Laforêt Pierre
La Force du roi : la royauté française vue par un
ambassadeur vénitien (1546)
Ce texte est extrait du rapport fait par Marino Cavalli, ambassadeur vénitien à la cour
de François Ier de mars 1544 à février 1546, en 1546 devant la seigneurie vénitienne ;
assemblée de neuf membres élut par le grand conseil de la République de Venise, et possédant
le pouvoir exécutif, il fut publié par Tommaseo en 1838 dans le cadre d’un ouvrage intitulé
Relations des ambassadeurs vénitiens sur les affaires de France.
Ce texte marque bien la nouvelle orientation absolutiste donnée à la politique monarchique
par François Ier et se révèle relativement fiable du fait de son caractère officiel ; il ouvre par
conséquent d’intéressantes perspectives sur la nouvelle place européenne de la France en ce
milieu de XVIe siècle. Nous nous intéresserons donc tout d’abord à la modernité certaine de
cette monarchie française néo-absolutiste, puis à son nouveau rôle européen, et enfin, aux
relations unissant à cette époque le Royaume de France et la République de Venise.
I)Un état moderne : La France
A)Une réelle unité :
« Mais on n’en connaît pas dont l’unité soit plus parfaite et dont le maintient soit plus
facile que le royaume de France. »
C’est en ces termes que Marino Cavalli décrit ce qui fut sans doute la plus grande force de la
monarchie française à cette époque, son unité.
Cette unité est tout d’abord favorisée par le relatif compactage du royaume ; en effet, si depuis
Hugues Capet le Domaine Royale n’a pas cessé de s’étendre, cette extension c’est fait dans le
souci de créer une unité territoriale aisément gouvernable avec les moyens de l’époque, et par
la même relativement compact. Marino Cavalli trouve donc en 1546 un domaine royal
s’étendant de la Bretagne à la Champagne et de la Picardie à la Guyenne sur 450 000 km2 ,
c'est-à-dire qu’à l’exception du Béarn, tous les grands fiefs seigneuriaux sont déjà rattachés à
l’autorité de la couronne royale et que ne subsiste au sein de ce domaine royal que quelques
petites enclaves telle le Nivernais, le Limousin ou le Contat-Venaissin.
De plus, le sentiment d’appartenance nationale français est basé sur l’amour et sur le
dévouement total à la personne royale : « Il suffit à ce prince de dire : « Je veux telle somme ;
j’ordonne ceci ; je consens à cela ». Et tout aussitôt l’exécution suit, aussi promptement que si
la décision émanait d’un vœu spontané de la nation entière » cette phrase de l’ambassadeur
italien montre bien à quel point la soumission à la volonté royale est grande.
Cet important pouvoir royal est maintenu et chaque jour consolidé par différentes
organisations : tout d’abord, l’université, créée à partir du XIIIe siècle avec des entités telle
que la Sorbonne (Paris 1257) ou Montpellier en 1289, ces institutions ecclésiastiques jouissant
de privilèges pontificaux et royaux était chargées de l’enseignement de la noble jeunesse
française ; ces universités ont très vite permit aux différents d’unifié la noblesse autours tout
d’abord de la langue française, unification linguiste stigmatisée en 1539 par l’ordonnance de
Villers-Cotterêts, ordonnance imposant l’usage du français dans tous les actes officiels et de
justice ; puis d’une certaine culture exportée de Paris.
En sus de cette unification culturelle de la noblesse, le Roi prend grand soin, comme le
précise Marino Cavalli aux lignes 29&30, d’ôter à la noblesse du royaume toute volonté de
rébellion en maintenant leur bourse dans un état de dépendance avancé vis-à-vis du bon
vouloir royal ; en effet, le Roi distribue à sa guise les nombreux privilèges ecclésiastiques ou
étatiques dont il est le dépositaire ainsi, Louise de Savoie entrera au conseil secret du Roi et
Charles de Bourbon recevra la très haute fonction de connétable de France. Tous ces
privilèges distribués permettent également au souverain de maintenir la noblesse sous son
emprise.
Enfin, l’unité du royaume est également assurée par son fondement catholique, car en
effet, si le Roi fut dans les premiers temps relativement tolérant vis-à-vis de la réforme
protestante, l’édit de Coucy, promulgué en réaction à l’affaire des placards, permet dès 1534
au parlement de déclancher une vague de persécution à l’encontre des protestants, et, si ce
dernier fut suspendu en juillet 1535, l’édit de Fontainebleau quelques années plus tard, en
1540 cautionna lui le terrible massacre des Vaudois provençaux, en avril 1545.
B: Un pouvoir royal important.
Sous François 1er, on assiste à un réel renforcement de l’autorité et du pouvoir du roi, effet
très bien analysé par Marino Cavalli, notre ambassadeur : « Ce fut Charles VII qui, après
avoir libéré le pays des anglais, alourdit le fardeau de cette soumission, puis Louis XI et
Charles VIII grâce à la conquête du royaume de Naples, et aussi Louis XII. Mais le roi actuel
peut bien se vanter d’avoir dépassé tous ces prédécesseurs …(l.24à26) »
Bien que le royaume de France soit dirigé par plusieurs conseils : le grand conseil, chargé de
régler les différents entre les cours du royaume ; le conseil des parties ou conseil privé chargé
des affaires de justice ; et le conseil étroit chargé des décisions importantes de l’état ; le roi,
François 1er reste le seul commandant a bord ne se fiant qu’au seul conseil qu’il a lui-même
créé : le conseil des affaires auquel il ne nomme que ses plus intimes. Les autres conseils
n’ont aucun pouvoir réel et peuvent tout à fait être contredit par le roi.
Depuis le concordat de Bologne en 1516, François 1er a pu s’assurer le soutien de l’Eglise
puisque devenu chef de l’Eglise de France il peut nommer au place d’évêques et
d’archevêques et même les cardinaux. Tout ceci lui assure une certaine stabilité de son
pouvoir puisqu’ainsi il nomme et écarte qui bon lui semble.
François 1er ne s’est pas arrêté puisqu’il est même allé jusqu’à interdire aux parlements
d’user de leur droit de remontrance, confisquer les biens du connétable (=duc) Bourbon en
1523 alors allié de Charles Quint, ce qui lui permit de mettre à l’écart ses concurrents à la
couronne.
Les écrits de l’époque parlent de François 1er comme d’un monarque a la fois éclairé mais
aussi brutal et intransigeant, en un mot : ambigu. Il était ferme et a placé la France sur la voie
du despotisme, l’exemple le plus flagrant de cette action est sans nuls doutes le fait qu’il n’ait
jamais convoqué les Etats Généraux. C’est aussi à lui que l’on doit la formule : « car tel est
notre bon plaisir » et l’appellation « votre majesté » jusqu’ici réservée aux seuls empereurs.
Le pouvoir du roi de France n’a eu cesse d’augmenter sous François 1er si bien que les gens
les plus avertis de l’époque ont pu dire : « nous avions un roi des français, maintenant nous
avons un roi des serviteurs » comme nous le transmet l’ambassadeur (l.22). François premier
menait tout « à la baguette » et n’avait qu’à décliner ses exigences pour les voires
exécutées : « Il suffit à ce prince de dire : « Je veux telle somme ; j’ordonne ceci ; je consens à
cela ». Et tout aussitôt suit, aussi promptement que si la cision émanait d’un vœu spontané
de la nation entière. (l.19à20) » renforcé par : « Ainsi les Français, comme s’ils se sentaient
peu faits pour se gouverner eux-mêmes ont-ils totalement abandonnés aux mains de leur roi et
leur liberté et leur volonté. (l.16à18) » La nation se reconnaît en ce roi et se donne corps et
âmes a lui.
Mais malgré tout cela, le pouvoir de François 1er a vite trouvé ses limites. N’étant pas un
dictateur il doit se plier aux exigences des lois saliques : être catholique, de respecter son
domaine inaliénable… ; ou bien d’accepter le s franchises provinciales et bien entendu bien
qu’il soit un roi très puissant il ne peut tout de même pas aller plus vite qu’un cheval au galop
et il lui fallait plus de deux jours pour rallier Fontainebleau à Lyon, ses commandements
mettant eux aussi du temps à se mettre en place du fait du peu d’officier repartis dans le
royaume : un pour 115km² de territoire, enfin son autorité n’est pas pleine puisque malgré le
traité de Villers-Cotterêts, le patois reste prédominant dans les campagnes.
C: Un état en expansion.
Tout d’abord il est bon de rappeler que cette expansion fut favorisée par les lois saliques.
C’est à dire que François 1er a hérite de certains domaines par filiation et non par
conquêtes : « La vieille loi salique, on peut l’affirmer très haut, en interdisant le trône aux
femmes et aux puînés et en proclamant inaliénables tous les biens de la couronne a ouvert à la
France le chemin le plus sûr pour parvenir à la domination du monde chrétien…(l.34à36) »
Ensuite, François 1er est un roi chevalier, il fut adoubé par le chevalier Bayard, et de ce fait
il sait mener des guerres au milieu des rangs de ses soldats comme celles d’Italie qui le révèle
au monde comme un roi mécène. D’après les propos tenus par Marino Cavalli, il faut
fortement croire que si Charles Quint n’avait pas résisté aux assauts français, il n’y aurait plus
qu’un drapeau pour toute l’Europe : « pour un peu, le spectre fleurdelysé obtenait ainsi
l’empire universel. Et si le roi de France n’avait pas rencontre dans sa route un prince aussi
puissant et aussi bien au fait des desseins de cette Couronne que l’est Charles Quint, certes
l’Italie presque tout entière et une partie de l’Espagne (par suite des prétentions sur la
Navarre), tous les Pays-Bas et quelques-uns uns des états de l’empereur obéiraient maintenant
aux fleurs de Lys et la dignité impériale appartiendrait derechef a la France. »
Enfin, François 1er a agrandit son domaine grâce à de spéciales perquisitions toutes comme
celle du domaine du Duc de Bourbon, alors serviteur de Quint, en 1523 et le simple
rattachement a la Couronne de la Bretagne en 1532.
Mais sa plus belle conquête fut sans nul doute celle du Milanais car non content d’agrandir le
royaume il en revint avec la Renaissance italienne, ses peintres et ses poètes.
II) LA PLACE DE LA FRANCE DANS L’EUROPE.
A: Une grande puissance.
L’ambassadeur vénitien s’attarde longuement sur les qualités de la France qu’il qualifie de
royaume uni et facile à manier, obéissant : « …mais on n’en connaît pas de dont l’unité soit
plus parfaite et dont le maniement soit plus facile que le Royaume de France. Unité et
obéissance, la grande force de ce pays découle de cette double source. (l.12à13) »
C’est cela qui fait du Royaume de France une grande puissance de l’époque. La France est
certes un état petit et peu fertile par rapport à ses voisins : « Il y a, en vérité des pays plus
fertiles et plus riches, tels que la Hongrie et l’Italie, il en est de plus vastes et de plus
puissants, ainsi l’Allemagne et l’Espagne…(l.10à11) » mais c’est un état qui possède ce
qu’aucun autre n’a : une vision moderne de l’état.
En effet, la grande force de la France de cette époque vient que son organisation ne change
que très peu. Elle est solide, ordonnée et permanente : les impôts levés ne sont que très
rarement ponctuels mais plus fréquemment réguliers. Et l’armée ?
L’armée française est la seule à être mobilisée tout au long de l’année, ce qui lui procure un
avantage dans le temps de réponse aux conflits, et à recevoir un entraînement régulier. Il est
vrai que l’armée de Quint est puissante mais l’armée française composée de moins d’hommes,
l’est tout autant du fait de leur expérience, leur constance et leur permanente disponibilité.
Fort de tout cela, François 1er a su s’en servir pour amener la France au rang des grandes
Couronnes européennes et se faire respecter de ses homologues étrangers.
B)Une autre conception de la nation : l’absolutisme
« Nos rois s’appelaient jadis : « Reges francorum » ; à présent on peut les appeler « Reges
servorum ». » Cette phrase tirer du rapport de l’ambassadeur vénitien montre bien à quel point
la monarchie française glisse doucement, depuis Charles VII, vers un absolutisme toujours
plus important. En effet, sous le règne de François Ier, le parlement perd son droit de
remontrance ne conservant que son droit d’enregistrement, ce qui augmente considérablement
les pouvoirs du Roi, lui permettant d’imposer sa justice face à l’ancienne justice seigneuriale.
De plus, dès le début de son règne en 1515, François Ier affirme sa souveraineté sur les
trois ordres : la noblesse, le tiers état mais également sur le clergé. En effet, en 1516, il
rencontre le pape Léon X et obtient la signature du concordat de Bologne, concordant lui
assurant, malgré le pouvoir de confirmation reconnu au pape, le contrôle de l’épiscopat
français.
Enfin, cette préfiguration d’absolutisme était déjà latente dans les lois françaises depuis
bons nombres d’années, et l’adoption de ce que Cavalli appelle « La vieille loi salique », en
effet, le fait d’interdire la couronne aux femmes et aux puînés garantissait l’inaliénabilité de
tous les biens de la Couronne, évitant ainsi le problème des mariages et du morcellement du
domaine royal.
C)Les limites de cette puissance
« Pour peu, le spectre fleurdelysé obtenait ainsi l’empire universel. Et si le roi de France
n’avait pas rencontré dans sa route un prince aussi puissant et aussi bien au fait des desseins
de cette Couronne que ne l’est Charles Quint (…) la dignité impériale appartiendrait derechef
à la France. »
Ces quelques lignes définissent assez bien la principale limite de la puissance française,
Charles Quint, sa science politique, tactique, militaire et son gigantesque empire. Car, hors
mis quelques mineurs problèmes internes, le plus gros problème de l’état français dans ses
volontés expansionnistes, notamment par rapport au « rêve italien » de François Ier se trouve
être le saint empire romain germanique.
En effet, les hostilités entre le royaume de France et ce qui allait devenir l’empire de
Charles Quint débutent dès 1519 lorsque François Ier se présente face à Charles d’Espagne
lors de l’élection au trône du saint empire romain germanique. La victoire du nouveau Charles
Quint grâce notamment à l’or des Fugger préfigure déjà la longue série de défaite que le Roi
de France devra concéder face à son adversaire Habsbourg.
La lutte armée entre les deux forces majeures de cette époque débute en 1521 dans le cadre
des guerres d’Italie. Et cette lutte va très vite et régulièrement tourner à la défaveur des
français, tout d’abord avec la défaite de La Bicoque en 1522 (mort de Bayard) puis à Pavie en
1525, le Roi lui-même est capturé par les impériaux, il écrira alors à sa mère : « De toutes
choses, ne m’est demeuré que l’honneur et la vie sauve. »
Cette opposition forcenée ne prendra fin qu’en 1529, après le sac de Rome par les impériaux
en 1527, avec le traiter de Cambrai, traiter signé par Louise de Savoie et Marguerite
d’Autriche dans lequel Charles Quint reconnaît la possession française de la Bourgogne et
François Ier abandonne ses prétentions italiennes. Ce traiter sera définitivement scellé par le
mariage du Roi avec Eléonore de Habsbourg, sœur de l’empereur.
III) RELATIONS ENTRE FRANCOIS 1ER ET VENISE :
A: La place de l’ambassadeur à la cour
Egalement influence par les goûts italiens dans l’art du paraître, François 1er développe
considérablement la cour ; de ce fait l’ambassadeur vénitien occupe une double place auprès
du monarque. En effet, non seulement il remplit ses fonctions traditionnelles d‘ambassadeur
de la République de Venise, de par ses rapports a la seigneurie de la cité des Doges et par ses
relations diplomatiques avec le souverain du royaume de France ; mais il fait egalement
office, en tant que citoyen vénitien, de conseiller en matiere d’organisation de la cour du roi.
Comme en temoigne les nombreux concerts et compositions théatrales, tres fortement
inspirées de la culture italienne, que fit donner à maintes reprises François 1er.
B: Critiques des écrits de l’ambassadeur.
Tout au long du texte, nous avons pu apprécier un ambassadeur très fervent de la royauté
française : « mais on n’en connaît pas dont l’unité soit plus parfaite (l.12) ; mais le roi actuel
peut bien se vanter d’avoir passe tous ses prédécesseurs : il fait payer plus abondamment
que jamais. Il incorpore toujours de nouvelles possessions à celles de la couronne sans rien
perdre de ce qu’il possédait…(l.25à27) ; Et si le roi de France n’avait pas rencontre dans sa
route un prince aussi puissant (…) que l’est Charles Quint(…) la dignité impériale
appartiendrait derechef a la France. (l.37à40) » et peut être même un peu trop fervent.
Bien que ce texte soit un extrait d’un rapport officiel de l’ambassadeur Marino Cavalli à la
seigneurie de Venise, il convient de savoir que cet ambassadeur était très proche de François
1er durant cette période d’alliance entre Venise et la France (traite de Blois en 1513). Marino
Cavalli admirait ce monarque et sa façon de fasciner les foules jusquce qu’elles se donnent
à lui.
Cavalli ne cesse de positiver les évènements, ainsi il ne parle pas de défaites françaises face à
Charles Quint mais plutôt d’une résistance de ce dernier. Car bien qu’il se veuille objectif, un
homme reste un homme et possède ses propres sentiments et prend vite partit.
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