internes de la firme ne peuvent être compris par le théoricien qu’à partir de leur inscription dans un
cadre macroéconomique plus global, mais si ces mécanismes ne peuvent être déduits a priori de ce
même cadre, quel champ d’application donner à la théorie économique, si ce n’est celui d’une simple
rationalisation a posteriori de l’histoire économique ? C’est dans un ouvrage postérieur, La Violence
de la Monnaie, que Michel Aglietta énoncera clairement cette conception anti-prescriptive de la
théorie économique, laquelle ne peut s’établir comme cadre normatif qu’en acceptant de se
compromettre avec l’idéologie dominante. Mais cette conclusion découle déjà de la manière dont est
posée « l’autonomie limitée » de l’espace institutionnel dès 1976.
Reconstruire les linéaments d’une théorie régulationniste de la firme ne peut donc se faire qu’en
acceptant les règles du jeu de l’analyse économique telles que les pose l’Ecole de la Régulation. En
premier lieu, il est discutable de faire reposer l’analyse sur une unité doctrinale de la théorie que l’on
serait bien en peine de préciser : de l’ouvrage fondateur de Michel Aglietta aux développements
récents de la Régulation (tels que les présente par exemple Robert Boyer) les divergences théoriques
sont telles que toute tentative de synthèse autre que proprement historique risque fort de ne reposer
que sur une référence à un « mode de régulation » plus ou moins flou.
C’est particulièrement vrai pour l’analyse de la firme, dans la mesure où celle-ci pose clairement la
question de la possibilité de dissocier ses mécanismes internes de coordination, reposant en partie sur
des rapports contractuels entre agents individuels, de la structure d’un rapport social global conçu
comme rapport de classes. Est-il ainsi possible de ménager, au sein d’une approche régulationniste de
la firme, un espace spécifique au sein duquel seraient analysées les conventions mises en place par les
membres de l’entreprise ? Cet espace peut-il être détaché de considérations portant sur les rapports de
domination entre capitalistes et salariés ? Cette question, qui sert de fondement polémique à celle qui
concerne les rapprochements possibles de la théorie de la régulation avec l’économie des conventions,
est en vérité suffisamment problématique pour sceller la divergence entre deux des pères fondateurs de
la régulation : Michel Aglietta (partisan de ce rapprochement) et Alain Lipietz (pour lequel ce
rapprochement signifie l’abandon du geste originel de la régulation). La possibilité pour la régulation
d’établir un espace au sein duquel les mécanismes de coordination internes à l’entreprise seraient
considérés pour eux-mêmes, sans référence à une forme globale du rapport social, est une question
polémique, à laquelle il est impossible d’apporter une réponse régulationniste. Pour éviter cet écueil,
nous prendrons donc comme cadre d’analyse la théorie régulationniste sous sa forme originelle, c'est-
à-dire telle qu’elle apparaît dans l’ouvrage de 1976.
Par ailleurs, il est vain de chercher à déterminer ce que peut être une théorie régulationniste de la firme
comme institution sans interroger au préalable ce que représente l’espace institutionnel au sein de la
théorie régulationniste. L’unité dialectique de l’institution et du mode de régulation, qui garantit leur
interaction tout en interdisant de les réduire l’un à l’autre, implique que l’on ne puisse dissocier le
questionnement portant sur la firme en tant qu’institution de celui qui interroge le caractère
institutionnel de la régulation elle-même. C’est cette liaison des deux questionnements qui permettra
par exemple de comprendre la manière dont la régulation appréhende originellement l’émergence du
collective bargaining au sein du monde de l’entreprise — manière très différente de ce que pourraient
laisser entendre la notion de « compromis institutionnel » telle qu’elle apparaît dans des ouvrages plus
récents.
Enfin, cette reconstitution d’une conception régulationniste de la firme ne peut être dissociée de la
remise en cause — radicale — que les régulationnistes font subir à l’individualisme méthodologique,
aussi bien en ce qui concerne son caractère proprement individualiste que dans la manière dont il
convient de concevoir la « rationalité » de l’agent économique.
La socialisation de l’analyse, qui
interdit de procéder à partir d’une mise en relation d’atomes individuels, interdit également de
désocialiser la rationalité des individus. Si la consistance théorique de la firme au sein du cadre
régulationniste peut être questionnée, c’est d’abord parce que la remise en cause de l’individualisme
méthodologique est portée à un degré de radicalisation tel que c’est la firme elle-même qui tend à
apparaître comme le constituant d’un espace plus vaste au sein duquel elle doit être ressaisie. En
revanche, c’est toujours parce que l’individualisme méthodologique est une posture théorique
: A cet égard, on peut être surpris de l’affirmation de Benjamin Coriat selon laquelle « la théorie de la
régulation reste largement muette sur tout ce qui a trait aux hypothèses de rationalité faites sur les agents »
(Coriat, Weinstein [1995], p. 187.)