DE LA LECTURE À LA PRATIQUE ! Compte rendu de l’ouvrage Les ressources de la résilience De Jean-Pierre Pourtois, Bruno Humbeeck et Huguette Desmet. Pourtois, J-P., Humbeeck, B., Desmet, H. (2012) Les ressources de la résilience Paris : Presses Universitaires France. ISBN : 9782130595151 Recension d’ouvrage réalisée par : Valérie Lavigueur, étudiante à la maîtrise en carriérologie, UQÀM Sous la direction de : Louis Cournoyer, Ph.D., c.o. Professeur (counseling de carrière) Université du Québec à Montréal Octobre 2013 2 1. Avant-propos : La résilience, levier du processus d’orientation? Au Québec et ailleurs dans le monde, le marché du travail présente de nos jours des transformations notables. D’anciens métiers disparaissent, des nouveaux se créent à un rythme étonnant, et les tâches reliées aux différentes professions sont de plus en plus complexes et diversifiées. La carrière est maintenant perçue comme une succession d’emplois et de mutations professionnelles, et inclut la possibilité d’une perte d’emploi imprévue à tout moment. À cela s’ajoutent les possibilités de rétrogradation, d’évaluation du rendement décevante, de compétition malsaine, de déménagement après une délocalisation ou encore de conflits interpersonnels qui peuvent être perçus par le travailleur comme des situations traumatisantes et déstabilisantes. La résilience devient ainsi de la plus haute importance afin de poursuivre un développement professionnel positif. Elle se définit par le fait que l’individu se doit aujourd’hui d’être en mesure de s’adapter au changement de carrière tel qu’il se présente, ainsi qu’aux demandes de plus en plus exigeantes du marché du travail. Il doit également parvenir à s’affranchir de ses conflits antérieurs afin d’assurer l’atteinte de ses objectifs personnels et professionnels. Dans le contexte de l’orientation scolaire et professionnelle, le rôle du conseiller consiste principalement à aider les gens à composer avec les événements de leur vie ainsi qu’à les guider quant à leur formation scolaire, leur carrière et leur développement personnel. Partant de ce fait, il s’avère opportun de dire que les interventions en orientation suggèrent des moyens de permettre à la personne de se déployer adéquatement au niveau de la carrière, ce qui implique indubitablement le développement de ressources rattachées à la résilience. Il s’agit en effet, à travers ces deux éventualités, d’évaluer et de comprendre le fonctionnement psychologique de la personne par le biais de la sphère cognitive, comportementale, conative, sociale et affective, puis d’amener cette dernière à prendre conscience de ses ressources internes et externes. Sous ce rapport, le concept de résilience professionnelle peut servir de fondement à un processus d’orientation dit efficace. Cet écrit traite du livre « Les ressources de la résilience » de Jean-Pierre Pourtois, Bruno Humbeeck et Huguette Desmet et met en lumière une approche ralliant les différentes 3 ressources de la résilience. On y propose un outil d’évaluation et d’intervention qui peut s’avérer fort utile et pertinent au champ de l’orientation scolaire et professionnelle. 2. Les penseurs de la résilience Comme le laissent entendre Pourtois, Humbeeck et Desmet dans leur ouvrage, plusieurs penseurs ont su exposer à travers le temps leurs observations, analyses et affectations quant au concept de la résilience. À l’origine, c’est durant la Seconde Guerre mondiale que René Spitz, psychiatre et psychanalyste américain, et qu’Anna Freud, psychanalyste et fille du grand Sigmund Freud, commencèrent à découvrir l’effet des traumatismes chez des enfants (Spitz et Freud, 1947). Bien que très novatrices et éloquentes, leurs études ne cherchaient cependant pas encore à comprendre comment certains êtres avaient été en mesure de reprendre un développement normal alors que d’autres semblaient vivre les conditions inverses. Un peu plus tard, John Bowlby parla quant à lui du processus d’attachement et des différentes notions rattachées au lien réussi entre la mère et son enfant (Bowlby, 1958). L’initiatrice du concept de la résilience fut alors la psychologue américaine Emmy Werner. Née en 1929 et détentrice d’un doctorat en psychologie de l’enfance de l’Université de Nebraska, elle a entrepris en 1954 une importante étude sur l’Île de Kauai, à Hawaï (Werner et Smith, 1992). La recherche, exécutée auprès de 698 enfants appartenant à des groupes ethniques variés et provenant majoritairement de milieux défavorisés, a permis de faire émerger la notion de résilience et a rassemblé les chercheurs dans une direction commune. Plusieurs recherches ont par la suite émergé dans toutes les cultures et toutes les disciplines. C’est tout de même Boris Cyrulnik, psychiatre et psychanalyste français, qui développa et introduisit le concept de résilience en psychologie à partir de l’observation des survivants des camps de concentration, puis de divers groupes d’individus dont des enfants des orphelinats roumains et des enfants boliviens de la rue (Cyrulnik, 2002). Disciple de Bowlby et du psychologue Fritz Redl, qui vers 1970 a créé le terme d’égo-résilience (Redl, 1970), Cyrulnik influence tout un courant de pensée et stipule que la résilience est la « capacité d’un être de vivre, de réussir et de se développer en dépit de l’adversité » 4 (Cyrulnik, 2002). On retrouve de nombreuses références au chercheur Boris Cyrulnik à l’intérieur de l’œuvre de Pourtois, Humbeeck et Desmet, et c’est d’ailleurs lui qui en a composé la préface. De toute évidence, Cyrulnik est perçu par les auteurs comme une figure clé des recherches portant sur la résilience. C’est à partir de l’ensemble de ces données hétéroclites que Jean-Pierre Pourtois, docteur en sciences psychopédagogiques, professeur à l’Université de Mons et directeur du Centre de recherche et d’innovation en sociopédagogie familiale et scolaire, Bruno Humbeeck, chercheur à l’Université de Mons et directeur du Centre de présentation de la maltraitance et du Centre d’aide aux personnes toxicomanes et alcooliques à Péruwelz, ainsi que Huguette Desmet, docteur en sciences psychopédagogiques, professeur à l’Université de Mons et codirectrice du Centre de recherche et d’innovation en sociopédagogie familiale et scolaire, décidèrent de mettre en commun les innombrables études associées à la résilience. À la suite d’un examen approfondi, ils ont mis sur pied un modèle de développement représentant les différents besoins psychosociaux issus d’un épisode traumatique. Leurs conclusions sont ainsi exposées à travers le présent ouvrage. 3. Compte rendu commenté de l’ouvrage de Pourtois, Humbeeck et Desmet (2012) L’ouvrage compte 347 pages réparties en 8 chapitres. La préface, écrite par Boris Cyrulnik, nous expose d’abord un aperçu des origines du concept de la résilience. On y explique également l’objectif de l’œuvre de Pourtois, Humbeeck et Desmet, soit de faire disparaître les paradoxes de la résilience par le biais de la mise en place de ressources externes et internes. L’introduction souligne quant à elle la complexité liée à la notion de résilience et les différentes questions fondamentales qui s’y rattachent. On y comprend aussi que l’ouvrage propose un schéma méthodologique permettant aux intervenants de déceler les éléments significatifs à partir desquels il devient possible de stimuler une reprise de développement chez les personnes qui ont vécu un traumatisme. Le chapitre 1, soit « La résilience : une image, une idée ou un concept. », tente de préciser le concept abstrait de la résilience et de clarifier les différentes avenues qui y sont reliées. Le chapitre 2 « Perspective théorique » met davantage l’accent sur la description clinique de la résilience et de son champ théorique et méthodologique. Les 5 chapitres 3, 4, 5, 6 révèlent quant à eux les quatre axes du modèle de développement des besoins psychosociaux, soit l’axe affectif, cognitif, social et conatif. L’ensemble de ces sections dégage les vingt-six ressources de la résilience, illustrées à l’aide de schémas et d’interprétations. Le chapitre 7 « L’inventaire des ressources » touche l’élaboration et l’usage de l’outil proposé par les auteurs ainsi que la présentation d’un cas fictif afin de mieux concevoir la mise en pratique du modèle. La conclusion vient quant à elle résumer les différentes propositions citées à l’intérieur du modèle de développement des besoins psychosociaux et reflète les effets de l’utilisation de l’outil dans le cadre d’une intervention psychosociale. Le chapitre 1 s’intitule « La résilience : une image, une idée ou un concept ». On commence par analyser ici les diverses connotations affiliées au terme de la résilience, dépendamment de son association à l’univers poétique ou encore au vaste monde de la physique et de l’ingénierie. D’un point de vue scientifique, la résilience se résume au processus à partir duquel une « personne ou un groupe manifeste sa capacité à se développer bien, à continuer à se projeter dans l’avenir en présence d’éléments déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes sévères et/ou répétés ou pour identifier le mécanisme complexe qui signe la reprise d’un développement après un fracas » (Pourtois, Humbeeck et Desmet, 2012). Cette définition intègre, selon les auteurs, quatre conditions soit : l’identification d’un trauma ou la perception d’un fracas chez l’individu, la mise en place de stratégies de résistance ou de désistance, un potentiel de développement préservé et une propension à poursuivre un épanouissement au-delà du traumatisme ou du fracas vécut (Pourtois, Humbeeck et Desmet, 2012). Le processus d’épanouissement dont il est question ici réfère au modèle des douze besoins psychosociaux (Pourtois et Desmet, 1997). Selon cette approche, l’individu ayant subi un traumatisme, mais qui fait preuve de résilience en arrive à poursuivre son développement identitaire à travers la satisfaction de ses besoins psychosociaux et des processus d’affiliation, d’accomplissement, d’autonomie et d’idéologie. Contrairement à ce qui précède, dans le cas où la résilience n’a pas lieu, on note la présence d’une identité fracassée ainsi que des composantes reliées à la désaffiliation, l’inaccomplissement, l’anomie et la déshumanisation. Autrement dit, selon le modèle de Pourtois et Desmet, la notion de résilience post-traumatique intègre la manière dont le sujet se représente le monde et y exprime son sentiment d’exister. Il est évoqué également que la résilience 6 n’est ni une accommodation (qui suggère que l’individu renonce à toute forme d’épanouissement), ni une motivation à l’accomplissement (qui sous-tend davantage un projet d’action que la notion de propension à l’épanouissement), et ni un clivage (qui réfère à une stratégie défensive inadaptée) (Pourtois, Humbeeck et Desmet, 2012). Selon les auteurs, le développement de l’être humain ayant subi un traumatisme grave comporte quatre grandes directions : il peut s’arrêter (désistance), se maintenir (résistance), repartir négativement (désilience) ou encore reprendre un nouveau développement émancipatoire (résilience). Ces concepts se retrouvent au cœur du schéma exposant le positionnement sémantique de la résilience. L’étude déployée dans le présent ouvrage focalise néanmoins sur le principe de la résilience, du fait qu’il suggère un processus unique de développement bienfaiteur. Le chapitre 2, nommé « perspective théorique », permet de démontrer comment les auteurs ont réussi, à l’aide d’un schéma portant sur les démarches inductives et déductives, à élaborer un outil pragmatique qui fait preuve de rigueur conceptuelle et méthodologique. Les indices et signes de la résilience, selon l’approche de Pourtois et Desmet, se fondent essentiellement sur l’observation comportementale, l’introspection et la conscience hors pair des individus ayant été exposés à des fracas et qui malgré tout ont réussis à s’épanouir. Les auteurs ont privilégié trois sources d’investigation afin de déterminer les signaux et indices comportementaux récurrents, soit le recueil d’entretiens et d’observations cliniques, l’analyse de récits autobiographiques détaillés et l’analyse de contenu à partir de publications écrites. Une grille de lecture a par la suite été créée en regroupant les éléments par catégories (affective, cognitive, sociale, conative). La collecte des données s’est effectuée auprès de 113 sujets ayant fait preuve de résilience et faisant partie de quatre principaux programmes d’aides spécialisées (CPMP, CAAT, CEF Le Galion, Maisons d’accueil du CPAS). La présente étude a permis de répertorier 77 indices récurrents et 26 indicateurs de développement, regroupés selon les sphères cognitives, sociales, affectives et conatives. Chacun de ces indicateurs est décrit dans les chapitres qui suivent. Les auteurs attirent notre attention sur le fait qu’il est possible d’identifier les sphères particulières dans lesquels un individu semble davantage en mesure de se développer ainsi que cerner celles qui paraissent plus fragiles. Ces derniers insistent néanmoins sur l’importance de s’intéresser davantage à l’évolution des indices de développement dans 7 le temps plutôt qu’à la fréquence de leur présence chez les individus à un moment donné. Afin de faciliter cette démarche, Pourtois et Desmet (2004) ont proposé un questionnaire1 se rapportant au modèle des besoins et de ses composantes. L’outil est divisé selon les quatre grands axes de développement, et comporte les différents indices qui s’y rattachent (ces derniers sont clairement définis dans les chapitres suivants). Chaque indice est par la suite évalué selon une échelle de fréquence, soit de «Jamais» à «Souvent». On comprend donc à travers ce chapitre le cheminement méthodologique et conceptuel qu’on dû faire preuve les auteurs par rapport à leur étude ainsi que leurs moyens de concilier différentes approches associées au phénomène de résilience. Intitulé « Les ressources affectives », le chapitre 3 illustre l’un des quatre axes du modèle de développement des besoins psychosociaux. Pourtois, Humbeeck et Desmet expliquent d’une part le concept de sourire attachant, défini par le sourire créateur de lien, bienveillant, apaisant, attractif. On parle également de tendresse, d’attirance, d’amabilité et de charme qui sous-tendent d’autre part un principe d’amour et d’attachement propice au développement de ressources affectives. La personne résiliente cherche ainsi à communiquer son désir d’acceptation ou de considération en exprimant de la bienveillance, de l’affection et de la compréhension. Le sourire d’attachement ainsi que la capacité d’affiliation et d’attachement sécure, manifesté dans un contexte relationnel adapté, sont ainsi perçus comme des indices observables de développement et comme des indicateurs fiables d’épanouissement. Faire preuve de sens de l’humour, de confiance et d’optimisme sont d’autres traits qui reflètent une attitude d’accueil, de reconnaissance sociale et de confiance en l’avenir. Selon le modèle de Pourtois et Desmet, ces attitudes permettent à l’individu de ne pas rester rivé à une réalité qui le met à l’épreuve, et génère un sentiment de liberté sur le réel sans toutefois le modifier. La personne a ainsi suffisamment confiance en elle et en les autres pour appréhender positivement la tournure des événements et arrive à se débarrasser d’éléments anxiogènes dans sa vie actuelle. Le rire, l’appréhension positive et l’humour sont ainsi considérés comme des arguments de néodéveloppement puisqu’ils permettent au sujet de changer son regard sur les choses et l’aident à survivre. L’humour bienveillant et créateur de lien ainsi que l’attitude optimiste répondent aux besoins d’attachement et d’acceptation de la personne, tout en stimulant les besoins cognitifs et en étant vecteur du développement humain. Le fait d’éprouver un 1 Ce questionnaire figure dans l’ouvrage L’éducation implicite (Pourtois et Desmet, Paris, PUF, 2004) 8 sentiment d’acceptation malgré un fracas renvoie à une autre composante de la résilience, soit l’acceptation inconditionnelle et la conviction d’être aimé pour ce que l’on est. Les auteurs soulignent qu’il s’agit en fait du lien qui unit les besoins affectifs à ceux qui se manifestent davantage dans le développement cognitif, social et conatif de l’individu. C’est en cela que l’acceptation intervient comme un argument incontestable de développement humain. Dans le chapitre 4, « Les ressources cognitives », les propos portent davantage sur la sphère cognitive, constituant un deuxième axe du modèle de développement des besoins psychosociaux. D’après Pourtois, Humbeeck et Desmet, un individu qui fait preuve d’intelligence et de réalisme malgré un épisode de trauma est un indice significatif d’une reprise de développement favorable. Les auteurs entendent ici par intelligence la tendance à s’engager dans des apprentissages scolaires, soit l’éveil intellectuel, la curiosité et l’envie d’apprendre (Pourtois, Humbeeck et Desmet, 2012). L’intelligence et le réalisme renforcent ainsi les besoins cognitifs de stimulation, d’expérience et de renforcement, tout en ayant des impacts indirects sur les besoins sociaux de communication et de considération. Les auteurs sous-entendent également des facteurs de perspicacité, de lucidité et de pleine conscience des réalités, où la personne accepte les limites et s’y adapte. Faire preuve d’imagination créatrice et d’aptitude ludique est également nécessaire à l’individu afin qu’il soit apte à prendre ses distances par rapport au réel, tout en restant en lien avec lui-même. Il s’agit là d’autres conditions à la résilience qui permettent à l’homme de se sentir libre dans un monde recréé, au sein duquel tout devient ou redevient possible. L’expérience favorise le besoin de considération, de structure, de communication et d’attachement/acceptation par le biais de la création et du jeu. La personne arrive ainsi à prendre sa vie au sérieux sans l’envisager sur le mode tragique. L’attention focalisée ou sélective, le recours à des stratégies de coping efficaces ainsi que la recherche de voies d’accomplissement par l’activité sont également des ressources de développement post-traumatique. Elles regroupent les facultés de centration attentive, d’ajustement et de prise en charge offensive de la difficulté, ainsi que de remise en mouvement par l’action. À travers la manifestation d’un sens de l’organisation, ces aptitudes sont perçues comme véritables vecteurs de résilience et mettent en évidence l’activité et le pouvoir d’agir. 9 Le chapitre 5 titré « Les ressources sociales » présente un troisième axe du modèle de développement des besoins psychosociaux. Pourtois, Humbeeck et Desmet indiquent qu’une personne préalablement exposée à un épisode de vie fracassant et qui fait preuve malgré tout de sociabilité et/ou de socialité et d’altruisme est un excellent indicateur de résilience. On parle ici de la facilité à entrer et à maintenir un contact avec les autres, à coopérer et à se soucier des autres. Le sujet devient ainsi capable de donner de manière inconditionnelle, tout en sachant solliciter de l’aide quand il en a besoin et d’utiliser adéquatement les supports sociaux qui s’offrent à lui. La sociabilité, la socialité et le don de soi favorisent l’interaction des besoins sociaux (de communication et de considération) et des besoins affectifs (d’attachement et d’acceptation), tout en permettant à l’individu fracassé de trouver le sens de sa propre vie à travers les autres. La tendance à vouloir se rapprocher des autres, à être généreux et à porter son attention aux autres favorise somme toute l’insertion de l’individu dans un écosystème sein et émancipatoire. La propension à faire preuve de sens éthique et de moralité est également perçue par les auteurs comme des indicateurs du potentiel de néodéveloppement chez un individu ayant subi un traumatisme. Il s’agit là de deux indices vecteurs de résilience dans la mesure où le sujet, obéissant, poli, respectueux et autodiscipliné, est capable de se fixer des limites au sein de son environnement qu’il perçoit comme suffisamment juste. La personne se montre ainsi capable d’identifier certaines valeurs conformes comme siennes et de se comporter humainement suivant les principes moraux qui les sous-tendent. Le sens éthique et la moralité exigent néanmoins un certain niveau de maturation cognitive et sociale, et s’inscrivent à l’intérieur des besoins sociaux de structure, de communication, de considération et de justice. Les auteurs parlent également de stabilité identitaire, d’autonomie, d’estime de soi stable et de narration de soi comme des traits importants de la résilience. La conscience individuelle, la débrouillardise, le partage de son monde intime, l’image positive de soi ainsi que l’aptitude à s’affirmer et à s’opposer aux autres symbolisent une identité différenciée au-delà de l’épreuve que le sujet traverse et constituent en soi des indices de développement humain. L’élaboration d’une définition solide et consistante de soi génère une résistance aux traumatismes et permet à l’être humain de traverser des épreuves et d’encaisser les échecs sans pourtant modifier l’idée qu’il se fait de lui-même. L’énonciation de soi ainsi que le désir d’exister selon ses propres lois éthiques malgré 10 l’assigne d’un événement traumatique favorise somme toute la mise en place d’un mécanisme de résilience. Le chapitre 6 nommé « Les ressources conatives » représente un quatrième et dernier axe du modèle de développement des besoins psychosociaux de Pourtois et Desmet. Il souligne l’importance de l’intelligence émotionnelle dans la prise de décision, soit l’aptitude à reconnaître ses propres émotions, à les analyser ainsi qu’à les maîtriser. Les auteurs parlent également d’empathie; de sensibilité et d’attention à ce que vivent les autres comme indicateurs de résilience. La personne manifeste ainsi de la préoccupation, de la compassion et adopte une attitude d’écoute. La sociabilité permet somme toute au sujet de relativiser ce qu’il vit à la lumière de ce que subissent les autres et le contrôle de soi, à communiquer efficacement un vécu teinté d’émotions régulées. L’ensemble de ces indicateurs joue un rôle positif dans la reconstitution post-traumatique. Le fait de faire preuve de motivation, de spiritualité et de sens esthétique est également vecteur de résilience. Dans cet ordre d’idées, la persévérance, la fixation de buts, la manifestation de convictions ainsi que la sensibilité au beau sont envisagées par les auteurs comme des indicateurs de développement post-traumatique et répondent aux besoins de stimulation et de renforcement. L’aptitude de l’individu à trouver un sens à sa propre vie et à ce qu’il a vécu tout en se mettant en action par le biais d’objectifs précis constitue en soi de bons indices de son évolution au-delà de l’exposition à un événement traumatique. La personne arrive ainsi à réaménager son système de croyances d’après ce qu’elle a subi et à exprimer sa souffrance consciente et inconsciente à travers le sens artistique. La recherche de beauté sert ici à stimuler l’individuation du sujet et de son humanisation. L’outil élaboré par Pourtois, Humbeeck et Desmet dans le cadre de leur étude sur la résilience est exposé dans le chapitre 7, intitulé « L’inventaire des ressources ». L’instrument présenté vise principalement à comprendre comment l’individu construit ou reconstruit son monde avant, pendant et après un épisode de vie traumatique. Selon les auteurs, l’inventaire des ressources peut, d’une part, être utilisé comme un outil de recherche qui repère et identifie empiriquement les facteurs de résistance, de désistance, de résilience ou de désilience. D’autre part, il peut être employé comme un outil d’intervention dans la mesure où il permet de stimuler la réflexion chez l’individu ayant été exposé à un événement traumatisant, de spécifier les pratiques de soutien et de contribuer à mettre en place des stratégies individuelles et/ou collectives en lien avec le 11 processus de résilience. Dans cette optique, il permet la prise de conscience des traits, des comportements et des aptitudes caractérisant le fonctionnement psychosocial de la personne avant le trauma, et d’envisager la manière dont ceux-ci ont évolué après l’épisode traumatique. Grâce à l’outil de Pourtois, Humbeeck et Desmet, un intervenant peut être en mesure d’identifier les ressources (cognitives, affectives, conatives et sociales) qui paraissent fragilisées par l’arrivée d’un choc important chez un client. En déterminant les facteurs de développement psychosocial, l’intervenant peut donc adapter ses interventions en conséquence et favoriser un processus de résilience chez l’individu. À l’intérieur de ce chapitre, les auteurs illustrent, à l’aide d’un exemple d’une situation clinique particulièrement complexe (le cas Bernard), les propositions avancées dans les chapitres précédents, ainsi que l’évolution post-traumatique d’un sujet d’après son point de vue personnel et ceux des personnes qui l’ont soutenu à travers cette période difficile de développement. Le cas de Bernard est conçu par les auteurs en trois temps, soit la manière dont Bernard perçoit son monde avant le traumatisme, quatre mois après le traumatisme et trois années plus tard. L’outil permet ici de faire l’inventaire des ressources de Bernard à l’intérieur de ces temps, et permet de repérer les indices, indicateurs et concepts opératoires qui y sont rattachés. Ces derniers sont identifiés en fonction de leur fréquence, de leur prégnance ainsi que de leur présence ou non-présence. En finale, un profil est réalisé d’après les renseignements reconnus et facilite la comparaison des données avant, juste après et trois ans après l’épisode traumatique. On comprend à travers cette analyse de cas que l’outil permet de préciser les ressources mobilisées par Bernard à travers son développement post-traumatique. On note, par exemple, que quatre mois après les chocs, le sujet ne présentaient ni ressources affectives ni ressources conatives dans son profil psychosocial. Or, il lui restait des ressources cognitives soit entre autres l’intelligence et les aptitudes ludiques, ainsi que des ressources sociales, telles que l’altruisme et la narration de soi. Ces ressources permettent donc de s’interroger et de possiblement prévoir la présence de désistance, de résistance de désilience ou de résilience. En guise de chapitre 8 et de conclusion à leur ouvrage, Pourtois, Humbeeck et Desmet reviennent sur deux principes fondamentaux du processus de résilience, soit la métamorphose de soi et l’étonnement induit chez autrui. La transformation de l’individu en réponse à un événement traumatique peut ainsi prendre une tournure positive 12 (résilience) ou encore prendre une tournure plus négative (désilience). Les auteurs en viennent à l’idée qu’en restant soi-même, il est possible de se construire ou se reconstruire une vie lucide à la suite d’un événement fracassant. La résilience est ici perçue comme une simple opportunité que certaines personnes se donnent lorsqu’un traumatisme les frappe. Pourtois, Humbeeck et Desmet précisent néanmoins que les autres stratégies, telles que la désistance, ne sont ni bonnes ni mauvaises en soi. Par exemple, la résistance et la désistance sont deux processus qui permettent à la personne de reprendre un développement psychosocial semblable à celui avant le trauma. Or, les chercheurs stipulent que la résilience détient l’avantage de permettre à un individu d’envisager une nouvelle trajectoire émancipatoire, ce pour quoi ils se sont davantage intéressés à ce concept. L’outil proposé à travers l’ouvrage, soit l’inventaire des ressources, propose une approche mettant en lumière les différents supports de développement permettant à chacun de se reconstruire au-delà d’un épisode psychologiquement difficile. L’idée principale est donc d’évaluer et d’éduquer l’individu afin de lui permettre de cultiver ses propres ressources, et d’ainsi l’autoriser à s’affranchir de son passé et à prendre possession de son propre avenir. 4. Pertinence pratique : la résilience à travers un processus d’orientation À la lumière de l’œuvre de Pourtois, Humbeeck et Desmet, on comprend davantage le concept de la résilience ainsi que les ressources nécessaires à son développement. Employé comme un outil d’intervention, le modèle peut s’avérer très utile dans le cadre d’une pratique quotidienne de counseling de carrière. En effet, il peut aider les clients dans leurs démarches de recherche d’emploi et d’intégration sur le marché du travail, dans le sens où il permet à la personne de surmonter les obstacles, de s’adapter au changement ou aux épreuves et à s’en remettre, de faire face au stress et de développer des compétences en lien avec l’optimisme, l’adaptation et le sentiment de compétence. Cet instrument d’évaluation peut également être pratique en milieu organisationnel et institutionnel, dans la mesure où il permet de classer les facteurs de la résilience et de modéliser l’intervention. Diverses problématiques sous-jacentes à la vie professionnelle peuvent amener un individu à venir consulter en orientation : le stress, le sentiment d’incompétence, la 13 souffrance au travail et le harcèlement physique et psychologique n’en sont que quelques exemples. En ce sens, il peut s’avérer que l’une de ces situations est perçue par le sujet comme un épisode traumatique occasionnant d’importants impacts et blocages psychologiques au niveau de son cheminement scolaire et/ou professionnel. La personne peut ainsi cesser de se développer au niveau professionnel (désilience) ou encore transformer ses écueils en défis, en tentant d’améliorer ses compétences essentielles afin de mieux réussir sur le plan de la carrière (résilience). De ce point de vue, l’approche de Pourtois, Humbeeck et Desmet peut permettre aux conseillers et conseillères en orientation de situer d’une part leur client par rapport aux facteurs de résistance, de désistance, de résilience ou de désilience et ainsi mieux orienter ses interventions. D’autre part, le professionnel peut en venir également à identifier les ressources de la personne (cognitives, affectives, conatives et sociales) qui paraissent affectées par le choc et adapter son approche afin de favoriser un processus de résilience. Le but visé de l’échange demeure la poursuite de son développement, mais davantage axé dans ce cas-ci au niveau professionnel. L’outil d’intervention proposé dans cet ouvrage peut donc s’avérer très pratique, entre autres, à l’intérieur des trois phases continues d’intervention en counseling de carrière, soit la phase d’exploration, la phase de compréhension ainsi que la phase d’action (Cournoyer, 2010). Le conseiller en orientation peut en effet se référer aux indices et indicateurs élaborés par Pourtois, Humbeeck et Desmet lors de l’exploration de l’expérience vécue du client à travers la sphère personnelle, scolaire et professionnelle. En présence d’un choc traumatique, le conseiller peut initialement évaluer et explorer les ressources de son client, puis l’amener à comprendre son propre fonctionnement. La compréhension de lui-même ainsi que le développement de ses ressources affaiblies peuvent aider le client dans la mise en œuvre d’un choix, d’un projet ou d’un changement. Les ressources de la résilience peuvent permettre somme toute à l’individu de mieux comprendre son propre fonctionnement psychologique et l’aider à composer avec ses difficultés, voire même les transformer en débouchés. La résilience à travers un processus d’orientation, telle que perçue par l’approche de Pourtois, Humbeeck et Desmet, peut aider le client à s’affranchir de son passé en lui permettant d’agir sur ses ressources 14 personnelles ainsi que sur son évolution, et peut l’autoriser à percevoir un avenir professionnel qui répond à ses attentes. 15 BIBLIOGRAPHIE COURNOYER, Louis. (2010). Une démarche compréhensive du counseling de carrière, UQAM, Montréal, 51 pages. CYRULNIK, Boris. DUVAL, Philippe. (2006). Psychanalyse et résilience. Récupéré le 14 septembre 2013 du site GOOGLE Livre : http://books.google.ca/books/about/Psychanalyse_et_r%C3%A9silience.html?id= ePciIw3bBJwC&redir_esc=y PHANEUF, Margot. (s.d.) La résilience : concept abstrait ou pratique de vie. Récupéré le 14 septembre 2013 de http://www.infiressources.ca/fer/depotdocuments/La_resilience_concept_abstrait_ ou_pratique_de_vie.pdf POURTOIS, Jean-Pierre. HUMBEECK, Bruno. DESMET, Huguette. (2012). Les ressources de la résilience, Paris, Presses Universitaires de France, 347p. RICHEMOND. (Article publié le 10 février 2012). Emmy Werner, pionnière du concept de la résilience. Récupéré le 14 septembre 2013 du site RHesilience : http://rhesilience.com/blog/?p=109