Pour l’interdiction des stages dans les cursus Introduction : Définition des stages Nous appelons stage, une situation où l’étudiant doit effectuer, pour obtenir un diplôme, un travail mettant en valeur, directement ou indirectement, du capital. Il faut nettement distinguer deux cas, pour préciser cette définition trop large des stages : D’un côté, le cas où l’acquisition de certaines qualifications est, en raison de nécessités propres aux disciplines concernées – et non en raison de contraintes spécifiques au mode de production capitaliste –, impossible sans l’exercice d’une pratique, qui se trouve être un travail mettant en valeur (directement ou indirectement) du capital. C’est le cas à partir d’un certain niveau pour (notamment) la médecine, l’enseignement et la recherche (étudiants en thèse). Dans ce cas, nous revendiquons le recrutement de ces étudiants comme fonctionnaires. D’un autre côté (et c’est ce cas qui sera traité dans la suite de cette contribution), le cas où les capitalistes et leur gouvernement imposent la multiplication des stages dans les cursus, c’est-à-dire la situation où l’étudiant doit effectuer, pour obtenir un diplôme, un travail mettant en valeur (directement ou indirectement) du capital, alors qu’il n’y a absolument aucune contrainte propre à la discipline. Même dans le cas de disciplines technologiques, l’apprentissage de la pratique peut parfaitement se faire dans le cadre de l’institution scolaire, sans stage. 1. L’intérêt des stages pour le capital Les capitalistes ont doublement intérêt à la mise en place de stages dans les cursus : Ils disposent d’une main d’œuvre quasi-gratuite, et donc surexploitée. L’intérêt est ici le même que pour toutes les formes précaires de travail. Ces stages permettent de préparer les étudiants au travail en entreprise : ils permettent de leur inculquer les normes capitalistes de travail et de discipline. Les stages ne permettent pas principalement l’acquisition de savoirs ; ils sont plutôt une mise en condition par l’apprentissage du travail subordonné. 2. L’intérêt des stages pour les travailleurs en formation La classe ouvrière – et sa partie en formation – n’a aucun intérêt, en tant que classe, à la mise en place de stages dans les cursus. L’alibi ‘pédagogique’ des stages ne tient pas la route. Premièrement parce que les stages ne transmettent que très peu de savoir. Deuxièmement parce que les savoirs qu’ils transmettent pourraient très bien être transmis au sein de l’institution scolaire. Troisièmement, et surtout, parce que nous luttons contre l’influence du capital sur le contenu et la façon dont se transmettent les connaissances. Les étudiants n’ont donc aucun intérêt collectif à la mise en place de stage. Par contre, une fois les stages autorisés dans les cursus (une victoire pour le capital qui a été en position de force pour légaliser les stages), les étudiants ont – en apparence de façon paradoxale –, individuellement, souvent intérêt à effectuer des stages. Parce que les patrons préfèrent bien souvent des étudiants qui ont effectué des stages au cours de leur cursus (car ils ont été mis en condition), ceux-ci vont rationnellement choisir d’en effectuer. Et ils ont raison de refuser de se sacrifier. Notre syndicat ne fait pas l’apologie du suicide individuel mais de l’action collective. Les stages mettent ainsi les étudiants en concurrence – concurrence d’autant plus exacerbée que le taux de chômage est important comme aujourd’hui – les uns par rapport aux autres. La concurrence est l’arme des capitalistes pour diviser les travailleurs et les empêcher de s’unir comme classe contre les intérêts du capital. Le syndicat doit donc s’opposer aux stages comme à tous les dispositifs qui exacerbent la concurrence entre travailleurs. Il défend les intérêts collectifs des étudiants. Enfin, les stages, en se substituant à de vrais emplois, accroissent le taux de chômage. 3. Il faut revendiquer la suppression des stages dans les cursus, et non leur ‘encadrement’. A– Il serait schizophrène de lutter simultanément pour un ‘encadrement’ des stages dans les cursus où ils existent déjà, et contre leur introduction là où ils n’existent pas encore. En effet, les étudiants privés de stages sont – à niveaux de connaissance égaux – défavorisés sur le marché du travail. Nous ne défendrions pas les intérêts des étudiants en essayant de préserver à tout prix certaines filières des stages, sans s’attaquer la logique concurrentielle des stages. B– Une autre approche pourrait être d’accepter les stages dans tous les cursus à condition qu’ils soient ‘encadrés’. On ne peut pas, comme l’UNEF, réclamer la mise en place d’une charte pédagogique des stages De façon générale, il faut s’opposer à la revendication d’un meilleur encadrement pédagogique : les patrons n’ont rien à nous transmettre. Si nous combattons l’emprise du patronat sur le contenu des formations dispensées à l’université, ce n’est pas pour supplier le patronat de nous transmettre des connaissances à l’extérieur de l’université. C– Que nous reste-t-il à revendiquer en dehors de l’interdiction des stages dans les cursus ? On pourrait penser à réclamer de meilleures conditions de travail et de meilleures rémunérations pour les stagiaires. Certains avancent que si nous obtenions satisfaction sur ces revendications, les patrons n’auraient alors plus aucun intérêt à embaucher des stagiaires. Ainsi, nous obtiendrions satisfaction sur notre revendication commune : la disparition des stages non par interdiction légale mais par manque d’intérêt pour les capitalistes. Ce raisonnement est tout à fait juste, mais on doit se poser la question suivante : pensons-nous qu’il soit plus facile de faire disparaître les stages de cette façon là ? Nous répondons sans ambiguïté : NON. En effet, en refusant de mettre en avant l’interdiction des stages, nous nous plaçons dans une logique concurrentielle – où chacun essaie de valoriser mieux que son voisin son ‘capital humain’ – qui rentre en contradiction avec une logique militante qui vise à conquérir des droits collectifs. Ainsi, même si ce raisonnement tient la route abstraitement, il ne peut se réaliser concrètement. L’histoire du mouvement ouvrier confirme le caractère illusoire d’un tel raisonnement. A-t-on obtenu l’interdiction du travail des enfants en le rendant plus coûteux ? En outre, si le but de la rémunération des stages est d’élever le niveau de vie des étudiants (en contrepartie d’un travail exploité), nous préférons mobiliser notre énergie militante d’une autre façon pour élever ce niveau de vie : en militant pour un système d’aide sociale inconditionnel fondé sur la justice sociale. D– Il faut avoir conscience qu’en refusant de mettre en avant la revendication d’interdiction des stages, nous accepterions l’existence d’une forme nouvelle de travail précaire, en mettant en avant des revendications qui visent à ‘humaniser’ le travail précaire. Revendications qui sont soit dangereuses – comme la revendication d’une charte pédagogique des stages –, soit vaines – comme la revendication d’un alignement progressif des stages sur les contrats de travail les plus favorables pour les salariés.