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Tiers Monde :
Les dérives de la mondialisation et/ou
globalisation…
de
la
Robert Lodimus
(Extrait d’une entrevue réalisée avec le feu coordonnateur de l’OPL, M. Gérard Pierre
Charles dans le cadre de l’émission Ces mots qui dérangent…)
Mise en contexte
La naissance de la locution conceptuelle de « mondialisation de
l’économie » a entraîné la planète sur une pente raide de violences sociales.
Face à la machine infernale et puissante des « seigneurs onusiens » du
monde globalisé, les classes ouvrières sont désarmées. Fragilisées.
Déboussolées. Atterrées. Les gouvernements des pays pauvres ou appauvris,
menacés à tout moment de se faire couper les vivres, se voient obligés
d’appliquer la politique d’austérité des puissants tenanciers du système
financier global: Fonds monétaire international (FMI), Banque mondiale,
Banque interaméricaine de développement (BID), Organisation du
commerce mondial (OCM), Organisation de coopération et de
développement économique (OCDE)… Ils imposent des sacrifices
budgétaires cruels à leurs populations déjà enlisées et entravées dans un
processus de paupérisation vertigineuse. Le dégraissage brutal des sociétés
d’État, les coupures incisives dans les programmes sociaux, le gel des
salaires des petits fonctionnaires, la suppression de services publics, autant
de conditions pénibles et insensibles auxquelles doivent se soumettre les
pays dominés afin de préserver leur caractère de solvabilité auprès des
« usuriers internationaux ».
En gros, c’est cela le « plan néolibéral »
l’altermondialisme au sein de la société civile.
qui
« gestualise »
La mondialisation – les anglo-saxons préfèrent la globalisation – prône sans
relâche une philosophie d’ouverture des économies nationales définie dans
le périmètre d’un marché planétaire. Cette initiative audacieuse qui relève
du mercantilisme cupide a ruiné les moyens et détérioré le mode de vie des
peuples du Sud. Les conséquences se révèlent désastreuses : chômage,
maladie, exode, baisse de productivité et de production, dégradation de
l’environnement… Cette situation difficile et ingrate maintient les organes
vitaux de toute une économie locale déjà malade dans un état d’anévrisme
permanent et mortifère. Le mouvement altermondialiste sonne l’alarme. Ses
bannières de préoccupations et de revendications flottent sur Davos, et
suivent le G8 et le G20 dans tous leurs déplacements géographiques :
effacement de la dette du tiers monde, réhabilitation des valeurs
démocratiques, application de la justice économique, sauvegarde et
protection de l’environnement, respect des principes sacrés des droits
humains…
L’altermondialisation livre donc une lutte farouche, mais combien inégale
contre la « mondialisation effrénée » qui, de son côté, dispose de tous les
moyens de répression pour imposer sa logique de domination politique,
économique et sociale.
Selon Jacques B. Gélinas, auteur de la GLOBALISATION DU MONDE, il
faut situer le début de la première mondialisation à l’arrivée de Christophe
Colomb en Amérique à la fin du 15ème siècle :
« Avec la circumnavigation de l’Afrique par Bartolomeu Dias (1488), la « découverte » de
l’Amérique par Christophe Colomb (1492) et l’ouverture de la route maritime des Indes
par Vasco de Gama (1498), l’empire commercial de l’Europe devient mondial. Il
continuera de se déployer progressivement au fil des ans et des siècles. »
Les tempêtes sociales et économiques de la mondialisation n’ont pas
épargnées la République d’Haïti. Subjugué par les indésirables « créanciers
du Nord », le président René Préval a liquidé les entreprises d’État pour une
bouchée de pain : Minoterie, Ciment d’Haïti, Téléco… Il a marché sur les
« traces » du tristement célèbre ministre des finances, devenu par la suite
gouverneur de la banque nationale, M. Lesly Delatour qui a détruit les usines
sucrières du pays au profit de la bourgeoisie compradore marinée dans les
activités lucratives d’import/export. Les États-Unis, la France, le Canada,
l’Angleterre, etc., mènent la chasse aux opposants de l’idéologie du
capitalisme global qui se font toujours remarquer ici et là par une série
d’actions spectaculaires au cours des manifestations aux couleurs de
« l’antimondialisation ».
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Entrevue
Robert Lodimus :
M. Gérard Pierre Charles, dans un discours prononcé au Kremlin le 14 février
1975, au cours du déjeuner offert en l'honneur du Premier Ministre
britannique, M. Harold Wilson, le président Brejnev déclarait:
« Les peuples du monde espèrent que la détente internationale se traduira aussi vite que
possible par des actes concrets qui contribueront à améliorer la vie de millions de gens.
Ralentissement de la course aux armements, limitation des préparatifs militaires des
États et réduction des dépenses militaires et extension de la coopération économique
pacifique et de toutes autres formes de coopération entre eux. Nous pensons
qu'aujourd'hui, alors que de nombreux pays occidentaux se heurtent à des difficultés
économiques sérieuses, progresser dans ce domaine, aux yeux de l'opinion publique,
devient une tâche encore plus urgente. »
Mais, selon ce que nous constatons, le centre ne fait aucun effort pour
faciliter l’amélioration des conditions de l'existence humaine au niveau de la
périphérie. Finalement, il revient aux peuples des pays en voie de
développement de se donner les moyens d'atteindre un niveau de
développement économique qui se situerait, au moins, dans les normes de
la décence sociale. En Haïti, comment cela pourrait-il se faire?
Gérard Pierre Charles:
1975 se situe dans une époque qui a un sens historique. C'est l'époque où
le Tiers Monde avait une très grande place dans l'histoire de la planète,
parce qu'il existait un monde socialiste puissant. Époque où l'affirmation du
Tiers Monde comme puissance, comme espace de pouvoir mondial se
manifestait par la crise du pétrole. En 1973, comme vous le savez, les prix
du pétrole ont augmenté, passant de 3 à 12 dollars le baril. Le Tiers Monde
se trouvait avec une très grande capacité d'influer sur les processus
internationaux. C'est le moment où, par exemple, le Vénézuela, le Mexique
sont parvenus à des niveaux de ressources financières extraordinaires. C'est
le moment aussi où la dette de ces pays a commencé à augmenter de façon
exagérée sous l'effet des grandes illusions créées par la hausse du prix du
pétrole. C'est encore l'époque où l'Union Soviétique a commencé à perdre
son hégémonie du point de vue technologique et du point de vue de
l'accumulation de capital à l'échelle mondiale. Dans une volée d'illusions,
beaucoup de peuples parlaient d'un "nouvel ordre économique
international". On pensait que ce "nouvel ordre économique mondial" allait
être mis au service des peuples. Vingt ans après, nous sommes en 19961998, le monde socialiste s'est effondré. Le Tiers Monde n'a plus la place
qu'il occupait... La problématique du développement se pose en termes
beaucoup plus dramatiques qu'il y a vingt ans. Quel est l'avenir des peuples
du Tiers Monde? Dans quelle mesure peuvent-ils se construire un espace
d'autonomie, libéré des emprises de la mondialisation?
R.L. :
C'est un grand dilemme... Et c’est la question fondamentale. Qu’en pensezvous, vous-même?
G.P.C. :
C'est justement le grand dilemme. Y compris en Haïti... Va-t-on se laisser
entraîner comme une particule de poussière dans le grand mouvement
historique de la mondialisation? Y a-t-il des espaces autonomes où - en
fonction des caractéristiques particulières de la société haïtienne, de notre
histoire, de notre économie, de notre culture, de notre étape actuelle de
changement - pourraient se manifester des zones de développement
national?
Pour moi, c'est ainsi que le problème se pose. Quelle dimension nationale
faut-il donner au phénomène de la mondialisation que l‘on impose à nous
tous? C'est en ces termes que je m’interroge…
Haïti, après avoir fait un bout de chemin dans la perspective du
changement démocratique, après avoir résolu certains problèmes
fondamentaux de respect des droits humains, de liberté, de l'État de droit,
aujourd'hui, a l'urgente nécessité de résoudre les problèmes économiques
et sociopolitiques. Sinon, tous les acquis de la démocratie peuvent être
remis en question. Et pour moi, c'est très significatif que certaines gens
aient le sentiment – c'est peut-être l'idée qui a dominé une de vos
questions – que la démocratie a fait marche arrière et que c'est la dictature
qui nous conviendrait.
Un autre défi se pose: comment profiter de la démocratie? Comment
donner à la démocratie la base indispensable de développement
économique et social pour que les gens arrivent à y croire?
R.L. :
En Haïti, vivons-nous vraiment en période démocratique?
G.P.C. :
Ah! oui... Nous vivons une période démocratique. Pour moi, il n'y a aucun
doute là-dessus. Il y a eu des acquis... Évidemment, la démocratie ne se
construit pas en un jour. Il nous manque la culture démocratique. Une
culture démocratique qui manque encore également aux secteurs
populaires. Cela ne s'obtient pas en clignant de l'œil. Je sens que ce
processus a permis la libération, dans une certaine mesure, des esprits; il a
favorisé la création d'institutions. Mais là, il faut reconnaître que c'est une
grande faille, il n'a pas conduit au résultat d'une éducation démocratique
suffisante...
R.L. :
M. Gérard Pierre Charles, vous avez fait toute la différence. Vous
dites: « Nous vivons une période démocratique. » Donc, nous ne vivons pas
forcément en « période démocratique »...
G.P.C. :
Bon, ce sont des nuances. Nous avons fait de très grandes acquisitions dans
le domaine démocratique. Ce qui nous manque, c'est surtout l'effort, non
seulement pour construire une économie et une société qui constituent la
base de ces acquis, mais encore pour arriver au niveau de l'éducation, de la
formation, à mieux préparer ce peuple qui a vécu de longues années de
dictature, à la conscience démocratique; ceci au niveau des rapports
humains, du respect de l'autre, du respect d'un phénomène essentiel
comme celui des élections, par exemple. C'est le grand effort qui doit être
fait. La presse est conviée à y participer, à y jouer son rôle, tout comme les
institutions politiques, les agents de socialisation telle que l'école, la famille
et l’église. Tous ces secteurs doivent contribuer à la formation
démocratique de ce peuple.
R.L. :
M. Pierre Charles, il y a des secteurs politiques, des observateurs nationaux
et même internationaux qui rendent certaines instances de la communauté
internationale responsables des malheurs des Haïtiens. Ces pays auraient
tout fait, semble-t-il, pour empêcher la République d'Haïti d'accéder à
l'épanouissement social, au progrès économique et à l’essor culturel. Vous
ne vous engageriez pas dans cette trajectoire? Dites-nous?
G.P.C. :
Cela correspond sans doute au 19ème siècle, c'est-à-dire, quand le pays a
obtenu son indépendance en 1804. Dans un monde dominé par le
colonialisme et le racisme, le fait de l'indépendance de cette nation nègre a
constitué vraiment une gifle pour les grandes puissances, pour les
mentalités de l'époque. Durant le 19ème siècle, Haïti a été victime de
discrimination et d'apartheid dans ses rapports avec l'étranger, ce qui a
marqué profondément la nation.
R.L. :
Pourrait-on ajouter que l'élite haïtienne devrait également être mise en
cause dans les malheurs du pays?
G.P.C. :
En termes de développement économique et social d'Haïti, on ne peut pas
se libérer de toutes les fautes et les attribuer seulement aux autres. Je crois
que l'élite haïtienne globalement parlant, ou pour être plus clair, l'élite
gouvernementale, l'élite politique, l'élite économique de ce pays, elles sont
toutes responsables du fait qu'Haïti n'ait pas pu entrer dans une phase
dynamique de développement.
À partir du 19ème siècle, une telle dynamique a suscité le progrès de
beaucoup de pays de l'Amérique Centrale et des Caraïbes: Guatemala,
Honduras, Nicaragua, République Dominicaine et Jamaïque, qui étaient
encore très arriérés. Au début du 19ème siècle, l'impérialisme s'est
manifesté dans ces pays par des occupations militaires et par toutes les
formes de main mise économique; en même temps aussi, dans ces pays, les
élites ont su arriver à créer des processus d'accumulation, des processus de
transformation qui leur ont permis à partir d'une époque d'arriération, où
le latifundio excellait, de prendre le train du développement capitaliste et
de la modernisation. Et aujourd’hui, la mondialisation, la globalisation…
Pour moi, l'élite haïtienne a raté ce pari. Il y a un pays que j'ai étudié
particulièrement, le Costa Rica. Ce pays, entre 1880-1890, avait une faible
exploitation caféière en comparaison avec Haïti. Mais l'oligarchie caféière
costaricaine a compris qu'elle devait se transformer en un secteur
d'entrepreneurs de café. Eh bien, ils ont transféré leurs capitaux en
transformant les latifundia de café en des fermes modernes capitalistes.
Les élites haïtiennes : intellectuelle, politique, économique et culturelle ont
failli à leur rôle de conduire ce pays vers les pôles de développement
durable. Les responsabilités de l'environnement international ont été très
fortes à un moment déterminé. Mais, à partir de la fin du 19ème siècle,
l'exercice de la capacité nationale devait se manifester – comme cela se
manifesta, avec toutes les différences que cela suppose – en République
Dominicaine, à la Jamaïque, c'est-à-dire dans des pays qui sont aussi des
pays noirs ou métisses; des pays ex-coloniaux victimes de tout un exercice
de discrimination et d'exploitation. Mais les élites n'ont pas pu se mettre à
la hauteur des impératifs du développement.
R.L. :
J’ajouterais aussi que dès le milieu des années quarante, les pays du Nord
ont cherché sérieusement - et ils y sont parvenus - à imposer leurs propres
modèles de croissance économique aux États du Sud. La course à
l'augmentation des capacités de la productivité a entraîné la planète sur
une pente de détérioration environnementale irréversible. Il s'en est
malheureusement suivi un gaspillage phénoménal des ressources naturelles
non renouvelables qui a occasionné partout des détresses sociales et des
dégâts économiques aux conséquences irréparables. Soudainement, les
États capitalistes exportateurs de la pollution industrielle se sont réveillés.
Ils ont compris que leurs territoires faisaient partie de la même planète et
partageaient les mêmes risques avec les pays qu'ils utilisent comme
poubelles pour déverser leurs déchets radioactifs. Ils ont commencé à
sonner le tocsin au début des années 1990. Ils ont multiplié les « colloques
sur la biodiversité » par ci, par là. Mais le mal était déjà fait. Le tissu
environnemental est sérieusement, dangereusement dégradé. Le
développement des pays riches s’est fait au détriment des régions
périphériques. Mais aussi à leur sien propre! Nous en ferons peut-être le
sujet d’un débat au cours d’une autre émission.
Merci M. Pierre Charles!
(Tiré de l’ouvrage inédit, La guerre des lavalassiens ou Le scrutin de la discorde,
deux entrevues de Gérard Pierre Charles à Robert Lodimus, 1998 et 2000)
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