ce phénomène ancien et universel de la prière apparaît alors le
phénomène nouveau : 1500 ans environ avant le Christ, le phénomène biblique va
manifester une nouvelle manière de prier. La révélation biblique, en effet, se situe d'une
manière radicalement différente par rapport aux autres expériences religieuses. Alors que
dans les expériences religieuses l'homme essaie de réfléchir sur le sens du monde et
projette parfois des explications, en s'inventant des dieux qui sont parfois les causes des
phénomènes naturels du monde, la révélation biblique, elle, part du phénomène inverse. Ce
n'est pas tant l'homme qui essaie d'expliquer le monde et qui réfléchit à des divinités qui
seraient derrière les phénomènes naturels, que Dieu, au contraire, qui vient vers l'homme
pour se révéler à lui. La Bible, c'est l'histoire de Dieu qui vient vers l'homme, qui le rejoint
dans sa propre vie, qui inspire à des écrivains bibliques le mystère de cette révélation. Et,
dans cette expérience nouvelle d'un Dieu qui vient vers l'homme, les caractéristiques de la
prière vont changer en raison de ce Dieu qui se révèle et de la relation nouvelle et originale
qu'il veut avec l'homme.
Cette prière présente trois caractéristiques :
Tout d'abord, elle est basée sur la foi. C'est-à-dire que c'est la relation de
confiance avec le Dieu qui s'est révélé, le Dieu d'Abraham, d'Isaac, de Jacob,
qui est au cœur même de l'expérience de foi et au cœur même donc de
l'expérience de la prière. On ne prie pas Dieu pour se préserver de quelque
chose d'abord, on ne le prie pas en raison de la peur, d'obligations, on le prie
parce qu'on a avec lui une relation confiante et amicale.
La prière est personnelle. Non pas dans le sens qu’on ne prie pas
communautairement, mais dans le sens le Dieu que l'on prie, le Dieu révélé
à Abraham, Isaac et Jacob, est quelqu'un, une personne. Un "Je" auquel je
m'adresse en lui disant "Tu".
On prie Dieu qui entre dans l'histoire de l'homme non pas comme dans le
monde païen les divinités surplombent l'humanité et se moquent même des
hommes, se rient des hommes, jouent avec eux. Au contraire, le Dieu d'Israël
est un Dieu qui entre dans l'histoire humaine pour rejoindre l'homme, pour lui
signifier sa présence, pour l'accompagner et vivre avec lui une relation, un
dialogue. Et, de ce fait, la prière dans le monde hébraïque va prendre alors des
formes différentes nourries par cette foi, cette dimension personnelle et cette
dimension d'histoire.
La prière va se manifester en particulier dans les psaumes, qui sont la grande prière
que Dieu révèle lui-même à son peuple pour que son peuple puisse le prier, ces psaumes
qui évoquent tous les états du cœur de l'homme, qui passent par la prière de demande, par
le remerciement, la louange, l'action de grâce, mais aussi par l'adoration, le cœur même de
la prière selon le Deutéronome.
Cette prière, dont l'origine est universelle - dès qu'il y a eu de l'humanité, il y a eu de la
prière -, qui prend des caractéristiques nouvelles avec la Bible - avec la foi, la dimension
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personnelle, la dimension historique -, trouve alors son accomplissement dans la prière
chrétienne, la prière qui trouve son articulation dans la personne du Christ.
Le fondement de la prière chrétienne, c'est Jésus-Christ lui-même. Jésus est
d'abord maître et modèle de prière. Il est celui qui nous permet de prier, il le dira d'ailleurs en
saint Jean : "Je suis la porte, nul ne va au Père sans passer par moi". Cela est vrai de la
prière, et c'est bien la raison pour laquelle dans l'Eglise toutes les prières se terminent en
demandant à Dieu ce que nous lui demandons "par Jésus-Christ, son Fils, notre Seigneur et
notre Dieu". Nul ne va donc au Père sans passer par le Christ. Et en même temps, Jésus est
le maître de cette prière, car c'est lui qui la conduit, c'est lui qui prie, c'est avec lui que nous
prions, et il en est le modèle car dans l'Evangile il nous montre comment prier. Jésus, en
fait, vient accomplir l'expérience de la prière dans l'Ancien Testament, même s'il la
libère d'une certaine manière avec un certain nombre de nouveautés.
D'abord une dimension de grande liberté par rapport au lieu de la prière.
Dans l'Ancien Testament, on prie essentiellement au Temple, dans la
synagogue, chez soi à la maison ; Jésus invite à prier "en tout lieu".
Il y a aussi la liberté par rapport au temps : dans le monde juif il y a des
temps fixés, rituels, que les chrétiens reprendront, mais Jésus invite à dépasser
cette ritualité pour une prière qui se veut beaucoup plus libre (chapitres 10 et 18
de l'évangile de saint Luc), en nous invitant à prier "en tout temps", sans jamais
nous décourager.
En tous cas, ce que la prière va trouver de nouveau avec le Christ, c'est une triple
dimension.
D'abord Jésus donne à la prière chrétienne une dimension
interpersonnelle. Nous sommes en relation avec quelqu'un. Prier comme
chrétien, ce n'est pas entrer dans une abstraction, un monologue, c'est
s'adresser à quelqu'un dans la confiance, et c'est l'expérience même de Jésus
qui nous montre que celui que nous prions essentiellement et
fondamentalement, c'est le Père.
La première caractéristique de la prière chrétienne est qu'elle s'adresse à un
Père avec lequel nous échangeons, avec Jésus, en reprenant même les mots
que Jésus nous a enseignés, ce Père qui est Abba, Papa, celui qui est la finali
même de notre expérience de prière. Il y a donc un entretien, un dialogue avec
lui, nous lui parlons, nous l'écoutons, nous échangeons avec lui, et cela
demande alors une attitude filiale, de vraie disponibilité du cœur, d'avoir un
cœur ouvert, un cœur d'enfant, face à ce Père.
La deuxième caractéristique de cette prière chrétienne est qu'elle s'appuie sur
une Parole reçue, cette Parole qui est le Christ lui-même. La prière ne se
fait pas par nous-mêmes, nous nous appuyons sur une parole, en particulier la
Parole de Dieu, l'Evangile, cette parole qui nous révèle quelqu'un. Cette parole
que nous lisons, que nous méditons, que nous contemplons. Elle nous permet
de savoir qui nous prions, car dans l'Evangile progressivement nous
découvrons le visage du Christ. C'est cette prière qui nous permet d'entrer dans
un échange avec la figure de Jésus, médiateur, qui nous fait entrer dans
l'intimité de la vie chrétienne ; c'est lui qui nous éclaire.
Troisième caractéristique de la prière chrétienne : parce qu'elle n'est pas une
technique ou une magie, elle est le fruit de l'action de l'Esprit Saint en nous.
Jésus est celui qui peut prier, car il est le Fils. Il n'avait pas besoin de prier, car il
est le Fils de Dieu, mais il nous a enseigné à prier, et, comme le dira saint Paul,
nous ne savons pas prier, c'est l'Esprit qui intercède en nous. C'est en fait au
moment du baptême que nous recevons le don de l'Esprit Saint et c'est ce don
de l'Esprit Saint posé en nous qui va nous aider à prier. Au moment du
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baptême, nous avons reçu la foi, l'espérance et la charité. Et ce triple
dynamisme va donc nous aider à prier, à entrer dans la relation de prière et à
vivre un chemin de sagesse avec l'Esprit qui intérieurement va éclairer notre
prière et nous aider à prier.
Nous venons d'éclairer ce qu'est la prière, prière difficile aujourd'hui dans un monde où
croire en Dieu n'est pas évident, où l'exigence d'efficacité rend la prière complexe, un monde
dans lequel la prière s'est développée de manière universelle, a pris des caractéristiques
spécifiques avec la Bible et avec l'expérience chrétienne. J'aborde maintenant mon
deuxième point, qui est un point important : nous avons besoin, régulièrement je crois, de
nous redire pourquoi prier. Nous savons mieux mobiliser nos énergies pour faire quelque
chose quand nous savons pourquoi nous le faisons, il est donc important de nous redire
pourquoi nous prions.
II. Pourquoi prier
Au sens strict la prière, finalement, si l'on revient à la Parole de Dieu, n'a de fait aucune
utilité véritable. C'est une relation d'amour confiante avec Dieu, c'est une expérience de
gratuité. C'est saint Bernard de Clairvaux qui disait, au début de son traité sur l'Amour de
Dieu : "Pour quel motif faut-il prier Dieu ? Par amour. Et quelle est la raison de cet amour ?
L'amour n'a pas d'autre motif à lui-même que l'amour". Et il posait la question ensuite :
"Quelle est la mesure de cet amour ? C'est d'aimer sans mesure"… Mais s'il y a bien
évidemment l'inutilité de la prière parce que c'est une gratuité d'amour, en fait il y a bien peu
à peu, et on le découvre, des motifs pour lesquels la prière est une bonne chose dans nos
vies. Je verrai en particulier ici comment la prière vient éclairer les quatre relations
fondamentales qui constituent notre existence.
1. La prière concerne notre relation avec Dieu
Il est important de se souvenir que Dieu lui-même nous demande de le prier. Dans
l'Ancien Testament, un commandement essentiel, dans le livre du Deutéronome, est le
commandement de l'adoration : "Tu adoreras le Seigneur ton Dieu". C'est la reconnaissance
de la grandeur de Dieu ; du fait que nous dépendons de lui, il est important de prier parce
que nous nous rappelons que nous ne sommes pas nous-mêmes notre propre source, mais
que nous dépendons véritablement de quelqu'un qui nous a donné la vie. Dans le Nouveau
Testament, c'est une invitation à prier "sans cesse" qui nous est rappelée par Jésus. Mais
c'est une invitation à prier en particulier par une prière qu'il va nous donner : le Notre Père ; à
prier et à être des adorateurs, il le dira d'ailleurs à la Samaritaine au chapitre 4 de saint
Jean : "Le Père cherche des adorateurs"… Dieu nous demande donc de le prier, et un des
motifs fondamentaux pour prier Dieu, c'est cette demande.
Mais prier va aussi nous permettre, dans cette relation avec Dieu, une découverte
expérimentale. Comme le montrent un certain nombre de spirituels, la prière est
l'expérience par laquelle nous découvrons Dieu ; nous apprenons à le connaître non pas
théoriquement, mais expérimentalement, nous apprenons à "goûter" Dieu. Nous entrons
dans une expérience de connaissance amoureuse, une amitié avec lui, qui a une dimension
trinitaire : avec l'Esprit qui habite en nous, avec la Parole de Dieu, le Fils, et avec le Père,
dans lequel nous nous confions, parfois aussi par la médiation de Marie ou encore des
saints. Cela permet une union progressive avec Dieu, qui est le but de la vie chrétienne, une
anticipation de la vie au Ciel, puisqu'au Ciel Dieu sera tout en tous, nous serons unis à Lui.
La prière nous fait goûter les arrhes de cette expérience, de cet héritage qui nous est promis.
2. La prière éclaire aussi la relation avec nous-même
En effet, sainte Thérèse d'Avila le dira, la prière est le moyen fondamental pour
apprendre à se connaître soi-même. Quand je prie, je m'abstrais d'un certain nombre de
réalités, je me concentre sur moi-même, j'entre en moi-même et je vis une véritable
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aventure, celle de la découverte de mon intériorité, de ma vie profonde. C'est la découverte
de l'intériorité, ce lieu où Dieu habite en nous, comme dira saint Paul (1ère Corinthiens 3, 16) :
"Nous dépassons la surface de nous-mêmes, nous entrons dans les profondeurs de nous-
mêmes". Nous passons, comme le disait Thomas Merton, du moi superficiel au moi profond,
et nous apprenons alors, en prenant de la distance par rapport aux éléments extérieurs, à
nous découvrir intérieurement et à découvrir le vrai lieu de notre liberté.
Cette expérience de Dieu et de la prière fait aussi que peu à peu la vie de Dieu passe
en nous. L'Esprit Saint nous comble de la grâce, et nous apprenons progressivement à
découvrir comment cet Esprit éclaire et illumine notre intelligence, comment peu à peu aussi
cet Esprit donne force à notre volonté pour agir, avec l'action des fruits de l'Esprit Saint, qui
ont un aspect thérapeutique dans la prière. Par la paix de la prière, par le silence, par la joie
que Dieu nous donne, nous apprenons peu à peu à découvrir le langage que Dieu utilise
dans la prière. Il nous parle vraiment, pas avec des mots, mais par la paix, par le silence, par
la joie nouvelle qu'il nous donne. Nous découvrons ce que saint Bernard appelait les "visites"
de Dieu en nous, la présence de Dieu en nous, et qui peut avoir des éléments de guérison et
une action "thérapeutique" sur notre psychologie, même sur notre corps. C'est l'expérience
que vivra le Père François Libermann.
Enfin, dans la relation avec nous-même, cette expérience de la prière nous permet de
vivre une expérience qui est celle du discernement. Quand je rentre en moi-me,
quand je prie Dieu, par le jeu des consolations et des désolations, qui est un langage de
Dieu, je découvre ce que Dieu attend de moi. Il éclaire ma vie, il me permet de faire des
choix, de relire ma vie pour décider dans une vraie liberté.
Si Dieu, rencontré dans la prière, éclaire son propre mystère pour moi, si la prière me
permet de mieux me comprendre, la prière change aussi ma relation avec les autres.
3. La prière change aussi ma relation avec les autres
En effet, la prière authentique me tourne vers Dieu, mais pour mieux me tourner
ensuite vers les autres. Elle permet un décentrement de moi-même, elle est une sorte d’anti-
égoïsme, pour m’apprendre à mieux me tourner vers les autres. La prière permet ainsi
de mieux connaître les autres parce que, dans la prière, quand je prie pour les autres, quand
je médite ou prie ma vie dans mon rapport avec les autres, je regarde avec plus de
détachement, de recul, avec plus de profondeur. Cela me permet de mieux discerner mes
propres relations. La prière me met en relation aussi avec les autres parce que je prie pour
eux, je porte leurs traversées de vie difficiles, leurs échecs, leurs souffrances. Et la prière
me donne un lien fondamental qui est l’expérience ecclésiale et communautaire. En
effet, je ne prie pas seulement pour les autres, mais il m’arrive aussi de prier avec les autres,
je me décentre avec les autres, et je me recentre avec les autres sur la personne de Jésus-
Christ. La prière nous fait ainsi devenir véritablement un corps ; elle nous rend
responsables et solidaires les uns des autres, et elle manifeste aussi visiblement ce corps
mystique. Quand un groupe de prière se réunit, quand une équipe de funérailles
accompagne une famille, lorsque l’Eglise se rassemble évidemment surtout pour célébrer
l’Eucharistie, alors l’Eglise fait corps visiblement. Et c’est bien la raison pour laquelle nous
sommes présents visiblement, mais aussi invisiblement. Car quand je prie même seul dans
ma chambre, comme je suis membre d’un même corps, qu’un même Esprit habite en moi et
dans tous les chrétiens, même seul je prie avec la communauté. C’est ce qui a permis à
l’Eglise, dès les débuts, de légitimer l’existence des ermites qui, même seuls, prient comme
membres du corps et disent, même tout seuls, « Notre Père » parce qu’ils sont en lien avec
les autres.
Enfin, dernier point, la prière non seulement transforme ma relation et est un motif
fondamental parce qu’elle me permet de mieux couvrir Dieu, de mieux me découvrir moi-
même, d’être mieux en relation avec les autres, mais aussi elle transforme ma relation
fondamentale avec le cosmos et le monde.
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