Document

publicité
1
Le Traité du Milieu de Nagarjuna et la Doctrine de la Vacuité
( et les courants de pensées philosophiques occidentales)
TRINH Khai
** Ce thème a été exposé au cours de deux conférences à l'Université Bouddhiste
« LINH SON MONDIALE », sous la direction du Recteur de l'Institut International des
Études Orientales et Occidentales « Linh Sơn » : le Vénérable Patriarche Thích Tịnh Hạnh,
Docteur en philosophie, Professeur titulaire à l'Université Nationale de Taïwan.
** Ce texte (la 1ère partie) a été revu, corrigé et complété par l’auteur pour la
publication dans le Website de l'Université Orientale « LINH SON MONDIALE ».
*********
Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs,
Avant de commencer cette causerie je me permets de vous signaler quelques
remarques d’une importance capitale :
** Pour le Bouddha, pas de Bouddhisme sans liberté : au nom de la liberté et de la
responsabilité personnelles, le Bouddhisme répugne à faire du prosélytisme. Sa vraie essence
est la bienveillance envers tous les êtres sensibles ou non.
** Les superstitions…les divinités... les arts divinatoires (astrologie) de la
prédiction du bien et du mal sont interdits….. par le Bouddha, pour qui la plus grave erreur que
l'être puisse commettre c'est le refus de la connaissance, les lumières de la raison.
Nagarjuna.
Nagarjuna – (Bồ Tát Long Thọ) – est considéré comme un Bodhisattva en : Inde,
Chine, Japon, Vietnam, Tibet…… il vivait en Inde entre le Ier et IIè siècle après JC. Avec ses
œuvres d'une grande valeur académique, son intention véritable consiste à guider les lecteurs vers
une démarche qui a pour but d’accéder à la parfaite compréhension de l’essence originelle de la
Voie du Bouddha, ….
Dans le Soutra du Diamant le Bouddha disait : « Les Dharmas (1), tels qu’on les
nomme, ne sont pas en fait les Dharmas. C’est pourquoi ils sont appelés Dharmas ».
Explications / Contradiction apparente:
Les Dharmas (1) ne sont pas en fait les Dharmas du Domaine de l'Inconditionné
(Nirvana). C’est pourquoi ils sont appelés Dharmas (1) quand on est encore dans le Domaine du
Conditionné (monde fini ou conditionné).
A propos du Vide Nagarjuna écrivait : « On peut le qualifier de Vide, ni de non Vide,
ou des deux ou d’aucun, mais pour le désigner on l’appelle le Vide ».
Nagarjuna a essayé d’extraire le nectar de la Voie du Bouddha qui ne pouvait éviter
les paroles imparfaites dans la sémantique très limitée d’un langage du monde conditionné,
2
Réservé aux érudits bouddhistes, l’objectif primordial du Traité du Milieu de
Nagarjuna c’est d’atteindre l’esprit du Bouddha ou le Nirvana dont la définition donnée par le
Bouddha était d'une simplicité déroutante : « Large soit ouverte la porte de la non formation (la
naissance) et de la non dissolution (la mort) …. »
Néanmoins toute son œuvre (Nagarjuna) a permis de synthétiser l'épanouissement
du Mahayana à partir du 3è siècle.
Avec une apparence chargée de contradictions, la philosophie de Nagarjuna assez
complexe sera réservée aux esprits cultivés, ouverts et éveillés : La haute pensée de la
méditation se manifeste à travers l'idée (le principe) que la délivrance de la Souffrance réside
au cœur de la servitude (*) et que la servitude c’est la Délivrance (**).
(*) Les exercices du « corps de l’esprit » permettent aux pratiquants de maîtriser parfaitement
ses activités dans le sens de l’idéal du Bouddhisme. Cette discipline de notre conscience et les
vrais savoirs à fond ne peuvent s’atteindre sans effort et sans sacrifice. On ne les obtient
qu’avec peine et de longs désirs : un entrainement graduel et continu.
(**) C'est le moment où l’esprit clairvoyant et puissant devient le seul maître et le seul juge de
toutes les activités (mentales, orales, physiques), et atteint la Grande Connaissance.
I.- Les bases fondamentales de la Voie (Enseignement) du Bouddha.
En effet il est d’une importance capitale de faire la distinction entre les Lois de la
Nature découvertes par le Bouddha (*), et les lois humaines : les unes immuables, implacables
ne pourront jamais être amendées par aucune divinité et représentent une équité absolue pour
l’homme qui, de ce fait, ne sera jamais lésé, elles constituent l'essence de la pensée profonde du
Dharma ou de la Voie, tandis que les autres lois humaines ne représentent que des règles
particulières et des contraintes valables dans des domaines de définition limités et sont sujets à
des transformations et modifications avec le temps et selon les sociétés.
(*) Comme la Loi de l'Attraction Universelle découverte par Newton ; elles ne sont que des
constations d'ordre de la science physique, auxquelles le Bouddha n'attachât aucunement une
pensée métaphysique. Une loi de la Nature doit respecter au moins les 05 conditions
d'indépendance des facteurs tels : temps – espace – chose – fixité – non amendable.
Cependant dans la société des hommes, surtout en Occident, avec leurs conceptions
subjectives, conventionnelles telles : les codes, les lois, les règles, les dogmes religieux...., le
défaut de la connaissance de la cause et l’ignorance des effets constituent une raison
d’atténuation à la faute commise … et parfois une responsabilité collective de la société.
C'est ainsi qu'à propos des lois de la Nature Lao-Tseu disait : « Le Ciel et la Terre
sont inhumains ». Parce que les lois de la nature ignorent les dualités issues des sociétés
humaines, ne se cramponnent pas à des présomptions subjectives entre les faussetés et les vérités,
ne font pas de discriminations entre les sages et les idiots, les riches et les pauvres, les forts et
faibles..... après la mort nous connaîtrons tous les inévitables phénomènes naturels : la puanteur
– la putréfaction – la décomposition et la disparition.
Voici les principaux piliers (ou les lois de la Nature découvertes par le
Bouddha) du Traité du Milieu de Nagarjuna :
3
A.- Loi de l’Impermanence ou relativité universelle .
« Il n'est rien de formé qui ne soit déjà en voie de dissolution »
Le Bouddha
Selon son Enseignement quand une Vérité Absolue (*) a existé, elle existera toujours, et
quand une chose n'a pas une existence en soi (*), elle connaîtra certainement sa disparition,
(*) Existence en soi ou Vérité Absolue ou Vérité ultime ou Chose en soi de Kant
** Être en perpétuel devenir (mouvement permanent).
De l’infiniment grand jusqu’à l’infiniment petit, tout agrégat est formé d’atomes du
tableau de Mendeleïev, et chaque atome se compose d’un noyau (proton et neutron) et des
électrons en mouvement perpétuel se comportant, d’après la physique quantique, tantôt en
particule (forme) tantôt en onde (énergie ou sans forme ou vide) (*). De l’atome aux molécules,
à l’Homme jusqu’à l’Univers entier, nous sommes tous soumis à cette loi de l’Impermanence ou
à des transformations perpétuelles, depuis notre conception jusqu’à notre mort et après notre
mort. Seule la permanence de l’Impermanence soit une fixité.
(*) Phénomène démontré par des interférences lumineuses avec les franges (fentes) de Young.
Devant les mutations perpétuelles du « Corps Physique » et du « Corps Spirituel » (y
compris la conscience) avec le temps mon « moi » d’aujourd’hui n’est pas celui que j’étais hier
et non plus celui que je serai demain. Ainsi la disparition du « moi » d’hier a permis
l’apparition du « moi » d’aujourd’hui…puis de demain.
Avec leurs activités, leurs transformations perpétuelles les « moi » de TRINH à 10
ans, à 20, à 30 ….. à 72 ans, si différents soient-ils, ont été et sont toujours « TRINH ».
Ces états successifs, éminemment transitoires – aucun d’eux n’est identique à un
autre - ne représentent qu’une même identité muable (Vô Ngã) et une continuité (1) qui
constitue la personnalité changeante.
D’un état à l’autre dans une suite continue d'états successifs et furtifs (qu'on
appelle la transmigration), l’identité persiste, toujours avec le même nom « TRINH » et
cependant toujours muable.
(1) Selon le Bouddhisme cette continuité n'est pas une production car la cessation (la
disparition) et la production (l'apparition) seront simultanément. (Ex.: la disparition de la
graine ==> l'apparition de la pousse)
** Cycle des transformations sans origine ni fin.
De cette Loi de l'Impermanence, il est d'une impossibilité de notre cerveau d’être à la
fois et en même temps sujet-observateur muable et objet-observé changeant, en conséquence il ne
peut qu’observer l’irréalité des choses soumises à des transformations perpétuelles. Quand tout
change avec le temps, nous devons admettre la relativité universelle (1) qui domine les mondes
physique et phénoménal. Ainsi disait le Bouddha : « Toutes les vérités sont impermanentes » et
l’Impermanence est la Vérité de tout, ce qui confirme le principe d’incertitude ou de
probabilité même dans les domaines scientifiques.
4
Suivant cette Relativité universelle : même la physique classique (valeurs
approximatives), la physique quantique (principe de probabilité ou d'incertitude), et la
mathématique ne peuvent donner que des vérités conventionnelles :
** la physique classique : 2 bananes + 3 bananes = 5 bananes (X)
comme il existe des centaines de varìtée de bananes (de 20gr à 200gr), cette relation n'a qu'une
valeur relative.
** La physique quantique : Avec le mouvement éternel des électrons il est d'une impossibilité de
trouver deux atomes identiques ou 02 molécules identiques ….... et 02 bananes identiques, la
relation (X) ne peut donner qu'une vérité relative.
** La mathématique:
Dans le système à base de 10 : (0;1;2;3;.......;9) la relation (X) donne : 2 + 3 = 5
Avec le système à base de 2 ou système binaire : (0;1) utilisé en informatique avec
Algèbre de Boole, voici le calcul de la relation (X) :
2 = 1+1 = 1 ==> somme logique ou 02 circuits électriques en parallèle avec une sortie
3 = 2+1 = 1+1+1 = 1 ==> 03 circuits électriques en parallèleavec une sortie
2 + 3 = 1 ==> 05 circuits électriques en parallèle avec une sortie
D'où la relativité de la relation (X).
La relativité universelle, appelée le principe de l'instantanéité universelle ou
l'immédiateté de la réalité (1): Selon la loi de l'Impermanence, le temps est une notion
abstraite variable liée à chaque agrégat ou identité c'est pourquoi les temps sont différents d'une
essence à l'autre (Hommes, chiens, éléphants...).
Si, comme en physique classique, chaque être est pris comme un système de référence
selon la théorie de la Relativité Restreinte d'A. Einstein, alors ces différents repères – avec leurs
différents mouvements, donc différentes vitesses – conduisent à des différents temps et confirment
en effet la relativité du temps, car pour Einstein le temps est une fonction de la vitesse ou du
système de référence.
Dans la « Critique de la raison pure », Kant a écrit : « Nous combattons toute
prétention du temps à une réalité absolue... », pour lui il n'y a donc qu'une réalité subjective du
temps toujours indissociable des sensations ou une forme pure de la sensibilité.
Avec Nagarjuna la notion de temps ne peut pas s'appliquer à la réalité ultime parce
qu'elle est une légitimité totalement conventionnelle ; sa nature réelle consiste dans la Vacuité,
(1) A propos du temps, voici une expression du Grand Maître ZEN japonais Dôgen Zenji (13è
S.) : l'instant de l'éternel présent. Quand le passé mort n'existe plus, l'avenir n'est pas encore une
réalité c'est le principe de l'instantanéité universelle issue de la relativité universelle, qui
détermine la pensée, le comportement, et le mouvement de l'être. En conséquence la vie ne
représente qu'une éternelle suite des instants du présent..... jusqu'à la dissolution ou la mort
B.- Loi du Karma. (Responsabilité et liberté individuelles)
Avec la loi de L’impermanence, Il est pertinent de constater que le « moi » d’hier
est la cause du « moi » d’aujourd’hui étant l’effet qui sera la cause du « moi » de demain. A
partir d’une suite d’états successifs et furtifs, chacun d'eux joue, en effet, le double rôle de cause
5
puis d’effet en fonction de la charge du Karma qu'on appelle encore le Karma individuel
(Nghiêp), et des conditions interdépendantes (duyên).
La Loi du Karma ou l'impermanence d'une identité peut être déterminée comme une
continuité mais jamais une production, Ces deux états successifs « Cause et Effet » ne
peuvent jamais coexister ensemble ou être concomitants donc l’effet ne peut non plus précéder la
cause.
Avec l’Enseignement du Bouddha, le temps est cyclique c’est à dire qu’après la
naissance, la vie, la maladie, la vieillesse puis la mort, l’être, qui ne saurait quitter le cycle
Samsara sans passer par l'Éveil, devrait revivre avec tout le poids de son karma mais avec une
autre identité toujours muable parce qu’au cours de sa vie précédente sa personnalité comme son
identité était changeante avec le temps. C’est ce qu’on appelle la transmigration, et qu'avec leur
karma les êtres ne sont jamais nés égaux, ni identiques à qui que ce soit.
Le Karma individuel constitue l’historique (patrimoine) de l’ensemble de nos
activités « mentales, orales, physiques » au cours des vies passées et actuelle, dans tous ces
changements perpétuels seule la continuité constitue la personnalité d'une identité muable
mais ce n'est pas une production.
Loi du Karma : Devant les transformations perpétuelles, il n’est aucun agrégat,
aucun objet, aucun phénomène, aucune manifestation d’activité qui ne soit des causes suivies
par leurs effets qui s’enchaînent, se suivent et ne se rompent jamais ».
C.- Loi de l’Interdépendance (coproduction dépendante).
Ainsi dans la transformation perpétuelle et éternelle de la Loi de l’Impermanence
se produisent en dépendance des causes multiples, de la cause des causes la formation et la
disparition de toute chose du monde.
C'est le principe philosophique : « Du rien rien ne vient ». De ce principe de
causalité toute production est nécessairement dépendante de causes multiples - du Karma
et des facteurs externes (le Karma collectif) -. En remontant la chaine ADN (1) on remarque la
vie de chacun dépendant des milliers d’autres vies et de multitudes éléments formant notre corps
(les atomes, les molécules, les protéines, les aliments...) et notre esprit (l'éducation, les études, les
lectures..., l'adaptation) - Lamarck et Darwin -. Nous sommes donc des êtres causés,
dépendants. En effet, Tout s’agrège au cours de la vie et enfin tout se désagrège au moment de
la mort. On peut l'appeler la coproduction conditionnée (phénomènes conditionnés).
(1) l’hérédité acquise par adaptation sous les effets des circonstances (théorie de Lamarck) ou
par évolution en fonction de l’environnement (théorie de Darwin) …
Pour Nagarjuna ce, qui naît des causes, ne naît pas en réalité : que l’être causé et
conditionné que nous sommes ne représente pas une existence en soi et pour soi, et que le
« moi » impermanent (Vô-Ngã) ne peut être intrinsèque, indépendant et autogène…
Dans le Domaine du Conditionné (Samsâra), suivant la loi de l’Interdépendance
tout existe en dépendance des causes, des causes des causes …. à l’infini : Rien n’existe sans
une cause, et Rien n’existe en soi et pour soi.
D'ailleurs Nagarjuna a précisé :
6
L'activité ne possède pas les conditions.
Il n'y a pas d'activité qui ne possède de conditions,
Il n'y a pas de conditions qui ne possèdent d'activité,
(Les conditions) ne possèdent pas l'activité,
(Traité du Milieu – traduit par Georges Driessens – Éditions du Seuil.)
Explications :
1,- Avant l'événement «activité», il n'y avait pas de conditions prédéterminées en soi ou
authentiquement fixées pour cette activité : la réfutation du déterminisme, parce que toute
activité dépend des causes des causes jusqu'à l'infini, des conditions interdépendantes, de la
liberté et de la responsabilité de chacun des acteurs. Voici l'exemple : le fait de manger pour un
Sumo c'est de pouvoir s'engraisser et pour un mannequin d'arriver à maintenir une ligne mince,
….... pour un gourmand et un gourmet etc......
2,- Après l'événement «activité» on peut constater les conditions interdépendantes (causes)
précises dans la réalisation de cet événement ou activité : les lois du Karma et de
l'interdépendance c'est à dire qu'il n'existe pas de cause sans effet, d'effet sans cause, des causes
des causes …......... C'est la continuité et la coproduction en dépendance,
3,- Après l'événement «activité» toute condition ou cause produit des effets ou d'activités selon
la loi de du Karma et la loi de l'interdépendance (et le principe des causalités en Science).
Dans chaque action (activité ou cause) on ne peut pas prévoir le fruit (conséquence
ou effet) dans lequel on ne peut imaginer l’action, cependant aucun fruit ne peut être produit
sans l’existence de plusieurs causes ou actions.
Au sujet des Lois du Karma et de l'interdépendance M. Percheron a écrit : « Ce qui
a eu lieu ne peut pas ne pas avoir eu lieu »,
Explication : Quand un événement «activité» a eu lieu, cela signifie que les causes sont fixées
et que les conditions interdépendantes sont réunies, le mécanisme des lois de la nature (Karma et
Interdépendance) se déclenche inexorablement pour produire l'effet c'est à dire que ce qui a eu
lieu ne peut pas ne pas avoir eu lieu.
4,- En états de non-manifestation les conditions ne peuvent pas posséder d'activités : quand le
fait de manger n'existe plus ses effets s'évanouissent,
D.- Le Vide, la Forme et La vacuité.
Le Bouddha disait : « Là où il y a la Forme, il y a le Vide, et là où il y a le vide, il y
a la forme ».
Dans l’impossibilité d’avoir une localisation précise à la manière de la physique
classique, la physique quantique ou la mécanique ondulatoire propose une notion de probabilité
de présence (ou d’incertitude) de l’électron dans un espace (orbitale) vide entourant l’atome
(équation d'onde différentielle de Schrödinger) : l’absence totale de forme fixe est démontrée par
la théorie et confirmée par l’expérience. C’est une notion d’onde. Sans cet espace vide, la forme
(le volume) de la Terre aurait la dimension d'un pamplemousse, l'Homme deviendrait
totalement invisible.
Là où il y a la forme, il y a le vide (qui n'est pas le néant)
7
La notion de forme de l’atome, molécules ou autre n’est qu’une construction
conceptuelle, une réification d’un phénomène énergétique de notre esprit. Ainsi donc la vérité
physique est toute relative comme les irréalités des choses révélées par nos cinq sens.
A côté des énergies on peut affirmer sans équivoque que notre corps physique est
formé uniquement d’atomes mentionnés dans le tableau de Mendeleïev, qui se combinent entre
eux pour donner naissance à des milliers de composés différents (molécules, corps composés,
cellules …...) constituant un ensemble humain.
Parlerait-on de forme du corps si on n’avait pas de vide (1) qui existait entre les
atomes, et entre les électrons et noyaux ? En effet c’est le vide qui donne la forme.
Là où il y a le vide, il y a la forme. (04 forces : graviton-gluon-photon-boson)
Nagarjuna a écrit :
La forme n'est pas perçue
Séparément de la cause (1) de la forme ;
La cause (1) de la forme n'apparaît pas
Séparément de ce qui est nommé « forme »,
En fait avec le vide et grâce aux énergies notre corps a pris forme et notre esprit est
capable de perceptions, d’émotions et de confections mentales.
Du pouvoir de l’esprit sur l’action, Lao-Tseu disait : « La bouteille possède une
forme extérieure et le vide intérieur. C’est le vide qui rend la forme utile ».
Pour Nagarjuna tout agrégat causé et impermanent est vide – çunya - (de valeurs
absolues), et le passage du Domaine du Conditionné (valeurs relatives) au Domaine de
l’Inconditionné (valeurs absolues) constitue un rejet total (Vacuité) - çunyata - de tous les
concepts (vérité conventionnelle) issus des irréalités des choses venant des 06 sens pour pouvoir
atteindre la Grande Connaissance ou l’Esprit du Bouddha. La vacuité c'est le passage de
l'irréalité des choses à la Vérité absolue (paramartha).
La Vacuité est le « mot » le plus difficile à comprendre dans le Bouddhisme, le
suprême objectif à atteindre, il englobe l’ensemble de l’enseignement du Bouddha pour purifier
de toutes impuretés, de toutes souillures l’esprit par son propre esprit et enfin pour saisir le
passage, possible de l’un des domaines vers l’autre, n’étant pas à la portée d’un esprit vulgaire.
Il n’y aurait pas plus grave mépris que de considérer cette vacuité bouddhiste,
souvent déformée par la traduction, altérée par des extraits tronqués, mal expliquée par des
connotations péjoratives, à un rejet de la vie, à une dissolution de la personne, à une
destruction du principe pensant, au nihilisme, au culte du Néant.
La vacuité de l’esprit - aux yeux des érudits bouddhistes – doit être considérée
comme une suppression de confections mentales et d’imaginations qui sont des œuvres de
l’ignorance (ou de l'obscurantisme), mais aussi comme une absence de pensées impures d’un
esprit éveillé, lucide maîtrisant une stabilisation psychique de l’esprit, et enfin comme une
extinction des notions subjectives de qualités imaginaires, de dualités (le Bien, le Mal …..) (1)
liées au monde conditionné et attachées au « moi ».
C’est grâce à cet état «vide » que la Vraie Nature de l’esprit, correspondant au
« monde de l’Absolu », possède une potentialité infinie des «vues justes » pour briser
8
l’illusion issue de multitude de manifestations et de transformations de « formes ». Cette
vacuité consiste dans le désir de ne plus avoir de désir ….. du monde conditionné.
(1) Ces valeurs relatives deviennent des négations avec la notion de chose en soi de Kant.
II.- L’Être, la Substance et Le Traité du Milieu de Nagarjuna.
D’une façon générale, l’être se détermine par des attributs issus de 02 domaines :
l’immatériel (sans forme ou le vide) ou l’esprit et le matériel (avec forme) ou le corps
physique, et se distingue de ce fait des autres.
Remarque : La philosophie de la Voie cherche toujours à appréhender l'être en sa
totalité c'est à dire l'ensemble du corps de l'esprit et du corps physique.
La substance de l’être est définie comme les causes matérielles et immatérielles
(l'intelligibilité) à partir desquelles l’être se constitue avec bornes et parties (contingence) et
avec son intelligibilité la substance de l'être humain désigne le genre suprême des espèces.
Respectant l’Enseignement du Bouddha, Nagarjuna réfute la cause substantielle de
l’être causé parce que le principe de la non-substantialité est une réalité confirmée par la loi de
l’Impermanence. L’existence d’une substance (*) suppose un substrat de nature propre qui ne
soit affecté par les mutations perpétuelles des choses. Cette hypothèse ne tient pas debout devant
la permanence de la relativité universelle ou instantanéité universelle du monde des êtres et
des phénomènes.
(*) Cette substance appelée « ousia » est inchangée selon d'Aristote.
Remarque sur la totalité de l'Être (le matériel et l’immatériel) :
Atomes ==> Molécules ==> Matières ==> Substrat ==> Substance ==> Être ==> Essence;
Existence; Identité; Personnalité .. ; Physique ...==> Toutes les vérités sont impermanentes
En absence de substrat propre aucune substance, apte à déterminer l’être physique
et métaphysique, capable de définir l’être différent de l’autre avec des attributs invariables, n’a
donc de nature propre ou une existence en soi et pour soi ; en conséquence elle n’est pas
reconnue comme telle (une fixité) par le Bouddha et en suite par Nagarjuna. De la même raison
le principe de nécessité (la cause substantielle ) est ainsi réfuté.
Si la fixité de tout substrat et de toute substance était impossible, alors la vérité de
non-substantialité de l'identité serait démontrée par la théorie et confirmée par l'expérience car
l'être ou le « moi » n'est qu'un assemblage éphémère (*) d'éléments impermanents. Pour Kant
le concept de la substantialité n'a en lui-même aucune signification objective parce que nous
n'avons aucune connaissance du sujet en soi (chose en soi ou valeur absolue),
(*) Le germe de la mort se trouve dans toute vie y compris celle des étoiles.
Selon la Voie, s’il n’existait aucun substrat propre de tout agrégat, qui ne soit
affecté par le mouvement de l’Impermanence, alors le principe de non substantialité serait une
réalité irréfutable et qu’on devrait reconnaître l’inexistence d’une identité formelle définitive
(être en soi = bhava) ou le principe de la non identité dans l’ontologie. Quand l’essence de toute
chose est impermanente, la relativité universelle détermine toute existence et le monde
phénoménal, d’où suivant Nagarjuna le non-moi, la non substance, la non identité et le non dieu
9
déterminé par l’être humain….ne naissent pas en réalité mais de l’irréalité des choses qui n’ont
pas de caractéristiques intrinsèques, indépendantes, autogènes, et auxquelles il n’est pas logique
de conférer une Essence propre.
Respectant la relativité universelle et la coproduction dépendante, la logique
négative de Nagarjuna rejette en bloc le principe de substantialité, les principes d'identité, de
diversité, de nécessité (… des abstractions sans vérités). Pour lui il existe un seul monde où se
côtoient une vérité conventionnelle venant du monde conditionné et une vérité absolue ou
ultime pour ceux qui ont atteint le Domaine de l'Inconditionné (Nirvana) grâce à l'Enseignement
du Bouddha.
Comme Nagarjuna Kant opère le concept de ce monde sous deux aspects :
phénomène (vérité conventionnelle) et chose en soi (une vérité absolue) mais on observe une
légère opposition entre les deux principes c'est à dire que le passage d'une vérité à l'autre est une
possibilité pour Nagarjuna, or pour Kant atteindre cette Vérité absolue n'est autre chose que le
principe de la raison suffisante et il a écrit : « Toutes tentatives qu'on a faites pour prouver le
principe de la raison suffisante ont-elles été vaines, de l'aveu unanime de ceux qui s'y
connaissent.... » (Critique de la raison pure).
Finalement l’être, avec ses états successifs et furtifs (*), défini par des attributs,
déterminé par des concepts humains, ne représente que des valeurs relatives, il est donc pour le
Bouddhisme d’une impossibilité logique d’une affirmation de l’être en soi ou chose en soi. En
effet il est pertinent de reconnaître la non-substantialité et la non-identité de l’être causé,
conditionné, dépendant…..(1)
(1) E. Kant (1724 -1804) admet qu'il soit d'impossibilité de conclure, d'une existence propre
supposée (*), à une existence en soi (une identité remarquable en mathématiques) parce qu'est
irrecevable cette opération philosophique de transposition de l'ordre logique (des concepts
humains) à l'ordre ontologique (identité formelle définitive). La réciproque n'est pas vraie non
plus : le transfert d'une valeur absolue inconnue (Dieu Créateur, paradis...) au champs
phénoménal (nous).
Nagarjuna utilisait 03 types de réfutations (logique apophatique) : impossibilité
réelle (impermanence et interdépendance) – impossibilité d'identité (non-substantialité) –
impossibilité logique (fond fixe inexistant ou de devenir omniscient). C'est la Méthode
sceptique ou les combats d'assertions selon Kant
Suivant le principe de la non – substantialité de Nagarjuna l’être de l’être constitue
la non-identité (transformations perpétuelles), le non-être (valeur fixe indéterminée), la nonessence (valeur muable et dépendante) étant une absence d’existence en soi.
Revenons au terme de La négativité (*) propre au réel dans la dialectique de F.
Hegel : « L’être n’est pas le contraire du Néant (1) , mais bien le néant lui-même, puisque
l’être conçu en lui-même s’avère n’être qu’un néant de détermination (qualité, quantité,
modalité), qu’une catégorie vide de contenu …... ».
10
Et : « Toutes les créatures sont un pur néant (1), je ne dis pas qu'elles sont peu de
chose, c'est à dire quelque chose, non je dis qu'elles sont un pur néant. Ce qui n'a pas d' être
est néant. Mais aucune créature n'a d'être. »
Maître Eckhart (1260 - 1327), théologien et philosophe dominicain
(1) Vide de valeurs absolues ou Vérités ultimes.
Pour Nagarjuna, L’Être ou l'identité personnelle, qui se définit par (Détermination
ou concepts humains) les attributions, les imaginations, les désignations… issues du Domaine
du Conditionné, s’avère n’être qu’une catégorie vide de contenu de valeurs absolues du
Domaine de l'Inconditionné.
Avec ses interventions sans ménagement au sujet annoncé par le Bouddha « Toutes
les vérités sont impermanentes », Nagarjuna a dit : « Si tu vois le Bouddha, tue-le ».
Dans le Domaine du Conditionné on ne peut observer que l’irréalité des choses
soumises à des transformations perpétuelles, C'est comme disait B. Pascal (1623-1662) :
« S'il y a un Dieu, il est infiniment incompréhensible (1), puisque, n'ayant ni parties
ni bornes (2), il n'a nul rapport à nous. Nous sommes donc incapables de connaître ni ce qu'il
est, ni s'il est. Cela étant, qui osera entreprendre de résoudre cette question ? Ce n'est pas nous,
qui n'avons aucun rapport à lui ».
(1) Valeur Ultime (Domaine de l'Inconditionné) – (2) Les concepts humains (Monde fini)
A la place de l’idéal du Bouddhisme (Amour, Altruisme, Charité, Compassion….)
des individus mettent le réel de leurs ambitions matérialistes, et ils le détournent de la beauté de
l’âme, pour le remplacer ensuite par le culte du corps. Ce désordre de l’esprit, dont on est
souvent témoin, semble donc un fait durable pour devenir enfin une grave séquelle. Il n’y a rien
de plus dangereusement corrompu qu’un esprit qui conserve ses facultés de raisonner en perdant
cet idéal et en gardant ses passions de la richesse et du pouvoir. A mesure que ces biens
s’accumulent, que la passion grandisse, la difficulté de parvenir à un certain degré de grandeur
d’âme s’accroît.
Je crois que cette sorte de doctrine de l’intérêt – une volonté de possession qui est
une faute grave issue de l’Ignorance -, telle que le culte du moi prêche dans toute société de
consommation, écarte l’homme du chemin des savoirs profonds, de la voie des plaisirs de
l'esprit. En s’écartant de telles passions certains pourraient être pauvres en matériel, et être
plus grands en leur esprit.
Et Arthur Schopenhauer a écrit : « Quant à la grande majorité des hommes, les joies
de la pure intelligence leur sont interdites, le plaisir de la connaissance désintéressée les
dépasse ».
(à suivre.........)
Paris avril 2010.
TRINH Khai
Téléchargement