« Dans la plupart des Etats arabes, la charia
est la source principale du droit »
| 14.09.11 | 15h15 • Mis à jour le 24.10.11 | 17h00
Les déclarations, lundi 12 septembre, de Moustapha Abdeljalil, le patron du Conseil national
de transition libyen (CNT), selon lequel la charia (loi islamique) sera "la principale source de
la législation" dans la nouvelle Libye ont semé un léger trouble au sein des pays de la
coalition anti-Kadhafi. A New York, les Nations unies ont notamment pressé le CNT de
donner plus de poids à l'égalité entre les sexes dans la future Constitution du pays. Le
politologue et islamologue belge Baudouin Dupret, directeur du centre de recherches Jacques
Berque, à Rabat, au Maroc, décrypte le poids des références coraniques dans les textes
constitutionnels arabes.
Faut-il s'inquiéter de la possible mention de la charia dans le projet de constitution
libyenne ?
Cette disposition n'est ni surprenante ni originale. Ce n'est pas un coup de tonnerre dans le ciel
bleu de la Libye. La plupart des Constitutions arabes, comme celle de l'Egypte, font de la
charia la source principale du droit. Même la Syrie, qui se veut laïque, érige le fiqh, la
jurisprudence islamique, en source principale de la législation. La Tunisie et le Maroc font
exception, mais leur Constitution précise que l'islam est religion d'Etat. Inscrire l'islam dans la
Constitution libyenne, c'est une déclaration vertueuse, parfaitement attendue compte du tenu
du conservatisme général de cette société, mais qui ne présage en rien du type de lois qui sera
adopté.
Tout est affaire d'interprétation par les tribunaux ?
Exactement. On peut aussi bien aller vers l'imposition de peines coraniques - la lapidation des
femmes adultères, les mains coupées pour les voleurs - que vers l'application de principes
généraux chers à l'islam, comme l'équité, la bienfaisance et la justice. On peut faire une
interprétation réductrice de la charia, ou bien opter pour une lecture évolutive, en accord avec
les intérêts de la société. Dans les faits, à l'exception de l'Arabie saoudite et du Soudan, où le
code pénal est marqué par l'héritage islamique, dans tous les autres pays arabes, l'influence de
la charia ne se fait sentir que sur le droit de la famille.
En Egypte, ce travail d'arbitrage revient à la Cour constitutionnelle...
L'article 2 de la Constitution égyptienne dit que les principes de la charia sont la source
principale de la législation, mais l'interprétation de la Cour constitutionnelle fait que la charia
n'a jamais été une contrainte dans l'adoption des lois. Cette approche est basée sur une
distinction entre les principes absolus de la charia, qu'il faut suivre aveuglément, et les
principes relatifs, où le Parlement peut faire preuve de souplesse. Or jusque-là, la Cour
constitutionnelle égyptienne n'a jamais identifié ces principes absolus. Elle a toujours réussi à
botter en touche.
A quels changements constitutionnels faut-il s'attendre en Egypte et en Tunisie ?