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Les troubles de la personnalité
chez l'enfant et le préadolescent
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J.-Y. Hayez
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Le film « Le bon fils » (J. Ruben, 1993) met en scène avec
beaucoup de justesse un préadolescent marqué par la
perversité ( joué par Macaulay Culkin )
§ I. La personnalité chez l’enfant
En sciences humaines, le terme « personnalité » revêt des significations
plurivoques. Même pour chaque auteur, les critères d’inclusion et d’exclusion
dans sa propre acception du terme sont souvent flous. Ceci m’autorise à
proposer ma définition, certes pas sucée de mon pouce, mais dont je suis
incapable d’énumérer et de décrire tous les auteurs qui l’ont inspirée : c’est
comme une musique en moi que je vous restitue, alimentée par quarante ans de
pratique professionnelle et de lectures :
I. La personnalité de l’enfant et le trouble de celle-ci
C’est une représentation et une désignation élaborée et exprimée par l’adulte
témoin de la vie quotidienne de cet enfant au terme d’un processus inductif :
elles énoncent un concept très résumé et synthétique pour rassembler au
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Dans ce texte, je me limiterai à parler des mineurs d’âge enfants et préadolescents, donc
approximativement jusque douze ans révolus (fin de la première année de collège).
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Psychiatre infanto juvénile, docteur en psychologie, professeur émérite à la Faculté de Médecine de
l’Université Catholique de Louvain.
Courriel : j[email protected] Site Web : http://www.jeanyveshayez.net
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moins une bonne partie des comportements, des affects et des pensées
conscientes de l’enfant ainsi ciblé, et qui apparaissent cohérents,
complémentaires, « suffisamment bien »
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organisés autour d’un projet de vie
au sens large du terme : personnalité saine, forte, bien affirmée ou alors
« Trouble de la personnalité Personnalité déviante : évitante, antisociale,
paranoïaque, etc »
F. Palacio-Espasa (2000)
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assimile pratiquement personnalité et traits de
caractère (ceux que l’on peut regrouper au sein d’un ordre cohérent … bien que
l’on ne soit pas sûr, ajoute-t-il, que l’on se trouve dans un registre descriptif
factualiste, ou qu’une structure y soit sous-jacente)
Il y a alors trouble quand ces traits sont stéréotypés, rigides (enduring, dit le
DSM-IV-R) et inadaptés. Inadaptés, c’est-à-dire à l’origine d’un sentiment
subjectif de malaise, de souffrance significatifs, ou d’un « impairment » dans
la société, donc en déviance marquée par rapport aux attentes de la culture de
l’enfant concerné.
Une proposition de cette nature ne nous indique cependant pas à coup sûr que
c’est bien à un trouble de la personnalité que l’on a affaire, et le DSM-IV-R
ajoute avec sa sagesse pragmatique : « Il faut aussi que ce que l’on observe
soit peu probable de correspondre à une phase de développement normal pour
un enfant ou à un des troubles (psychopathologiques) repérés par ailleurs sur
l’axe I » : une psychopathologie par exclusion, en quelque sorte !
II. Principaux critères qualifiant la personnalité de l’enfant
A. Si les signes à inclure sous l’attribution « personnalité » doivent être
chaque fois « suffisamment bien » nombreux, il est néanmoins quasi de règle
que ce que l’on signe comme personnalité ne concerne qu’un secteur
important de l’être de l’enfant concerné : d’autres composants de sa manière
d’être et de fonctionner ne s’y incluent pas.
B. Chez de nombreux enfants, on ne détecte pas une typicité et une cohérence
suffisamment stables de son mode de vie qui permettent d’évoquer une
personnalité-standard, traditionnellement bien repérée dans la littérature
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« Suffisamment bien » ? J’affectionne cette expression de D.W. Winnicott, qui affirmait dès 1974 que
la vraie bonne mère n’est jamais que celle qui est « suffisamment bonne » Qualification à extrapoler à
bien des phénomènes humains. (D. W. Winnicott, De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot,
1974)
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F. Palacio-Espasa, Personnalité (troubles de), 505-506 in Dictionnaire de psychopathologie
de l’enfant et de l’adolescent, sous la dir. de D. Houzel et coll., Paris, PUF, 2000
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scientifique : à côté de quelques types bien décrits (et parfois transmis et
ânonnés d’un auteur à l’autre avec une monotonie désespérante), la créativité
et la plasticité de l’auto-construction infantile sont telles que l’on peut
repérer nombre de personnalités originales : la personnalité du clown, celle du
suiveur prudent, celle du rebelle discret, etc Chez d’autres enfants, il se
combine deux ou trois types de personnalités (cf. infra : psychopathie +
délinquance)
C. Une stabilité « suffisamment bonne » est également définitoire de toute
personnalité. Ceci n’exclut nullement qu’existent de lentes mouvances, mais qui
sont rarement des virages à 360 degrés dans la manière d’être au monde. Par
exemple, une personnalité toute-puissante, une fois bien prise en charge, peut
évoluer vers ce que l’on peut redéfinir comme « forte » personnalité, mais n’en
deviendra pas pour autant effacée et timide.
D. Autre caractéristique essentielle à mes yeux, c’est celle de l’égo syntonie.
Même si sa personnalité aujourd’hui fait parfois souffrir l’enfant lui-même
quand il s’introspecte, même si elle est déviante, il a voulu au sens large du
terme la construire comme telle et quand on le rencontre, il l’assume avec
plaisir ou au pire, s’y résigne en s’y reconnaissant et sans désir immédiat de la
mobiliser. Avec cette manière de voir, pour moi, Andres Brejvik est une
personnalité très paranoïaque et pas un psychotique paranoïaque : c’est bien lui
qui pilote ses idées, insensées pour le commun des mortels.
Même si l’enfant ne conceptualise pas chaque jour ce qu’est et veut être sa
personnalité, il existe donc pour élaborer et faire vivre celle-ci :
- Un projet, un plan intérieur psychique qui organise suffisamment bien un
certain nombre de comportements en référence à un objectif : une image de
lui que l’enfant veut donner, une puissance ou un confort qu’il veut avoir, etc.
- Le jeu au moins partiel, intuitif et spontané d’un choix, d’une liberté pour
montrer et réaliser qui il est.
Dans cette logique, vous ne m’entendrez donc pas parler de personnalité
immature, puisque ici, ce sont les pulsions et désirs qui font largement la loi,
l’enfant ayant beaucoup de mal pour se socialiser face à eux. Donc les enfants-
rois ne constituent pas un trouble de la personnalité.
Dans le même ordre d’idée, je n’inclurai pas non plus les états-limites et autres
dysharmonies d’évolution, les enfants étant ici encore davantage victime d’une
souffrance chaotique qui leur échappe.
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Pour des raisons analogues, je ne parlerai pas non plus de personnalité
dépressive, ni anxieuse. Par contre, des enfants très anxieux, par exemple,
peuvent mettre beaucoup d’énergie à déployer des stratégies voulues par eux
et qui les protègent plus ou moins bien du retour d’agressions anxiogènes,
même seulement dictées par leur imagination. Il me semble donc judicieux de
dire alors qu’ils souffrent d’un gros trouble anxieux et présentent une
personnalité évitante. Autant pour certaines adaptations au rejet et à la
dépression comme la passivité ou « la haine » !
III. Est-il intéressant de se référer à l’idée d’une personnalité
chez l’enfant ?
Le langage de tous les jours le fait occasionnellement, en positionnant alors
souvent dans le futur l’achèvement de cette personnalité. Il désigne ainsi tant
des réalités positives que préoccupantes : « Il a déjà sa (petite)
personnalité » « C’est une forte personnalité » « On devine déjà sa
personnalité » « Il a une personnalité saine » « Sa personnalité est déjà fort
perturbée »
Pour le clinicien aussi, quand c’est bien évalué, il peut être utile d’évoquer
l’idée que l’enfant relève d’une personnalité momentanément pathologique
personnalité psychopathique par exemple . Cette référence peut constituer
l’un des moins mauvais points de départ pour l’accompagner de façon
constructive. En effet, l’adulte en charge de cet accompagnement peut se
souvenir qu’il a en face de lui une liberté, un projet, un corpus d’idées
lentement élaborés par l’enfant, même si elles sont déviantes par rapport aux
projets et à la convivialité du grand nombre. Il faut donc mettre en place un
patient système de dialogue (pour faire évoluer les idées), des relations
quotidiennes, des invitations subtiles à « sublimer » les modes d’expression les
plus archaïques, etc.
Les risques de cette désignation ne sont cependant pas nuls comme par
exemple :
- Croire que la liberté de l’enfant à modifier son projet (son pouvoir
d’autocréation) est plus puissant qu’il n’est en réalité et donc que s’il ne change
pas, c’est qu’il ne veut pas. Or la liberté de l’enfant ne fait jamais que
s’appuyer sur des prédispositions, sur sa génétique par exemple et que sur des
influences externes de ses systèmes de vie (par exemple rapport entre la
toute-puissance affichée par un certain nombre et l’affaiblissement de
l’autorité sociale et parentale) En outre, il n’est jamais facile pour personne de
changer des habitudes bien ancrées !
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- Croire que la construction et la mobilisation de la personnalité sont des
affaires strictement individuelles ! C’est bien en interaction avec ses
systèmes de vie que l’enfant se construit. Aider sa personnalité à évoluer,
c’est donc aussi réfléchir à ces influences émanant de l’entourage et modifier
ce que l’on estime être source d’idées déviantes.
- Un autre risque est de vouloir faire trop strictement correspondre le
diagnostic, ici judicieux, d’un trouble de la personnalité avec les quelques
grandes catégories existant dans les nosographies, et qui ont d’abord été
« pensées » pour les adultes. J’y ai déjà fait référence plus haut dans le
texte.
§ II. Quelques catégories de personnalités
préoccupantes
Je me limiterai à décrire trois catégories de personnalités d’enfants
préoccupantes aux yeux du tiers social
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: préoccupantes par leur asocialité ou
leur anti-socialité significatives, ou/et leur inadaptation profonde ou/et leur
étrangeté inquiétante ou/et l’autodestruction de leurs ressources les plus
humaines.
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I. Les personnalités autarciques ou arbitraires ou toutes-
puissantes
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A. Introduction
Certains enfants finissent par installer au centre de leur projet de vie le désir
agressif d’ignorer, voire de combattre les règles sociales communes et même -
à des degrés variables les Lois Universelles : leur code de bonne conduite,
c’est eux qui se le définissent tout seuls.
Entendons-nous bien : nombre d’enfants sont susceptibles de fonctionner de la
sorte sur de courtes périodes et dans des domaines limités. D’autres,
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Tiers social : c’est un jury populaire représentatif et représentant de la communauté « tout-venant »
dans une culture et une situation donnés, et qui serait de bonne qualité : par exemple, 50 personnes
au hasard, entre 15 et 75 ans, et exemptes de pathologie mentale lourde.
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Je ne vise donc pas l’exhaustivité. J’aurais pu élargir ma liste en parlant par exemple des
personnalités évitantes, qui aménagent leurs nombreuses angoisses par l’hyperconformisme ou
l’immobilisme, ou encore des personnalités passives, chez les enfants ayant une mauvaise image de
soi permanente. Par ailleurs, je n’ai pas vraiment rencontré chez l’enfant de personnalités
narcissiques comme on le décrit chez les adolescents ou les adultes
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Vous trouverez des descriptions beaucoup plus détaillées dans mon livre Hayez J.-Y., La
destructivité chez l’enfant et chez l’adolescent, 2007 2e éd., Paris Dunod. (pp. 171-196, 213-
226 et 243-262)
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