La Chine hermétique
Superstitions, crime et misère
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La Chine s’est offert une grande Révolution. Le vieil Empire vermoulu a
fait place à une jeune République, aux assises encore branlantes. Pour le
politicien ignorant, pour le voyageur à courte vue, un qualificatif nouveau
du mode de Gouvernement, un changement de couleur du drapeau sont
des indices certains d’une transformation profonde de la Terre Fleurie.
Transformation plus apparente que réelle : la façade est modifiée,
certes, mais l’intérieur de l’édifice est resté le même. Ainsi en est-il de mon
livre. Je lui ai donné un titre nouveau, la Chine hermétique, espérant, par
ces deux mots, concrétiser l’immobilisme de la Terre Fleurie, son culte
fétichiste du passé, l’imperméabilité prodigieuse de son cerveau à
l’expérience.
Mais j’ai conservé, en sous-titre, Superstitions, Crime et Misère, pour
bien montrer que les faits que j’ai réunis, les idées que j’ai développées, il y
a déjà longtemps, quand j’ai essayé de pénétrer un peu l’âme chinoise,
sont restées vraies, malgré le temps et les révolutions successives dont
pâtit ce pauvre pays, et que cette Chine que, jeune médecin, j’ai étudiée
avec tant d’intérêt offre, à mes observations d’homme mûr, un champ
toujours le même, par sa richesse et son immutabilité.
Ce n’est ni un livre d’histoire, ni un récit de voyages, ni des collections
d’anecdotes que j’apporte, mais une documentation sur la biologie sociale
des Chinois. Dans mon Hôpital de Pékin, en même temps que je prenais
des « observations » de médecine pure, je recueillais des « observations »
multiples sur la mentalité des Célestes : leur psychologie m’intéressait,
autant que leur pathologie. J’ai, de plus, beaucoup voyagé en Chine ; je me
suis renseigné de mon mieux, demandant aux vieux résidents, aux
sinologues expérimentés de compléter mes remarques, de me documenter
de leurs impressions personnelles. Après des années de cette méthode
d’investigation clinique, appliquée à la psychologie d’un peuple, j’ai cru
pouvoir publier des articles parus, pour la plupart, dans les Archives
d’Anthropologie criminelle et qui, plus tard, réunis en volume, figurèrent
sous le nom de Superstitions, Crime et Misère en Chine, dans la